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Appel à la raison
Il y a des limites à l'indécence et à l'aveuglement. Alors que l'Europe est en pleine crise, alors que l'euro nous prive de toute marge de manoeuvre et que les économistes du monde entier nous recommandent de nous débarrasser au plus vite de ce carcan, des voix s'élèvent encore - singulièrement en France - pour demander "plus d'Europe", "plus de fédéralisme", davantage d'intégration monétaire et de transferts de souveraineté. Mais qui sont ces gens ? Quelle folie les frappe et comment faut-il faire pour qu'ils voient enfin les choses telles qu'elles sont ? Mettons Baverez à part, et Minc, et Fitoussi, et tous les scribouillards du Monde, tous ceux de Libération et du reste de la presse bourgeoise. L'Europe fédérale est leur petit fond de commerce et on sait qui les paye. Mais Barnier, mais Lagarde, mais le petit Baroin, mais Borloo, mais Bayrou, mais Hollande, mais Aubry... Sont-ils aveugles ? sont-ils sourds ? daltoniens ? Ou faut-il que nous les rangions définitivement dans la catégorie des imbéciles ?
Dans une tribune donné cette semaine au Monde, que nous reproduisons ci-dessous, Hubert Védrine enfonce le clou. Si la monnaie unique est au plus mal, si l'Europe semble impuissante à conjurer cette crise, à qui la faute, sinon à ceux, qui sous prétexte de "convergence", "d'intégration" et de "fédéralisme", ont privé les Etats de leurs moyens d'agir et de se défendre. Quant à ceux qui proposent la nomination d'un "ministre des finances européen", M. Védrine signale qu'il est bien trop tard, et qu'il s'agit d'ailleurs moins de trouver les bons remèdes - à supposer qu'ils existent - que de les faire accepter par les peuples qui devront payer la note. L'heure n'est plus au enième rafistolage des institutions européennes. Le temps presse. Les décisions sont urgentes et elles sont politiques. Seuls les Etats sont en mesure de les prendre, en tenant compte de la situation et des intérêts propres à chacun des peuples de l'Union. C'est à eux, c'est aux nations, maintenant, de reprendre la main.
Il y a quelques années, de tels propos seraient tombés dans l'indifférence la plus totale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le visage de l'Europe fait peur à voir. Les opinions publiques, inquiètes, commencent à descendre dans la rue, comme à Athènes, à Rome, à Lisbonne ou à Madrid. Des troubles sont à prévoir et les milieux patronaux et syndicaux s'en inquiètent. M. Thibault de la CGT, faisait, il y a dix jours, le même constat que M. Védrine et appelait de ses voeux les mêmes solutions. Au sein de la classe politique - y compris au PS, y compris même à l'UMP et au gouvernement - les plus lucides se rendent compte que la situation est explosive et qu'il faudra tôt ou tard reprendre les choses en main. L'Allemagne s'y prépare. On sait que pour elle, la survie de l'euro n'est plus une priorité et que ses meilleurs esprits cogitent déjà à la mise en place d'un plan B. Les échéances risquent d'ailleurs d'être assez proches : si les attaques contre l'Espagne et contre l'Italie devaient se poursuivre, l'Europe n'aura pas les moyens de venir au secours de ces pays et Berlin sifflera assez vite la fin de la partie. C'en sera alors fini de la zone euro. La France a-t-elle anticipé ce risque ? Qui prépare chez nous le Plan B? Quelle est notre stratégie de repli ? Avons nous les dirigeants qu'il faut pour prendre de telles décisions ? Autant de questions angoissantes qui restent aujourd'hui sans réponse.
François Renié.
Le fédéralisme n'est pas la solution miracle à la crise
Les sempiternelles lamentations sur les "égoïsmes nationaux" et les appels, pendant les semaines qui ont précédé l'accord de Bruxelles du 21 juillet - le meilleur possible -, à plus de fédéralisme, présenté comme la panacée, comme à de nouveaux transferts de souveraineté sont paradoxaux.
A-t-on déjà oublié que l'aggravation dramatique de la dette publique européenne ne résulte pas seulement de la gestion irresponsable de l'Etat-providence et des décennies de budgets en déficit, mais aussi de l'effet sur le système financier européen de l'implosion de la finance américaine, devenue un "danger public", selon le banquier et ancien ambassadeur de Bill Clinton à Paris, Felix Rohatyn ? Et celle-ci n'a-t-elle pas été provoquée par la dérégulation, c'est-à-dire... les abandons massifs de souveraineté effectués pendant plus de vingt ans par plusieurs administrations américaines au profit des marchés ? Que faut-il abandonner ou transférer en plus?
Il faudrait être plus "fédéraliste" parce que les marchés l'exigent (sans distinguer entre les opérateurs sincèrement inquiets des capacités des Etats emprunteurs à rembourser, les purs spéculateurs et ceux qui s'acharnent à fragiliser l'euro) ? Et être tétanisés par trois agences de notation, au pouvoir extravagant, qui sous-cotent aujourd'hui pour faire oublier qu'elles ont surcoté, par connivence aveugle, jusqu'en 2007 ?
Le "fédéralisme" est présenté comme allant seul dans le sens de l'histoire. Mais qu'entend-t-on par là ? Ce mot-valise, au sens des linguistes, peut vouloir dire la plus décourageante des choses (nous sommes trop petits, dépassés, fatigués, nous devons nous en remettre à l'Europe) ou la plus mobilisatrice (l'union fait la force, soyons plus solidaires).
Si fédéralisme veut dire subsidiarité claire, pas de problème. Si c'est une harmonisation réelle entre Etats membres de la zone euro dont il s'agit, très bien, c'était déjà dans Maastricht. Faisons-le, enfin.
Si cela signifie plus de solidarité entre Européens, fort bien. Mais Mme Merkel, premier contributeur potentiel (coût pour la France de l'accord de Bruxelles, 15 milliards), était fondée à exiger que celle-ci ne soit ni illimitée ni automatique. A-t-elle exigé les bonnes contreparties ? C'est autre chose. On peut débattre. En tout cas, il était normal que les institutions financières qui ont pris des risques qui font partie de leur métier "portent leur part de fardeau" (Jacques Delors), quoi qu'en pense la Banque centrale européenne (BCE). Fardeau d'ailleurs bien léger.
Mais si cela veut dire transfert supplémentaire de souveraineté, en quoi serait-ce automatiquement un progrès ? Après tant d'abandons, si peu convaincants, ou de transferts à des organes incontrôlés ? Certes, il faudrait "un chef des forces économiques de la zone euro" (Jean-Hervé Lorenzi, Christian de Boissieu), mandaté par le Conseil, pour réagir aux attaques. Mais les nouveaux fédéralistes proposent plus : qu'un "ministre des finances", ou de "l'économie", puisse arbitrer le cas échéant contre un gouvernement ou un Parlement national. Franchir ce pas, ce serait ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire européenne, celui de l'Europe post-démocratique, tentation perceptible dans les milieux économiques, européistes, technocratiques ou médiatiques.
Croit-on qu'un tel "ministre" aurait plus de poids qu'un courageux Papandréou pour faire accepter par son peuple les douloureuses mais inévitables mesures d'assainissement ? Quel gouvernement européen lui transmettrait ses pouvoirs, alors même que le consentement à l'impôt est à l'origine même du processus démocratique ?
Ne faut-il pas, au contraire, combler le fossé déjà béant élites-populations, en re-responsabilisant les gouvernements nationaux, au lieu de l'approfondir avec une désinvolture périlleuse envers la démocratie ? De surcroît, ceux qui exigent ce saut dans l'inconnu ne contestent pas l'imposition à toute la zone euro (devenue un espace disciplinaire de surveillance et de sanctions), l'unidimensionnelle politique de rigueur à l'allemande, là où il faudrait une policy mix (c'est-à-dire l'alliage des politiques budgétaire et monétaire) d'assainissement et de croissance.
De toute façon, même si c'était une bonne idée, une révision majeure du traité de Lisbonne, avec des années de controverses, est hors de portée. Quel gouvernement voudra relancer l'Union dans un tel parcours du combattant, sous l'épée de Damoclès des ratifications ? De toute façon, l'Allemagne, qui conteste (via la Cour de Karlsruhe) la légitimité démocratique des institutions européennes, n'en voudra pas.
Alors pourquoi relancer cette controverse, et perdre temps et énergie ? Il faut absolument réunifier les solutions économiques et politiques des crises européennes, ainsi que le court et le long terme.
Appliquons d'abord au mieux et au plus vite l'accord du 21 juillet ; mettons en oeuvre les mesures concrètes proposées pour le rachat des dettes souveraines les plus décotées ; creusons l'idée des euro-obligations (contre les spéculateurs, mais aussi pour des projets), et même celle de l'intervention de l'Union européenne en tant que telle sur le marché des CDS (Credit Default Swaps, l'instrument des spéculateurs) ; délégitimons les notations d'agences sur les dettes souveraines des pays aidés et mettons ces agences sous la pression de la concurrence ; accélérons la mise en place des textes de "responsabilisation" des banques dans la zone euro ; adoptons une taxe (modeste) sur les transactions financières ; obligeons l'Allemagne à un débat sur la politique économique de croissance saine dans la zone euro, et l'élargissement du mandat de la BCE.
Mettons en oeuvre, avec tout son potentiel, le "semestre européen" d'évaluation des projets de budget, sans que la Commission seule ait le dernier mot. Sans oublier que ce sont des moyens et non des fins.
Quand viendra, à l'automne, le moment de clarifier "qui" décide dans la zone euro, c'est-à-dire en quoi consiste le gouvernement économique souhaité par la France depuis l'origine, ne rompons pas le fil ténu qui subsiste entre "l'Europe" et la légitimité démocratique.
Hubert Védrine.
Le Monde du 2 août 2011.
Après le bourrage de crâne
Le sommet de Bruxelles a jeté ses derniers feux et la fanfare médiatique qui l’a bruyamment accompagné pendant trois jours est passée. Il va être enfin possible de commenter l’évènement avec un peu plus d’objectivité et de sérénité. Et de mesurer ce qu’il y a d’utile et d’artificiel dans l’accord trouvé vendredi dernier.
Après une semaine d’angoisse, c’est d’abord avec soulagement que les milieux économiques ont accueilli le nouveau plan de sauvetage de la Grèce. Le montant des financements mobilisés – 160 milliards d’euros – était là pour frapper les esprits et il a très vite fait le tour des marchés. De la même façon, les opérateurs ont été rassurés par le niveau relativement modeste des «contributions volontaires » demandées au secteur privé – de l’ordre de 50 milliards d’euros – alors que les Allemands, vibrants promoteurs de cette mesure, avaient laissé filtrer un chiffre de plus du double. A Bruxelles et à Athènes, on soulignait à l’envie que les besoins de financement grecs étaient désormais couverts jusqu’en 2020, même si personne n’était réellement en mesure de confirmer ce calcul. En bref, on a eu très peur et on a pris pour argent comptant tous les signes favorables et toutes les bonnes nouvelles qui passaient. L’heure était à la méthode Coué.
Il n’est pas sûr que cette bonne impression persiste. Dès vendredi soir, l’agence de notation Fitch envoyait un premier signal d’alerte en plaçant la dette grecque en « défaut partiel », ce qui commençait à troubler la fête. Lundi, c’est l’agence Moody’s qui procédait à la même décote [1]. On sait que les conseils des autres agences de notation doivent se réunir cette semaine pour décider si elles emboitent ou non le pas. Sur les marchés, les indices n’ont repris qu’une partie du terrain perdu depuis huit jours et les opérateurs restent prudents. L’euro retrouvait un peu de couleur lundi à clôture des bourses, sans toutefois remonter au-dessus du cours d’1,44 dollar. Visiblement, la situation reste marquée par énormément d’incertitudes, à commencer par les mauvaises nouvelles qui viennent d’Amérique. On verra dans les jours qui viennent dans quel sens tourne le vent.
D’ici là, les premiers commentaires que l’on peut faire à froid restent en ligne avec ce que nous avions indiqué ici mardi dernier (La Revue Critique du 19 juillet). La réunion de Bruxelles avait pour premier – et d’ailleurs unique – objectif d’éteindre l’incendie, en repoussant à plus tard les solutions de fond sur lesquelles tout le monde diverge. Elle a rempli assez complètement sa mission. A ceci près que les engagements financiers publics ne sont pas aussi colossaux que les communiqués veulent bien le dire. Si l’on retire des 160 milliards d’euros annoncés la part des fonds privés ainsi que des financements déjà acquis dans le cadre du premier plan de mai 2010 – 45 milliards d’euros – l’apport net est d’environ 65 milliards d’euros. Si l’on ajoute à cela qu’il s’agit de prêts, rémunérés presque normalement, et que les Etats n’interviennent que sous forme de garanties, on a une vision plus juste des risques encourus par les pays de l’Euroland. On sait que l’Allemagne et les Pays Bas ont veillé de près à ce que les effets de ces mesures restent très raisonnables.
Tous les commentateurs confirment également que l’accord s’est fait autour des positions allemandes et que Mme Merkel a presque toujours imposé ses vues. Au grand dam de la Commission et des doctrinaires de l’euro, les dirigeants européens ont fini par admettre que la Grèce était dans l’incapacité de rembourser sa dette et que les mesures d’austérité mises en place en 2010 étaient totalement absurdes. La dette d’Athènes sera profondément restructurée, malgré l’opposition de la BCE et du lobby des banques. Ses emprunts seront lissés sur un beaucoup plus grand nombre d’années, ses taux d’intérêt fortement abaissés et des dispositions seront prises pour relancer l’économie grecque. Quant aux créanciers privés, que Berlin considère comme largement responsables de la situation actuelle, ils devront racheter à leurs risques une partie de la dette publique grecque. Enfin, ultime point sur lequel l’Allemagne a pesé de tout son poids, toute idée de « communautarisation » de la dette publique via le recours à des « eurobonds » est définitivement écartée, à la consternation des fédéralistes de tous poils.
Pour la BCE et M. Trichet, la potion est particulièrement difficile à avaler. On sait que le Président de la Banque Centrale Européenne a eu, à plusieurs reprises, la tentation de quitter la table des négociations. En particulier lorsque les Etats membres, sous la pression de l’Allemagne, ont admis le risque d’un « défaut partiel » de la Grèce. C’est toute une conception de l’Europe, de la monnaie unique et du rôle de la BCE qui est soudainement partie en fumée. M. Trichet s’est un peu consolé en défendant les intérêts des banques privées et en obtenant que leur contribution se limite au dossier grec. Mais pour combien de temps ? Quant au FMI, il n’a pas particulièrement brillé par sa présence. Il est vrai que Mme Lagarde a un peu de mal à prendre le tempo de ses nouvelles fonctions : il y a quelques jours encore elle appelait les Grecs à respecter les mesures d’austérité imposées par le FMI et voilà qu’on lui demande de voter un plan qui prend le contre-pied de ces mesures et redonne des marges à Athènes. On comprend qu’elle n’ait pas été en situation de dire combien le FMI apporterait à ce nouveau plan !
Et la France ? Egal à lui-même, M. Sarkozy a agi comme s’il était à l’origine de toutes les décisions. Il a surtout revendiqué le renforcement du fonds de sauvegarde crée en mai 2010, lors du premier plan grec, en évoquant « l’amorce d’un fonds monétaire européen ». Mais que pèserait ce Fonds européen de stabilité financière (FESF), même doté de 440 milliards d’euros – en cas de défauts de paiement cumulés du Portugal et de l’Irlande ou de crise financière majeure de l’Espagne ou de l’Italie [2] ? Rien, à peu près rien. Surtout avec les conditions que Berlin et Bruxelles ont posées à son utilisation. L’autre mesure préconisée par M. Sarkozy, celle d’une taxe acquittée par l’ensemble des banques pour alimenter le FESF, s’est heurtée à l’hostilité des milieux financiers et Mme Merkel l’a écartée d’entrée de jeu parce qu’elle pouvait donner au FESF une trop grande autonomie vis-à-vis des Etats.
Rien n’est donc vraiment réglé, ni au plan financier, ni sur le fond. Si un certain nombre de tabous sont tombés, et notamment celui des plans d’austérité qu’on cherche depuis deux ans à imposer à l’ensemble de l’Europe, le ressort essentiel de la crise n’est pas mis en avant. On sent toutefois qu’il est sur le bout des lèvres. Mais comment l’Allemagne pourrait-elle reconnaitre que le fonds de l’affaire réside dans la conception même de l’euro qu’elle a cherché à imposer à l’Euroland ? Un euro qui n’est compatible qu’avec la puissance industrielle allemande et avec les contraintes de compétitivité qu’elle seule – ou à peu près – peut accepter. Un euro qui asphyxie progressivement le reste du continent et notamment les pays faiblement industrialisés du sud qui n’ont pas d’autres choix que la faillite ou la régression sociale. Voilà la réalité sur laquelle les dirigeants européens se cachent les yeux – pour quelques temps encore – mais qui finira assez vite par les rattraper. C’est pour cela que l’on peut dire, sans beaucoup de risque d’être démenti, que le 21 juillet aura été un sommet européen comme les autres.
L’été grec n’est pas pour autant terminé. Les annonces faites vendredi dernier doivent être encore ratifiées dans les différentes capitales et Mme Merkel sait que la compatibilité des plans de sauvegarde de la Grèce avec les traités européens fait débat en Allemagne [3] et que la Cour constitutionnelle de Francfort s’en est déjà saisie. Les autres fronts nuageux se situent à Lisbonne, à Dublin, à Madrid et, dans une moindre mesure, à Rome. Les analystes financiers constatent en ce début de semaine que le plan grec n’a pas fait baisser la pression sur les taux d’intérêt qui rémunèrent la dette de ces pays. Ils ont même tendance à poursuivre leur ascension [4]. En cas de contagion de la crise grecque, il n’y a aucune raison pour que ces quatre Etat-membres ne demandent pas à bénéficier du même traitement qu’Athènes : défaut partiel de paiement, contribution massive du fonds de stabilité et des créditeurs privés. Vu l’énormité des besoins financiers en jeu, c’est tout l’équilibre de l’accord trouvé vendredi dernier à Bruxelles qui serait remis en cause. On risque alors de s’acheminer rapidement vers une explosion de la zone euro.
L’Allemagne le sait. Elle a clairement fait son deuil de la monnaie unique et elle plaidera de plus en plus ouvertement pour sa disparition à plus ou moins brève échéance [5]. En brisant le tabou du défaut de paiement – aujourd’hui pour la Grèce, demain pour tous les autres pays en crise –, en limitant dans le même temps le recours aux fonds publics et la « communautarisation» du dossier des dettes souveraines, elle a orienté le débat vers la solution qui s’imposera d’elle-même demain : la sortie de l’euro des pays fragiles, la constitution d’une nouvelle zone mark, la vassalisation progressive de l’économie française dans le cadre de cette zone mark. Le piège se referme pour la France. Ou elle continue à rêver d’un modèle d’Europe fédérale qui a fait son temps ou elle reprend son destin en main en sortant au plus vite de la nasse de l’euro. Il nous reste peu de temps pour réfléchir, guère plus pour agir.
François Renié.
[1]. Moody’s estime, comme beaucoup d’autres analystes financiers, que le nouveau plan de sauvetage est trop faible et trop restreint. Son impact sur la réduction de la dette grecque est beaucoup trop limité (moins de 20%, alors qu’il faudrait réduire la dette d’au moins 40% pour sortir l’économie grecque de l’asphyxie)
[2]. Les analystes financiers estiment à plus de 2 000 milliards d’euros les besoins de financement en cas de crise de la dette italienne. Sans compter l’effet domino d’une telle crise sur l’ensemble des économies européenne.
[3]. Mme Merkel doit composer avec l’aile libérale de sa majorité qui s’oppose farouchement à toute idée de « fédéralisation des dettes souveraines » ainsi qu’avec les eurosceptiques qui pèsent de plus en plus lourd au sein de la CDU/CSU.
[4]. Les bourses de Milan et de Madrid étaient en forte baisse mardi matin et les taux d’intérêt des dettes espagnoles, italiennes et portugaises repartaient nettement à la hausse.
[5]. Il est savoureux de découvrir que le feuilleton d’été du journal Le Monde s’intitule «Terminus pour l’euro» et qu’il envisage ce scénario sous forme de fiction. Comme quoi, même chez les "cabris", cette perspective travaille les esprits.
Libye : Le retour du roi ?
Le courage du peuple libyen et la détermination de ses alliés viendront à bout du régime Kadhafi. "La question n'est plus de savoir s'il doit quitter le pouvoir, mais comment et quand il le fera" disait il y a quelques jours Alain Juppé. A Tripoli, les derniers soutiens du régime s'évanouissent ou passent à la rébellion. Mais qui sont ces rebelles, d'où viennent-ils, que veulent les hommes qui tiennent Benghazi ? Alors que certains exagèrent les divisions au sein de la résistance libyenne, le poids des islamistes dans ses rangs et les risques de guerre civile, l'essayiste Roland Hureaux pose sur son blog la seule fonction qui vaille : pourquoi ne pas organiser le retour du roi ? La Libye, libérée de Kadhafi, aura besoin d'une longue période de paix civile, de stabilité et d'unité pour reprendre en main son destin. Qui mieux que le descendant des Senoussides pourrait incarner cette permanence de l'Etat et de l'intérêt général ? Ce n'est pas un hasard si de nombreux libyens combattent aujourd'hui sous le drapeau de l'ancienne monarchie. Les diplomates occidentaux qui préparent l'après Kadhafi seraient bien avisés d'en tenir compte.
F.R.
Les hommes politiques de la Troisième République, républicains intraitables, étaient aussi de grands pragmatiques. La rigueur de leurs convictions pour ce qui était de l’hexagone ne les empêcha pas de maintenir et même de consolider le régime monarchique au Maroc, en Tunisie, au Cambodge, au Laos et dans l’Annam. Le parti pris dissuada seulement Gallieni de le faire à Madagascar et ce fut dommage.
Le même pragmatisme doit prévaloir dans la solution du problème libyen.
L’intervention des forces de l’OTAN, sévèrement bridée par la résolution du Conseil de sécurité, risque de tourner à la déconfiture politique si les adversaires de Kadhafi ne présentent pas rapidement une alternative crédible au régime actuel.
Le totalitarisme kadhafiste qui règne depuis plus de quarante ans n’ayant pas été la meilleure propédeutique à la démocratie, il convient de considérer l’option du retour à la monarchie.
Colonie italienne de 1911 à 1951, la Libye avait adopté à l’indépendance le régime monarchique. Le roi Idris Ier était issu de la confrérie des Senoussis qui exerçait depuis plusieurs décennies une forte influence sur le Fezzan (désert libyen). Cette monarchie se déclara constitutionnelle peu après et n’était donc pas, au moins en principe, incompatible avec la démocratie.
Le coup d’Etat de Kadhafi en 1969 mit fin au règne du roi Idris. Son petit-fils, Mohammed el Senoussi, vit actuellement à Londres et a des partisans dans la rébellion. On ne voit pas quelle considération pourrait dissuader la coalition d’envisager son retour.
Encore faut-il qu’il ose lui-même sortir du bois, peut-être même qu’il débarque en Cyrénaïque : attendre la fin des événements pour venir faire un tour de piste n’est sûrement pas pour lui la solution. Craindrait-il d’apparaître comme l’homme des Occidentaux ? A-t-il le choix ? L’histoire ne repasse pas les plats. La dynastie sénousite ne trouvera pas de si tôt une telle occasion de revenir en Libye.
Il est difficile de dire quel degré de consensus il rencontrerait. Que le drapeau de la monarchie ait surgi ici ou là n’est pas nécessairement significatif. Tout dépend sans doute de ses capacités. Mais les insurgés dépendent trop de l’appui extérieur pour s’opposer à une solution qui leur serait clairement suggérée par leurs alliés.
Heureusement, il est célibataire et donc disponible. Dans ce pays où l’esprit de clan domine, les mariages sont de longue date le moyen de sceller les alliances de clan à clan. Kadhafi sut user du procédé pour consolider son pouvoir. Le prétendant pourrait par exemple se rapprocher des Mégahras, clan stratégique au dire des experts.
Outre le manque d’imagination des chancelleries, cette solution se heurte à un obstacle : quoique fieffés réactionnaires en bien des matières, les Américains demeurent des républicains plus hostiles au principe monarchique que l’on imagine.
Cette hostilité de principe a fait manquer en Afghanistan une belle occasion d’organiser la réconciliation nationale. Le vieux roi Mohammed Zaher Shah, qui avait déjà régné sur le pays de 1933 à 1973 était, à la chute des talibans en 2001, plus légitime que quiconque pour prendre la relève. Les Américains n’en ont pas voulu, préférant le douteux Hamid Karzaï. Faute du soutien américain, Zaher Shah s’est contenté de présider l’assemblée constituante des chefs de tribu, la Loya Jirga.
En Irak, la monarchie hachémite, issue comme celle de Jordanie des anciens chérifs de la Mecque, avait été renversée en 1958. Un des héritiers du trône, le chérif Ali Ben Hussein, a, dans la période troublée qui a suivi la guerre de 1983 ouvert un site internet, sans succès. Même si ce prétendant avait sans doute moins de légitimité que d’autres, son élévation à la tête de l’Etat, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, aurait permis de mieux équilibrer la direction du pays entre les sunnites qui gouvernent l’Irak depuis des siècles et se résignent mal à ne plus le faire, et les chiites, désormais majoritaires.
En tentant de remettre l’héritier du trône libyen dans le jeu, la coalition se doterait d’une carte supplémentaire. Elle pourrait au moins présenter une solution ayant une apparence de légitimité historique, plus en tous cas que celle d’un clan opposé se substituant à un autre clan, d’un colonel succédant à un autre colonel. La monarchie a longtemps fait rétrograde et à ce titre représenté une cause risquée, mais depuis 1990, qui sait où est le sens de l’histoire ?
En Grèce, on a le cœur brisé aujourd’hui. Tout Grec qui se respecte est blessé ne serait-ce que par la lecture des titres de la presse internationale sur l’annonce par le gouvernement Papandréou de la privatisation des biens publics. “Liquidation de l’Acropole. Tout doit disparaître”, écrit la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour d’autres journaux, c’était “Braderie à Athènes”. Les Allemands s’interrogent : “combien nous coûtent les Grecs ?” La presse espagnole s’y met aussi. Les étrangers s’inquiètent mais sont aussi intéressés pour racheter, éventuellement, les biens du pays. Depuis plusieurs semaines, des représentants de grands groupes tournent autour du ministère des Finances. C’est triste, mais nous sommes sous occupation étrangère à présent et les jeunes, assis sur les places des grandes villes du pays, l’ont bien compris. L’avenir est sombre. L’an dernier, le gouvernement Papandréou s’était engagé sur la voie de l’austérité, qui devait se traduire par l’amélioration de la situation financière. Les faits ont lamentablement démenti ce programme. Le gouvernement a décidé d’amputer les salaires et les retraites, de mettre en vente les biens publics et d’imposer des taxes avec une brutalité sans précédent. Aujourd’hui, la situation du pays est nettement pire que l’an dernier. Le gouvernement a utilisé comme excuse le montant de la dette publique – qui a atteint les 115 % du PIB – pour justifier le recours au plan de rigueur. Mais, en l’espace de dix-huit mois, la dette s’élève déjà à… 155 % du PIB. Et le ministère des Finances estime que d’ici la fin de l’année, elle parviendra au taux inimaginable de 163,5 % ! D’ici à mars 2012, soit dans moins d’un an, les obligations et les bons du Trésor, d’un montant de 42 milliards d’euros, arrivent à expiration. Où trouvera-t-on de l’argent frais dans ce contexte de crise cauchemardesque ? Un nouveau prêt est la seule réponse. Mais pas un seul euro ne sera donné pour renforcer l’économie, les salaires ou les retraites. Il n’y a plus aucun espoir.
François Renié.
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N°1 - 2009/01 |
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