jour de semaine | ||
La promenade est symétrique : Là, le kiosque de la musique; Une statue à l'air penché Une église avec son clocher; A l'autre bout une mairie Dont la blancheur au soleil crie. Des marronniers d'Inde s'en vont En fidèle procession, Et leur feuillage, dans les glaces Des boutiques, se mire en face. Suivant les trottoirs, des ruisseaux. Au bord : les kiosques à journaux. Huit heures. — Noires, trottinantes Passent ces dames très ferventes Allant au sacrifice saint Sur semaine chaque matin. En sortant, pour leurs médisances, Vont au bureau... de bienfaisance. Neuf heures. — Nobles étrangers Qui descendent d'un train d'Angers. Dix heures. — Messieurs gens d'affaires Allant chez monsieur leur notaire. Onze heures. — Messieurs professeurs Du collège. Elèves flâneurs... La place reste symétrique Obstinément : kiosque à musique ; Statue à l'air toujours penché Même église sous son clocher ; A l'autre bout même mairie, Même pierre blanche qui crie. Les marronniers toujours s'en vont En fidèle procession, Et leur feuillage, dans les glaces Complaisamment, se mire en face ; Plus d'eau dans les petits ruisseaux. Toujours les kiosques à journaux. Midi. — Messieurs fonctionnaires Sortent lassés de ne rien faire. Apéritif au « Radical ». Complot : Le péril clérical. Heure du déjeuner. La place Déserte. Personne ne passe. Les marronniers seuls toujours vont En fidèle procession, Leur forme reflétée en face Par la complaisance des glaces. La vendeuse au bord des ruisseaux Déjeune en son kiosque à journaux, Une heure. — Sans penser à mal Ce sont messieurs du tribunal : Petits potins à pas tranquille Sans efforts ; digestion facile. Trois trottins dressant le museau. Commis. Clers d'avoués. Un vieux beau. Deux heures. — Rentrée à l'audience Repos. Chiens errants en vacances. Cafés vides. Dames très bien Sur leurs portes ne faisant rien. Rentiers fatigués, mal ingambes, Sur les bancs, canne entre les jambes. Quatre heures. — Animation : Sortent les punis de prison, Et les greffiers, présidents, juges ; De fonctionnaires déluge ! Apéritif au « Radical » Complot : Le péril clérical ! Dames en visite en toilette. Monsieur ganté : salut, courbette, Chemin ensemble... Les rideaux Des fenêtres ont des sursauts : Sur la vertu des jeunes belles Veillent les vieilles demoiselles. Six heures. — Clercs d'avoués. Vieux beau. Trois trottins baissant le museau. Cafés pleins. On ferme l'église. Et l'apéritif s'éternise... Rentrée au foyer, à regret, Pour ouïr les gosses pleurer. Dernier repos : calme biblique A l'entour du kiosque à musique. Et la statue à l'air penché Et l'église et son long clocher, Montent blanches formes qui prient. Dans le soir s'éteint la mairie. Les marronniers d'Inde s'en vont, Immuable procession, Et leur feuillage lourd, en face, Se meurt par degré dans les glaces. Quelques feuilles dans les ruisseaux. Fermés les kiosques à journaux. | ||
charles-francis caillard (1886-1915). Les sagesses (1909). |
villages de france | ||
Cousance, Coligny, Dommartin et Cuiseaux, Saint-Amour qu'on nomma Vincelle-la-Jolie, Villages enchanteurs remplis de chants d'oiseaux, J'évoque votre charme avec mélancolie. Que de fois, en rêvant, un livre sous le bras, Je fus, à l'aventure, au bord de vos fontaines, Faisant à l'eau sauter, à chacun de mes pas, Fuyantes, des grenouilles vertes, par dizaines. Que de fois, étendu, les yeux levés au ciel, Auprès d'un boqueteau d'où mille oiseaux s'envolent, J'ai rêvé d'avenir, sans entendre l'appel Des Muses qui chantaient sur la harpe d'Eole. Arrête un peu, mon cœur, de battre et de frémir. C'est là que j'ai connu ta splendeur, ô Nature, Que j'ai trouvé le calme en regardant mourir, Chaque soir, le soleil, maison, sur ta toiture. Là, qu'éloigné du bruit menteur de la cité, Je pus entendre enfin la voix de la sagesse, Et voler, pour mes vers, cette fluidité Qui coule aux ruisseaux clairs et chantants de la Bresse. | ||
charles-francis caillard (1886-1915). La Muse française (1922). |
dimanche | ||
Le blanc Dimanche plat est sans bruit sur la ville, Paresseusement, comme un lézard au soleil, Dédaigneux de l’effort et des besognes viles, Il s'attarde dans la langueur de son réveil. Des femmes, au jardin calme, sont à rien faire, Langoureuses en peignoirs blancs. Il fera chaud. Il y a des oiseaux partout dans la lumière Avec les premiers sons de cloches. – Il fait beau ! On se redit cela comme une découverte. C'est le bonheur qu'on sent dans la beauté du jour. Un homme avec un autre, à l'office, disserte Sans hâte, en des mots clairs, avec du rire autour. Des gens vont à la messe et referment leur porte. - Comme il doit y avoir des amoureux aux bois! Des amoureux comme des fleurs de toutes sortes ! Ils y sont gais sans doute et j'y fus, quelquefois. Mais, ce matin, je n'aurais pas la force même De m'attrister un peu d'amours que je n'ai plus ; On est doux, sans savoir pourquoi, comme un poème, Comme les arbres allégés quand il a plu… Il n'y a plus de gens qui crient leurs marchandises, Le clocher blond répand, tel un règne, sa voix Qui baigne, comme un flot, tout autour de l'église, Et réjouit le cœur des quartiers d'autrefois. Il est plus fier que tous les jours : il est la Route. Il importe et, dans toutes les maisons, on dit « C'est donc l'heure déjà du déjeuner? Ecoute ?... Voici sonner, là-haut, la messe de midi. » | ||
charles-francis caillard (1886-1915). Mercure de France. (1911). |