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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 08:42
Feu sur les déclinistes !
 
Feu sur Alain Minc Feu sur Baverez  Feu sur Attali
Feu sur les ours savants de la global economy !
D'après Aragon.
 
Il faut s'y résoudre : la France de demain ne sera pas décliniste. Minc, Attali, Baverez, Le Boucher et les autres ont fait leur temps. Quoi qu'ils puissent dire ou faire et "au pire du pire, la France sera dans les huit premières puissances mondiales dans les vingt ans", nous rappelle judicieusement le Cercle des Economistes. Son président, Jean-Hervé Lorenzi et la petite phalange d'esprits libres qu'il anime sont d'ailleurs passés à l'offensive. Fini la déprime, le dénigrement gratuit et les discours de pères fouettards. L'heure est à l'optimisme, à la célébration des réussites françaises, à la jeunesse et à son astuce proverbiale, à l'intelligence et aux sérieux de nos seniors. Tant mieux, cette image nous ressemble davantage.
M. Lorenzi, à qui l'on doit cette heureuse initiative, a du talent et de la persévérance. Il nage depuis des années à contre-courant et raconte d'une plume tranquille l'histoire de nos succès commerciaux et industriels, les batailles gagnées par nos ingénieurs et nos ouvriers, par nos savants et par nos chercheurs. Si M. Lorenzi se fait parfois sévère, c'est contre ceux qui nous gouvernent, contre ces hommes politiques qui ne savent pas mettre en valeur tout ce que notre pays offre au monde de bon et de bien.
Mais notre économiste a le plus souvent le sourire, comme ces chercheurs d'or qui sont sur un bon filon. Il a toujours su que le vent soufflerait un jour dans le bon sens. Voilà qu'il tourne et M. Lorenzi, en bon stratège, décide d'en profiter et de se faire sergent-recruteur. Il a décidé d'enrôler chercheurs, entrepreneurs, philosophes, écrivains dans sa croisade contre le défaitisme et le dénigrement économique. Il annonce la création d'une Ligue des optimistes de France à laquelle se sont ralliés sans attendre Jean d'Ormesson, Erik Orsenna, Eric-Emmanuel Schmitt et Mathieu Ricard. "Face à tout problème, l'intelligence créatrice des hommes trouvera une solution", proclame fièrement la nouvelle ligue. Nous n'aurions pas mieux dit.
Comme tout chef d'école, M. Lorenzi, s'apprête même à sortir son manifeste. Le Fabuleux destin d'une puissance intermédiaire [1] n'est pas encore dans les devantures des librairies mais les bonnes feuilles qui circulent donnent envie de faire le plongeon. Il y développe essentiellement trois thèses, qui ne sont pas nouvelles, mais dont il rassemble, avec un sens aigu de la synthèse, les meilleurs arguments.
Sa première thèse est que le déclin de la France est une idée absurde. Il suffit de regarder un peu sérieusement les chiffres pour constater que notre pays dispose d'atouts considérables. Son attractivité, en premier lieu, pour les hommes et pour les capitaux. Ce n'est pas un hasard si depuis trois décennies la France compte parmi les premières destinations d'investissement au monde. En 2010, elle se situe une nouvelle fois loin devant tous les autres pays européens, y compris le Royaume-Uni, y compris l'Allemagne, à la troisième place mondiale derrière les Etats Unis et la Chine. Est-ce un hasard si comme le signale M. Lorenzi, "la moitié des dirigeants des entreprises étrangères considèrent la France comme une destination attractive" ?  Sa natalité, presque surprenante, qu'on a longtemps mis en relation - parce qu'elle déparait avec le discours décliniste ambiant - avec l'immigration, alors qu'on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. L'efficacité et l'esprit d'innovation, et ce goût du travail, "qui est bien réel", selon M. Lorenzi,  "mais que l'on cache derrière un écran idéologique, un mythe, qui consiste à dire que la France est un pays d'assistés". Que dire enfin de "cet appétit de bonheur", de ce goût de vivre qui étonnent encore aujourd'hui les touristes qui nous visitent ? Et de ce "style  de vie" qui survit à toute les offensives de la culture et des médias d'outre-atlantique ?  Autant de signes de vitalité qui ne trompent pas.
La deuxième conviction de M. Lorenzi est que la France n'a pas les élites qu'elle mérite. Si le fonds de la nation est actif, entreprenant, innovant, une grande partie de la classe politique et des milieux dirigeants économiques ne croient plus dans l'avenir du pays. Cette caste vieillissante, sans talent, improductive, est aussi sans mémoire et sans culture. Formée dans les mêmes écoles de la République, race d'héritiers et de rentiers, fils d'énarque et petits-fils d'archevêques, leur hantise est que la France finisse par se réveiller alors qu'ils ont oublié de parier sur elle. C'est au sein de ces pseudos-élites que se recrutent les dénigreurs et ceux qui font le lit des dénigreurs. Alors que les Français ont besoin de confiance et d'optimisme, "d'un optimisme appuyé sur un projet", on leur sert depuis  trop longtemps le mythe d'une "France inactive, sclérosée, dépassée", à l'image de leurs dirigeants.
Troisième conviction : si la France ne manque pas d'atouts, elle manque d'un projet. "Il faut favoriser l'arrivée des jeunes sur le marché du travail, supprimer les CDD et assurer un peu plus de fexibilité à un code du travail qui est un capharnaüm", plaide Jean-Hervé Lorenzi. "Il faut diminuer notre dette de 30 milliards d'euros par an, tout en trouvant 30 milliards d'euros à investir dans les secteurs d'avenir. Autrement dit, remettre à plat le marché du travail et favoriser l'épargne longue", continue-t-il. Certes, pourquoi pas, et si nous ne sommes pas dupes des discours équivoques sur le code du travail, l'évocation d'une économie de production et d'innovation est assez pour nous séduire. Mais sera-ce suffisant ? Le président du Cercle des Economistes n'évoque pas - semble -t-il - les contraintes internes et externes qui pèsent aujourd'hui sur la production française : l'inefficacité et la frilosité d'un système bancaire qui est tout sauf au service des producteurs et des entrepreneurs, une monnaie unique qui pèse sur notre compétitivité au plus grand avantage de l'Allemagne et de ses banques, une Europe sans frontières qui ruine par avance nos efforts d'innovation et de développement technologique. Nous y ajouterions volontiers la question politique, celle de la stabilité de nos institutions, celle de la décentralisation, même si nous sortons des limites que M. Lorenzi a voulu donner à son étude.
L'initiative du Cercle des Economistes en rejoint d'autres qui cherchent, elles aussi, à faire bouger les lignes et à nous extraire du prêt à penser libéral et anglo-saxon. On pense, bien sûr, aux analyses décapantes d'Emmanuel Todd et de Jacques Sapir contre les versions modernes du libre échangisme. On pense à celles de Jean-Luc Gréau contre le consumérisme et en faveur, lui aussi, d'un protectionnisme européen. Il n'empêche. M. Lorenzi et son équipe attaquent sur un nouveau front. Ils ont le mérite de susciter l'enthousiasme et d'ouvrir la voie à d'autres développements. On signale déjà le livre de Karine Berger et de Valérie Rabault, les Trente glorieuses sont devant nous [2], qui s'inscrit dans la même veine et dont nous rendrons compte prochainement. D'ici là, ne boudons pas notre plaisir et célébrons comme il convient la mise en terre du déclinisme [3].
Henri Valois.
 

[1]. Jean-Hervé Lorenzi, Le fabuleux destin d'une puissance intermédiaire. (Grasset, 2011)
[2]. Karine Berger et Valérie Rabault, Les trente glorieuses sont devant nous. (Ed. Rue  Fromentin, 2011)
[3]. En réalité, la bande des déclinistes s'est déjà dispersée. Minc, qui  joue les astrologues à l'Elysée, vient de publier un curieux petit livre où il fait finalement l'éloge du modèle social européen. Attali continue à faire des piges pour le gouvernement, ce qui ne lui laisse plus le temps pour écrire quoi que ce soit. Eric Le Boucher, qui a senti le vent tourner, donnait hier aux Echos  une critique élogieuse du livre de Jean-Hervé Lorenzi. Reste Baverez. Il poursuit ses ratiocinations au Figaro et au Point sur le déclin économique de la France. Baverez finira seul et ses diatribes n'interesseront bientôt plus que les revues confidentielles du patronat et la presse allemande. Pauvre Baverez !  Comment a-t-il pu gacher aussi vite aussi peu de talents ?
     
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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 04:48
Les conditions du renouveau
 
Les éditions L’Harmattan viennent de rééditer deux ouvrages majeurs de Georges Sorel (Introduction à l’économie moderne [1], La décomposition du marxisme [2]) que nous ne saurions trop recommander à ceux de nos lecteurs qui désirent se familiariser avec l’œuvre du grand philosophe social.
L’Introduction à une économie moderne (1903) donne un aperçu assez complet des idées de Sorel sur l'évolution des sociétés industrielles. Dans le prolongement des thèses de Proudhon, il émet l’intuition que c’est l’innovation, l’esprit technique et donc l’intelligence humaine qui sont désormais au cœur du process de production, et non plus les facteurs de production classiques que sont le capital et la quantité de travail. L’ouvrier, le technicien, l’ingénieur, l’apporteur d’innovation, l’artiste sont les composantes d’une nouvelle classe de producteurs à qui l’avenir appartient. La lutte des classes n’est plus simplement l’expression d’une guerre entre dominants bourgeois et dominés prolétariens, ni la conséquence – comme le pensait certains marxistes orthodoxes – des contradictions du capitalisme. C’est un conflit entre la classe montante, celle qui est la mieux à même  de faire fructifier la production - du point de vue économique mais aussi de son utilité sociale - et la classe possédante, qui n’envisage la production que du strict point de vue du capital qu’elle y a investi. Sorel trouve ici l'occasion de développer et d'actualiser les concepts d’aristocratie ouvrière et de producteurs libres, chers à Proudhon.
On y trouve également de premiers développements autour de l’idée de "mythe" révolutionnaire. Sorel, toujours préoccupé du passage de l’idée à l’action, s’interroge sur la meilleure façon d’entrainer les classes productives vers le socialisme. Les théories les plus savantes, les modèles les plus séduisants n’ont que peu d’emprise sur le mouvement social. Marx lui-même n’a-t-il pas créé de toutes pièces sa vision catastrophiste de l’histoire – schéma simple, presque simpliste de l’avenir – pour aiguillonner les esprits et provoquer un ralliement massif aux thèses de la révolution ? Sorel fait sur ce point le parallèle avec ce que dit Vico de la vieille sagesse populaire : elle exprime souvent, par le conte, le mythe ou la tradition, des vérités qui ne s’imposeront scientifiquement que beaucoup plus tard, lorsque les concepts pour les comprendre auront été trouvés. On sait que Sorel proposera quelques années plus tard de faire de la grève générale ce mythe capable de mettre en mouvement les classes productives.
Il y a enfin dans l’Introduction à une économie moderne quelques belles pages sur l’Etat et sur la démocratie. On connait les préventions de Sorel, rejoignant là encore son maître Proudhon, vis-à-vis de l’étatisme et du jacobinisme. A l’Etat « idéaliste », volontariste, éducateur, qui intervient de façon tatillonne et très souvent inefficace dans le champ de l’économie et de l’organisation sociale, Sorel préfère un Etat « fonctionnel », arbitre, indépendant, qui veille aux équilibres sociaux et à l'élimination des obstacles au progrès. C’est aux syndicats de producteurs, organisés par groupes d’entreprises, branches ou filières, de prendre l’initiative en matière économique et de gérer les instruments de la solidarité sociale. C’est aux régions et aux communautés territoriales de veiller à ce que la production trouve les conditions favorables à son épanouissement sur l’ensemble du territoire. Sorel manifeste ici sa méfiance vis-à-vis de la démocratie, d’une politisation de l’Etat par les partis qui porte atteinte à la probité des fonctionnaires et favorise le népotisme. Des remarques qui conservent aujourd’hui leur pleine actualité.
Quant à la Décomposition du marxisme, publiée en 1908, la même année que les Réflexions sur la Violence, elle met en ordre l’ensemble des critiques adressées par Sorel, moins d’ailleurs à Marx lui-même dont il soutiendra jusqu’au bout les intuitions, qu’aux épigones français et allemands de Marx. Plus datée que l’ouvrage précédent, notamment parce qu’elle rentre dans le détail des débats qui agitaient les milieux socialistes en ce début de siècle, la Décomposition du marxisme a le mérite de présenter les arguments de Sorel contre ceux, Jaurès en tête, qui cherchaient à rallier le socialisme à la démocratie bourgeoise et à le transformer en parti politique. « L’expérience nous apprend que la démocratie peut travailler efficacement à empêcher le progrès du socialisme, en orientant la pensée ouvrière vers un trade-unionisme protégé par le gouvernement. », dit Sorel. Il ne serait sans doute pas autrement surpris de voir ce que les héritiers de Jaurès ont fait de l’idée socialiste en France, sous sa forme social-démocrate comme sous sa forme communiste.
Cette longue digression sur ces deux livres nous donne l’occasion de répondre sur le fond au billet publié il y a quelques semaines par nos amis du Lyon Royal, sous le titre « Révolution syndicaliste, autogestion et en attendant… ». Pour la clarté de la discussion, ce texte est redonné en fin de notre article.
Le texte du Lyon Royal tire le bilan des grèves de l’automne et il lance un certain nombre de pistes théoriques et pratiques pour l’action à mener en 2011. Disons d’emblée que cette contribution nous a fortement réjouis. On aura compris pourquoi à la lecture de ce qui précède et on le comprendra mieux encore à l’aune de ce qui va suivre :
 
1.    Nos amis du Lyon Royal ont raison d’affirmer que les grèves de cet automne ont marqué plus qu’une méfiance vis-à-vis de l’Etat et de l’idée que l’Etat devait être au cœur du processus de transformation. Nous pensons même que ce mouvement s’est constitué contre les initiatives intempestives de l’Etat dans le champ social. Un grand nombre de Français considèrent aujourd’hui que la question des retraites devrait relever exclusivement des partenaires sociaux et, en premier lieu, des syndicats de travailleurs. Les promesses faites par M. Fillon et M. Sarkozy de respecter scrupuleusement le dialogue social et ses résultats n’ont pas été tenues. Pire encore, le texte sur les retraites n’a donné lieu à aucune discussion sérieuse, organisée avec les représentants des salariés. C’est cette main mise du pouvoir sur la société que les Français n’acceptent plus. Et c’est d’abord pour cela que beaucoup d’entre eux sont descendus dans la rue en octobre dernier.
2.    Cette remarque vaut aussi et plus largement pour l’ensemble des dispositifs relevant de l’organisation du travail ou de la solidarité. Nous avons cru, nous aussi, que des réformes législatives pourraient durablement changer la vie des plus modestes, notamment en matière de réduction du temps de travail. Force est de constater que ces textes législatifs, mal montés, mal concertés, politisés à l’extrême dans un sens comme dans un autre, sont largement passés à côté de leur cible. Que l’on prenne l’exemple de nos voisins, et notamment de ceux qui présentent des modèles sociaux plus avancés que le nôtre, on constatera que, chaque fois, le consensus s’est construit par la volonté des partenaires ou par le rapport de force social, l’Etat jouant le rôle de facilitateur, jamais de promoteur. Notre soit-disante « démocratie sociale » ne fonctionne pas parce qu’elle n’a rien de sociale et qu’elle cumule par contre toutes les tares de la démocratie politique.
3.    Le Lyon royal a également raison de dire que la remise en marche de la société passe par une révolution dans le syndicalisme. Rien ne sera possible tant que le rapport de force actuel existera entre monde du travail et détenteurs du capital. Il est illusoire de penser qu’on peut faire significativement bouger la société dans le sens d’un meilleur partage des richesses et des responsabilités sans un syndicalisme fort. C’est-à-dire un syndicalisme rassemblé, et non plus émietté en une poussière d’appareils qui ne représentent plus, pour certains, qu’eux-mêmes. Un syndicalisme modernisé, offensif, constructif et pragmatique, force de propositions dans l’ensemble du champ économique et social, qui ne se cantonne plus à la défensive, à l’obstruction et à la protestation. Un syndicalisme puissant, largement représentatif des salariés dans leurs filières et leurs métiers, enraciné territorialement. Ce qui suppose très certainement d’instaurer en France, comme c’est déjà le cas dans des pays socialement plus avancés, l’obligation de se syndiquer.
4.  Enfin nous faisons complètement nôtre l’idée que la révolution sociale doit être autogestionnaire et entrepreneuriale. Ce qui signifie qu’elle doit s’adresser à l’ensemble des producteurs, ouvriers, employés, agriculteurs, ingénieurs, innovateurs, artistes, avec la conviction que c’est le travail, l’intelligence humaine, l’esprit d’innovation et d’organisation qui fait la richesse des nations. Ce qui signifie également que la question du capital financier, du drainage de l’épargne nationale, de la propriété publique (ou collective) du crédit doit être d’urgence reposée, de même que celle d’un contrôle efficace du capital étranger. Ce qui signifie enfin que l’organisation du travail, c'est-à-dire le statut de l’entreprise elle-même, doit profondément évoluer et s’inspirer du modèle coopératif qui permet au producteur de tirer de son travail le meilleur de lui-même.  
5.    C’est ce projet, syndicaliste, autogestionnaire et fédéraliste, que nous appelons nous aussi de nos vœux. L’équipe de la Revue critique est prête à y travailler avec d’autres, dans le cadre, pourquoi pas, d’Etats généraux du peuple de France.
Henri Valois.
 
 
Révolution syndicaliste, autogestion, et en attendant ...

  Depuis trop longtemps l'idée de révolution a été réduite à la main mise sur l'Etat et de l'Etat au risque de ne plus voir que le cœur du pouvoir réside dans l'économie qui entraine la machine sociale, hiérarchise la société et met en œuvre la violence sociale dans le travaille logement, se paie en chômeurs aussi bien qu'en profit.
C'est lorsque apparaisse par la grève des remises en cause de cette mécanique d'exploitation que l'Etat menace ou met en œuvre la violence des gens d'armes: réquisition, intervention des forces armées viennent briser les grèves qui entravent les affaires.
Ainsi trompé par des discours opportunistes, par des politiciens dont l'opinion fluctue au gré des marchés, nous avons pu croire que des réformes législatives pourraient contribuer à changer durablement la vie des populations modestes, à l'amélioration des conditions de vie des salariés. Santé, éducation, réduction du temps de travail (35 Heures et retraites).
Aujourd'hui nous faisons le terrible constat de ces illusions perdues, les réformes législatives peinent à assurer le bien être de plus d'une génération, l'économie que nous avons cru pouvoir faire d'une révolution de l'organisation industrielle et financière, des rapports sociaux et des institutions se paie d'un retour de la misère, du chômage de masse, de la précarité grandissante de nos vies.    
La révolution sociale à laquelle nous devons aspirer doit être autogestionnaire et entrepreneuriale, visant à la reconstitution du tissu industriel et agricole mis à mal par la spéculation, la révolution sociale à laquelle nous devons nous préparer ainsi que nos organisations syndicales. Voilà quelques uns des principes que je voudrais défendre sur ce blog dans les mois à venir.
Le principe d'une révolution populaire qui viendra s'articuler avec la convocation d'Etats généraux du peuple de France, voilà le projet du Lyon Royal actualisé en ce début d'année 2011. 

Le Lyon Royal du 3 janvier 2011.


[1]. Georges Sorel, Introduction à l’économie moderne. (L’Harmattan, novembre 2010, 385 p.)
[2]. Georges Sorel, La décomposition du marxisme. (L’Harmattan, novembre 2010, 67 p.)

 

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1 janvier 2011 6 01 /01 /janvier /2011 19:27

« L’imposture climatique » et l’indignation des belles âmes

 

Luc Ferry a publié dans Le Figaro du 20 octobre dernier une superbe chronique qui nous a complètement échappé. Nous la donnons intégralement ci-dessous. Ferry y défend courageusement  Allègre contre les mystificateurs du "changement climatique". Il plaide pour une écologie sérieuse, raisonnée et responsable, qui cherche à répondre aux priorités du moment - la malnutrition et l'accès à l'eau, premiers fléaux de la planète -  en ne cédant ni à  la peur, ni à l'ignorance, ni à la pression médiatique. Ce texte, plein d'intelligence, empreint de cette ironie mordante qui fait l'esprit français, doit être lu et largement diffusé. On notera qu'il s'agit d'un texte positif, offensif qui confirme la profonde  évolution qui se fait jour dans les milieux universitaires et intellectuels  vis-à-vis de l'écologie politique et de ses dérives idéologiques. En cette fin d'année 2010, voilà encore un signe encourageant du retour de l'esprit critique !

Paul Gilbert.

 

Claude Allègre, après la tempête déclenchée par son livre, L'Imposture climatique, a décidé de renouer avec des actions positives en créant une fondation pour l'écologie. Il m'a demandé d'en faire partie. J'ai accepté et, depuis lors, je suis assailli par une cohorte d'indignés qui m'incitent ardemment à ne pas m'afficher avec un homme aussi politiquement incorrect. Corinne Lepage a publié sur son blog un édito rageur qui dénonce cette connivence coupable et accuse mon propre livre, Le Nouvel Ordre écologique, d'avoir fait « perdre vingt ans » aux progrès de l'écologie politique en France. Rien que ça ! C'est me faire beaucoup d'honneur.

C'est surtout se tromper du tout au tout sur le sens de mes interventions. Loin de lui être hostiles, elles en appellent au contraire à la création d'une écologie scientifique et humaniste enfin débarrassée des oripeaux du gauchisme. Comme Allègre n'a cessé de le dire, le terme « d'imposture » ne visait dans son esprit ni les écologistes authentiques ni a fortiori les scientifiques. Il portait sur deux points - et dans les deux cas, je suis convaincu qu'il a raison. C'est donc sans le moindre état d'âme que je persiste et signe. Voici pourquoi.

En premier lieu, il me semble en effet aberrant de prétendre prédire le climat général de la planète dans un siècle, attendu que nous n'avons pas la moindre idée de l'état de l'humanité dans trente ans. Y aura-t-il eu des guerres, des progrès démocratiques ou technologiques insoupçonnés, de nouvelles sources d'énergie découvertes ou mises au point ? Nul n'en sait rien. On objectera que c'est justement pour ça qu'il faut appliquer le principe de précaution. Erreur funeste. Il faut au contraire innover, inventer, prendre des risques intellectuels et politiques comme jamais.

Pourquoi ? Mais parce que, de toute façon, nous n'avons, nous les Européens, aucun moyen ni aucun droit d'empêcher l'Inde et la Chine d'entrer, comme nous l'avons fait nous-mêmes sans vergogne, dans l'ère de la consommation de masse. Ce n'est pas en saccageant la recherche sur les OGM ni en limitant notre développement qu'on sauvera la planète, car nous ne stopperons pas le leur, mais en inventant des moyens de les aider à le conduire sans dévaster le monde. On objectera que c'est un pari risqué. Sans doute. J'affirme seulement que de là où nous sommes, c'est-à-dire en Europe, il n'en est rigoureusement aucun- autre. Il est absurde d'imaginer que, de Paris ou de Bruxelles, nous allons freiner la croissance des nouveaux entrants. Or c'est pourtant là l'essentiel du problème. Si une chose est juste dans le Grenelle cher à Jean-Louis Borloo, c'est bien celle-ci : c'est en intégrant l'écologie à l'économie, en investissant dans la recherche et l'innovation qu'on protégera l'Univers, pas en nous infligeant des taxes ni en cultivant le mythe de la décroissance.

Dans ces conditions, et telle est la seconde imposture pointée par Allègre, c'est une faute de persuader nos dirigeants que la priorité des priorités réside dans le changement climatique. Un enfant meurt de malnutrition toutes les six secondes. Cela se passe aujourd'hui, ici et maintenant, sans que nos politiques s'en émeuvent. Mais pour en rester à la seule écologie, la question démographique et celle de l'eau sont à l'évidence autrement plus urgentes que celle du climat. Pourquoi laissent-elles de marbre nos dirigeants, alors que les travaux du Giec réunissent une centaine de chefs d'État à Copenhague autour de l'avenir du protocole de Kyoto ? Face à cette logique médiatico-politique exorbitante, tous les autres sujets semblent avoir disparu comme par magie. Est-ce raisonnable ? C'est ici toute la question de la hiérarchisation des priorités en matière d'écologie qu'il faut reprendre à la racine.

Devant ces distorsions de la réalité, la question décisive est la suivante : jusqu'à quand allons-nous continuer à accepter que l'écologie soit guidée au seul radar de l'émotion médiatique ? Qu'il y ait eu, de part et d'autre, des maladresses et des excès est bien possible, et sans doute regrettable. Du reste, Claude Allègre n'en fait pas mystère : son combat pour rouvrir une discussion qui était verrouillée est maintenant derrière lui. Depuis plus de vingt ans, nous plaidons l'un comme l'autre pour une réconciliation de l'écologie, de la démocratie et de la science. Là est l'essentiel, et sur ce terrain, je vois mal à quel titre les écologistes et les scientifiques authentiques pourraient ne pas nous rejoindre.

Luc FERRY, Le Figaro du jeudi 21 octobre

 

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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 23:09
Cette révolution qui vient lentement…
 
Les analyses de Marcel Gauchet ne laissent jamais indifférents. Celle qu’il a livrée dimanche dernier au Monde sur l’affaire Woerth/Bettencourt retiendra tout particulièrement l’attention de nos lecteurs [1]. Oui nous sommes en présence de quelque chose qui va bien au-delà du banal fait divers politique et qui ébranle tout le système sarkozien. Comme le dit Gauchet, avec les mots justes, le chef de l’Etat « paye la facture de la crise » et des errements qui nous ont conduits en moins d’un an du « travailler plus pour gagner plus » à l’austérité et au gel des salaires. La désaffection de l’opinion est profonde, d’autant plus profonde que tout cela se stratifie avec d’autres affaires, celle de l’EPAD, celle du bouclier fiscal, celle de la récente loi sur l’autorisation des jeux en ligne… « Tout prend en masse », confirme Gauchet, « de la nuit du Fouquet’s aux diverses affaires qui ont émaillé la vie du gouvernement ces derniers mois, comme s’il s’agissait d’une seule et même chose. La manipulation des images est beaucoup plus dangereuse qu’elle n’en a l’air. Ce que nous voyons à l’œuvre, c’est l’adaptation d’une maxime évangélique «  Qui se sert de l’image périra par l’image. » » Sarkozy périra par là où il a pêché.
Mais ce n’est pas au seul chef de l’Etat qu’est imputable cette désillusion, même s’il est le révélateur de tout un système. Comme le décrit parfaitement le rédacteur en chef du Débat, « l’épisode réactive un contentieux larvé entre le peuple et les élites. (…) En France, les élites (un mot que je n’aime pas mais il n’y en a pas d’autres) ont une haute opinion d’elles-mêmes et ne se rendent pas compte du fossé qui les sépare de la population. Elles entretiennent à son égard un mépris bienveillant. Elles veulent son bien, mais elles estiment que leurs mérites éminents doivent être récompensés ». Cette France des abus et des privilèges indus ne connaît pas de frontières, elle sévit dans le public comme dans le privé, elle est aussi bien de droite que de gauche, même si, comme le rappelle Gauchet « il y a plus de connivences avec les puissances d’argent à droite et plus de systèmes de distribution de postes à gauche ». Différence qui a d’ailleurs tendance à s’estomper : depuis Mitterrand, notre oligarchie a pris l’habitude de prendre et les postes et l’argent.
Comment qualifier l’état de l’opinion ? « Il y a une révolte sourde et un sentiment de distance radicale à l’égard du personnel dirigeant » analyse Gauchet. Le climat moral de la société française est dépressif et blasé. Une France fatiguée, presque assommée par une crise qui prend la suite de tant d’autres, pronostiquait il y a quelques mois, dans un rapport remarqué, M. Delevoye, le médiateur de la République. Une France qui n’a pas non plus en tête de solutions toutes faites, d’alternatives face à une crise économique, politique et morale dont elle perçoit la profondeur. Pour autant, conclut Gauchet, le climat de la société française n’est pas révolutionnaire : « Pour qu’il y ait révolution, il faut qu’il y ait un programme révolutionnaire », affirme-t-il avec Lénine. Or, ce programme pour l’instant n’existe pas.
« Pas si sûr !», rétorque sur son blog notre ami Bertrand Renouvin [2]. S’il partage complètement les analyses de Marcel Gauchet, il ne se retrouve pas dans sa conclusion pessimiste. Renouvin exprime au contraire le sentiment qu’un programme révolutionnaire existe. Ou du moins qu’il commence à prendre forme. Les propositions convergentes d’économistes, de sociologues et d’historiens comme Emmanuel Todd, Jean-Luc Gréau ou Jacques Sapir dessinent les bases d’une « nouvelle école » dont la voix se met à porter à l’université et dans les médias. Cette nouvelle école n’est pas seulement française. Elle se nourrit du renouveau de la pensée critique qui s’est fait jour depuis une dizaine d’années aux Etats Unis et en Europe et sert de support aux mouvements altermondialistes et anticapitalistes qui fleurissent un peu partout dans le monde. Pour Renouvin, le manifeste qu’a publié, il y a quelques semaines, Jacques Sapir sur Marianne 2 [3] , contient tous les ingrédients d’un changement de cap radical. La question n’est plus de savoir où sont les idées à défendre mais qui est capable de les imposer.
A notre tour de dire que nous ne partageons pas le point de vue, trop optimiste, de Renouvin. Et cela pour trois raisons.
Les idées de Jacques Sapir, aussi séduisantes et justes qu’elles soient, ne suffisent pas à faire un programme révolutionnaire. Les mécanismes régulateurs qu’il propose, et en premier lieu la mise en place de barrières protectionnistes « intelligentes » aux frontières de l’Europe, ouvriront certainement une période de pause qui peut permettre l’érection d’un autre modèle économique et social, tant il est vrai que l’on ne construit pas sous un bombardement. Mais quel modèle ? Il manque au programme de Sapir une réflexion sur le travail, sur les modes de production, sur le type de croissance qu’il faudrait privilégier, sur les conditions d’émergence d’une société fondée sur le savoir, sur la création, sur l’innovation. Il manque également à ce programme une dimension sociale ; aucun progrès social ne sera durable sans une politique de salaires élevés, sans de nouveaux rapports de force entre salariés et patronat c'est-à-dire sans un syndicalisme de masse, sans une volonté « d’aérer » la société par l’éducation permanente, la promotion de nouvelles classes sociales, la régionalisation, la modernisation en profondeur de nos services publics. Il manque enfin au programme de Sapir une dimension politique : la question de l’Etat n’y est qu’effleuré alors qu’elle est centrale et qu’on ne fera pas l’économie de la question d’un autre Etat et d’une autre démocratie ; la question du projet européen n’apparait qu’en filigrane, alors qu’elle est, elle aussi, essentielle. Sur tous ces sujets, la copie reste à écrire, beaucoup de choix stratégiques sont encore à faire, même s’il est vrai que les principaux ingrédients sont disponibles.
Quand bien même le programme serait-il écrit, qui peut sérieusement penser que ce sont les idées seules qui font les révolutions ? Les hommes doivent y prendre toute leur part, même si Gauchet a raison de dire « qu’on se met en route au nom d’une espérance, d’une vision de l’avenir, d’un sentiment que d’autres solutions sont à portée de main ». Ces hommes, ce sont les Français d’aujourd’hui. Mais quels Français ? La société dépressive, révoltée, sans certitude que nous décrit Marcel Gauchet et qui correspond sans nul doute à une part de réalité ? Ou ces Français qui se battent avec ténacité, avec courage, parfois avec violence, lorsqu’on licencie sans cause, lorsqu’on ferme ou qu’on délocalise leurs usines, lorsque la lie d’un certain patronat multinational ne paye plus les salaires, méprise le droit, part avec la caisse. Le niveau de conscience politique, syndical a incontestablement atteint un point très bas en 2007 avec l’élection de Sarkozy. Ce niveau remonte. On sent depuis quelques mois que la mobilisation des salariés se fait plus forte à l’occasion de grandes causes sociales comme les retraites ou lorsque des échéances électorales se présentent. Le climat est-il pour autant révolutionnaire ? Non, pas encore.
On ne vendra pas aux Français n’importe quelle révolution. Tout dépendra des idées, de leur justesse, de leur réalisme, mais aussi de leur générosité, de leur humanité. Si la France se montre aujourd’hui aussi hésitante, aussi peu sûre d’elle-même dans les choix qui conditionnent son avenir, c’est sans doute parce que le XXe siècle l’a vacciné contre les grands soirs qui ne débouchent sur rien, sinon sur plus de misère et sur plus de larmes. Qu’on se le dise, les Français d’aujourd’hui ne sont prêts à aucune aventure totalitaire, aucun populisme rouge, brun ou noir, aucune nuit des longs couteaux, aucune guerre des uns contre les autres. Leur révolution, si révolution il y a, ressemblera plus à mai qu’à octobre ; elle balayera des pensées mortes, des idées fausses, elle abattra des structures vermoulues, mais le pays en sortira intact et même plus fort. Tout dépendra aussi des hommes et en premier lieu de ceux qui seront à la tête du mouvement. Force est de constater qu’ils ne sont pas encore sur nos écrans de contrôle. On n’y trouve pour le moment que quelques imposteurs : Villepin, Bayrou, Melenchon, Besancenot, Chevènement…  Ce n’est pas avec cette fausse monnaie des vieux partis républicains que l’on construira demain quoi que ce soit de fort et de nouveau. L’heure des grands hommes n’a pas encore sonné.
Non, cher Bertrand Renouvin, le fond de l’air n’est pas encore révolutionnaire. Beaucoup de chemin reste à faire, des idées sont à développer, à enrichir, des projets sont à construire. La mort du sarkozysme, que Marcel Gauchet prévoit implicitement en 2012, ne sera sans doute qu’une étape de la renaissance française que nous appelons de nos vœux. Selon le mot de Churchill, ce n’est sans doute ni la fin, ni même le commencement de la fin. Mais peut-être la fin du commencent.  Et pour reprendre une formule d’un vieux penseur, léniniste à ses heures, que nous avons beaucoup pratiqué dans notre jeunesse folle, l’heure n’est pas encore à l’émeute, elle est à la discussion, mais elle est maintenant aussi à l’organisation. Organisons nous.
Paul Gilbert.
 

[1]. Entretien avec Marcel Gauchet, « L’affaire Bettencourt réactive le contentieux entre le peuple et les élites », Le Monde des 18 et 19 juillet 2010.
 
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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 07:47
Sorel et notre temps
 
Dans une période où la démocratie crapote, où la pensée ronronne souvent autour des mêmes vieilles thèses, quelle cure d'altitude que la lecture de Georges Sorel ! Il a décidemment tout vu et les fulgurances parfois un peu obscures de son maître, Proudhon, sont - retranscrites par lui - d'une clarté parfaite. Qu'on en juge par les quelques extraits qui suivent, où Sorel règle ses comptes avec ses ennemis intimes, la démocratie bourgeoise, le jacobinisme et la ploutocratie.

"Le régime républicain révé par Proudhon ne sera peut-être jamais réalisé; mais il est bien vraisemblable que le suffrage populaire cesserait d'être une malédiction si les citoyens étaient animés d'un esprit vraiment républicain, c'est-à-dire s'ils règlaient leurs relations économiques suivant des modes regardés comme équitables, au moins en gros, s'ils avaient une longue pratique des libertés politiques et s'il n'existait plus chez eux d'idée de conquête; aucune raison ne nous porte à supposer qu'une telle nation aurait du être éduquée par des démocrates. Dans la Justice, Proudhon a reconnu que la monarchie constitutionnelle peut présider à l'évolution d'une société vers un état de droit et de liberté; bien qu'il est souvent dénoncé les vices de la démocratie, toujours hallucinée par la vision de la raison d'Etat, il lui aurait été extrêmement pénible d'avouer qu'il avait eu tort d'espérer si longtemps une transmutation républicaine de la vie démocratique; c'est, je crois à cause de cela qu'il n'osa point achever ses Considérations politiques où cet aveu redoutable est maintes fois sous-entendu.  Dans le fragment publié après sa mort, Proudhon signale l'extrême fragilité avec laquelle on passe de la démocratie au despotisme et réciproquement ; "et chose désolante, ... ajoute-t il, on a remarqué que les plus fougueux démocrates sont d'ordinaire les plus prompts à s'accomoder du despotisme et réciproquement que les courtisans du pouvoir absolue deviennent à l'occasion les plus enragés démagogues."; dès lors, comment espérer que la démocratie nous amène à la république?" [1]
"Le plus grave grief que j'ai peut-être contre la démocratie est qu'elle travaille à tourner la tête de l'homme du peuple, depuis son enfance, dans le sens d'une soumission aux demi-lettrés. Une révolution conduite par des chefs fait retomber les masses sous des dictatures souvent plus dures et presque toujours moins nobles que n'étaient les gouvernements qu'ils ont renversés." [2]
"Je confondais ici l'utopie philosophique de la démocratie, qui a enivré l'âme de nos pères, avec la réalité du régime démocratique, qui est un gouvernement de démagogues; ceux-ci ont intérêt à célébrer l'utopie, afin de dissimuler aux yeux du peuple la véritable nature de leur activité. Ils arrivent d'autant plus facilement à créer des illusions favorables à leur tyrannie qu'ils font passer dans le droit quelques formules assez analogues à celles de l'utopie. Les réformes juridiques leur sont utiles pour ruiner les anciennes structures qui favorisèrent le prestige des autorités sociales, dont les démagogues veulent à tout prix se débarrasser." [3]. Pour Sorel, le concept d'autorités sociales, emprunté à Le Play, visent les associations et collectivités qui devraient structurer la vie sociale du pays, mais aussi et surtout les syndicats. 
" De tous les gouvernements, le plus mauvais est celui où la richesse et les capacités se partagent le pouvoir. Les préjugés de la plupart de nos historiens contre la noblesse leur ont fait fermer les yeux sur les vices des constitutions ploutocratiques. Dans ce régime, l'orgueil de la race n'existe plus: il faut arriver (...) Le succès justifie tout : pas une idée morale."[4]. Belle définition de la classe politique qui nous dirige !


[1]. G. Sorel, Matériaux d'une théorie du prolétariat. (Rivière, 1921)
[2]. G. Sorel, Lettre à Mario Missiroli du 6 mai 1910, in Da Proudhon a Lenin (Ed. di storia et letteratura, 1973).
[3]. G. Sorel, Matériaux d'une théorie du prolétariat. (Rivière, 1921)
[4]. Georges Sorel, Le Procès de Socrate. (Alcan, 1889)
 
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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 18:42
Un ouvrage rafraîchissant                                        

 

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Qu’il nous parle du libéralisme[1] ou de George Orwell [2] - cet écrivain dont les œuvres complètes s’empilent probablement sur sa table de chevet - Jean-Claude Michéa, bien que féroce, est toujours un auteur d’une très agréable compagnie. Et ce n’est certainement pas la lecture de son ouvrage consacré au ballon rond, fraîchement réédité [3], qui nous fera changer d’avis. En effet, une fois le livre refermé, la réflexion qui nous vient naturellement est bien la même qu’à l’accoutumée : que n’a-t-on lu plus tôt les pages que nous venons tout juste de dévorer, presque d’une traite !

De quoi est-il question dans ce qui, vraisemblablement, se veut plus une préface à un livre de référence d’Eduardo Galeano [4], suivie de délicieux extraits dudit ouvrage, qu’un essai au sens strict du terme ? Pour l’essentiel, du mépris du « public qui s’estime cultivé »  pour la « grande messe païenne » (Eduardo Galeano) que constitue le football. Bref, de « la haine des intellectuels dès lors qu’il est question de ce jeu ».

Pourquoi ceux-ci le vouerait-il autant aux gémonies ? A lire Michéa, particulièrement convaincant, parce que ce dernier incarne « le sport populaire par excellence », qui n’a pas eu « le bon goût de s’éloigner de ces origines compromettantes ». Parce que nos modernes bien-pensants ne comprennent pas l’inutilité qui, aux origines, lui était consubstantielle. Parce qu’ils ne comprennent rien au peuple, qu’ils ne méprisent jamais mieux qu’en se gaussant de ces « beaufs » et de ces « Deschiens », qu’ils prennent, à tort, pour sa quintessence.

Est-ce « cette incapacité viscérale des intellectuels à comprendre de l’intérieur une passion populaire » qui interdit à ces mêmes intellectuels « de critiquer avec toute la radicalité requise les monstrueuses dérives du football contemporain » ? Sur ce point, comme sur les autres, la conviction de Michéa, on ne peut plus trempée, méthodiquement forgée, est formulée sans fioritures. Et si d’aventure certains de nos lecteurs désiraient la connaître, on ne saurait trop leur recommander, surtout en cette période estivale, la lecture proprement rafraîchissante de ce bel ouvrage.

Leon Degraeve.

 


[1]. Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith. Brève remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche. (Climats, coll. « Sisyphe », 2002),  Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale. (Flammarion, coll. « Champs essais », (2007 2010), Jean-Claude Michéa, La double pensée. Retour sur la question libérale. (Flammarion, coll. « Champs essais », 2008).
[2]. Jean-Claude
Michéa, La société décente. (Climats, coll. « Sisyphe », 1999), Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, (Climats, coll. « Sisyphe », 2000), Jean-Claude Michéa, Orwell éducateur. (Climats, 2003).

[3]. Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond. A propos d’un livre d’Eduardo Galeano. (Climats, (1998) 2010)

[4]. Eduardo Galeano, Football, ombre et lumière. (Climats, 1997).
   

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:42
Réinventer la Perse                                         

 

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Après Dieu est américain et L’Apocalypse russe, Jean-François Colosimo poursuit sa réflexion sur les rapports entre théologie et politique dans Le Paradoxe persan [1]. L’Iran, « un monde monolithique où les ocres ardentes de la terre se mêlent à l’incendie rougeoyant du ciel », devait nécessairement figurer sur son parcours : c’est ici que l’islam fut « historicisée » ; c’est ici que fut inventée la « mise sous tutelle théologique du politique ».

Mais l’histoire de l’Iran excède celle de l’Islam : bien avant la naissance du prophète, la Perse rayonnait  au-delà de ses frontières. Ispahan  était connu de tous. Cette grandeur passée hante toujours l’esprit des Iraniens. Comme le rappelle Richard Nelson Frye, spécialiste de l’Asie centrale: « [Reza Chah] a instauré, dit-on, une culture artificielle. A moins que ça n’ait été l’authentique culture, la tente, du peuple. Il voulait s’assurer que le pays ne faisait pas partie du monde arabe. Il a su en faire valoir les traditions ancestrales. […] [Les Iraniens] aiment leur culture. Ils se réjouissent d’être les héritiers de milliers d’années d’histoire consécutives. Ils n’ont pas abandonné leur langue pour l’arabe, ni leurs coutumes. Les Iraniens d’aujourd’hui sont restés ceux qu’ils étaient il y a des siècles. »

L’action d’un Reza Chah n’est guère différente, sur ce plan, de celle d’un Mohammed Mossadegh nationalisant en 1951 l’Anglo-Iranian Oil Company, de celle d’un Ruhollah Khomeyni instaurant en 1979 la Révolution Islamique, ou bien de celle d’un Mahmoud Ahmadinejad défendant le programme nucléaire iranien. Toutes sont l’expression de ce désir de retrouver une souveraineté perdue : « l’Iran veut la reconnaissance que seule garantit la puissance. Sur ce fil aiguisé, il n’aura cessé de buter sur l’Occident avant d’être chaque fois renvoyé vers l’Orient. Le sentiment de frustration qui en découle prend des accents dramatiques à partir des Temps modernes. » Ce sentiment entretient une névrose que Jean-François Colosimo analyse en détail : « C’est d’elle que se préoccupe ce carnet, parce qu’elle occupe l’esprit des Iraniens. Un carnet forcément subjectif et qui, parcourant les grands nœuds convulsifs du siècle écoulé, prétend moins consigner l’Histoire que démêler comment se fabrique, dans l’inconscient d’un peuple, le sentiment de destinée. »

A quel avenir peut aujourd’hui prétendre l’Iran ? Ce qui était une « Révolution » ressemble de plus en plus à un formidable verrouillage. Du côté des hommes, rien à espérer : « C’est auprès des Iraniennes que se trouvent, en dépit de leur confinement, les rares bonnes nouvelles. » Ecoutons Shala Sherkat, l’une d’entre elles : « Je suis d’un pays où chaque matin un tremblement de terre se produit, et jusqu’au soir les gens se démènent avec les ruines du séisme. Puis, le lendemain matin, il y a un autre tremblement de terre. » Elles tiennent bon, pourtant.


Gilles Monplaisir.
Le blog de Gilles Monplaisir. - 7 juillet 2010.

 


[1]. Jean-François Colosimo, Le Paradoxe persan. Un carnet iranien. (Fayard, 2009). 
  
 

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3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 22:00

L'Europe d'Habermas et la nôtre.

 

A quelque chose malheur est bon. Dans la tourmente qui secoue aujourd'hui l'Europe et qui balaie toutes les idées reçues depuis le traité de Rome, la bouille effarée, stupéfaite, hagarde de nos intellectuels européistes est une sorte de rayon de soleil. Leur désarroi est réjouissant à souhait, réconfortant, et, dans le même temps, presque émouvant. Ils ont tout du dormeur qui s'éveille d'un long rêve et qui reçoit en pleine figure le choc du monde réel. Nos journaux sont remplis d'articles où des économistes, des écrivains, des politiques, des chroniqueurs en vue semblent remonter à la surface du monde. Leur étonnement, leur surprise devant la réalité telle qu'elle se dessine, l'intelligence qui leur fait saisir brusquement où ils sont, la façon presque mélancolique avec laquelle ils se débarrassent  des vieilles frusques du XXe siècle ont quelque chose de touchant.

L'aveuglement de ceux qui continuent à s'accrocher aux certitudes d'hier n'en est que plus triste. C'est qu'ils ont généralement une part importante de responsabilité dans les errements du passé, par leurs actions ou, le plus souvent, par leurs écrits. Tel est le cas du philosophe et sociologue allemand Jürgen Habermas. Sa pensée imprègne depuis plus de vingt ans tous les esprits qui révent de transformer l'Europe en une démocratie d'un type nouveau, débarrassée de ses racines nationale, uniquement fondée sur les notions de citoyenneté et de droit. Pierre Manent, Marcel Gauchet et, derrière eux, les penseurs de la nouvelle école française de sociologie ont fait justice de ces concepts fumeux qui séparent artificiellement la forme politique - ici la démocratie - et la communauté réelle - la nation - qui lui donne naissance. Il n'empêche que les idées d'Habermas ont séduit et qu'elles séduisent encore. L'adversaire n'est d'ailleurs pas médiocre, ses intuitions parfois justes et son procès de la démocratie représentative ou du nationalisme allemand généralement plein d'intérêt. Raison de plus pour écouter ce qu'il a à dire au moment même où ses rêves s'éloignent.

Le point de vue d'Habermas sur la situation actuelle est parfaitement résumé dans l'article qu'il a donné le 26 mai dernier au quotidien allemand Die Zeit et dont nous publions ci dessous de larges extraits. L'Allemagne de Merkel, cette Allemagne nationale, au prestige retrouvé, qui est présente, ce 9 mai, à Moscou pour fêter avec Poutine et le peuple russe la victoire sur le nazisme, voilà l'image qui ouvre le papier d'Habermas et qui marque sa stupeur. Car, à côté de l'Allemagne renaissante, il y a l'Allemagne médiocre, tatillonne, celle de la crise grecque, celle qui approuve de l'extrême bout des lèvres la création d'un fonds commun pour sauver l'euro. Quel contraste entre la photo de Merkel radieuse avec Poutine sur la Place Rouge et celle des dirigeants européens lors de la conférence de presse sur le sauvetage de l'euro ? "Cette photo grinçante fixe les visages de pierre de Merkel et de Sarkozy - des chefs de gouvernement éreintés, qui n'ont plus rien à se dire. Cette image deviendra-t-elle le document iconographique symbolisant l'échec d'une vision qui, pendant un demi-siècle, à marqué l'histoire de l'Europe de l'après-guerre ?" Voilà le décor planté, celui du drame qui hante aujourd'hui Habermas et ceux qui l'ont suivi dans ses pensées.

Et pourtant l'Europe solidaire s'est mise en place et elle fonctionne, nous dit Habermas.  Ne voit-on pas la Commission européenne multiplier les tours de table pour réunir les sommes colossales - 750 milliards d'euros - qui pourraient sauver la monnaie commune ? Ne voit-on pas depuis un mois la BCE racheter sur les marchés tout ce qui traîne en matière d'emprunts d'Etat grecs ou portugais ? Le fameux "gouvernement économique européen" n'est-il pas en train de se mettre en place ?  Et pourtant ...

Pourtant, pas une trace, nulle part,d'une quelconque conscience d'une rupture profonde. Les uns minimisent les relations de cause à effet entre la crise bancaire et la crise de l'euro, et attribuent exclusivement le désastre actuel à un manque de discipline budgétaire. Les autres s'acharnent à réduire le problème de la discordance des politiques économiques nationales à une question de gestion.

  De la même façon, se désole notre philosophe, la Commission de Bruxelles veut contrôler les plans budgétaires nationaux avant leur adoption, ce qui aurait été salué avec enthousiasme, il y a encore quelques années, par les dirigeants des pays membres. Aujourd'hui, point du tout. Les parlements rechignent, les opinions publiques grondent, les gouvernements font le dos rond. Un comble!  Et qui sont les premiers sur la brèche, les premiers à la barricade ? Les Allemands, les Allemands encore, les Allemands toujours!

Où est donc cette période de Cocagne, où les Allemands, au sortir de la seconde guerre mondiale, acceptaient de jouer les banquiers de l'Europe, les pères bienfaiteurs, sans revendiquer une once de reconnaissance ou de souveraineté ? Disparue et depuis longtemps, à supposer même qu'elle ait jamais existé ailleurs que sous le crâne de Jürgen Habermas. L'Allemagne réelle contre l'Allemagne rêvée, l'Allemagne qui a trahi le projet européen pour son projet national, voilà l'unique objet de son ressentiment :

Aujourd’hui, les élites allemandes jouissent de la normalité retrouvée de leur Etat-nation. Mais c’en est fini de la bonne volonté d’un peuple vaincu, y compris sur le plan moral, qui était contraint à l’autocritique, et qui était disposé à trouver sa place dans une configuration postnationale. Dans un monde globalisé, chacun doit apprendre à intégrer la perspective des autres dans sa propre perspective.Or, notre volonté d’apprendre est visiblement sur le déclin, comme le montrent les jugements rendus par la Cour constitutionnelle fédérale sur les traités de Maastricht [en 1993] et de Lisbonne [en 2009], des jugements qui se cramponnent à des représentations dépassées et dogmatiques de la souveraineté. La mentalité égocentrique, dépourvue d’ambition normative, de l’Allemagne, ce colosse tourné sur lui-même au milieu de l’Europe, ne garantit même plus que l’Union européenne sera préservée dans son vacillant statu quo.En soi, une évolution des mentalités n’est pas condamnable ; mais cette nouvelle indifférence a des conséquences sur la perception politique du défi actuel. Qui donc est vraiment prêt à tirer de la crise bancaire les leçons que le sommet du G20 à Londres a depuis longtemps inscrites dans de belles déclarations d’intentions – et de se battre pour elles ?

A force de refuser la réalité, M. Habermas finit par devenir injuste et aveugle. Oui, incontestablement, il y a en Europe un retour des Nations. Oui, sa puissance économique et sa légitimité retrouvée redonne des ailes à l'Allemagne, au point qu'elle cherche à imposer partout et, s'il le faut, par le truchement d'une Commission européenne et d'une Banque européenne qui sont à ses ordres, la défense de ses intérêts. Mais on ne suivra plus Jürgen Habermas lorsqu'il exonère les marchés de leurs immense responsabilité dans la crise actuelle, et qu'il finit par dire : "les bonnes intentions se heurtent moins à la “complexité des marchés” qu’à la pusillanimité et au manque d’indépendance des gouvernements nationaux". Là, nous ne sommes plus dans l'analyse et le commentaire, nous sommes dans le dépit et dans l'amertume!

De la même façon, M. Habermas perd pied lorsqu'il affirme, contre toute évidence : "Jusqu’à présent, dans aucun pays de l’UE, il n’y a jamais eu une seule élection européenne ou un seul référendum dont les enjeux ne se limitaient pas à des thèmes nationaux. Or, avec un tant soit peu de volonté politique, cette crise de la monnaie unique peut faire naître ce que certains ont un jour espéré que la politique extérieure européenne nous apporterait : la conscience, par-delà les frontières nationales, de partager un destin européen commun." Et Maastricht !  Et le référendum français de 2005 ! Et les référendums sur Lisbonne, là où ils ont eu lieu! Si l'on donnait aujourd'hui, librement, la parole aux peuples d'Europe, c'en serait fini au contraire de l'Union européenne et des rêves de Jürgen Habermas.

Les philosophies des hommes sont mortelles. Celle de M. Habermas a visiblement fait son temps. Ce sont d'autres idées qui permettront d'appréhender les bouleversements en cours, d'y mettre de l'ordre et de construire le destin européen commun qu'il appelle de ses voeux. Un destin qui s'appuiera davantage sur ces réalités que sont les nations, le génie des peuples, les valeurs de civilisation que portent chacun d'entre eux. Il n'en sera que mieux partagé.

Paul Gilbert.

 


[1]. Jürgen Habermas, Notre destin impose l'action, Die Zeit, 26 mai 2010. Texte à consulter ici

  

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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 10:30

Dany l'imposteur

On savait que la littérature rajoutait à la méchanceté naturelle de l'homme, c'est vrai aussi de l'écologie. Pour s'en convaincre, il suffit de se plonger dans le pamphlet que Paul Ariès et Florence Leray viennent de consacrer à Daniel Cohn-Bendit [1]. C'est un règlement de compte comme on n'en lit plus beaucoup, intelligent, documenté, féroce à souhait, écrit sans regret ni remords. Nos lecteurs connaissent ou apprendront vite à connaître Paul Ariès. C'est une des principales figures intellectuelles de la décroissance et de l'écologie antilibérale. On connaît notre méfiance vis à vis du malthusianisme vert, où l'on peut trouver le meilleur et le pire. Mais avec Ariès, nous sommes en face du meilleur, d'un penseur authentique, exigeant, qui cherche depuis des années à explorer d'autres voies que celles du capitalisme mondialisé ou de la social démocratie placebo. Adversaire absolu du productivisme et de la société de consommation, Ariès plaide pour l'avènement d'un "usager maître de ses usages", qui n'est pas sans parenté avec l'être tout en mesure d'Aristote. Il faut lire son manifeste, publié en 2008 [2]. Et il faut lire le mensuel politique qu'il dirige, Le Sarkophage, un des laboratoires d'idées de l'après-sarkozysme.  

Ariès n'y va pas de main morte avec Cohn-Bendit. On sent qu'il n'a jamais vraiment fait partie de ses partisans ni de ses dupes. Tout y passe : le politicien calculateur, parfaitement dissimulé derrière le faux ingénu, le bateleur-né, toujours à la recherche d'un effet ou d'un bon mot, l'esprit sceptique et superficiel, assez indifférent à la pensée et au fond des choses. "Dany le rouge" a toujours été plus libertin que libertaire, nous dit Ariès. Il est le meilleur avocat du capitalisme vert, la caution dont le système a besoin pour continuer à produire en toute bonne conscience. Avec lui, demain sera le règne des faux semblants, des ruptures "cosmétiques", des révolutions pour bobos fatigués. En réalité, rien ne changera vraiment sur le fond, les éco-industries, qui auront leurs banques, leurs actionnaires, leurs patrons voyous et leurs travailleurs exploités, seront le meilleur vecteur de la relance du capitalisme. De cela Ariès ne veut pas, quitte à ce que l'écologie politique retrouve pendant quelques années les chemins de la marginalité, du temps de penser et du ressourcement. Un programme qui est aussi le nôtre. Alors, avec Ariès, sus à Dany l'imposteur !

  Vincent Maire.



[1]. Paul Ariès et Florence Leray, Cohn-Bendit, l'imposture, (Max Milo, 2010).

[2]. Paul Ariès, La Décroissance : un nouveau projet politique, (Golias, 2008)

 
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9 avril 2010 5 09 /04 /avril /2010 18:42
Maurras...                    
malgré tout

 

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Quel esprit étonnant que Charles Maurras ! Et comme il sait séduire ! On a beau être prévenu contre le maître d'école, le faiseur de doctrines, ses dérives, ses égarements et ses obsessions, on a beau avoir pris ses distances avec son action et avec ses idées, le hasard des relectures ou la découverte d'un texte à nouveau publié sont presque toujours des émerveillements. On comprend pourquoi Maurras a été l'un des hommes les plus adulés, mais aussi les plus haïs, de sa génération. Tout comme Barrès, parfois même mieux que Barrès parce qu'il est moderne, c'est un enchanteur. Le charme de sa pensée agit puissamment lorsqu'elle parle à notre intelligence, au meilleur de nous même. Quand cette pensée s'élève au dessus des contingences de la vie politique et des disputes du moment, elle porte haut, très haut.

En rééditant tout récemment le Soliloque du prisonnier  [1], les Editions de l'Herne nous donne l'occasion de retrouver le pouvoir d'envoûtement de Maurras. C'est un texte singulier, ni un écrit de combat, ni un essai littéraire, mais une sorte de témoignage, un fragment de testament politique que le vieux prisonnier écrit d'une plume presque allègre du fond de sa geôle de Clairvaux. Nulle diatribe contre les hommes de son temps, nul plaidoyer passionné pour ce qui fut fait, ce qui fut écrit dans les années sombres, à peine quelques allusions au détour d'une page à l'actualité récente. Le Soliloque est un livre d'idées, d'idées politiques mais d'idées pures, c'est un discours qui renoue avec l'esprit des oeuvres de jeunesse - on y retrouve le charme d'Athinéa, la profondeur de l'Avenir de l'intelligence -  mais écrit avec la sûreté, la fermeté et l'expérience de l'homme mûr. Tous les grands thèmes de la pensée maurrassienne y sont présents: la Nation, cellule vivante de la civilisation, la France et son destin singulier d'héritière de la Grèce et de Rome, l'alliance des producteurs dans une nouvelle aristocratie. On y trouve également une superbe défense de la Latinité, cet espace de grande et d'antique liberté, de dialogue des hautes cultures, espace d'aventure et de rêve héroïque, que Maurras oppose à "l'abonimable utopie d'une Europe confédérée sous la direction de l'Allemagne", de ses banquiers, de ses marchands  et de ses casernes.

Pour Maurras, le propre de ce monde latin, c'est qu'il vit sans frontière, au gré des fleuves, des villes et des poètes qui les ont chantés. "Je suis un drôle de Méditerranéen; ma Méditerranée ne finit pas à Gibraltar, elle reçoit le Guadalquivir et le Tage, elle baigne Cadix, Lisbonne et s'étend, bleue et chaude, jusqu'à Rio de Janeiro. Elle atteint le cap Horn, salue Montevideo, Buenos Aires et, sans oublier Valparaiso ni Callao, elle s'en va, grossie de l'Amazone et de l'Orénoque, rouler dans la mer des Caraïbes, caresser amoureusement nos Antilles, puis Cuba et Haïti, ayant reçu le Meschacébé du grand enchanteur de Bretagne; elle court au Saint-Laurent et, sauf de menues variations de couleur ou de température, va se jeter dans la baie d'Hudson où elle entend parler français. Le caprice de cette Méditerranée idéale le ramène alors à notre hémisphère, mais non pas nécessairement pour revoir Balèares, Cyclades, Oran ou Alger, car ni Anvers ni Gydnis ne lui sont plus étrangers que les Polonais et les Belges ne lui apparaissent barbares: ma Méditerranée ne demande pas mieux que de devenir nordique ou baltique pourvu qu'elle rencontre, ici ou là, les deux lucides flammes d'une civilisation catholique et d'un esprit latin."

L'union des Latins est-elle possible ? Elle le sera, nous dit Maurras, il faut faire que ce rêve devienne réalité car le monde en a besoin pour revivre. "L'humanité à venir exigera, pour condition primordiale, ce noyau actif, attractif, organisateur. (...) Ainsi tendrait à se reconstituer le Koinon du règne humain, conscience de cette grandeur dans cette unité qui est déjà exprimée de Virgile à Mistral avec une force fière, modérée et douce; les plus amples généralités de l'esprit y sont vivifiées par la généralité de l'âme, tant pour servir l'ensemble que pour l'utiliser sans en exclure personne ni rien". Difficile de rester insensible à de telles perspectives auxquelles le vieux prisonnier au fond de sa cellule donne la couleur des prophéties !

Optimiste, Maurras ? Incorrigible optimiste ! Oui, nous dit-il, les désordres du monde auront une fin, la raison finira par l'emporter, il existe dans l'univers - pour qui sait les voir - tant de signes  de ce retour à la lumière. "Nos plus amers dépôts stagnants d'inintelligence ne sont pas immortels; La face du monde a vu flotter sur elle d'autres flaques d'aliénation mentale et morale, plus fortes que des modes, épidémies ou endémies. Elles n'ont eu qu'un temps..." Et notre Martégal d'annoncer, avec la sereine tranquillité des serviteurs d'Apollon, la fin du jacobinisme, de l'étatisme et du démocratisme, l'avènement de nations fortes et confiantes, organisées en corps et communautés libres, l'union des producteurs dans une nouvelle aristocratie de l'intelligence et du travail, une autre organisation du monde fondée sur des jeux d'alliance souples entre les Etats et sur le retour à des formes d'association plus pérenne, celles que Montesquieu appelait les "républiques éternelles" : "ce sont les plus fixes possibles, les plus capables de tenir pour former des supernations, donc recherchées, trouvées, conclues selon la loi des parentés de corps et d'esprit les plus prochaines et conduites de proche en proche selon les concordances et les raisons primordiales des affinités de naissance et de formation". La première de ces alliances, selon Maurras, sera naturellement celle des Latins.

Certains s'étonneront de la part faite dans le Soliloque aux questions internationales et il est vrai que le livre fait alterner des vues brillantes sur la physique des nations avec des considérations particulières à tel ou tel pays, Suisse, Allemagne ou Amériques. On s'étonnera à tort car Maurras s'est toujours passionné pour la politique étrangère et Kiel et Tanger comme Le Mauvais Traité figurent parmi ses meilleurs livres. Il va même jusqu'à rappeler, avec un léger sourire, que "plusieurs années avant Bainville et Poincaré, il était correspondant de la Nacion de Buenos Aires" et que dans plusieurs pays, les cercles Charles Maurras coexistaient avec les cercles Bainville. Non, semble nous dire Maurras, et quelque soit la tendresse qu'il éprouvait pour son ami historien, le disciple n'a pas étouffé le maître et le maître revendique la paternité du plan d'ensemble, de la vue générale qui sous-tend ce que l'on appelle "la politique étrangère de l'Action française". Un autre livre, lui aussi paru très récemment, confirme cette fascination de Maurras pour la scène internationale, l'originalité de ses thèses et la constance avec laquelle il y revient dans toute son oeuvre. Il s'agit de l'ouvrage publié sous la direction du professeur Georges-Henri Soutou, de l'Institut, Entre la vieille Europe et la Seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale  [2]. Les auteurs y mettent en lumière les différents thèmes de la géopolitique maurrassienne, comment Maurras les extrait de sa philosophie politique et comment ils les composent en visions de l'avenir. L'autre mérite de ce livre, c'est de confirmer, de la façon la plus argumentée qui soit, l'existence d'un fil rouge de la politique extérieure française qui relie Maurras, Bainville, de Gaulle, Pompidou et que nous retrouvons aujourd'hui chez Hubert Védrine.

Livre d'idée, disions nous du Soliloque, mais livre qui donne aussi envie d'agir, malgré les inerties et les pesanteurs du monde, avec l'assurance que le juste, le bien et le bon finiront, d'une manière ou d'une autre, par prendre l'avantage. Enthousiasme et lucidité sont les deux marques de fabrique de cet ouvrage dont on sort plus fort. Ce ne sont pas les moindres ruses du séducteur Maurras. 

Paul Gilbert.



[1]. Charles Maurras, Soliloque du prisonnier. (Editions de l'Herne, mars 2010, 96 pages).

[2]. Sous la direction de Georges-Henri Soutou, de l'Institut, Entre la vieille Europe et la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale. (Economica, novembre 2009, 438 pages).

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