Docteur Strauss et mister Kahn
M. Strauss-Kahn n'est sans doute pas l'homme d'Etat dont la France a besoin, mais il a toutes les qualités du grand comédien. Le suspens qu'il entretient sur sa candidature aux présidentielles de 2012 est réglé avec maestria. Il n'utilise pourtant que des recettes assez simples : sourire d'un air satisfait, ne jamais répondre aux questions, ne rien faire qui puisse laisser penser que sa décision est prise, parler le moins possible et ne dire que des choses insignifiantes. Force est de constater que ça marche : les rédactions sont sur le grill, les militants au bord de l'hystérie, les états-majors politiques à la torture. La pression est tellement forte qu'on dénombre déjà plusieurs cas de suicide parmi les lecteurs du Monde, du Nouvel Observateur ou de la Gazette de Francfort. Si l'on veut éviter une hécatombe d'électeurs de gauche et de rentiers luxembourgeois, il importe qu'il lève au plus vite un coin du voile.
Mais il faudra d'abord qu'il nous dise à qui nous avons affaire. Qui est le candidat, ou le présumé candidat, qui pourrait se présenter à nos suffrages ? S'agit-il de l'excellent docteur Strauss ou de son double, l'impénétrable Mister Kahn ?
Le docteur Strauss, c'est ce bon papa gâteau qui distribue des bonbons aux enfants dans les fêtes socialistes, qui se déguise en Père Noël pour les mômes de Sarcelles et qui échange des bons mots avec les journalistes sur les plateaux de télévision. Affable, avenant, d'une bonhomie qui rappelle celle de Dom Juan lorsqu'il accommode Monsieur Dimanche, il est l'ami de tout le monde. C'est le personnage tout en sourire que nous avons reçu chez nous le 20 février dernier, grâce au miracle de la télévision. Parfaitement mis en valeur par le journaliste de France 2 qui le questionnait, il n'eut pas de mots assez forts pour stigmatiser ces gouvernements qui ne se préoccupent que d'économie, qui n'ont que la finance à la bouche alors que les temps sont durs pour le pauvre monde. "On a surmonté la crise économique, pas la crise sociale", devait-il déclarer dans un soupir. Alors qu'on l'interrogeait sur ses propres recettes, il répondit d'un sourire gêné qu'il n'était que le directeur général du FMI et qu'il ne lui appartenait pas de se substituer aux politiques. "Un homme extrêmement convaincant et très compétent", comme dit M. Fabius. Et modeste, en plus.
Mister Kahn, c'est tout à fait autre chose. N'essayez pas de parler de Mister Kahn à un Grec, à un Argentin ou à un Roumain ou il vous arrivera malheur. Le directeur général du FMI est sans doute l'un des hommes les plus haïs de la planète. Il est hué, sifflé, conspué, vilipendé partout où il passe et son image est brûlée en effigie dans toutes les capitales du tiers-monde. Faut-il y voir l'effet de ce populisme ravageur, de ce "pré-fascisme rampant" qui sévit maintenant sans retenue dans tous les bidonvilles du monde - de Niamey à Yamoussoukro, de Port au Prince à Calcutta - ou simplement l'expression de peuples qui ont faim et qui ont peur de l'avenir que le FMI leur réserve ? Nous nous garderons bien de trancher ce point, sinon pour dire que Mister Kahn, ses sourires carnassiers, ses gros cigares, ses grosses voitures et ses collaborateurs à lunettes noires, habillés comme des croque-morts, inquiètent les grandes personnes et terrorisent les enfants. Ce qui est à peu près sûr, c'est qu'il n'est pas le meilleur ambassadeur de la culture et de l'humanisme à la française. Avez vous remarqué notre sourire gêné lorsqu'un étranger nous demande si Mister Kahn fait bien partie de nos compatriotes. Combien d'entre nous ont répondu à cette question embarassante : "Vous êtes sûr ? j'ai toujours cru qu'il était belge ! ou suisse ! Mais oui, bien sûr, il est suisse, de Genève même!". Lorsque Jean-Luc Mélenchon, toujours excessif, traite le bon docteur Strauss "d'affameur des peuples", il se méprend. C'est de Mister Kahn qu'il veut parler.
Une fois cette clarification faite - et on voit qu'elle est essentielle à la qualité de nos futurs débats démocratiques - il restera à Strauss, ou à Kahn, à se mettre en campagne et à décliner son programme. Pures formalités d'ailleurs, tant l'histoire semble déjà écrite par les instituts de sondage. Il est clair en effet que l'annonce de la candidature de DSK va provoquer un immense soulagement d'un bord à l'autre de la gauche française. Martine Aubry en concevra un peu d'amertume, mais son ressentiment sera vite effacé par les perspectives d'une victoire éclatante sur la droite la plus réactionnaire du monde. Hollande ira revendre ses costumes désormais trop étroits et se remettra à grossir. Les électeurs de la "gauche plurielle" tiendront leur revanche, après tant d'occasions manquées depuis 1995. Le gros de ce qui reste du Modem, quelques poignées de radicaux et deux sacristies de démocrates chrétiens initieront leur ralliement. Il y aura bien quelques ronchons, quelques râleurs du côté des communistes ou des mélenchonistes, mais que pèsent-ils ? L'alliance PS-Verts, qui structure désormais la gauche française, les relègue au rang de supplétifs ou de ringards. A eux de choisir. Le seul espoir qui leur reste, c'est que le pacte conclu entre Mme Aubry et DSK ne fonctionne pas ou que Mme Royal fasse de la résistance. Scénarios peu probables, qui conduiraient l'une ou l'autre des égéries du PS à jouer contre son camp. Laquelle est prête à assumer ce mauvais rôle ?
Retenons donc l'hypothèse la plus vraisemblable : le docteur Strauss, après avoir proprement éliminé son double empoisonnant, se présente aux primaires socialistes d'octobre et les gagne par acclamations. Gageons que le ralliement d'une grande partie du pays légal - médias, milieux économiques, formations de la gauche et du centre, show business et représentants de l'art subventionné - se fera rapidement et que la ligue strauss-kahnienne prendra des dimensions jamais atteintes depuis la FGDS de François Mitterrand. Deux schémas sont alors possibles : celui d'un affrontement au second tour de la présidentielle entre Marine Le Pen et DSK, affrontement violent, destructeur, qui conduira sans doute une partie de la droite française et des milieux populaires à passer le Rubicon du Front national. M. Strauss-Kahn en sortira vainqueur, mais au prix d'une déstabilisation en profondeur de la République. L'autre schéma est un schéma par défaut : il met au prises les deux tenants habituels de l'oligarchie, le chef de l'Etat actuel, dévalorisé, fatigué, et son challenger social-démocrate. Dans ce scénario, où les jeux sont faits par avance, la désaffection populaire, aiguillonée par l'ultra gauche et l'ultra droite, risque d'être considérable. Le débat sera faible, l'essentiel se passera à l'extérieur, l'abstention atteindra des records et le chef de l'Etat sera mal élu. Dans les deux cas de figure, la France sortira de cette épreuve encore plus profondément divisée qu'aujourd'hui.
Un autre aspect de M. Strauss-Kahn doit donner à réfléchir. Il est rappelé par notre consoeur et amie Angélique Lacane, dans la dernière livraison de l'excellent bimensuel Royaliste :
Cette opération de propagande prêterait à rire si DSK n’avait pas agressé le peuple grec en des termes parfaitement choisis quant à la vulgarité : « La réalité, c'est que ces gens là, ils sont dans la merde. Et y sont gravement. Ils ont beaucoup bricolé, ils savent très bien qu' ils ne paient pas d'impôts, que c'est un sport national de ne pas payer d'impôts en Grèce, que ça truande un maximum. » Ce passage a bien entendu été repris en Grèce et la popularité du FMI a encore augmenté. Si l’expert en truandage pose le pied à Athènes, il sera, n’en doutons pas, accueilli avec toute la chaleur dont le vaillant peuple hellène se montre capable. Les Français pourront quant à eux méditer sur deux manières d’être vulgaire en politique. Il y a la vulgarité sarkozienne, primaire, mêlant la flatterie et l’offense, démagogique mais certainement pas populaire comme on le voit dans les réactions de l’opinion publique. Il y a la vulgarité strauss-khanienne, mondaine, qui est le fait d’esprits qui se croient supérieurs et qui vous font la grâce de se mettre à votre niveau, quand il s vous reçoivent dans leur cuisine. Il n’y a pas flatterie, mais condescendance. Si nous passions de Sarkozy en DSK, nous ne ferions que changer de vulgarité mais ce serait toujours le même mépris.
Les Français viennent de subir cinq années de vulgarité et d'arrogance satisfaite sous le règne de M. Sarkozy. Accepteront-t-ils d'en reprendre pour cinq ans avec M. Strauss-Kahn ? Au risque de subir ce que nos amis italiens éprouvent aujourd'hui avec le pitre Berlusconi. Voilà un argument qui devrait faire réfléchir dans les chaumières françaises !
Hubert de Marans.
. Angélique Lacane,"Agression", Royaliste n° 988 du 28 mars 2011.