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28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 17:46
Les démocraties et la Palestine 
 
M. Obama a fait un discours sans surprise, mercredi dernier, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies. On savait que l’Amérique n’accepterait pas la reconnaissance d’un Etat palestinien. On savait même qu’elle y opposerait son veto au Conseil de sécurité. Seul fait nouveau : M. Obama a avoué ne plus croire au rôle des grandes puissances pour imposer la paix au Proche-Orient. Cette paix - si elle doit se faire un jour - ne peut être, selon lui, que le résultat d’une négociation directe entre les deux parties. Traduisez : une négociation entre Israël, que l’Amérique protège, et les Palestiniens, à qui tout est refusé.
On a bien compris que ce n’était pas seulement le président des Etats-Unis qui s’exprimait à la tribune de l’ONU. C’était aussi le candidat à sa propre succession qui parlait pour ses électeurs et pour ses commanditaires. L’Amérique moyenne, qu’il représente, est toujours sous le choc du 11 septembre et elle n’a aucune indulgence pour une cause palestinienne qu’elle assimile facilement au terrorisme. Quant à ceux qui financeront la campagne de M. Obama - grandes banques, pétroliers,  multinationales – ils n’ont aucune envie de voir le paysage du Proche-Orient se compliquer davantage. Les évènements d’Egypte et de Syrie les inquiètent suffisamment pour qu’on ne fragilise pas l’allié israélien. Voilà sans doute les vraies raisons du refus américain.
Au début de son mandat, M. Obama s’était pourtant montré attentif au dossier israélo-arabe. Il déclarait vouloir s’affranchir du jeu des lobbies et des préjugés du passé. Il diagnostiquait -  et son analyse était assez juste – que le monde ne serait pas en paix tant que ce conflit archaïque et absurde perdurerait, tant que ces deux peuples, victimes de l’histoire, n’auraient ni patrie ni frontières reconnues. M. Obama, plutôt bien élu, pensait pouvoir réussir là où ses prédécesseurs – Carter, Bush senior et junior – avaient échoué. Il lui fallait pour cela du temps et un allié compréhensif en Israël. Il n’eut, malheureusement, ni l’un ni l’autre.
Il fallait aussi que l’Amérique change. Qu’elle accepte de regarder l’Orient avec d’autres lunettes. M. Obama n’a pas su imposer une révolution culturelle à laquelle il ne croyait pas lui-même. Son discours du Caire, chef œuvre de néo-wilsonisme diplomatique, a pu séduire les bobos français, les verts allemands et les gazettes suisses, il n’a convaincu ni Jérusalem, ni Ramallah, ni Beyrouth, encore moins Gaza et Damas. L’Amérique a gesticulé pendant trois ans, jusqu’à ce que le monde comprenne qu’elle n’avait ni vision, ni doctrine au Proche-Orient. Et qu’au fond d’elle-même, elle n’avait rien envie de changer : ni sa façon de voir la réalité, ni sa façon d’agir.
Le printemps arabe et l’initiative de M. Abbas font aujourd’hui tomber les masques. L’Amérique a montré son vrai visage, mercredi soir à New -York. Celui d’un pays crispé, esseulé, empêtré dans ses débats internes et ses difficultés économiques. Le temps de la grande diplomatie, du dialogue avec la Chine, de l’élargissement de l’OTAN, du projet d’un nouveau Moyen-Orient est terminé. L’heure est au décrochage d’Irak et d’Afghanistan, à la remise en ordre des finances et aux premiers bilans. Et puis viendra vite, très vite le moment des élections. L’Amérique a perdu pied au Levant, elle sait que cet échec est durable, sinon définitif, mais ce n’est pas son souci du moment. Si elle garde un pouvoir de nuisance, elle n’est plus en situation de jouer un rôle moteur en Palestine.
L’initiative peut-elle venir d’ailleurs ? De la France et de ses partenaires européens ? M. Sarkozy a tenté de nous le faire croire. Il est monté à la tribune des Nations-Unies muni d’un plan et d’un processus de transition. Ses méthodes expéditives ont malheureusement tout gâché. Le plan, mal étudié, ultime avatar des accords d’Oslo, n’a pas suscité d’intérêt. Pour soutenir son plan, le chef de l’Etat s’est réclamé d’un groupe de contact qui n’existait que sur le papier, d’appuis européens qui n’ont jamais été donné et d’engagements israéliens que Tel-Aviv s’est ingénié le jour même à démentir. Quand au processus de transition, il a provoqué plus de sourires que d’approbation : le statut d’Etat observateur proposé par M. Sarkozy fait partie des lots de consolation que M. Abbas est sûr d’obtenir de l’assemblée générale de l’ONU, à défaut de la reconnaissance pleine et entière de la Palestine ! Pourquoi négocier quelque chose que l’on a déjà en main ?
La presse internationale a sévèrement accueilli l’initiative du président français. Elle a souligné son amateurisme. Elle a mis aussi en évidence les considérations de politique intérieure qui l’ont motivée. M. Sarkozy vient d’apprendre à ses dépens qu’il ne suffit pas d’envoyer des avions en Libye et de prendre des bains de foule à Tripoli pour avoir une politique arabe. Si ses propositions n’ont pas été bien reçues par M. Abbas, c’est qu’on soupçonne aussi Paris de pêcher en eau trouble : les connivences du pouvoir avec les exaltés du CRIF, les liens d'amitié entre MM Sarkozy et Nétanyaou, l'influence de la droite israélienne au sein du gouvernement et de l’UMP, sont bien connus des dirigeants palestiniens qui n’accordent au chef de l’Etat qu’un crédit limité.
C’est dommage. La France disposait de quelques bonnes cartes que des dirigeants plus habiles auraient pu faire fructifier. Elle aurait pu fédérer autour d’elle l’ensemble des pays européens favorables à la reconnaissance d’un Etat palestinien, elle aurait pu faire rentrer dans son jeu le Royaume uni, la Russie, la Chine, voire d’autres grands pays comme le Brésil ou l’Argentine. L’Amérique n’en serait apparue que plus isolée. Les Palestiniens auraient gagné l’appui d’un groupe d’Etats puissants, déterminés à faire valoir leurs intérêts vis-à-vis d’Israël. Autant d’occasions gâchées, par absence de volonté et de vision de l’avenir. Et parce que chez nous aussi, comme aux Etats-Unis, le bonneteau électoral s’invite au programme des réjouissances de 2012.
Le 23 septembre, M. Abbas a déposé sur la table de l’ONU la demande officielle de reconnaissance d’un Etat palestinien. Il a décidé de ne pas dévier de ses objectifs, malgré le veto américain, malgré les menaces israéliennes, malgré les sollicitations françaises. Même si sa démarche ne débouche que sur un statut d’Etat observateur, la cause de la Palestine aura progressé et elle aura gagné en visibilité aux yeux du monde. M. Abbas regrettera sans doute le peu de soutien qu’il a reçu des pays européens mais il mesure mieux leurs contraintes, leurs divisions et leur relative paralysie diplomatique. L’Occident a-t-il toujours les moyens d’imposer ses vues en Palestine ? Rien n’est moins sûr. Voilà une réalité qui n’échappera pas longtemps aux dirigeants du printemps arabe.
François Renié.
 
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23 septembre 2011 5 23 /09 /septembre /2011 22:05
Leçons libyennes
 
Nos amis anglo-saxons ont coutume de dire qu’il n’y a plus de presse française. Ou que le peu qu’il en reste vit sur ses marottes et sur ses préjugés. Constat cruel, que l’affaire libyenne illustre, hélas, parfaitement.
Il y a six mois la résolution de l’ONU sur la Libye met la France en émoi. La plupart des gazettes parisiennes réclament à grands cris une intervention militaire. La France prend les armes, elle engage des moyens importants, elle se place même aux avant-postes du conflit. La victoire arrive, Tripoli est libéré, le peuple libyen, débarrassé d’une dictature aussi sanglante qu’imbécile, nous tresse des couronnes. Chez nos alliés anglais, les médias célèbrent bruyamment l’action des soldats de Sa Gracieuse Majesté. Chez nous, rien de tel : on chipote, on ergote, on dénigre. Les éditoriaux sur la Libye sont au vinaigre, l’avenir du pays y est présenté sous les traits les plus sombres et la part qu’a prise la France au succès de l’insurrection est minorée, quand elle n’est pas contestée.
Pourquoi tant d’aveuglement ? Pour des raisons de politique intérieure ? Parce qu’on ne veut pas donner le sentiment de servir la soupe au pouvoir en place ?  L’intention est louable mais l’essentiel est-il vraiment là ? La vraie question n’est-elle pas plutôt de savoir si la France a eu raison ou tort d’intervenir ? Son action a-t-elle permis d’éviter une guerre infiniment plus sanglante ? d’en hâter le terme ? Oui, à l’évidence. Et les journaux anglais qui félicitent, toutes sensibilités confondues, leur gouvernement et leur armée, sont-ils moins indépendants du pouvoir que leurs confrères français ? Non, non, bien au contraire. Le problème n’est donc pas là.
Faut-il incriminer la versatilité et la légèreté de nos éditorialistes ? Sans aucun doute. Les mêmes qui défendaient en mars dernier l’idée d’une action limitée, ciblée et chirurgicale jugeaient quelques semaines plus tard que les choses n’allaient pas assez vite et que l’intervention franco-anglaise était trop poussive. Nos forces étaient à peine engagées qu’on agitait déjà le spectre de la « sale guerre », du bourbier irakien et du syndrome afghan. "Qu'allons nous faire dans cette galère?" s’interrogeaient ces grands amnésiques. Un quotidien du soir allait jusqu’à titrer : "Nous n’avons pas les moyens de faire cette guerre!" et n’hésitait  pas à mettre en cause la compétence de nos chefs et la qualité de nos armements. Il a fallu attendre l’entrée des premiers rebelles dans Tripoli pour que ces voix se taisent.  Pour laisser la place d’autres commentaires, tout aussi critiques, tout aussi subjectifs, tout aussi soupçonneux.
La révolution libyenne a-t-elle trahi les espoirs de la presse française ? On peut le penser. Depuis le début du fameux « printemps arabe », on nous parle de démocratie, de droits de l’homme, de justice et de laïcité. Or, nous n’avons rien entendu de tout cela sur les fronts de Benghazi, de Brega, de Ras Lanouf, de Misurata. Ce que nous avons entendu, ce sont des prières, des louanges à Dieu, constantes, presque lancinantes. Et qu’avons-nous vu dans les villes libérées, sur les places envahies par les foules, sinon des forêts de drapeaux noirs, rouges et verts, sinon des banderoles répétant, elles aussi, de façon lancinante, le mot de « liberté » ? Pourquoi combattaient-ils, ces jeunes rebelles qui partaient, plein d’enthousiasme, à l’assaut des mercenaires du régime ? Pour la liberté précisément, car  sur la terre de Libye les hommes veulent être libres. Pour leur famille et leur terre, car sans famille et sans terre, il n'y a pas de liberté. Pour l'honneur, car il n'y a pas de liberté sans honneur. Et pour ce Dieu, qu'ils chantent comme le plus grand, parce que sans Dieu la liberté n'existe pas.
Nation, tradition, religion... Voilà ce que disaient déjà les images qui nous venaient d’Egypte, de Tunisie, du Yémen ou de Syrie et que nous avions alors du mal à décrypter. On y voyait aussi des places couvertes de drapeaux, secouées par des slogans religieux ou nationalistes, des foules pleines de ressentiment à l’égard de régimes corrompus, sans honneur, entièrement vendus à l’Occident et à sa pseudo modernité. Voilà ce que la révolution libyenne met aujourd’hui en pleine lumière et qui suscite réserves et suspicions au sein de l’intelligentsia française. Il suffit que le nouveau pouvoir libyen annonce que la future législation respectera les principes de l’islam pour qu’on soupçonne le CNT d’être noyauté par Al-Qaïda ! Il suffit que le gouverneur de Tripoli affirme ses convictions religieuses pour qu’on soupçonne les islamistes de préparer un coup d’Etat ! Il faudra pourtant bien s’y faire : les combattants du printemps arabe, ceux de la révolution libyenne, n’ont rien de sans-culottes laïques. Ils veulent être maîtres chez eux, comme leurs pères, dans le pays qui est le leur, dans le respect de la religion et des coutumes qui sont les leurs. L’avenir qu’ils imaginent est différent du nôtre. Ils ne veulent plus qu’on leur impose le nôtre. Ont-ils réellement tort ?
Les retombées internationales du printemps libyen troublent également les certitudes de nos éditorialistes. Car ce qui vient de se passer à Tripoli, ce n’est pas seulement la chute d’une dictature corrompue et sanguinaire. C’est aussi le retour sur la scène mondiale d’une Europe dégagée de la tutelle des Etats Unis. La France et la Grande Bretagne ont très vite pris conscience de leurs responsabilités dans l’affaire libyenne. C’est pourquoi elles ont réussi à imposer, malgré les réserves américaines, le vote d’une résolution au conseil de sécurité des Nations Unies, obtenant au passage – ce qui est loin d’être négligeable – la neutralité bienveillante des Russes et des Chinois. C’est aussi pour ces raisons que les deux puissances européennes se sont donnés les moyens d’agir par elles-mêmes, vite et fort, afin d’éliminer le risque d’une guerre longue, sanglante et inextricable.
On ne sait pas – et on ne saura peut être jamais – comment l’opération libyenne devait théoriquement se dérouler et la place que devaient y prendre les uns et les autres. Il reste que l’administration Obama a du se résoudre à jouer le rôle qu’elle réservait jusqu’à présent à ses alliés, celui de supplétif. On se souvient que la dernière intervention militaire franco-britannique, celle de Suez en 1956, s’était achevée sur une véritable humiliation des deux puissances européennes, rabaissées au rôle de figurants. C’est l’inverse qui vient de se produire. L’affaire libyenne ferme un chapitre de l’histoire du monde. Elle ouvre à l’Europe des perspectives nouvelles pour peu que celle-ci sache s’en saisir.
Mais de quelle Europe s’agit-il ? A l’évidence pas de celle de M. Barroso, de M. Van Rompuy et de Mme Ashton. Leur « Europe  diplomatique », rongée par ses dissensions et ses contradictions internes, a raté, une fois de plus, son rendez vous avec l’histoire. Absente des discussions aux Nations Unies au printemps dernier, incapable de dégager un minimum de consensus entre Etats-membres, elle s’est surtout signalée par son ressentiment et ses grincements de dent à l’égard de la France et de la Grande Bretagne. Elle fait désormais partie, comme l’Europe de la défense, de ces objets inutiles et d’un autre âge qu’il faut ranger au magasin des accessoires.
Quant à nos alliés, à nos chers voisins européens, où étaient-ils lorsque nos avions défendaient Benghazi et Misurata ? A peu près nulle part. C’est au Qatar, en Jordanie que Londres et Paris ont trouvé leurs soutiens les plus sûrs.  L’attitude de l’Allemagne donne tout particulièrement à réfléchir. Elle montre les limites et les contradictions de la puissance allemande. Elle devrait logiquement marquer un coup d’arrêt à ses prétentions hégémoniques en Europe.  Autant d’éléments nouveaux, de faits puissants qui devraient nous inciter à tourner au plus vite la page de l’Europe de Lisbonne et à avancer résolument vers une nouvelle alliance des nations européennes, autour de l’axe franco-anglais.
Ultime remarque : l’opinion publique française a massivement soutenu l’intervention en Libye et elle est légitimement fière de la part que nos forces ont prise à la victoire de la rébellion. Les images des drapeaux tricolores flottant sur Benghazi délivrée, sur Tripoli libérée ont fait le tour de la planète et elles ont mis du baume au cœur à beaucoup d’entre nous. La crise libyenne illustre à nouveau le fossé considérable qui existe entre les Français et la petite caste médiatique et politique qui prétend les informer et éclairer leur vision du monde. Avec la prise de Tripoli, ce fossé s’est encore creusé.
François Renié.
 
N.B. Nous continuons de recevoir un abondant courrier des lecteurs sur les évènements de Libye. La position que nous avons prise en faveur de l’intervention française y est discutée, contestée, souvent approuvée. Mais, comme nos lecteurs l’ont bien compris, cette position n’entraine aucune complaisance vis-à vis du chef de l’Etat et du pouvoir en place. Surtout lorsque le gouvernement s’apprête à sacrifier sur l’autel de la « rigueur », pour satisfaire les marchés et les agences de notation, les budgets consacrés à la défense et à la diplomatie. La décision d’intervenir en Libye est le résultat de multiples calculs, y compris de politique intérieure, que nous n’imaginons que trop. Mais ce pouvoir est trop décrié et les Français sont trop fines mouches pour que cette décision ait un quelconque impact sur la popularité de M. Sarkozy ou sur les échéances politiques à venir. Fruit d’une erreur, d’une intuition, de calculs, peu importe, elle sert la réputation, le rayonnement et l’intérêt bien compris de la France, et c’est pour nous l’essentiel. Continuez à nous écrire, nous publierons les contributions qui nous paraissent les plus utiles au débat. F.R.
 
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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 18:25

Appel à la raison

Il y a des limites à l'indécence et à l'aveuglement. Alors que l'Europe est en pleine crise, alors que l'euro nous prive de toute marge de manoeuvre et que les économistes du monde entier nous recommandent de nous débarrasser au plus vite de ce carcan, des voix s'élèvent encore - singulièrement en France - pour demander "plus d'Europe", "plus de fédéralisme", davantage d'intégration monétaire et de transferts de souveraineté. Mais qui sont ces gens ? Quelle folie les frappe et comment faut-il faire pour qu'ils voient enfin les choses telles qu'elles sont ? Mettons Baverez à part, et Minc, et Fitoussi, et tous les scribouillards du Monde, tous ceux de Libération et du reste de la presse bourgeoise. L'Europe fédérale est leur petit fond de commerce et on sait qui les paye. Mais Barnier, mais Lagarde, mais le petit Baroin, mais Borloo, mais Bayrou, mais Hollande, mais Aubry... Sont-ils aveugles ? sont-ils sourds ? daltoniens ? Ou faut-il que nous les rangions définitivement dans la catégorie des imbéciles ?

Dans une tribune donné cette semaine au Monde, que nous reproduisons ci-dessous, Hubert Védrine enfonce le clou. Si la monnaie unique est au plus mal, si l'Europe semble impuissante à conjurer cette crise, à qui la faute, sinon à ceux, qui sous prétexte de "convergence",  "d'intégration" et de "fédéralisme", ont privé les Etats de leurs moyens d'agir et de se défendre. Quant à ceux qui proposent la nomination d'un "ministre des finances européen", M. Védrine signale qu'il est bien trop tard, et qu'il s'agit d'ailleurs moins de trouver les bons remèdes - à supposer qu'ils existent - que de les faire accepter par les peuples qui devront payer la note. L'heure n'est plus au enième rafistolage des institutions européennes. Le temps presse. Les décisions sont urgentes et elles sont politiques. Seuls les Etats sont en mesure de les prendre, en tenant compte de la situation et des intérêts propres à chacun des peuples de l'Union. C'est à eux, c'est aux nations, maintenant, de reprendre la main.

Il y a quelques années, de tels propos seraient tombés dans l'indifférence la plus totale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le visage de l'Europe fait peur à voir. Les opinions publiques, inquiètes, commencent à descendre dans la rue, comme à Athènes, à Rome, à Lisbonne ou à Madrid. Des troubles sont à prévoir et les milieux patronaux et syndicaux s'en inquiètent. M. Thibault de la CGT, faisait, il y a dix jours, le même constat que M. Védrine et appelait de ses voeux les mêmes solutions. Au sein de la classe politique - y compris au PS, y compris même à l'UMP et au gouvernement -  les plus lucides se rendent compte que la situation est explosive et qu'il faudra tôt ou tard reprendre les choses en main. L'Allemagne s'y prépare. On sait que pour elle, la survie de l'euro n'est plus une priorité et que ses meilleurs esprits cogitent déjà à la mise en place d'un plan B. Les échéances risquent d'ailleurs d'être assez proches : si les attaques contre l'Espagne et contre l'Italie devaient se poursuivre, l'Europe n'aura pas les moyens de venir au secours de ces pays et Berlin sifflera assez vite la fin de la partie. C'en sera alors fini de la zone euro. La France a-t-elle anticipé ce risque ? Qui prépare chez nous le Plan B? Quelle est notre stratégie de repli ? Avons nous les dirigeants qu'il faut pour prendre de telles décisions ? Autant de questions angoissantes qui restent aujourd'hui sans réponse.

François Renié.

 

 

Le fédéralisme n'est pas la solution miracle à la crise

Les sempiternelles lamentations sur les "égoïsmes nationaux" et les appels, pendant les semaines qui ont précédé l'accord de Bruxelles du 21 juillet - le meilleur possible -, à plus de fédéralisme, présenté comme la panacée, comme à de nouveaux transferts de souveraineté sont paradoxaux.

A-t-on déjà oublié que l'aggravation dramatique de la dette publique européenne ne résulte pas seulement de la gestion irresponsable de l'Etat-providence et des décennies de budgets en déficit, mais aussi de l'effet sur le système financier européen de l'implosion de la finance américaine, devenue un "danger public", selon le banquier et ancien ambassadeur de Bill Clinton à Paris, Felix Rohatyn ? Et celle-ci n'a-t-elle pas été provoquée par la dérégulation, c'est-à-dire... les abandons massifs de souveraineté effectués pendant plus de vingt ans par plusieurs administrations américaines au profit des marchés ? Que faut-il abandonner ou transférer en plus?

Il faudrait être plus "fédéraliste" parce que les marchés l'exigent (sans distinguer entre les opérateurs sincèrement inquiets des capacités des Etats emprunteurs à rembourser, les purs spéculateurs et ceux qui s'acharnent à fragiliser l'euro) ? Et être tétanisés par trois agences de notation, au pouvoir extravagant, qui sous-cotent aujourd'hui pour faire oublier qu'elles ont surcoté, par connivence aveugle, jusqu'en 2007 ?

Le "fédéralisme" est présenté comme allant seul dans le sens de l'histoire. Mais qu'entend-t-on par là ? Ce mot-valise, au sens des linguistes, peut vouloir dire la plus décourageante des choses (nous sommes trop petits, dépassés, fatigués, nous devons nous en remettre à l'Europe) ou la plus mobilisatrice (l'union fait la force, soyons plus solidaires).

Si fédéralisme veut dire subsidiarité claire, pas de problème. Si c'est une harmonisation réelle entre Etats membres de la zone euro dont il s'agit, très bien, c'était déjà dans Maastricht. Faisons-le, enfin.

Si cela signifie plus de solidarité entre Européens, fort bien. Mais Mme Merkel, premier contributeur potentiel (coût pour la France de l'accord de Bruxelles, 15 milliards), était fondée à exiger que celle-ci ne soit ni illimitée ni automatique. A-t-elle exigé les bonnes contreparties ? C'est autre chose. On peut débattre. En tout cas, il était normal que les institutions financières qui ont pris des risques qui font partie de leur métier "portent leur part de fardeau" (Jacques Delors), quoi qu'en pense la Banque centrale européenne (BCE). Fardeau d'ailleurs bien léger.

Mais si cela veut dire transfert supplémentaire de souveraineté, en quoi serait-ce automatiquement un progrès ? Après tant d'abandons, si peu convaincants, ou de transferts à des organes incontrôlés ? Certes, il faudrait "un chef des forces économiques de la zone euro" (Jean-Hervé Lorenzi, Christian de Boissieu), mandaté par le Conseil, pour réagir aux attaques. Mais les nouveaux fédéralistes proposent plus : qu'un "ministre des finances", ou de "l'économie", puisse arbitrer le cas échéant contre un gouvernement ou un Parlement national. Franchir ce pas, ce serait ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire européenne, celui de l'Europe post-démocratique, tentation perceptible dans les milieux économiques, européistes, technocratiques ou médiatiques.

Croit-on qu'un tel "ministre" aurait plus de poids qu'un courageux Papandréou pour faire accepter par son peuple les douloureuses mais inévitables mesures d'assainissement ? Quel gouvernement européen lui transmettrait ses pouvoirs, alors même que le consentement à l'impôt est à l'origine même du processus démocratique ?

Ne faut-il pas, au contraire, combler le fossé déjà béant élites-populations, en re-responsabilisant les gouvernements nationaux, au lieu de l'approfondir avec une désinvolture périlleuse envers la démocratie ? De surcroît, ceux qui exigent ce saut dans l'inconnu ne contestent pas l'imposition à toute la zone euro (devenue un espace disciplinaire de surveillance et de sanctions), l'unidimensionnelle politique de rigueur à l'allemande, là où il faudrait une policy mix (c'est-à-dire l'alliage des politiques budgétaire et monétaire) d'assainissement et de croissance.

De toute façon, même si c'était une bonne idée, une révision majeure du traité de Lisbonne, avec des années de controverses, est hors de portée. Quel gouvernement voudra relancer l'Union dans un tel parcours du combattant, sous l'épée de Damoclès des ratifications ? De toute façon, l'Allemagne, qui conteste (via la Cour de Karlsruhe) la légitimité démocratique des institutions européennes, n'en voudra pas.

Alors pourquoi relancer cette controverse, et perdre temps et énergie ? Il faut absolument réunifier les solutions économiques et politiques des crises européennes, ainsi que le court et le long terme.

Appliquons d'abord au mieux et au plus vite l'accord du 21 juillet ; mettons en oeuvre les mesures concrètes proposées pour le rachat des dettes souveraines les plus décotées ; creusons l'idée des euro-obligations (contre les spéculateurs, mais aussi pour des projets), et même celle de l'intervention de l'Union européenne en tant que telle sur le marché des CDS (Credit Default Swaps, l'instrument des spéculateurs) ; délégitimons les notations d'agences sur les dettes souveraines des pays aidés et mettons ces agences sous la pression de la concurrence ; accélérons la mise en place des textes de "responsabilisation" des banques dans la zone euro ; adoptons une taxe (modeste) sur les transactions financières ; obligeons l'Allemagne à un débat sur la politique économique de croissance saine dans la zone euro, et l'élargissement du mandat de la BCE.

Mettons en oeuvre, avec tout son potentiel, le "semestre européen" d'évaluation des projets de budget, sans que la Commission seule ait le dernier mot. Sans oublier que ce sont des moyens et non des fins.

Quand viendra, à l'automne, le moment de clarifier "qui" décide dans la zone euro, c'est-à-dire en quoi consiste le gouvernement économique souhaité par la France depuis l'origine, ne rompons pas le fil ténu qui subsiste entre "l'Europe" et la légitimité démocratique.

Hubert Védrine.
Le Monde du 2 août 2011.


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26 juillet 2011 2 26 /07 /juillet /2011 08:36

Après le bourrage de crâne

Le sommet de Bruxelles a jeté ses derniers feux et la fanfare médiatique qui l’a bruyamment accompagné pendant trois jours est passée. Il va être enfin possible de commenter l’évènement avec un peu plus d’objectivité et de sérénité. Et de mesurer ce qu’il y a d’utile et d’artificiel dans l’accord trouvé vendredi dernier.

Après une semaine d’angoisse, c’est d’abord avec soulagement que les milieux économiques ont accueilli le nouveau plan de sauvetage de la Grèce. Le montant des financements mobilisés – 160 milliards d’euros – était là pour frapper les esprits et il a très vite fait le tour des marchés. De la même façon, les opérateurs ont été rassurés par le niveau relativement modeste des «contributions volontaires » demandées au secteur privé – de l’ordre de 50 milliards d’euros – alors que les Allemands, vibrants promoteurs de cette mesure, avaient laissé filtrer un chiffre de plus du double. A Bruxelles et à Athènes, on soulignait à l’envie que les besoins de financement grecs étaient désormais couverts jusqu’en 2020, même si personne n’était réellement en mesure de confirmer ce calcul. En bref, on a eu très peur et on a pris pour argent comptant tous les signes favorables et toutes les bonnes nouvelles qui passaient. L’heure était à la méthode Coué.

Il n’est pas sûr que cette bonne impression persiste. Dès vendredi soir, l’agence de notation Fitch envoyait un premier signal d’alerte en plaçant la dette grecque en « défaut partiel », ce qui commençait à troubler la fête. Lundi, c’est l’agence Moody’s qui procédait à la même décote [1]. On sait que les conseils des autres agences de notation doivent se réunir cette semaine pour décider si elles emboitent ou non le pas. Sur les marchés, les indices n’ont repris qu’une partie du terrain perdu depuis huit jours et les opérateurs restent prudents. L’euro retrouvait un peu de couleur lundi à clôture des bourses, sans toutefois remonter au-dessus du cours d’1,44 dollar. Visiblement, la situation reste marquée par énormément d’incertitudes, à commencer par les mauvaises nouvelles qui viennent d’Amérique. On verra dans les jours qui viennent dans quel sens tourne le vent.

D’ici là, les premiers commentaires que l’on peut faire à froid restent en ligne avec ce que nous avions indiqué ici mardi dernier (La Revue Critique du 19 juillet). La réunion de Bruxelles avait pour premier – et d’ailleurs unique – objectif d’éteindre l’incendie, en repoussant à plus tard les solutions de fond sur lesquelles tout le monde diverge. Elle a rempli assez complètement sa mission. A ceci près que les engagements financiers publics ne sont pas aussi colossaux que les communiqués veulent bien le dire. Si l’on retire des 160 milliards d’euros annoncés la part des fonds privés ainsi que des financements déjà acquis dans le cadre du premier plan de mai 2010 – 45 milliards d’euros – l’apport net est d’environ 65 milliards d’euros. Si l’on ajoute à cela qu’il s’agit de prêts, rémunérés presque normalement, et que les Etats n’interviennent que sous forme de garanties, on a une vision plus juste des risques encourus par les pays de l’Euroland. On sait que l’Allemagne et les Pays Bas ont veillé de près à ce que les effets de ces mesures restent très raisonnables.

Tous les commentateurs confirment également que l’accord s’est fait autour des positions allemandes et que Mme Merkel a presque toujours imposé ses vues. Au grand dam de la Commission et des doctrinaires de l’euro, les dirigeants européens ont fini par admettre que la Grèce était dans l’incapacité de rembourser sa dette et que les mesures d’austérité mises en place en 2010 étaient totalement absurdes. La dette d’Athènes sera profondément restructurée, malgré l’opposition de la BCE et du lobby des banques. Ses emprunts seront lissés sur un beaucoup plus grand nombre d’années, ses taux d’intérêt fortement abaissés et des dispositions seront prises pour relancer l’économie grecque. Quant aux créanciers privés, que Berlin considère comme largement responsables de la situation actuelle, ils devront racheter à leurs risques une partie de la dette publique grecque. Enfin, ultime point sur lequel l’Allemagne a pesé de tout son poids, toute idée de « communautarisation » de la dette publique via le recours à des « eurobonds » est définitivement écartée, à la consternation des fédéralistes de tous poils.

Pour la BCE et M. Trichet, la potion est particulièrement difficile à avaler. On sait que le Président de la Banque Centrale Européenne a eu, à plusieurs reprises, la tentation de quitter la table des négociations. En particulier lorsque les Etats membres, sous la pression de l’Allemagne, ont admis le risque d’un « défaut partiel » de la Grèce. C’est toute une conception de l’Europe, de la monnaie unique et du rôle de la BCE qui est soudainement partie en fumée. M. Trichet s’est un peu consolé en défendant les intérêts des banques privées et en obtenant que leur contribution se limite au dossier grec. Mais pour combien de temps ? Quant au FMI, il n’a pas particulièrement brillé par sa présence. Il est vrai que Mme Lagarde a un peu de mal à prendre le tempo de ses nouvelles fonctions : il y a quelques jours encore elle appelait les Grecs à respecter les mesures d’austérité imposées par le FMI et voilà qu’on lui demande de voter un plan qui prend le contre-pied de ces mesures et redonne des marges à Athènes. On comprend qu’elle n’ait pas été en situation de dire combien le FMI apporterait à ce nouveau plan !

Et la France ? Egal à lui-même, M. Sarkozy a agi comme s’il était à l’origine de toutes les décisions. Il a surtout revendiqué le renforcement du fonds de sauvegarde crée en mai 2010, lors du premier plan grec, en évoquant « l’amorce d’un fonds monétaire européen ». Mais que pèserait ce Fonds européen de stabilité financière (FESF), même doté de 440 milliards d’euros – en cas de défauts de paiement cumulés du Portugal et de l’Irlande ou de crise financière majeure de l’Espagne ou de l’Italie [2] ? Rien, à peu près rien. Surtout avec les conditions que Berlin et Bruxelles ont posées à son utilisation. L’autre mesure préconisée par M. Sarkozy, celle d’une taxe acquittée par l’ensemble des banques pour alimenter le FESF, s’est heurtée à l’hostilité des milieux financiers et Mme Merkel l’a écartée d’entrée de jeu parce qu’elle pouvait donner au FESF une trop grande autonomie vis-à-vis des Etats.   

Rien n’est donc vraiment réglé, ni au plan financier, ni sur le fond. Si un certain nombre de tabous sont tombés, et notamment celui des plans d’austérité qu’on cherche depuis deux ans à imposer à l’ensemble de l’Europe, le ressort essentiel de la crise n’est pas mis en avant. On sent toutefois qu’il est sur le bout des lèvres. Mais comment l’Allemagne pourrait-elle reconnaitre que le fonds de l’affaire réside dans la conception même de l’euro qu’elle a cherché à imposer à l’Euroland ? Un euro qui n’est compatible qu’avec la puissance industrielle allemande et avec les contraintes de compétitivité qu’elle seule – ou à peu près – peut accepter. Un euro qui asphyxie progressivement le reste du continent et notamment les pays faiblement industrialisés du sud qui n’ont pas d’autres choix que la faillite ou la régression sociale. Voilà la réalité sur laquelle les dirigeants européens se cachent les yeux – pour quelques temps encore – mais qui finira assez vite par les rattraper. C’est pour cela que l’on peut dire, sans beaucoup de risque d’être démenti, que le 21 juillet aura été un sommet européen comme les autres.

L’été grec n’est pas pour autant terminé. Les annonces faites vendredi dernier doivent être encore ratifiées dans les différentes capitales et Mme Merkel sait que la compatibilité des plans de sauvegarde de la Grèce avec les traités européens fait débat en Allemagne [3] et que la Cour constitutionnelle de Francfort s’en est déjà saisie. Les autres fronts nuageux se situent à Lisbonne, à Dublin, à Madrid et, dans une moindre mesure, à Rome. Les analystes financiers constatent en ce début de semaine que le plan grec n’a pas fait baisser la pression sur les taux d’intérêt qui rémunèrent la dette de ces pays. Ils ont même tendance à poursuivre leur ascension [4]. En cas de contagion de la crise grecque, il n’y a aucune raison pour que ces quatre Etat-membres ne demandent pas à bénéficier du même traitement qu’Athènes : défaut partiel de paiement, contribution massive du fonds de stabilité et des créditeurs privés. Vu l’énormité des besoins financiers en jeu, c’est tout l’équilibre de l’accord trouvé vendredi dernier à Bruxelles qui serait remis en cause. On risque alors de s’acheminer rapidement vers une explosion de la zone euro.

L’Allemagne le sait. Elle a clairement fait son deuil de la monnaie unique et elle plaidera de plus en plus ouvertement pour sa disparition à plus ou moins brève échéance [5]. En brisant le tabou du défaut de paiement – aujourd’hui pour la Grèce, demain pour tous les autres pays en crise –, en limitant dans le même temps le recours aux fonds publics et la « communautarisation» du dossier des dettes souveraines, elle a orienté le débat vers la solution qui s’imposera d’elle-même demain : la sortie de l’euro des pays fragiles, la constitution d’une nouvelle zone mark, la vassalisation progressive de l’économie française dans le cadre de cette zone mark. Le piège se referme pour la France. Ou elle continue à rêver d’un modèle d’Europe fédérale qui a fait son temps ou elle reprend son destin en main en sortant au plus vite de la nasse de l’euro. Il nous reste peu de temps pour réfléchir, guère plus pour agir.

François Renié.

 


[1].  Moody’s estime, comme beaucoup d’autres analystes financiers, que le nouveau plan de sauvetage est trop faible et trop restreint. Son impact sur la réduction de la dette grecque est beaucoup trop limité (moins de 20%, alors qu’il faudrait réduire la dette d’au moins 40% pour sortir l’économie grecque de l’asphyxie)

[2]. Les analystes financiers estiment à plus de 2 000 milliards d’euros les besoins de financement en cas de crise de la dette italienne. Sans compter l’effet domino d’une telle crise sur l’ensemble des économies européenne.

[3]. Mme Merkel doit composer avec l’aile libérale de sa majorité qui s’oppose farouchement à toute idée de « fédéralisation des dettes souveraines » ainsi qu’avec les eurosceptiques qui pèsent de plus en plus lourd au sein de la CDU/CSU.

[4]. Les bourses de Milan et de Madrid étaient en forte baisse mardi matin et les taux d’intérêt des dettes espagnoles, italiennes et portugaises repartaient nettement à la hausse.

[5]. Il est savoureux de découvrir que le feuilleton d’été du journal Le Monde s’intitule «Terminus pour l’euro» et qu’il envisage ce scénario sous forme de fiction. Comme quoi, même chez les "cabris", cette perspective travaille les esprits.

 

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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 22:08
Un été grec
 
Rien ne va plus ! L'Euroland retient son souffle. Le sommet européen prévu jeudi 21 juillet risque d'être celui de la dernière chance pour le "plan grec" et pour l'euro. S'il échoue, Athènes ne sera plus en situation d'honorer ses prochaines échéances et il y aura, selon toute vraisemblance, défaut de paiement. Alors ? Alors tout est possible, y compris la sortie de la Grèce de la zone euro, suivie sans doute d'assez près par celle du Portugal. D'autres vont même plus loin et envisagent un effet de domino sur l'ensemble des économies européennes. L'Irlande et l'Espagne, réputées fragiles, sont déjà dans la ligne de mire des marchés. Si la contagion devait atteindre l'Italie - dont le poids économique est hors de portée des mécanismes de sauvegarde européens - ce serait sans doute la fin de l'euro à brève échéance. Les banques françaises et allemandes paieraient alors au prix fort les conséquences de ce terrible été grec.
Quelles sont les chances pour que ce sommet débouche sur des décisions solides ? Assez minces, disent les spécialistes. En réalité, malgré les fausses informations diffusées par la presse européiste, les positions de l'Allemagne et de la Banque Centrale Européenne ne se sont pas rapprochées d'un iota. On est même tenté de penser qu'à Berlin on n'exclut plus du tout la perspective d'un défaut grec et qu'on est encore moins disposé qu'avant à faire payer le contribuable allemand pour sauver la mise des banques. La réunion des ministres des finances européens des 11 et 12 juillet, censée dessiner l'esquisse d'un compromis, s'est d'ailleurs conclue par un nouvel échec. Ce qui était impossible mardi dernier a peu de chance de devenir acceptable jeudi prochain. Mme Merkel n'avait-elle pas exclu de boycotter le sommet si celui ci devait se réduire à de vaines parlottes ?
L'attitude de l'Allemagne est parfaitement claire. Après avoir cédé un temps aux envoûtements de la monnaie unique, elle est maintenant persuadée que l'Euroland n'est pas viable à long terme. Les pays d'Europe du sud ne sont plus compétitifs, ils n'auront jamais les moyens de rembourser leur dette et les politiques d'austérité qu'on essaie de leur imposer va les déstabiliser davantage encore. La seule solution est leur sortie de l'euro et le recentrage de l'Euroland sur l'ancienne "zone mark". La Grèce, le Portugal et quelques autres n'échapperont pas à une restructuration de leur dette à très brève échéance. Dans ces conditions, on pense à Berlin qu'il est inutile de continuer à engager de l'argent public dans des mesures de renflouement complètement inefficaces.
On est également persuadé outre-Rhin que l'heure de vérité a sonné pour les banques La correction est devenu inévitable et les tests de performance réalisés la semaine dernière ont montré, qu'à l'exception de l'Espagne et de la Grèce, le système bancaire européen a les moyens de l'encaisser. Alors pourquoi attendre ? D'autant qu'on constate que certaines banques continuent à jouer un jeu trouble : en exigeant des Etats qu'ils  renflouent les pays fragiles afin de diminuer leurs risques, tout en alimentant la spéculation contre ces pays. D'où l'insistance de l'Allemagne à ce que les créditeurs privés participent au rétablissement des comptes des Etats qu'ils ont sinistrés. Sur ce point, Berlin ne capitulera pas, car il sait que la morale et la raison sont pour lui. Il est dommage que l'on n'ait pas pas adopté le même discours de fermeté à Paris !
Alors ? Alors il est vraisemblable que le sommet de jeudi débouchera sur un compromis boiteux et sur des mesures molles. Comme personne ne voudra perdre la face, on fera place aux demandes de chacun : l'Allemagne obtiendra, du moins en paroles, des garanties que les banques prendront leur part du fardeau grec, la BCE veillera, dans les termes de l'accord, à ce que cette participation privée soit la plus réduite possible. Quand à M. Sarkozy, on lui laissera faire le discours sur l'unité européenne retrouvée. Et rien de plus. Sur le fond, rien ne sera réglé. La fébrilité qui agite les marchés depuis quelques jours montre que ce scénario de sortie est le plus vraisemblable.
L'éclatement de la zone euro est à ce point inévitable qu'on commence, ici ou là, à chercher des boucs émissaires. Les Grecs sont naturellement tout désignés pour jouer ce rôle. Non contents d'avoir manger leur blé en herbe, ils ne jouent pas le jeu des mesures de rigueur qu'ils ont pourtant adoptés avec enthousiasme ! C'est en tous cas ce que pense Mme Lagarde. A peine installée dans son fauteuil doré du FMI, elle s'agite déjà dans tous les sens. "Il faut en faire plus", martèle-t-elle à l'intention des Grecs, dont les efforts sont jugés insuffisants. Plus de coupes sombres sociales, plus de privatisations, moins d'emplois publics et des salaires plus bas pour tous. Avec ce remède de cheval digne des Diafoirus, gageons que les malheureux Grecs seront bientôt morts et guéris. Mais pour sauver l'euro, Mme Lagarde est prête à combattre jusqu'au dernier grec !
Autre créature agité, M. Trichet. Lui aussi a envie de passer ses nerfs sur quelqu'un. Celui que les salles de marché ont affublé du surnom de "Foutrichet" pour sa gestion ubuesque des taux d'intérêt s'est trouvé de nouveaux ennemis : les Etats. Puisque les gouvernements de la zone euro n'ont voulu en faire qu'à leur tête, au point même d'imaginer de taxer les banques, ce sera à eux de payer l'addition du défaut grec. "J'ai prévenu plusieurs fois en détail les chefs d'Etat et de gouvernement qu'en cas de défaut de paiement d'un pays, la BCE ne pourra plus accepter ses obligations comme des garanties normales. Dans ces conditions, les gouvernements devraient alors eux-mêmes s'engager pour corriger la situation". "Ce sera leur devoir" s'est-il senti obligé de préciser. Quand aux banques, qui n'ont, comme tout le monde le sait, que des droits et aucun devoir, elles pourront continuer à dormir sur leurs magots et à faire tomber les bénéfices, comme avant. Quoi de plus normal !
On dit que M. Trichet, qui va sans doute faire les frais du sommet de jeudi, pourrait quitter plus vite que prévu la présidence de la BCE. Quant à Mme Lagarde, tout le monde attend avec intérêt - certains avec gourmandise - l'issue de ses démêlés avec la Cour de Justice de la République au sujet de l'affaire Tapie. Si ce triste été grec pouvait nous débarrasser  des Lagarde, des Trichet et de quelques autres faces de carême, il aurait au moins servi à quelque chose. 

François Renié.

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 09:27

Libye : Le retour du roi ?

  Le courage du peuple libyen et la détermination de ses alliés viendront à bout du régime Kadhafi. "La question n'est plus de savoir s'il doit quitter le pouvoir, mais comment et quand il le fera" disait il y a quelques jours Alain Juppé. A Tripoli, les derniers soutiens du régime s'évanouissent ou passent à la rébellion. Mais qui sont ces rebelles, d'où viennent-ils, que veulent les hommes qui tiennent Benghazi ? Alors que certains exagèrent les divisions au sein de la résistance libyenne, le poids des islamistes dans ses rangs et les risques de guerre civile, l'essayiste Roland Hureaux pose sur son blog la seule fonction qui vaille : pourquoi ne pas organiser le retour du roi ? La Libye, libérée de Kadhafi, aura besoin d'une longue période de paix civile, de stabilité et d'unité pour reprendre en main son destin. Qui mieux que le descendant des Senoussides pourrait incarner cette permanence de l'Etat et de l'intérêt général ? Ce n'est pas un hasard si de nombreux libyens combattent aujourd'hui sous le drapeau de l'ancienne monarchie. Les diplomates occidentaux qui préparent l'après Kadhafi seraient bien avisés d'en tenir compte.

F.R.


Les hommes politiques de la Troisième République, républicains intraitables, étaient aussi de grands pragmatiques. La rigueur de leurs convictions pour ce qui était de l’hexagone ne les empêcha pas de maintenir et même de consolider le régime monarchique au Maroc, en Tunisie, au Cambodge, au Laos et dans l’Annam. Le parti pris dissuada seulement Gallieni de le faire à Madagascar et ce fut dommage.

Le même pragmatisme doit prévaloir dans la solution du problème libyen.

L’intervention des forces de l’OTAN, sévèrement bridée par la résolution du Conseil de sécurité, risque de tourner à la déconfiture politique si les adversaires de Kadhafi ne présentent pas rapidement  une alternative crédible au régime actuel.

Le totalitarisme kadhafiste qui règne depuis plus de quarante ans n’ayant pas été la meilleure propédeutique à la démocratie, il convient de considérer l’option du retour à la monarchie.

Colonie italienne de 1911 à 1951, la Libye avait adopté à l’indépendance le régime monarchique. Le roi Idris Ier était issu de la confrérie des Senoussis qui exerçait depuis plusieurs décennies une forte influence sur le Fezzan (désert libyen). Cette monarchie se déclara constitutionnelle peu après et n’était donc pas, au moins en principe, incompatible avec la démocratie.

Le coup d’Etat de Kadhafi en 1969 mit fin au règne du roi Idris. Son petit-fils, Mohammed el Senoussi, vit actuellement à Londres et a des partisans dans la rébellion. On ne voit pas quelle considération pourrait dissuader la coalition d’envisager son retour.

Encore faut-il qu’il ose lui-même sortir du bois, peut-être même qu’il débarque en Cyrénaïque : attendre la fin des événements pour venir faire un tour de piste n’est sûrement pas pour lui la solution. Craindrait-il d’apparaître comme l’homme des Occidentaux ? A-t-il le choix ? L’histoire ne repasse pas les plats. La dynastie sénousite ne trouvera pas de si tôt une telle occasion de revenir en Libye.

Il est difficile de dire quel degré de consensus il rencontrerait. Que le drapeau de la monarchie ait surgi ici ou là n’est pas nécessairement significatif. Tout dépend sans doute de ses capacités. Mais les insurgés dépendent trop de l’appui extérieur pour s’opposer à une solution qui leur serait clairement suggérée par leurs alliés.

Heureusement, il est célibataire et donc disponible. Dans ce pays où l’esprit de clan domine, les mariages sont de longue date le moyen de sceller les alliances de clan à clan. Kadhafi sut user du procédé pour consolider son pouvoir. Le prétendant pourrait par exemple se rapprocher des Mégahras, clan stratégique au dire des experts.

Outre le manque d’imagination des chancelleries, cette solution se heurte à un obstacle : quoique fieffés réactionnaires en bien des matières, les Américains demeurent des républicains plus hostiles au principe monarchique que l’on imagine.

Cette hostilité de principe a fait manquer en Afghanistan une belle occasion d’organiser la réconciliation nationale. Le vieux roi Mohammed Zaher Shah, qui avait déjà régné sur le pays de 1933 à 1973 était, à la chute des talibans en 2001, plus légitime que quiconque pour prendre la relève. Les Américains n’en ont pas voulu, préférant le douteux Hamid Karzaï. Faute du soutien américain, Zaher Shah s’est contenté de présider l’assemblée constituante des chefs de tribu, la Loya Jirga.

En Irak, la monarchie hachémite, issue comme celle de Jordanie des anciens chérifs de la Mecque, avait été renversée en 1958. Un des héritiers du trône, le chérif Ali Ben Hussein, a, dans la période troublée qui a suivi la guerre de 1983 ouvert un site internet, sans succès. Même si ce prétendant avait sans doute moins de légitimité que d’autres, son élévation à la tête de l’Etat, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, aurait permis de mieux équilibrer la direction du pays entre les sunnites qui gouvernent l’Irak depuis des siècles et se résignent mal à ne plus le faire, et les chiites, désormais majoritaires.

En tentant de remettre l’héritier du trône libyen dans le jeu, la coalition se doterait d’une carte supplémentaire. Elle pourrait au moins présenter une solution ayant une apparence de légitimité historique, plus en tous cas que celle d’un clan opposé se substituant à un autre clan, d’un colonel succédant à un autre colonel. La monarchie a longtemps fait rétrograde et à ce titre représenté une cause risquée, mais depuis 1990, qui sait où est le sens de l’histoire ?

Roland Hureaux.

 

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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 22:08
Qui sème le vent...
 
Comme à la fin de la tragédie, le piège grec se referme et l'Eurozone va sans doute connaître dans les semaines, voire dans les jours qui viennent, des troubles de grande ampleur. L'économie grecque est emportée dans une spirale désastreuse - lundi soir, Standard & Poor's dégradait la dette grecque au niveau "spéculatif", à deux crans seulement du défaut de paiement et les taux des obligations grecques s'envolaient sur les marchés. Et contrairement à ce qu'on nous avait dit la semaine dernière, et alors qu'il y a le feu, le compromis européen sur l'aide à la Grèce n'est toujours pas trouvé.
L'Allemagne, échaudée par l'échec des précédents plans, commence à soupconner le trust bancaire européen de tirer profit de la crise. Elle n'acceptera pas la première solution venue. Elle veut obtenir un rééchelonnement de la dette grecque et elle exige une participation - contrainte, s'il le faut - des banques à l'effort financier. M. Trichet et ses amis banquiers ne l'entendent pas du tout de cette oreille. Pas question pour eux de participer, sauf de façon marginale et volontaire, au règlement des pôts cassés. Deux lignes s'affrontent et les protagonistes sont d'autant moins prêts au compromis que celui ci vaudra précédent pour la suite. Et l'on sait qu'il y aura une suite, et même des suites... en Espagne, au Portugal, en Irlande ou ailleurs. Hier soir, la Commission n'annoncait plus de calendrier de décisions pour le nouveau plan d'aide à la Grèce
Or, faute de mesures d'urgence, la situation risque de devenir très vite "insaisisable". Les agences de notation commençaient, ce matin, à attaquer les positions des banques françaises et allemandes. Les marchés et l'euro perdaient à nouveau pied. Un vent de panique soufflait sur les chancelleries européennes. La crise politique qui s'est ouverte, hier soir, à Athènes, n'arrange pas la situation même si elle la clarifie. M. Papandréou, effrayé par une situation qu'il a pour partie crée, s'est dit près à s'effacer devant un gouvernement d'union nationale. Mais qui veut d'une telle union, y compris dans son camp ? Et qui va accepter de porter la responsabilité politique d'une vente par appartement de la Grèce ? La droite ne jouera pas le jeu. Quant à la gauche, on verra d'ici la fin de la semaine si elle maintient sa confiance à l'équipe Papandréou. En cas d'échec, la voie des élections générales est ouverte, ce qui signifie que la Grèce n'aura plus de gouvernement pendant des mois. D'ici là, la crise de l'euro aura franchi d'autres étapes et, sauf à imaginer le triomphe de la bétise et de l'aveuglement - ce qui est toujours possible en démocratie ! -  le retour aux monnaies nationales apparaitra comme l'unique solution pour sortir de ce cauchemar.
Que restera-t-il de cette crise ? La fin d'une certaine Europe, du moins peut-on l'espérer. Il restera aussi de la haine, beaucoup de haine. La haine des peuples lorsqu'on les méprise, lorsqu'on cherche à les pousser au désespoir. Cette haine était présente hier chez les manifestants de la place Syntagma. Contre la classe politique grecque qui les a vendus, contre les dirigeants européens qui les bafouent, contre cette Europe sénile, froide et dure où les Grecs ne se retrouvent plus. Tous comme les Espagnols, tous comme les Portugais, les Irlandais, tout comme nous.
Ce cri de haine et de désespoir, nous en trouvons l'écho dans ce billet terrible publié il y a quelques jours par le quotidien To Ethnos d'Athènes, que nous reproduisons ci-dessous. Nous dédions ce texte à tous les indignés d'Europe.
François Renié.

Nous, peuple blessé sous occupation

En Grèce, on a le cœur brisé aujourd’hui. Tout Grec qui se respecte est blessé ne serait-ce que par la lecture des titres de la presse internationale sur l’annonce par le gouvernement Papandréou de la privatisation des biens publics. “Liquidation de l’Acropole. Tout doit disparaître”, écrit la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour d’autres journaux, c’était “Braderie à Athènes”. Les Allemands s’interrogent : “combien nous coûtent les Grecs ?” La presse espagnole s’y met aussi. Les étrangers s’inquiètent mais sont aussi intéressés pour racheter, éventuellement, les biens du pays. Depuis plusieurs semaines, des représentants de grands groupes tournent autour du ministère des Finances. C’est triste, mais nous sommes sous occupation étrangère à présent et les jeunes, assis sur les places des grandes villes du pays, l’ont bien compris. L’avenir est sombre. L’an dernier, le gouvernement Papandréou s’était engagé sur la voie de l’austérité, qui devait se traduire par l’amélioration de la situation financière. Les faits ont lamentablement démenti ce programme. Le gouvernement a décidé d’amputer les salaires et les retraites, de mettre en vente les biens publics et d’imposer des taxes avec une brutalité sans précédent. Aujourd’hui, la situation du pays est nettement pire que l’an dernier. Le gouvernement a utilisé comme excuse le montant de la dette publique – qui a atteint les 115 % du PIB – pour justifier le recours au plan de rigueur. Mais, en l’espace de dix-huit mois, la dette s’élève déjà à… 155 % du PIB. Et le ministère des Finances estime que d’ici la fin de l’année, elle parviendra au taux inimaginable de 163,5 % ! D’ici à mars 2012, soit dans moins d’un an, les obligations et les bons du Trésor, d’un montant de 42 milliards d’euros, arrivent à expiration. Où trouvera-t-on de l’argent frais dans ce contexte de crise cauchemardesque ? Un nouveau prêt est la seule réponse. Mais pas un seul euro ne sera donné pour renforcer l’économie, les salaires ou les retraites. Il n’y a plus aucun espoir.

Giorgos Delastik.

 

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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 22:08
Danse sur un volcan
 
Une mauvaise semaine - une de plus - pour l'euro. La crise grecque n'est pas enrayée, les marchés n'ont plus confiance et la crédibilité de la monnaie unique s'effondre. Les dirigeants européens, épuisés par des mois de négociation stériles, ne savent plus à quel saint se vouer. Les plus lucides oscillent entre accablement et fatalisme. Ils savent maintenant que la dégringolade finale n'est plus qu'une affaire de mois et que la situation leur échappent à peu près complètement.
Ce qui vient de se passer à Athènes illustre parfaitement ce sentiment général d'impuissance. Jeudi soir, les protagonistes de la crise grecque - le gouvernement de M. Papandréou et la troïka de ses créanciers - nous jouaient le nième épisode de l'accord trouvé in extremis. Le Premier ministre grec annonçait une liste impressionnante de privatisations, de réduction des dépenses publiques et de hausses d'impôt que personne ne prenait vraiment au sérieux. Côté créanciers, on confirmait le déblocage d'un nombre non moins impressionnant de milliards d'euros  - de 50 à 100 milliards d'euros selon les sources et les heures - pour permettre au pays d'honorer ses prochaines échéances. MM. Trichet, Juncker et quelques dirigeants du FMI se félicitaient bruyamment d'avoir gagné du temps et éloigné pour quelques mois - ou quelques semaines - le spectre d'un défaut de paiement grec.
Il a suffit d'un communiqué de l'agence Moody's, publié en fin de soirée, pour que la comédie s'arrête. L'agence de notation annonçait sans crier gare qu'elle n'avait plus aucune confiance ni dans l'euro ni dans la capacité d'Athènes à faire face à des engagements aussi colossaux. La dette grecque était rétrogradée en quelques minutes au niveau de la dette cubaine. Les taux d'intérêts sur les obligations grecques s'envolaient et les mesures du plan d'aide européen, présentées quelques instants auparavant comme décisives, apparaissaient dérisoires. A Berlin, à Luxembourg et à Bruxelles les regards se figeaient, les visages se fermaient. On prenait subitement conscience que la crise de l'euro venait de franchir une nouvelle étape. Ce mardi 7 juin, l'accord trouvé avec Athènes n'était plus confirmé et l'on apprenait que l'Allemagne y mettait toujours son veto.
Il est vrai que pour les gouvernements de la zone Euro le problème n'est plus seulement grec. L'effet de contagion gagne. L'incapacité des Européens à se mettre d'accord sur un dispositif de sauvegarde de l'euro, les tensions politiques et sociales en Espagne, en Italie et au Portugal, la défiance des agences et des marchés font craindre une crise majeur des dettes souveraines et une réaction en chaîne sur l'ensemble des banques du continent. A Madrid et à Rome, on redoute des effets rapides. D'autant plus rapides que les gouvernements ne contrôlent plus grand chose : la gauche espagnole vient de subir il y a dix jours une défaite historique et elle a d'autres soucis en tête que la maîtrise des déficits. Au Portugal, ce sont les conservateurs qui ont pris le pouvoir dimanche dernier, mais leur légitimité est insuffisante pour faire passer la potion amère qu'ils annoncent. Quant à M. Berlusconi, le temps lui est compté et les questions financières n'ont jamais été son fort. Même la "vertueuse" Belgique vient d'être mise sous surveillance, ce qui montre le niveau de fébrilité des marchés !
Que faire ? A Berlin, on ergote. L'Allemagne qui pensait tirer un grand bénéfice de l'euro commence à s'inquièter de l'évolution de sa créature. Le jeu en vaut-il encore la chandelle ? Surtout si l'on doit soutenir non pas un seul, mais quatre, cinq, voire six Etats membres au bord de la faillite. Mme Merkel plaide pour que les banques paient, elles aussi, les pots cassés. Comme on l'imagine, les banques ne l'entendent pas de cette oreille. Elles ont réussi, au pire moment de la crise financière en 2008, à faire payer leurs folies, leurs fonds pourris et les surrémunérations de leurs dirigeants et de leurs traders par le contribuable européen. Sans que quiconque rechigne, sans une seule nationalisation, sans qu'aucun banquier n'aille en prison. Ce n'est pas maintenant que l'on va partager les pertes. Pas question : si l'Allemagne ne paye pas, les banques ne paieront pas non plus !
Telle est en tous cas la profession de leur parrain, de leur porte-voix, de leur chef de file, M. Trichet. Le Président de la Banque Centrale Européenne aurait piqué ces dernières semaines plusieurs grosses colères : contre ses collègues européens qui n'ont pas hésité à mettre sur la table l'idée d'une restructuration de la dette grecque; et contre ceux qui commencent à exiger une contribution des banques. M. Trichet est trop avisé pour ne pas savoir que la restructuration est la seule issue praticable et qu'elle va progressivement rallier tous les gouvernements européens. Il sait que la crédibilité de l'euro sera profondément atteinte et que la monnaie unique ne s'en remettra sans doute pas. Il sait aussi que l'effet en retour sera considérable sur les banques européennes et que bon nombre d'entre elles n'échapperont pas au contrôle public ou à la nationalisation. Quant aux banques centrales, le mythe de leur indépendance sera définitivement mis à mal.
Est-ce parce qu'il voit la fin de ses rêves que M. Trichet ratiocine ? Alors que la maison Europe prend l'eau de toutes parts, le voilà qui relance l'idée d'un gouvernement économique européen, la création d'un ministère européen des Finances, la mise sous tutelle des pays européens en crise... et autres songes creux. Qui vigilans dormiat. M. Trichet a visiblement besoin de repos. Il est temps, oui grand temps qu'il prenne une retraite bien méritée.

François Renié.

 
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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 23:43
Vers l'Etat palestinien (2)
 
Comme nous l'indiquions dans une précédente chronique (Revue Critique du 3 mai), l'accord de réconciliation signé au Caire le 27 avril dernier entre le Fatah et le Hamas redistribue complètement les cartes au Proche-Orient. Les Palestiniens, qui subissaient depuis des années le bon vouloir ou plutôt la mauvaise volonté de la droite israélienne au pouvoir, ont repris l'initiative. En se mettant en situation d'obtenir dès septembre une reconnaissance officielle de leur Etat  par l'Assemblée générale des Nations Unies, ils ont imposé leur calendrier et leur stratégie non seulement à M. Nétanyahou mais aussi à ses alliés traditionnels aux Etats Unis et en Europe. Ceux qui seraient tenté de mettre leur veto à cette reconnaissance risquent en effet de perdre une grande partie de leur influence en Orient et dans le tiers monde. Ceux qui, au contraire, seraient amené à la cautionner placeront de facto le gouvernement israélien devant le pire des choix : ou partir ou négocier en position de faiblesse. Voilà un coup parfaitement joué.
L'accord du Caire est une marque de maturité du mouvement palestinien. Mais cette maturité a été un peu aidé, certains diraient même forcé, par les évènements. Elle doit beaucoup au  "printemps arabe" qui embrase tout le sud et l'est de la Méditerranée d'Alger jusqu'à Damas et qui fait qu'aucun gouvernement - pas plus celui de M. Abbas à Ramallah que celui M. Mechaal à Gaza - ne peut ignorer son opinion publique. Or, comme au Caire, comme à Tunis, comme à Benghazi, l'opinion publique palestinienne est unitaire, arabe et nationaliste. Elle a soif des mêmes changements, elle est porteuse des mêmes valeurs de fierté, de liberté, de modernité que dans les autres Etats du Proche-Orient ou d'Afrique du Nord. Et elle suscite la sympathie un peu partout dans le monde. Quoi que cherchent à faire les dirigeant israéliens actuels, le vent de l'histoire est désormais contre eux et chaque jour mesure davantage leur discrédit et leur isolement international.
Mais l'initiative du 27 avril n'est pas seulement un acte politique, c'est aussi une force, un mouvement qui bouscule les lignes. Le 4 mai, l'encre de l'accord du Caire était à peine sèche que la France proposait par la voix de son ministre des Affaires étrangères la réunion d'une "conférence politique" sur le Proche Orient. Le 5 mai, Nicolas Sarkozy annonçait au Premier ministre israélien l'intention de la France et d'une partie des Européens de reconnaître l'Etat palestinien à l'automne si le processus de paix n'était pas relancé d'ici là. Le Royaume uni, qui a horreur d'être en reste, approuvait bruyamment le 6 mai l'initiative de Paris. Le 11 mai, la surprise venait de l'intérieur même d'Israël : le président Shimon Peres, dont on connait l'engagement pour la paix, confirmait dans une interview que les conditions étaient réunies pour de nouvelles négociations, y compris avec Hamas. "Le nom ne m'intéresse pas. Ce qui compte, c'est le contenu", affirmait M. Perez. L'administration américaine ne pouvait plus être silencieuse. Le président Obama profitait d'un discours au département d'Etat le 19 mai pour créer la surprise en déclarant que "les frontières d'Israël et de la Palestine devraient être fondées sur les lignes de 1967 avec des échanges de territoires sur lesquels les deux parties seraient d'accord, afin d'établir des frontières sûres et reconnues pour les deux Etats". Le tabou de l'Etat palestinien était, dès lors, définitivement brisé. 
Le processus va-t-il désormais se dérouler sans heurts jusqu'en septembre ? Rien n'est moins sûr. Certes les amis traditionnels de la Palestine joueront leur jeu. La France, par l'intermédiaire d'Alain Juppé, va metre la pression sur ses partenaires de l'Union européenne pour qu'ils se rallient à son idée de conférence internationale. Elle appelle également à la "tenue aussi rapidement que possible d'une réunion du Quartette (Etats-Unis, Russie, Union européenne, ONU)" sur la question de l'Etat palestinien. On sait que la Chine, l'Inde et la Russie militent de longue date en faveur de cette reconnaissance.  Des poids lourds comme le Brésil et l'Argentine ont récemment rejoint leur camp et il faut s'attendre à ce que d'ici septembre le cercle des 150 pays qui ont déjà des relations diplomatiques avec Ramallah s'élargisse à nouveau. Le rapport de force se présente donc plutôt bien pour les Palestiniens.
Rien, pour autant, ne sera possible sans l'Amérique et l'Amérique est loin d'être unanime. Barack Obama et sa secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, savent que leurs marges de manoeuvre sont assez faibles dans cette partie du monde. S'opposer à la dynamique palestienne reviendrait à s'aliéner définitivement l'opinion publique arabe et à perdre pied non seulement en Palestine, à Beyrouth et au Caire, mais aussi en Turquie, à Bagdad et dans l'ensemble de la péninsule arabique. D'où la résolution et les positions assez courageuses de l'administration Obama. Mais elle a contre elle une grande partie des milieux économiques, traditionnellement liés à Israël, et qui n'hésitent pas à jouer de leur influence politique. On l'a bien vu cette semaine avec l'accueil triomphal que le Congrès, majoritairement républicain, a réservé à M. Nétanyhaou. On l'a vu également dans la presse et les médias américains, qui sont pour la plupart hostiles à la ligne adoptée par M. Obama.
Les  dirigeants palestiniens sont, de toutes façons, déterminés à aller jusqu'au bout de leur démarche. Ont-ils d'ailleurs vraiment le choix ? Ils savent que leur échec se traduirait, plus ou moins vite, par un retour de la violence en Israël. Et que cette violence serait d'autant plus brutale et incontrolable que les garde-fous qui existaient au Caire, à Amman et, dans une certaine mesure à Damas, ont pratiquement disparu. Une violence dont ils seront sans doute les premières victimes mais qui se retournera après contre l'Etat hébreu, au point sans doute de menacer son existence. Les prochains mois seront cruciaux pour le Proche-Orient et il faut faire confiance, une fois de plus, à la sagesse des hommes.
Claude Ares.

  

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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 23:43
Vers l'Etat palestinien
 
Le vent de l'histoire souffle à nouveau sur la Palestine. Mahmoud Abbas avait déclaré au début du mois d'avril que la résistance prendrait prochainement des initiatives historiques. C'est chose faite. Le Hamas - qui contrôle Gaza - et le Fatah - qui contrôle la Cisjordanie - ont annoncé au Caire dans la soirée du 27 avril qu'ils venaient de conclure un accord de réconciliation. Ce compromis sera signé demain, en présence de l'ensemble des dirigeants palestiniens. Il prévoit la formation d'un gouvernement de transition, composé de "techniciens", et la tenue d'élections présidentielle et législatives à échéance d'un an. Même si plusieurs points restent encore à préciser, il s'agit là d'un acte politique de première importance. 
Le rapprochement des frères ennemis palestiniens a pris tout le monde de court, à commencer par Washington et Tel Aviv. L'administration américaine n'en laisse rien paraître mais elle est furieuse d'avoir été mise au pied du mur par le Président Abbas. La réconciliation interpalestinienne n'a de sens que si elle permet de relancer les discussions avec Israël, avait dit en substance Mme Clinton lors de son dernier déplacement au Proche Orient. Ce qui suppose une reconnaissance d'Israël par les deux parties palestiniennes. Or tel n'est pas le cas : le Hamas s'est empressé de dire que l'accord de mercredi n'envisage "ni négociations, ni reconnaissance" de l'Etat hébreu par le futur gouvernement de transition. Et que celui ci n'a aucune intention de se placer dans la roue des Etats Unis. Quant au Premier ministre israélien, M. Nétanyahou, il a réaffirmé mercredi soir que M. Abbas "devait choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas". Visiblement, le choix vient d'être fait. Dans son dos.
Il est clair que les révoltes qui agitent le monde arabe ne sont pas étrangères à ces initiatives. A Gaza comme à Ramallah, l'opinion publique a suivi avec passion les évènements d'Egypte et elle s'informe heure par heure de ce qui se passe en Syrie. Comme au Caire et à Damas, c'est la jeunesse qui est à la pointe du mouvement. Les réseaux sociaux ont commencé à faire circuler début mars des manifestes appelant ouvertement à la réunification du mouvement national palestinien. Le 15 mars, des dizaine de milliers de manifestants ont défilé sur les places de Gaza et de Cisjordanie aux cris de "unité, liberté". La situation était potentiellement dangereuse pour les deux exécutifs : ne rien faire les exposait à être, l'un comme l'autre, balayés par la rue, se réconcilier comportait un risque de crise avec Israël et l'Occident. Ils ont préféré le second scénario, politiquement moins risqué à court terme.
M. Abbas a une raison supplémentaire d'accepter ce compromis. Il milite depuis six mois pour la reconnaissance par l'ONU d'un Etat palestinien, seul moyen à ses yeux de sortir de l'impasse des discussions avec Israël. Si cette démarche recueille le soutien de nombreux pays du tiers monde, elle se heurte encore à des réticences du côté de l'Occident. Les Etats Unis continuent de privilégier la voie d'un accord entre Israéliens et Palestiniens modérés. Les Européens sont plus ouverts. Dans une déclaration commune diffusé le 18 février dernier, la Grande Bretagne, la France et l'Allemagne ont condamné la politique de colonisation israélienne et laissé entendre que la reconnaissance d'un Etat palestinien n'était plus un sujet tabou. Lors de sa visite à Paris le 20 avril dernier, M. Abbas a obtenu le soutien du gouvernement français et M. Juppé lui a confirmé que les Européens travaillaient à une reconnaissance par l'ONU en septembre ou octobre prochain. Avec un soutien de la Russie et de la Chine et peut être une abstention américaine. Mais M. Abbas sait que sa solution n'est viable que si la Palestine est unie politiquement et territorialement. L'accord du Caire lève ces conditions essentielles.
 La perspective d'un Etat palestinien est donc ouverte. Les arabes d'Israël, de Cisjordanie et de Gaza le souhaitent, leurs dirigeants y travaillent et l'Europe a compris que c'était sans doute l'ultime levier pour faire évoluer la situation au Proche Orient. Le Gouvernement de Tel Aviv voit cette perspective avec horreur. Il porte pourtant l'entière responsabilité de la situation présente, car c'est son intransigeance, son refus de négocier sérieusement et sa politique criminelle de colonisation qui jettent aujourd'hui les Palestiniens dans cette voie. Il est vraisemblable qu'il cherchera à s'y opposer, au risque de se mettre à dos l'ensemble de la communauté internationale. Il faudra qu'il en mesure complètement les conséquences  pour Israël. Il est loin le temps de la guerre froide, de la surpuissance américaine, de l'impuissance arabe et d'une certaine indulgence vis-à-vis de l'Etat hébreu. Le monde est lassé de l'éternel conflit du Proche Orient et il voit avec sympathie les peuples arabes secouer leurs jougs. Gare à ceux qui se mettront en travers de l'histoire.
Claude Ares.

  

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