Déconvenues européistes Pauvres conservateurs européens ! Le ciel vient encore de leur tomber sur la tête ... Ils étaient tellement persuadés d'être sortis grands vainqueurs des élections européennes, qu'à aucun moment ils n'ont pu imaginer que leur candidat, M. Barroso, pouvait ne pas être reconduit à la tête de la Commission de Bruxelles. Tout avait été mis en scène pour celà. Le 18 juin, le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement - y compris les représentants de la gauche européenne - adoubait dans l'enthousiasme M. Barroso, sans porter la moindre appréciation sur son bilan et celui de sa Commission. Sur ces entrefaits, le Parti Populaire Européen manoeuvrait auprès de ses partenaires, libéraux, verts et socialistes, pour que l'investiture de M. Barroso ait lieu dès la séance inaugurale de la nouvelle assemblée européenne, le 15 juillet. On imagine le symbole !
Mais voilà, les plus belles histoires ont une fin et le petit monde de Strasbourg n'est malheureusement pas peuplé que de députés godillots de l'UMP ou de la CDU. Tout fiers de leur nouvelle existence politique, les Verts ont sonné la charge contre le président sortant, suivi de près par les libéraux, qui espèrent imposer une autre candidature, "plus centriste et donc plus consensuelle". Restaient les socialistes, tiraillés entre leurs convictions antilibérales et l'alliance "technique" passée dans le passé avec les conservateurs. Cette alliance, forme de cogestion à la strasbourgeoise, qu'ils venaient de reconduire avec le PPE et qui leur valait quelques postes clés au Parlement, d'où une intense réflexion des députés du PSE, qui n'avait, on l'imagine, rien d'intellectuelle et de désintéressée. Finalement, le groupe socialiste se donnait lui aussi le temps de murir sa décision. Le vote est-il simplement reporté en septembre, comme le proclame haut et fort les membres du PPE ? Rien n'est moins sûr. Dans une de ces décisions "byzantines" dont les institutions européennes ont le secret, il a finalement été convenu que le Parlement se prononcerait le 10 septembre prochain pour savoir s'il organise ou non un vote d'investiture le 16 septembre. On appréciera les contorsions ! Les conservateurs, ainsi que les entourages de M. Sarkozy et de Mme Merkel, ne décolèrent pas, d'autant que les derniers pointages faits au sein des groupes n'étaient pas en faveur de M. Barroso. Mais dans les affaires délicates, on sait que la colère n'est pas toujours la meilleure conseillère.
Autre désillusion pour les conservateurs : la résurgence des eurosceptiques. Lors de la séance inaugurale du nouveau Parlement, le 15 juillet, les adversaires les plus virulents du traité de Lisbonne ont réussi à constituer un groupe ("Europe de la Liberté et de la démocratie") qui rassemble plus de 30 eurodéputés. Son président, le britannique Nigel Farage, a promis d'être la voie de l'opposition à l'Europe fédéraliste et de jouer un rôle actif dans la campagne du "non" pour le référendum irlandais. Pire encore, comme nous l'avions annoncé (RCIL des 11 et 23 juin , 55 parlementaires conservateurs, parmi lesquels l'ensemble des tories anglais, ont décidé de rompre les amarres avec le PPE et de constituer un second groupe eurosceptique ("Conservateurs et réformistes européens"). Si l'on y ajoute le groupe d'extrème gauche, traditionnellement rétif à l'Europe libérale et fédéral, plus quelques non inscrits peu conformistes, ce sont près de 140 députés, soit 20% des sièges, qui porteront à Strasbourg un discours critique vis à vis de l'actuelle construction européenne. Du jamais vu !
Cette situation ne sera évidemment pas sans répercusion sur la procédure de ratification du Traité de Lisbonne, que Mme Merkel, MM. Sarkozy et Barroso suivent comme "le lait sur le feu". La reconduction de M. Barroso, dès le mois de juillet, à la tête de la Commission pouvait en effet donner le sentiment d'une sorte de retour à la normal, d'une fin du "cycle maudit "commencé avec le reférendum français de 2005 et qui s'est poursuivi avec la consultation irlandaise de 2008. Ce signal n'a pas eu lieu, les contestations du Traité européen ne sont pas éteintes et l'inquiétude commence à gagner les rangs des "Lisbonnards". Il est vrai que le temps joue maintenant contre eux et que d'importants foyers de rébellion persistent à Londres, à Berlin, à Prague, à Varsovie et à Dublin, ce qui fait beaucoup.
Côté britannique, le sujet est des plus sérieux. On savait, depuis les résultats des élections européennes, que le gouvernement de M. Gordon Brown ne tenait plus qu'à un fil et les Tories avaient clairement indiqué qu'ils soumettraient le traité européen à référendum, au cas où ils arriveraient au pouvoir l'an prochain. Cette menace n'est pas proférée à la légère. M. William Hague, ministre des affaires étrangères du shadow cabinet tory vient même d'enfoncer le clou en déclarant qu'en cas de victoire conservatrice au printemps 2010, le gouvernement reverrait profondément l'orientation de sa politique étrangère, au profit du fameux "air du large". En bons tacticiens, les Tories savent parfaitement combien ce genre de propositions plait un opinion publique restée très patriote et lassée depuis longtemps de la pétaudière bruxelloise. Le risque est d'importance mais on considère à Paris, à Bruxelles et à Berlin que la crise, si crise il y a, ne se produira au mieux que dans 8 mois et qu'il faut laisser le temps au temps...
Car le péril le plus immédiat n'est pas là, il vient en réalité du coeur de la coalition "européiste", c'est à dire de l'Allemagne elle-même. Bien que les deux chambres, Bundestag et Bundesrat, aient approuvé le Traité, à une majorité assez large, au printemps 2008, plusieurs groupes politiques (CSU bavaroise et gauche radical) ont logiquement saisi la Cour constitutionnelle de Karlsruhe des abus de pouvoir introduits par le texte. Or, ce qui ne devait être, selon l'exécutif allemand, qu'une formalité, s'est transformé une fois encore en une cinglante déconvenue. Les juges de Karlsruhe ont non seulement donné raison aux plaignants, mais ils ont aussi décidé de bloquer la ratification du traité européen tant qu'une loi d'accompagnement garantissant les prérogatives du Parlement allemand ne serait pas votée par le Bundestag [1]. La situation est d'autant plus critique pour l'équipe Merkel que les élections législatives allemandes sont prévues fin septembre, que, pour les gagner, l'actuelle chancelière a besoin des voix de la CSU bavaroise et que celle ci conditionne son soutien à l'adoption d'un texte limitant fortement les effets du traité de Lisbonne. On voit donc que l'affaire est plus que mal partie et qu'il y a fort à parier que le Bundestag sera, au mieux, saisi d'un texte de loi après les législatives. C'est à dire à un moment où la campagne irlandaise battra son plein.
Car l'autre péril pour le mauvais traité, c'est à Dublin qu'il se situe. Le seul point à peu près sûr pour les irlandais, c'est la date du second référendum, fixée au 2 octobre. Pour le reste, tout est ouvert. Le Premier ministre Brian Cowen se prévaut des garanties qu'il aurait obtenues du Conseil européen de juin dernier sur le maintien de certaines spécificités irlandaise (neutralité militaire, fiscalité, avortement...) et sur les derniers sondages qui donnent une légère avance au "oui". Mais les partisans du "non" font valoir qu'il en était de même quelques semaines avant le premier référendum, qui avait pourtant abouti au résultat inverse, et que M. Cowen sera d'abord jugé sur son bilan économique, qui est encore bien pire qu'en 2008. Prudence donc, disent les analystes, y compris et peut être surtout dans le camp européiste.
Désillusions, déboires, prudence... le moral des conservateurs européens serait décidemment au plus bas, si l'éternelle bonne humeur de leurs amis Lech Kaczynski et Vaclav Klaus n'était pas là pour leur redonner espoir. Il est vrai que sans ces deux provocateurs impénitents, l'Europe serait plus triste! Le président polonais n'a -t-il pas déclaré il y a quelques jours et le plus sérieusement du monde qu'il signerait le traité "le jour même où nos amis irlandais l'accepteraient, dès l'annonce des résultats officiels" ? Il pourrait utilement y rajouter " et quand les exigences de la cour de Karlsruhe seront satisfaites". Quant à son homologue tchèque, amateur de bons cigares et de bons mots, il cherche encore la transposition dans sa langue de l'expression "quand les poules auront des dents". Promis, juré, dès qu'il en a trouvé une traduction acceptable, il signe tout de suite!
Vincent Lebreton.
[1]. Nous accueillons cette décision avec une joie mélée d'un peu de tristesse. Pour les Allemands, la question de la place du droit européen vis à vis du droit national reste ouverte, ils n'ont aucune honte à tenir ce débat et il sera particulièrement intéressant de savoir quelles conséquences pratiques ils en tireront. Une preuve supplémentaire que le rôle de la nation et le respect du droit du peuple restent au coeur des institutions allemandes, comme ils sont au coeur des institutions britanniques. On regrettera qu'il n'en soit pas de même en France, où la défense de nos intérêts vitaux a été depuis trop longtemps abandonné à des dirigeants dévoyés, des assemblées de godillots et des juristes indignes. Qui nous dira un jour pourquoi l'Allemagne a le droit de se poser ces questions et pas nous ?