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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 09:53
Invitation
                                                                                                                                                 
Je ne vous offre pas d'immenses étendues,
Ni l'héroïque assaut des sapins noirs et fiers
Contre les cimes défendues
Par l'avalanche et les éclairs.

Je ne vous offre pas les innombrables ondes
De la mer, son parfum, ses îles, ses vaisseaux,
Ni même entre des rives blondes
Un petit lac plein de roseaux.

je ne vous offre pas des remparts gigantesques,
Un château dont les tours semblent porter les cieux,
Des salles brillantes de fresques,
Un parc où survivent des dieux.

Je ne vous offre pas, désinvolte et cambrée
La danse aux gais conseils et ses regards trop beaux,
Ni la chasse et l'âpre curée
A la lumière des flambeaux.

Je vous offre un ciel pur, des collines joyeuses
Entourant de leur ronde un vignoble vermeil
Et sous sa couronne d'yeuses
Un toit se riant du soleil.

Je vous offre un ruisseau dont l’ondine farouche
A fui l'œil trop ardent de l'amoureux été,
Mais, au creux profond de sa couche,
L'ombre dort et la volupté.

Je vous offre le geai, le merle et la fauvette,
La cigale du pin, le grillon des guérets,
La pie, oscillante navette
Sur la quenouille du cyprès.

Je vous offre le jour, la nuit, les fleurs, la gerbe
Des étoiles, le vent, la musique des joncs
Et je vous offre parmi l'herbe
Le tendre exemple des pigeons.
   
ARNOLD Cyprès-copie-3
 
Lionel des Rieux. (1870-1915, mort pour la France), Vers et prose. (1906)
 
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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 15:50
Docteur Strauss et mister Kahn
 
M. Strauss-Kahn n'est sans doute pas l'homme d'Etat dont la France a besoin, mais il a toutes les qualités du grand comédien. Le suspens qu'il entretient sur sa candidature aux présidentielles de 2012 est réglé avec maestria. Il n'utilise pourtant que des recettes assez simples : sourire d'un air satisfait, ne jamais répondre aux questions, ne rien faire qui puisse laisser penser que sa décision est prise, parler le moins possible et ne dire que des choses insignifiantes. Force est de constater que ça marche : les rédactions sont sur le grill, les militants au bord de l'hystérie, les états-majors politiques à la torture. La pression est tellement forte qu'on dénombre déjà plusieurs cas de suicide parmi les lecteurs du Monde, du Nouvel Observateur ou de la Gazette de Francfort. Si l'on veut éviter une hécatombe d'électeurs de gauche et de rentiers luxembourgeois, il importe qu'il lève au plus vite un coin du voile.
Mais il faudra d'abord qu'il nous dise à qui nous avons affaire. Qui est le candidat, ou le présumé candidat, qui pourrait se présenter à nos suffrages ? S'agit-il de l'excellent docteur Strauss ou de son double, l'impénétrable Mister Kahn ?
Le docteur Strauss, c'est ce bon papa gâteau qui distribue des bonbons aux enfants dans les fêtes socialistes, qui se déguise en Père Noël pour les mômes de Sarcelles et qui échange des bons mots avec les journalistes sur les plateaux de télévision. Affable, avenant, d'une bonhomie qui rappelle celle de Dom Juan lorsqu'il accommode Monsieur Dimanche, il est l'ami de tout le monde. C'est le personnage tout en sourire que nous avons reçu chez nous le 20 février dernier, grâce au miracle de la télévision. Parfaitement mis en valeur par le journaliste de France 2 qui le questionnait, il n'eut pas de mots assez forts pour stigmatiser ces gouvernements qui ne se préoccupent que d'économie, qui n'ont que la finance à la bouche alors que les temps sont durs pour le pauvre monde. "On a surmonté la crise économique, pas la crise sociale", devait-il déclarer dans un soupir. Alors qu'on l'interrogeait sur ses propres recettes, il répondit d'un sourire gêné qu'il n'était que le directeur général du FMI et qu'il ne lui appartenait pas de se substituer aux politiques. "Un homme extrêmement convaincant et très compétent", comme dit M. Fabius. Et modeste, en plus.
Mister Kahn, c'est tout à fait autre chose. N'essayez pas de parler de Mister Kahn à un Grec, à un Argentin ou à un Roumain ou il vous arrivera malheur. Le directeur général du FMI est sans doute l'un des hommes les plus haïs de la planète. Il est hué, sifflé, conspué, vilipendé partout où il passe et son image est brûlée en effigie dans toutes les capitales du tiers-monde. Faut-il y voir l'effet de ce populisme ravageur, de ce "pré-fascisme rampant" qui sévit maintenant sans retenue dans tous les bidonvilles du monde - de Niamey à Yamoussoukro, de Port au Prince à Calcutta - ou simplement l'expression de peuples qui ont faim et qui ont peur de l'avenir que le FMI leur réserve ? Nous nous garderons bien de trancher ce point, sinon pour dire que Mister Kahn, ses sourires carnassiers, ses gros cigares, ses grosses voitures et ses collaborateurs à lunettes noires, habillés comme des croque-morts, inquiètent les grandes personnes et terrorisent les enfants. Ce qui est à peu près sûr, c'est qu'il n'est pas le meilleur ambassadeur de la culture et de l'humanisme à la française. Avez vous remarqué notre sourire gêné lorsqu'un étranger nous demande si Mister Kahn fait bien partie de nos compatriotes. Combien d'entre nous ont répondu à cette question embarassante : "Vous êtes sûr ? j'ai toujours cru qu'il était belge ! ou suisse !  Mais oui, bien sûr, il est suisse, de Genève même!". Lorsque Jean-Luc Mélenchon, toujours excessif, traite le bon docteur Strauss "d'affameur des peuples", il se méprend. C'est de Mister Kahn qu'il veut parler. 
Une fois cette clarification faite - et on voit qu'elle est essentielle à la qualité de nos futurs débats démocratiques - il restera à Strauss, ou à Kahn, à se mettre en campagne et à décliner son programme. Pures formalités d'ailleurs, tant l'histoire semble déjà écrite par les instituts de sondage. Il est clair en effet que l'annonce de la candidature de DSK va provoquer un immense soulagement d'un bord à l'autre de la gauche française. Martine Aubry en concevra un peu d'amertume, mais son ressentiment sera vite effacé par les perspectives d'une victoire éclatante sur la droite la plus réactionnaire du monde. Hollande ira revendre ses costumes désormais trop étroits et se remettra à grossir. Les électeurs de la "gauche plurielle" tiendront leur revanche, après tant d'occasions manquées depuis 1995. Le gros de ce qui reste du Modem, quelques poignées de radicaux et deux sacristies de démocrates chrétiens initieront leur ralliement. Il y aura bien quelques ronchons, quelques râleurs du côté des communistes ou des mélenchonistes, mais que pèsent-ils ? L'alliance PS-Verts, qui structure désormais la gauche française, les relègue au rang de supplétifs ou de ringards. A eux de choisir. Le seul espoir qui leur reste, c'est que le pacte conclu entre Mme Aubry et DSK ne fonctionne pas ou que Mme Royal fasse de la résistance. Scénarios peu probables, qui conduiraient l'une ou l'autre des égéries du PS à jouer contre son camp. Laquelle est prête à assumer ce mauvais rôle ?
Retenons donc l'hypothèse la plus vraisemblable : le docteur Strauss, après avoir proprement éliminé son double empoisonnant, se présente aux primaires socialistes d'octobre et les gagne par acclamations. Gageons que le ralliement d'une grande partie du pays légal - médias, milieux économiques, formations de la gauche et du centre, show business et représentants de l'art subventionné - se fera rapidement et que la ligue strauss-kahnienne prendra des dimensions jamais atteintes depuis la FGDS de François Mitterrand. Deux schémas sont alors possibles : celui d'un affrontement au second tour de la présidentielle entre Marine Le Pen et DSK, affrontement violent, destructeur, qui conduira sans doute une partie de la droite française et des milieux populaires à passer le Rubicon du Front national. M. Strauss-Kahn en sortira vainqueur, mais au prix d'une déstabilisation en profondeur de la République. L'autre schéma est un schéma par défaut : il met au prises les deux tenants habituels de l'oligarchie, le chef de l'Etat actuel, dévalorisé, fatigué, et son challenger social-démocrate. Dans ce scénario, où les jeux sont faits par avance, la désaffection populaire, aiguillonée par l'ultra gauche et l'ultra droite, risque d'être considérable. Le débat sera faible, l'essentiel se passera à l'extérieur, l'abstention atteindra des records et le chef de l'Etat sera mal élu. Dans les deux cas de figure, la France sortira de cette épreuve encore plus profondément divisée qu'aujourd'hui.
Un autre aspect de M. Strauss-Kahn doit donner à réfléchir. Il est rappelé par notre consoeur et amie Angélique Lacane, dans la dernière livraison de l'excellent bimensuel Royaliste [1]:
 
Cette opération de propagande prêterait à rire si DSK n’avait pas agressé le peuple grec en des termes parfaitement choisis quant à la vulgarité : « La réalité, c'est que ces gens là, ils sont dans la merde. Et y sont gravement. Ils ont beaucoup bricolé, ils savent très bien qu' ils ne paient pas d'impôts, que c'est un sport national de ne pas payer d'impôts en Grèce, que ça truande un maximum. » Ce passage a bien entendu été repris en Grèce et la popularité du FMI a encore augmenté. Si l’expert en truandage pose le pied à Athènes, il sera, n’en doutons pas, accueilli avec toute la chaleur dont le vaillant peuple hellène se montre capable. Les Français pourront quant à eux méditer sur deux manières d’être vulgaire en politique. Il y a la vulgarité sarkozienne, primaire, mêlant la flatterie et l’offense, démagogique mais certainement pas populaire comme on le voit dans les réactions de l’opinion publique. Il y a la vulgarité strauss-khanienne,  mondaine, qui est le fait d’esprits qui se croient supérieurs et qui vous font la grâce de se mettre à votre niveau, quand il s vous reçoivent dans leur cuisine. Il n’y a pas flatterie, mais condescendance. Si nous passions de Sarkozy en DSK, nous ne ferions que changer de vulgarité mais ce serait toujours le même mépris.
 
Les Français viennent de subir cinq années de vulgarité et d'arrogance satisfaite sous le règne de M. Sarkozy. Accepteront-t-ils d'en reprendre pour cinq ans avec M. Strauss-Kahn ? Au risque de subir ce que nos amis italiens éprouvent aujourd'hui avec le pitre Berlusconi. Voilà un argument qui devrait faire réfléchir dans les chaumières françaises !
Hubert de Marans.
  

[1]. Angélique Lacane,"Agression", Royaliste n° 988 du 28 mars 2011.

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 19:57

Printemps 2011
Printemps arabes
 

- Des places, des foules, des drapeaux, par François Renié.  [lire]

Les idées et les livres 

- Printemps arabes, par Claude Arès.  [lire]
On a mal compris la signification des révoltes arabes. Elles ne sont ni postmodernes, ni laïques, ni mondialisantes. Elles ont permis l'élimination des vieilles oligarchies, arrivées au pouvoir avec la décolonisation, et qui s'étaient compromises avec l'Occident. Les foules du Caire, de Tunis, du Yemen et, aujourd'hui, de Syrie sont nationalistes et progressistes. Elles ont confiance en l'armée et appelent de leurs voeux la constitution de pouvoirs forts, représentatifs, attachés à l'intérêt général et à la réduction des inégalités. L'islam retrouvera progressivement une place importante dans la vie politique de ces pays parce qu'il permet aux sociétés arabes de se dissocier de la mondialisation occidentale.  

- Hommage à Boileau, textes présentés par Antoine Longnon.  [lire]
On célèbre cetta année le tricentenaire de la mort de Boileau. Il est, parmi nos auteurs du XVIIe siècle, l'un de ceux qu'il est le plus difficile de juger équitablement. Cela tient sans doute à ce qu'il n'a pas choisi les genres les plus faciles : le poème didactique, la critique, la satire. Rien qui ait pu vraiment lui assurer les suffrages des salons et la reconnaissance de ses confrères. En outre, il avait le caractère d'Alceste, sa franchise était un peu vive et il n'a jamais su mentir, ni en vers, ni en prose. Pourtant, que son oeuvre est solide et pleine d'un bon sens et d'une confiance, toute française, dans la raison et les règles du bon goût. C'était aussi un homme de coeur, dont la générosité, l'abnégation et la charité étaient proverbiales. S'il fut parfois sévère pour ses amis, pour Racine et surtout pour Molière, c'est parce qu'il les aimait et qu'il les voulait au meilleur de leur talent. Imagine-t-on Boileau aujourd'hui parmi nous ? Entouré d'une nuée de laquais, bastonnant d'importance les prosateurs débiles et les esprits faux ! Quel réjouissant spectacle !

- Sortir de l'euro, par Henri Valois.  [lire]
L’aventure de l’euro vire au cauchemar. On nous avait promis plus de croissance, plus d’emplois, des économies plus solides et plus solidaires et nous n’avons rien de tout cela. L’Euroland nage en pleine récession et accumule les crises. Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, l’Espagne et l’Italie sont fragilisés par la monnaie unique. Les économistes sérieux nous avaient prévenus de ne pas y aller. Ils nous pressent maintenant d’en sortir. Comment s’y prendre sans aggraver la situation ? Selon quel calendrier ? Le débat est enfin ouvert en France.

- Perspectives politiques, par Paul Gilbert.  [lire]
Le déclin de l’Amérique, l’effondrement du communisme, la fin du rêve d’empire européen et, aujourd’hui, le réveil du monde arabo-musulman modifient profondément le rapport des forces dans le monde. Mais ils sont en train de créer une nouvelle conscience politique dans les pays développés, et singulièrement en Europe. Si la France n’échappe pas au mouvement, elle y entre avec ses données et ses atouts propres : une démographie dynamique, une bonne capacité de rebond et d’innovation, un réveil du sentiment national et la perspective d’être d’ici le milieu du siècle la puissance dominante du continent. Le jeu politique français en sera transformé. Qui sera en mesure de capter les forces qui vont se mettre en marche et pour quel projet national ? Réponse dès 2012.

Tournebroche, une nouvelle d'Anatole France. [lire]
Ah! l'abbé Coignard, l'excellent homme, bon chrétien, bon dineur, fin lettré et parfait connaisseur de l'âme humaine! Les tribulations de cet ecclésiastique hors du commun et de son gentil disciple, Tournebroche, dans un XVIIe siècle aussi faux que nature, ont enchanté notre jeunesse. Anatole France en tira un roman, un livre de causeries et un volume de contes. Mademoiselle Roxane, que nous présentons ci-dessous, fait partie de ces petits récits écrits par pur plaisir : Coignard ratiocine, Tournebroche apprend la vie, une belle jeune femme retrouve l'espoir et Paris s'endort et s'éveille dans la douceur. Fermons les yeux…

- Le jardin français, poèmes de P.J. Toulet, L. Vérane, Franc-Nohain.  [lire]

Chroniques

- Notes politiques, par Hubert de Marans.
Le silence de l'opinion. - Hollande et ses non-dits. - Morosité sociale.

- Chronique internationale, par Jacques Darence.
Sur le front de l'euro. - Bruxelles en Wallonie. - Vers l'Etat palestinien.

- La vie littéraire, par Eugène Charles.
Alexandre Vialatte. - Benoît Duteurtre. - Malaparte. - Gustave Roud.

- Idées et histoire, par François Renié et Paul Gilbert.
Jacques Bainville. - Feu sur le déclinisme.

- Revue des revues, par Paul Gilbert.
Baverez, vigie dangereuse. - Démocrates sans démocratie. - Georges Orwell. 

- Les livres, par Paul Gilbert, Eugène Charles, François Renié.
L'invention du progrès (Frédéric Rouvilloisl). - Lire Bergson (Frédéric Worms). - La démondialisation (Jacques Sapir). - Manuscrits de guerre (Julien Gracq). -  Anatole France et le nationalisme littéraire (Guillaume Métayer). - La semaine des quatre jeudis (Emmanuel d'Astier). - Petite sélection stendhalienne.  - Livres reçus.

 

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 08:42
Feu sur les déclinistes !
 
Feu sur Alain Minc Feu sur Baverez  Feu sur Attali
Feu sur les ours savants de la global economy !
D'après Aragon.
 
Il faut s'y résoudre : la France de demain ne sera pas décliniste. Minc, Attali, Baverez, Le Boucher et les autres ont fait leur temps. Quoi qu'ils puissent dire ou faire et "au pire du pire, la France sera dans les huit premières puissances mondiales dans les vingt ans", nous rappelle judicieusement le Cercle des Economistes. Son président, Jean-Hervé Lorenzi et la petite phalange d'esprits libres qu'il anime sont d'ailleurs passés à l'offensive. Fini la déprime, le dénigrement gratuit et les discours de pères fouettards. L'heure est à l'optimisme, à la célébration des réussites françaises, à la jeunesse et à son astuce proverbiale, à l'intelligence et aux sérieux de nos seniors. Tant mieux, cette image nous ressemble davantage.
M. Lorenzi, à qui l'on doit cette heureuse initiative, a du talent et de la persévérance. Il nage depuis des années à contre-courant et raconte d'une plume tranquille l'histoire de nos succès commerciaux et industriels, les batailles gagnées par nos ingénieurs et nos ouvriers, par nos savants et par nos chercheurs. Si M. Lorenzi se fait parfois sévère, c'est contre ceux qui nous gouvernent, contre ces hommes politiques qui ne savent pas mettre en valeur tout ce que notre pays offre au monde de bon et de bien.
Mais notre économiste a le plus souvent le sourire, comme ces chercheurs d'or qui sont sur un bon filon. Il a toujours su que le vent soufflerait un jour dans le bon sens. Voilà qu'il tourne et M. Lorenzi, en bon stratège, décide d'en profiter et de se faire sergent-recruteur. Il a décidé d'enrôler chercheurs, entrepreneurs, philosophes, écrivains dans sa croisade contre le défaitisme et le dénigrement économique. Il annonce la création d'une Ligue des optimistes de France à laquelle se sont ralliés sans attendre Jean d'Ormesson, Erik Orsenna, Eric-Emmanuel Schmitt et Mathieu Ricard. "Face à tout problème, l'intelligence créatrice des hommes trouvera une solution", proclame fièrement la nouvelle ligue. Nous n'aurions pas mieux dit.
Comme tout chef d'école, M. Lorenzi, s'apprête même à sortir son manifeste. Le Fabuleux destin d'une puissance intermédiaire [1] n'est pas encore dans les devantures des librairies mais les bonnes feuilles qui circulent donnent envie de faire le plongeon. Il y développe essentiellement trois thèses, qui ne sont pas nouvelles, mais dont il rassemble, avec un sens aigu de la synthèse, les meilleurs arguments.
Sa première thèse est que le déclin de la France est une idée absurde. Il suffit de regarder un peu sérieusement les chiffres pour constater que notre pays dispose d'atouts considérables. Son attractivité, en premier lieu, pour les hommes et pour les capitaux. Ce n'est pas un hasard si depuis trois décennies la France compte parmi les premières destinations d'investissement au monde. En 2010, elle se situe une nouvelle fois loin devant tous les autres pays européens, y compris le Royaume-Uni, y compris l'Allemagne, à la troisième place mondiale derrière les Etats Unis et la Chine. Est-ce un hasard si comme le signale M. Lorenzi, "la moitié des dirigeants des entreprises étrangères considèrent la France comme une destination attractive" ?  Sa natalité, presque surprenante, qu'on a longtemps mis en relation - parce qu'elle déparait avec le discours décliniste ambiant - avec l'immigration, alors qu'on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. L'efficacité et l'esprit d'innovation, et ce goût du travail, "qui est bien réel", selon M. Lorenzi,  "mais que l'on cache derrière un écran idéologique, un mythe, qui consiste à dire que la France est un pays d'assistés". Que dire enfin de "cet appétit de bonheur", de ce goût de vivre qui étonnent encore aujourd'hui les touristes qui nous visitent ? Et de ce "style  de vie" qui survit à toute les offensives de la culture et des médias d'outre-atlantique ?  Autant de signes de vitalité qui ne trompent pas.
La deuxième conviction de M. Lorenzi est que la France n'a pas les élites qu'elle mérite. Si le fonds de la nation est actif, entreprenant, innovant, une grande partie de la classe politique et des milieux dirigeants économiques ne croient plus dans l'avenir du pays. Cette caste vieillissante, sans talent, improductive, est aussi sans mémoire et sans culture. Formée dans les mêmes écoles de la République, race d'héritiers et de rentiers, fils d'énarque et petits-fils d'archevêques, leur hantise est que la France finisse par se réveiller alors qu'ils ont oublié de parier sur elle. C'est au sein de ces pseudos-élites que se recrutent les dénigreurs et ceux qui font le lit des dénigreurs. Alors que les Français ont besoin de confiance et d'optimisme, "d'un optimisme appuyé sur un projet", on leur sert depuis  trop longtemps le mythe d'une "France inactive, sclérosée, dépassée", à l'image de leurs dirigeants.
Troisième conviction : si la France ne manque pas d'atouts, elle manque d'un projet. "Il faut favoriser l'arrivée des jeunes sur le marché du travail, supprimer les CDD et assurer un peu plus de fexibilité à un code du travail qui est un capharnaüm", plaide Jean-Hervé Lorenzi. "Il faut diminuer notre dette de 30 milliards d'euros par an, tout en trouvant 30 milliards d'euros à investir dans les secteurs d'avenir. Autrement dit, remettre à plat le marché du travail et favoriser l'épargne longue", continue-t-il. Certes, pourquoi pas, et si nous ne sommes pas dupes des discours équivoques sur le code du travail, l'évocation d'une économie de production et d'innovation est assez pour nous séduire. Mais sera-ce suffisant ? Le président du Cercle des Economistes n'évoque pas - semble -t-il - les contraintes internes et externes qui pèsent aujourd'hui sur la production française : l'inefficacité et la frilosité d'un système bancaire qui est tout sauf au service des producteurs et des entrepreneurs, une monnaie unique qui pèse sur notre compétitivité au plus grand avantage de l'Allemagne et de ses banques, une Europe sans frontières qui ruine par avance nos efforts d'innovation et de développement technologique. Nous y ajouterions volontiers la question politique, celle de la stabilité de nos institutions, celle de la décentralisation, même si nous sortons des limites que M. Lorenzi a voulu donner à son étude.
L'initiative du Cercle des Economistes en rejoint d'autres qui cherchent, elles aussi, à faire bouger les lignes et à nous extraire du prêt à penser libéral et anglo-saxon. On pense, bien sûr, aux analyses décapantes d'Emmanuel Todd et de Jacques Sapir contre les versions modernes du libre échangisme. On pense à celles de Jean-Luc Gréau contre le consumérisme et en faveur, lui aussi, d'un protectionnisme européen. Il n'empêche. M. Lorenzi et son équipe attaquent sur un nouveau front. Ils ont le mérite de susciter l'enthousiasme et d'ouvrir la voie à d'autres développements. On signale déjà le livre de Karine Berger et de Valérie Rabault, les Trente glorieuses sont devant nous [2], qui s'inscrit dans la même veine et dont nous rendrons compte prochainement. D'ici là, ne boudons pas notre plaisir et célébrons comme il convient la mise en terre du déclinisme [3].
Henri Valois.
 

[1]. Jean-Hervé Lorenzi, Le fabuleux destin d'une puissance intermédiaire. (Grasset, 2011)
[2]. Karine Berger et Valérie Rabault, Les trente glorieuses sont devant nous. (Ed. Rue  Fromentin, 2011)
[3]. En réalité, la bande des déclinistes s'est déjà dispersée. Minc, qui  joue les astrologues à l'Elysée, vient de publier un curieux petit livre où il fait finalement l'éloge du modèle social européen. Attali continue à faire des piges pour le gouvernement, ce qui ne lui laisse plus le temps pour écrire quoi que ce soit. Eric Le Boucher, qui a senti le vent tourner, donnait hier aux Echos  une critique élogieuse du livre de Jean-Hervé Lorenzi. Reste Baverez. Il poursuit ses ratiocinations au Figaro et au Point sur le déclin économique de la France. Baverez finira seul et ses diatribes n'interesseront bientôt plus que les revues confidentielles du patronat et la presse allemande. Pauvre Baverez !  Comment a-t-il pu gacher aussi vite aussi peu de talents ?
     
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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 22:09
Tristan Corbière
(1845-1875)
 
Edouard-Joachim, dit Tristan, Corbière est né à Coat-Congar, à proximité de Morlaix, le 18 juillet 1845. Son père, Edouard-Jean-Antoine, natif de Brest, capitaine au long- cours, est l'auteur de quelques romans maritimes, entre autres Le Négrier (1882), œuvre fort singulière, dont la préface décèle, selon Rémy de Gourmont, « un esprit très hautain et dédaigneux du public ». Après une enfance passée sans histoire dans le manoir du Launay, Tristan Corbière fait ses études au Lycée de Saint-Brieuc jusqu'à l'âge de seize ans, époque à laquelle se manifestèrent les premiers symptômes du mal qui devait l'emporter. Les soins incessants de sa mère et un séjour de deux années à Roscoff, au milieu des pêcheurs, raffermissent sa santé. Il se fixe alors à Paris, et ne fait plus guère d'apparition dans sa province, si ce n'est pour vagabonder avec ceux qu'il a si parfaitement dépeints. « Blasé très jeune, atteint d'une sorte de spleen, écrit un de ses biographes, M. Vincent Huet, son père, afin de le distraire, lui fit construire un sloop de plaisance. A partir de ce moment, il fut toujours en mer, ne couchant plus que dans un hamac et toujours vêtu en matelot avec le suroît, la grosse capote et les larges bottes de bord... ». A Paris, il se lie avec de nombreux artistes, et, collabore, sous le pseudonyme de Tristan, en 1873 à la revue La Vie Parisienne. C'est là que paraissent ses premiers vers, entre autres La Pastorale de Conlie, Veder Napoli, Cris d’aveugle, Le Fils de Lamartine et de Graziella, Vésuve et Cie… Il réunit la même année tous ses poèmes, sous le titre des Amours Jaunes, et les fait paraître en une édition de luxe, qu'il orne d'un étrange frontispice à l'eau-forte. Il a alors pour logis une chambre uniquement meublée d'un coffre à bois sur lequel, dit-on, il couchait tout habillé. Sur la cheminée traînaient des louis; en prenait qui voulait. Terrassé par une affection de poitrine toujours menaçante, il est transporté à Morlaix, où il meurt le premier mars 1875.
Son œuvre ne fut connu du public que bien des années après sa mort. Son unique recueil, Les Amours jaunes, ne devait pas faire la fortune de ses éditeurs; il traîna longtemps sur les quais à bas prix, jusqu'au jour où il fut révélé à Paul Verlaine qui, enthousiasmé, plaça son auteur dans sa série des Poètes maudits. Une génération s'inquiéta alors de ce livre bizarre; les exemplaires eu furent vivement recherchés, et un libraire, Léon Vanier, fort soucieux de la vente des poètes, en publia une nouvelle édition qui se répandit bientôt entre les mains des lettrés.
Jules Laforgue a défini l'art de Tristan Corbière : « Bohème de l’Océan - picaresque et falot - cassant, concis, cinglant le vers à la cravache - strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las - sans esthétisme - pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature - sensuel, il ne montre jamais la chair - voyou et byronien - toujours le mot net - il n’est un autre artiste en vers plus dégagé que lui du langage poétique - il a un métier sans intérêt plastique - l’intérêt, l’effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique - il veut être indéfinissable, incataloguable, ne pas être aimé, ne pas être haï ; bref, déclassé de toutes les latitudes, de toutes les mœurs, en deçà et au-delà des Pyrénées.» L'ironie est la note dominante de cette œuvre étrange et inclassable, mais cette ironie, acre et féroce au dehors, est tendre au dedans. Jamais on n'en a rendu l'acuité aussi complètement que dans ces vers, simple épitaphe de l'auteur par lui-même :

Mélange adultère de tout :
De la fortune et pas le sou,
De l'énergie et pas de force,
La Liberté mais une entorse,
Du cœur, du cœur ! de l'âme, non —
Des amis, pas un compagnon,
De l'idée et pas une idée,
De l'amour et pas une aimée,
La paresse et pas le repos.
Vertus chez lui furent défaut,
Ame blasée inassouvie,
Mort, mais pas guéri de la vie,
Gâcheur de vie hors de propos,
Le corps à sec et la tête ivre,
Espérant, niant l'avenir.
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut s'attendant mourir.
 
Les Amours Jaunes (Vanier, 1891). 
Bibliographie : Henri Clouard, Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours (Albin Michel, 1947). – Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, la poésie du XXe siècle (Albin Michel, 1982). - René Martineau, Tristan Corbière (Mercure de France, 1904). 
 
 
Au vieux Roscoff
 
Berceuse en Nord-Ouest mineur
 
 
Trou de flibustiers, vieux nid
À corsaires ! — dans la tourmente,
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante…

Ronfle à la mer, ronfle à la brise ;
Ta corne dans la brume grise,
Ton pied marin dans les brisans…
— Dors : tu peux fermer ton œil borgne
Ouvert sur le large, et qui lorgne
Les Anglais, depuis trois cents ans.

— Dors, vieille coque bien ancrée ;
Les margats et les cormorans
Tes grands poètes d’ouragans
Viendront chanter à la marée…

— Dors, vieille fille-à-matelots ;
Plus ne te soûleront ces flots
Qui te faisaient une ceinture
Dorée, aux nuits rouges de vin,
De sang, de feu ! — Dors… Sur ton sein
L’or ne fondra plus en friture.

— Où sont les noms de tes amants…
— La mer et la gloire étaient folles ! —
Noms de lascars ! noms de géants !
Crachés des gueules d’espingoles…

Où battaient-ils, ces pavillons,
Écharpant ton ciel en haillons !…
— Dors au ciel de plomb sur tes dunes…
Dors : plus ne viendront ricocher
Les boulets morts, sur ton clocher
Criblé — comme un prunier — de prunes…

— Dors : sous les noires cheminées,
Écoute rêver tes enfants,
Mousses de quatre-vingt-dix ans,
Épaves des belles années…
(...)
Il dort ton bon canon de fer,
À plat-ventre aussi dans sa souille,
Grêlé par les lunes d’hyver…
Il dort son lourd sommeil de rouille.
— Va : ronfle au vent, vieux ronfleur,
Tiens toujours ta gueule enragée
Braquée à l’Anglais !… et chargée
De maigre jonc-marin en fleur
 
     
 
Tristan Corbière (1845-1875). Les Amours Jaunes (1891).
 
 
Heures
 
Aumône au malandrin en chasse
Mauvais œil à l’œil assassin !
Fer contre fer au spadassin !
— Mon âme n’est pas en état de grâce ! —

Je suis le fou de Pampelune,
J’ai peur du rire de la Lune,
Cafarde, avec son crêpe noir…
Horreur ! tout est donc sous un éteignoir.

J’entends comme un bruit de crécelle…
C’est la male heure qui m’appelle.
Dans le creux des nuits tombe : un glas… deux glas

J’ai compté plus de quatorze heures…
L’heure est une larme — Tu pleures,
Mon cœur !… Chante encor, va — Ne compte pas.
 
     
 
Tristan Corbière (1845-1875). Les Amours Jaunes (1891).
   
 

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29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 10:52
Des jours
qui sont des îles             
                       
BARRES Maurice 6
 
Le berceau d’un nouveau-né annonce les cercueils où reposeront son père et sa mère : « Donner de la vie, c’est aussitôt connaître dans une lassitude le vrai sentiment de la tombe. Il se mêle aux vertes ramures, à l’audace joyeuse des oiseaux, à notre émoi de la beauté, le roman vaporeux de la mort. C’est qu’à certain philtre on ne fait pas sa part une fois qu’il s’est glissé dans nos veines où nos puissances ne sont plus intactes. »[1] Nous ne sommes qu’une des vagues successives qui déferlent sur la plage de l’histoire : beaucoup nous ont précédés, d’autres nous succéderont. L’espèce humaine n’existe que parce que des hommes naissent, se reproduisent et meurent. La « vie » est une déesse anthropophage : jamais elle n’est rassasiée des corps qui lui sont offerts en sacrifice ; toujours elle en demande davantage.
La plupart des individus conduits sur l’autel de la vie ne se résolvent pas à être ainsi sacrifiés. Tous, ou presque, se révoltent contre les limites que la nature veut leur imposer. Aussi, lorsque l’occasion leur en est donnée, ils tachent de transmettre à leur descendance cette part d’eux-mêmes à laquelle ils tiennent tant : « Mais le souffle de Philippe dans la nuit, sans être plus honnête, me semble plus noble. Toute la maison se taisant, alors que le balancier de la pendule se hâte et nous entraîne vers ceux qui partirent, ce petit souffle me dit : “Que t’importe ! moi, je viens, et je serai toi-même après ta mort”. » Ainsi s’élabore, au fil des générations, un style de vie – une tradition. 
Pour quelqu'un qui, comme Maurice Barrès, célèbre le “culte du moi”, prendre conscience que ce moi  disparaîtra jette dans une arène angoissante. Comme il est alors rassurant de fondre ce moi dans celui d’une entité plus vaste – une “famille”, un “pays” – de se l’approprier avec l’illusion de devenir aussi pérenne qu’elle ! Mais, aussi vastes soient-elles, ces entités sont soumises aux mêmes lois que les hommes : « Un jour, les fées de ton berceau, c’est-à-dire notre terre natale, notre famille et l’honneur français, céderont elles-mêmes, comme nous faisons, à l’éternel écoulement des choses. Nous n’avons pas choisi le point, sur le fil de la rivière, où nous apparûmes un instant pour jouir du soleil. »
L’ “esprit” d’un “pays” ne perdure que s’il se transmet d’une génération à l’autre. Sans quoi il s’immobilise sur la rive et meurt en se mirant dans le fleuve. La traversée est périlleuse. Maurice Barrès s’y aventure avec son fils Philippe et dresse la carte de cet apprentissage de la paternité dans Les amitiés françaises : « Il est clair que, si je veux qu’un enfant donne son amitié à toutes les choses qui la méritent, il ne servira guère que je lui fasse apprendre par cœur les plus beaux aphorismes du monde… Il faut que je trouve des images qui soient vivantes pour un petit garçon dans sa vie de tous les jours, des images entendez-moi bien, qui déchaînent en lui de la musique. » Les “amitiés”, polyphoniques, se ressentent davantage qu’elles ne se comprennent. Nul besoin de longs discours : « Qu’il s’agisse de dresser un artiste, un soldat, un commerçant, ou rien qu’un honnête homme, la question n’est pas d’apporter du dehors quelque chose à un enfant, mais à ébranler son émotivité. » Car les notions les plus abstraites prennent souvent leurs sources au milieu des perceptions les plus anodines : « Certaines idées à l’ordinaire ne sont publiquement signalées qu’après qu’on leur permet d’atteindre les hautes altitudes, et pourtant, si on veut qu’elles soient intelligibles, il faut remarquer de quelles basses régions de notre âme elles furent propulsées. »
En accompagnant son fils dans l’exploration physique de ce qu’il pense être « l’esprit de la France », Maurice Barrès se découvre un autre corps : il perd, comme un serpent, sa peau d’homme déjà vieillissant et retrouve ses écailles rutilantes qu’il expose au soleil de l’émerveillement : « Ô ma jeunesse, ma plus bête et jeune jeunesse, qui refleurit ! Quand j’étais rassasié, voilà que par cet enfant je me retrouve à jeun devant le vaste univers. » Chaque instant partagé avec son fils protège Maurice Barrès du naufrage de l’anéantissement : « Il est des jours qui sont des îles… »
Aujourd’hui, alors que les pères sont de plus en plus absents – ou, dans le meilleur des cas, ne sont que l’ombre d’eux-mêmes ; alors que les enfants ressemblent davantage à leur époque plutôt qu’à leurs parents, Les amitiés françaises invite chaque père et chaque mère à faire peau neuve en même temps que leurs enfants… afin que chaque instant passé avec eux soit toujours une île.
Gilles Monplaisir.
 
En complément de ce très beau texte de notre ami Gilles Monplaisir, nos lecteurs découvriront - certains redécouvriront - avec émotion l'entretien donné en 1973 par Philippe Barrès en hommage à son père.  Lorsqu'un fils parle bien de son père ...
 

[1]. Maurice Barrès, Les amitiés françaises.
     
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28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 08:30
Anatole France et
le nationalisme littéraire
Scepticisme et tradition
 
de Guillaume Métayer                                                
Mis en ligne : [28-03-2011]
Domaine : Lettres 
Anatole-France-et-le-nationalisme-litteraire.gif

 

Né en 1972, Guillaume Métayer, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, agrégé de lettres classiques, est chercheur au Centre d'étude de la Langue et de la Littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles. Il vient de publier :  Nietzsche et Voltaire. (Flammarion, janvier 2011).


Guillaume Métayer, Anatole France et le nationalisme littéraire. Scepticisme et tradition, Paris, Editions du Félin, janvier 2011, 256 pages.


Présentation de l'éditeur.
Cet ouvrage est une enquête sur un point aveugle de notre histoire littéraire, Anatole France, prix Nobel de littérature presque tombé dans l'oubli. Avant d'être l'une des plus grandes voix du dreyfusisme et un compagnon de route du socialisme, France a surtout été considéré comme l'écrivain français par excellence, capable de cristalliser et de fixer dans la littérature le prestige de la Nation, au long des décennies de doute culturel qui ont suivi la défaite de 1870. La réception enthousiaste d'Anatole France dans la mouvance du nationalisme français, Barrès et Maurras en tête, le confirme. Des tendances nostalgiques, une écriture et des idées néo-classiques, une posture sceptique face aux excès de la Révolution française donnent l'image d'un écrivain sinon de la tradition, du moins de l'" évolution ", à distance du mythe révolutionnaire. France apparaît alors comme une sorte de " lieu de mémoire " vivant, capable de concentrer en lui nombre de " lieux de mémoire " nationaux  (" la conversation ", " la coupole ", " la visite au maître "...). Il s'impose comme la figure transitionnelle d'une France inquiète, en quête de pérennité symbolique et le miroir littéraire d'une IIIe République avide de légitimité historique. Cet ouvrage, qui s'appuie sur une étude circonstanciée de la réception d'Anatole France dans le courant nationaliste, se veut aussi un parcours critique d'une oeuvre qui marque un moment charnière dans les aventures de l'humanisme à la française.
Chronique de Michel Crépu, La Revue des deux mondes. - février 2011
Décidément, l’essai de Métayer sur Anatole France et le nationalisme littéraire est capital pour la compréhension de toute la scène littéraire française au XXe siècle. France entre Maurras et Barrès, faisant barrage de son scepticisme bourgeois face aux aventuriers du langage, tel Mallarmé ou Verlaine. J’y reviendrai longuement.
 
Une belle critique de ce livre : Benoît Gousseau, "Redécouvrir Anatole France", Politique magazine, février 2011.
  
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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 01:18
Le troisième centenaire de Boileau
 
Nicolas Boileau mourut en 1711, un 13 mars, plein d'humeur contre lui-même et contre ses contemporains. Notre homme venait de perdre son dernier combat. Il y était question de casuistique, d'accommodements avec le ciel, des Jésuites, de leur influence grandissante, de leur attitude équivoque à l'endroit de la foi et de la morale. Boileau y mit ses dernières forces, son talent de polémiste presque intact, une foi et un courage que ses ennemis ne surent entamer. Dans sa XIIe et dernière satire, il charge sabre au clair contre le mensonge et contre l'équivoque, avec des accents qui ne sont pas sans rappeler Molière, l'ami de sa jeunesse, l'autre amant de la sincérité et de la vérité. Et parce qu'on interdit la publication de cette satire, il meurt presque de rage, furieux de ses faiblesses et des faussetés de ses adversaires. On a fait de Boileau une sorte d'apôtre de l'indifférence, de la mesure et de la froide raison. Rien de plus faux. Il prend feu pour la vérité, il s'agite lorsque la littérature éternelle est en cause, il enrage lorsqu'on raisonne faux ou mal. Mme de Sévigné le montre dans la discussion "criant comme un fou, courant comme un forcené". Tout le contraire d'un réservé, d'un calculateur. Ce qui lui plait chez les Anciens, ce n'est pas la froideur du marbre mais bien leur authenticité, leur humanité, vertus chaudes. Sa prétendue haine de l'amour et de la poésie amoureuse est une autre fable qu'on tient sur son compte. Dans une petite chronique publiée par la Revue Critique en 1912 et que nous donnons ci-dessous, Jean Herluison fait justice de cette méchante légende. Nous rendrons prochainement au maître du classicisme l'hommage que cette revue lui doit. 
La Revue Critique.
 
 
Sur des vers de Boileau
 
 
Anatole France, dans un récent interview du Temps, citait ces vers de Boileau :
 
Voici les lieux charmants où mon âme ravie
Passait à contempler Sylvie
Ces tranquilles moments si doucement perdus.
Que je l'aimais alors ! que je la trouvais belle !
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle ;
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus ?

C'est ici que souvent, errant dans les prairies,
Ma main des fleurs les plus chéries
Lui faisait des épreuves si tendrement reçus;
Que je l'aimais alors ! que je la trouvais belle !
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle ;
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus ?
 
En ces vers pleins de charme, Boileau traite, avec une émotion à la fois profonde et retenue, le thème des grands romantiques, celui du Lac, de la Tristesse d'Olympio et de Souvenir; et la manière dont il le traite n'a de comparable que celle dont Racine l'esquissait en un vers de Bérénice :
 
Lieux charmants où mon coeur vous avait adoré.
 
Ainsi apparaît la vérité du mot de Moréas, qu'il n'y a pas de romantiques et de classiques, et la justesse du commentaire de Barrès et de Maurras que seule la façon de traiter tel thème pour être dit classique ou romantique.
Ces vers où Boileau dit la mélancolie du souvenir qui se lève du théâtre de notre bonheur passé, sont d'une fraîcheur qui ont frappé ses contemporains comme nous-mêmes; et de bonne heure on voulut savoir à quelle réalité ils répondaient. Louis racine n'hésitait pas à déclarer que Boileau n'avait jamais connu l'amour, et que ces vers ne furent qu'un jeu pour lui. Mais de meilleurs témoins de sa vie ont affirmé le contraire. Feuillet de Conches écrit à ce sujet dans les Causeries d'un curieux :
"Boileau composa ces vers un jour que dans une promenade solitaire au jardin du roi [1], il était livré tout entier aux passés à la ville et à la campagne dans la société d'une aimable et vertueuse jeune fille qu'il avait aimée. Louis Racine a beau nier le fait, le fait est attesté par les notes manuscrites du frère du satirique, l'abbé Boileau, docteur de Sorbonne et chanoine de la Sainte-Chapelle, et par les conversations du même avec l'adorateur fétichiste de Despréaux, Brossette, qui a consacré sa vie à élever à son idole le monument d'un commentaire."
La jeune fille qu'aima Boileau s'appelait Marie de Bretonville; elle était la nièce d'un chanoine de la Sainte-Chapelle. " C'est elle, ajoute Feuillet de Conches, qu'il pressait un jour de lui dire qu'elle l'aimait, et qui, lui répondant, finissait ainsi sa lettre : Enfin, je ne saurois vous pardonner de m'avoir voulu obligé à vous dire : Je vous aime, et qui s'obstina à laisser tout au plus surprendre son secret."
Marie de Bretonville n'ayant pas de fortune, Boileau en possédant peu et ne se sentant pas propre au mariage [2], ils durent renoncer à se voir. Marie, après huit ans, entra au couvent et Boileau tint à lui donner la dot qu'elle y apporta. Ainsi s'acheva cette histoire d'amour dont de beaux vers restent les témoins. 
Jean Herluison.
La Revue Critique des idées et des livres, 25 janvier 1912. 
 

[1]Au Jardin des Plantes.
[2]. L'histoire du dindon est inventée après coup; en réalité boileau fut victime dans sa jeunesse d'une opération mal faite de la taille de la pierre. 

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 01:35
Un mauvais débat
 
Le grand rabbin de France, M. Gilles Berheim, est un homme avisé. Il y a un an, alors qu'un débat calamiteux sur l'identité nationale battait son plein, ses appels à la tolérance et à l'intelligence collective nous avaient frappés par leur justesse et par leur sagesse. L'entretien qu'il a donné samedi soir au journal le Monde est de la même eau. M. Bernheim met en garde contre le débat que l'UMP s'apprête à lancer sur l'islam et il a raison. Il souligne que ce débat s'ouvre dans le pire des climats et qu'il ne peut aboutir qu'à cristalliser et à aviver les passions et les peurs. Il a doublement raison.
Le rabbin Bernheim ne va pas jusqu'à ajouter - mais peut-être le pense-t-il très fort - que les responsables de ce climat malsain sont les organisateurs mêmes de ce débat [1]. Il s'agit moins pour eux d'ouvrir le dialogue que d'aller pêcher les voix en eau trouble. On ne dénoncera jamais assez le rôle que M. Copé joue dans cette affaire. Vaniteux, arriviste, cynique, sur le fond parfaitement nul, le secrétaire général de l'UMP est sans doute ce qui se fait de pire dans notre classe politique. Il était l'été dernier au premier rang de la campagne contre les Roms. C'est lui qui agite depuis des mois la tourbe nauséabonde de l'islamophobie. Il a voulu ce débat, de toutes ses forces, et contre l'avis de la plupart de ses amis politiques. Sa suffisance est telle qu'il en sera sans doute fier. Si, comme nous le pensons, tout cela ne conduira qu'à diviser davantage encore les Français et à jeter des légions d'électeurs UMP dans les bras des histrions du Front national, il devra en assumer les conséquences politiques. Nous serons quelques uns à le rappeler, le moment venu, à ses électeurs. 
Que pense précisément Gilles Bernheim de la nature de ce débat ?
 
[...] Je ne suis pas convaincu de son opportunité. C'est, à mon sens, une erreur de prétendre poser toutes les questions sous forme de "débat". Tout ne se prête pas à cet exercice qui, par définition, suppose un affrontement, fût-il policé. Le risque est de figer les positions, d'organiser les antagonismes et, en l'occurence - c'est là le plus grave -, de stigmatiser une partie de la population française. 
 
"Figer les positions", "chercher l'affrontement", "stigmatiser une partie de la population française". Tout est dit et bien dit. Et M. Bernheim de rappeler ce que devrait être une laïcité véritable :
 
Comme la laïcité n'a pas de raison d'être sans les religions, je serai présent le 5 avril et je dirai que la laïcité n'est pas une doctrine, qu'elle est moins encore la religion de ceux qui n'ont pas de religion, mais qu'elle est un art de vivre ensemble. Je tiens à le dire à un moment où certains, en particulier au Front national, dévoient la laïcité dans le seul objectif de crisper et d'exclure.  [...] Il n'y a aucune contradiction entre laïcité et pratique d'une religion; la neutralité de l'espace public doit être organisée et imposée dans ce sens. Etre neutre, ce n'est ni laisser faire, ni exclure le religieux. Je ne suis pas naïf quand je parle de la laïcité comme art du vivre ensemble, en harmonie et en intelligence. 
 
Bene, optime. Peut-on mieux dire ? Et peut-on mieux dénoncer l'alliance objective qui se dessine entre ceux qui, à gauche, n'envisage la laïcité que comme une forme de police de la pensée et ceux qui, à l'extrême droite, cherche à l'instrumentaliser par haine de l'arabe et du musulman ? Cette alliance était inimaginable il y a encore quelques années. Elle prend forme, elle devient réalité. Il n'est plus rare de voir les laïcards des deux bords sympathiser dans des "apéritifs géants" ou deviser tranquillement sur les mêmes plateaux de télévision. Ce qui les rassemble ? La peur, bien sûr. La peur de l'autre, de celui qui trouble leurs certitudes. La peur, mais aussi la bêtise, nous soufflerait Bernanos. Ce fond de bétise bourgeoise, recuite, qui faisait hennir Flaubert, le ricanement obscène face à la transcendance, le sarcasme des repus face à l'humilité et à la prière, le clin d'oeil des satisfaits face à l'innocence et à la piété. 
Après les catholiques et les juifs, ce sont aujourd'hui les musulmans qui sont les victimes de cette chasse aux sorcières. On les montre du doigt, on bafoue leur croyance et leurs traditions, on leur dénie jusqu'au droit de se réunir et de prier ensemble. Certains n'hésitent pas à considérer que leur appartenance à l'islam pose problème, qu'elle les placent hors de la collectivité nationale. Ecoutons à nouveau le rabbin Bernheim : derrière le "débat sur l'islam", c'est la place des musulmans dans la société française qu'y est en cause. Par sectarisme, par une sorte de crispation intellectuelle, on finit par vouloir gommer toutes ces différences qui font notre richesse. Au plus grand mépris de l'unité nationale.  
 
Mais le véritable  enjeu est ailleurs, plus pervers et plus grave : c'est, hélas, la place des juifs et des musulmans dans la société française. [...] Je sais qu'il est souvent difficile d'être musulman en France. Cette difficulté s'alourdit aujourd'hui dans un climat malsain, aggravé par un discours en vogue qui divise au lieu de rassembler. Quand une société en est à chercher des boucs émissaires, c'est qu'elle est très malade. Je veux donc saisir l'occasion de dire à mes compratriotes musulmans que, précisément, ils sont d'abord mes compatriotes, et que ce qui nous rassemble en France, c'est la République qui nous est commune. 
 
Passons sur la République ! En fait de tolérance religieuse, il existe de meilleurs exemples !  Chez nos voisins européens, l'exercice des cultes pose infiniment moins de problèmes, les hommes de foi prennent largement part au débat intellectuel, philosophique ou politique. La liberté de conscience y est-elle plus menacée qu'en France ? Non, bien au contraire. N'est-ce pas plutôt la "laïcité à la française" qui nous empêche de poser correctement la question de la place des spiritualités dans notre société ? Cette laïcité qui s'est construite dans une logique d'affrontement avec le catholicisme et qui agit aujourd'hui avec les mêmes réflexes et la même fermeture d'esprit à l'encontre de l'islam. C'est ce qu'exprimait fort bien notre ami Gérard Leclerc, dans une récente chronique de Radio Notre Dame (1er mars) : 
 
Le second point concerne la « laïcité à la française ». Le tableau qu’on nous en dresse, les récits historiques que l’on nous chante à son propos sont attendrissants. Pardon, mais on nous raconte des fables ! Car s’il faut se féliciter de la bonne tournure qu’ont prises la loi de séparation de l’Église et de l’État et la jurisprudence qui a suivi, on oublie un peu vite que c’est dans un véritable climat de guerre civile que la Troisième République avait commencé, notamment en chassant toutes les congrégations religieuses du territoire national. Obliger les moines de la Grande Chartreuse à quitter leur monastère par recours à la force publique, ce n’était pas très glorieux. On n’en est plus là ? Je m’en félicite. Mais il a fallu un certain temps pour que l’idée de laïcité s’émancipe de la haine de la religion qui était née au dix-huitième siècle et avait abouti à la persécution de la Terreur. On n’a jamais intérêt à simplifier l’Histoire. Ce n’est pas rendre service aujourd’hui à nos compatriotes musulmans d’affirmer que miraculeusement la laïcité résoudra tous les problèmes à l’intérieur de la société française.
 
Et puisque les adeptes de la "laïcité à la française" continuent à se complaire, à droite comme à gauche, dans des logiques d'affrontement et d'intransigeance d'un autre temps, pourquoi ne pas jouer à fond le jeu du dialogue inter-religieux ? L'accueil de l'islam, la place à faire à nos compatriotes musulmans, l'intégration réussie des immigrés qui nous rejoignent,  n'y a-t-il pas là un champ d'initiatives extraordinaire pour les catholiques français - religieux, intellectuels, simples croyants - , pour peu qu'ils veuillent bien sortir, eux aussi, de leurs réflexes conditionnés. Nous le croyons très profondément 
  Paul Gilbert.
 

[1]. Le communiqué proprement scandaleux, diffusé il y a quelques jours, qui appelait les musulmans de France à rejoindre une nouvelle "Union franco-musulmane", est révélatrice de la confusion intellectuelle qui règne dans une partie de l'UMP. Qui parlait de "dérive communautariste ? 
 
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21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 00:57
L'invention du progrès       
1680-1730                            
 
de Frédéric Rouvillois
Mis en ligne : [21-03-2011]
Domaine :  Idées  

rouvillois-2.gif  

 
Frédéric Rouvillois, né en 1964, est professeur de droit public à l'université Paris V- Descartes. Il est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés à l'histoire des idées et des mentalités : L'avenir du référendum (François-Xavier de Guibert, 2006), Histoire de la politesse de la Révolution à nos jours (Flammarion, 2006), Le coup d'État, recours à la force ou dernier mot du politique? (François-Xavier de Guibert, 2007), Histoire du snobisme (Flammarion, 2009), Le collectionneur d'impostures (Flammarion, 2010). 
 

Frédéric Rouvillois, L'invention du progrès, 1680-1730. Paris, CNRS Editions, janvier 2011, 510 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
C’est à une véritable archéologie de la modernité que se livre Frédéric Rouvillois dans cet ouvrage nourri aux meilleures sources : contrairement aux idées reçues, le « Progrès » n’est pas né avec les Lumières, mais au XVIIe siècle, avec la nouvelle philosophie, l’apparition du déisme et la diffusion de l’« esprit bourgeois ». De Bacon à l’abbé de Saint-Pierre, il devient une philosophie de l’histoire et, conformément à son inspiration cartésienne et mécaniste, prétend à une cohérence totale. Ses défenseurs définissent désormais le Progrès à partir du modèle de la Machine : comme un mouvement global de perfectionnement que caractérisent sa forme linéaire, sa nécessité radicale et sa permanence. Ce faisant, ils peuvent ainsi le transposer au réel. Au même rythme que la raison, la morale, le bonheur ou l’Etat sont appelés à progresser. L’histoire, enfin dotée d’un sens, devient ainsi le lieu où pourra s’accomplir la promesse de Descartes : l’homme, parfaitement libre et tout-puissant, sera bientôt « maître et possesseur de la nature ». Une démystification talentueuse, érudite et acérée, dévoilant les retombées contraignantes des utopies.
 
L'article de Gérard Moatti. Les Echos du 3 février 2011.
Aujourd'hui, alors que décline doucement la foi dans le progrès, on prend conscience que cette vision optimiste de l'histoire, qui régna pendant au moins deux siècles, est elle-même historiquement datée. Quand est-elle née ? On répond en général : au temps des Lumières, qui précéda la Révolution. Dans un livre subtil et plein d'érudition, le juriste Frédéric Rouvillois montre que l'« invention du progrès » fut nettement plus précoce : c'est entre 1680 et 1730, dans cette période de « crise de la conscience européenne » qu'a lieu le basculement décisif. Il fait écho à la révolution scientifique qui se produit au début du XVIIe siècle : face à la physique « qualitative » héritée d'Aristote émerge une science quantitative. Pour Galilée, qui meurt en 1642, le « grand livre » de l'Univers « est écrit en langage mathématique ». En quelques décennies, le modèle mécaniste va se répandre dans tous les domaines de la connaissance, jusqu'à la biologie (les « animaux-machines » de Descartes), la science politique, la psychologie (on disserte sur la « physique des passions ») et même la religion (Dieu est le « grand horloger »). Il imprègne aussi la conception de l'histoire et donne corps à l'idée de progrès. D'abord parce qu'il implique une humanité en perpétuel mouvement, mais aussi parce qu'il promet à l'homme un déchiffrage complet de la nature, puisque celle-ci est écrite en « langage mathématique » : il y a de l'inconnu, mais il n'y a pas d'« inconnaissable ». Mais l'idée de progrès ne va pas s'imposer sans résistances. Les plus vives sont de nature religieuse : peut-on parler d'un progrès autonome de l'humanité sans mettre en cause la toute-puissance divine ? Si la Réforme avait déjà fait beaucoup, au XVI e siècle, pour promouvoir le libre arbitre, on voit se répandre dans la seconde moitié du XVII e ce que l'auteur appelle un « christianisme des intellectuels » qui trouve une expression philosophique dans l'oeuvre de Malebranche : Dieu, qui a fixé les lois de l'univers, n'a pas voulu créer un monde parfait. Il autorise l'homme à gagner son salut en l'améliorant sans cesse. Le progrès n'est plus un simple moyen, mais une fin légitime. A partir de ce schéma explicatif, l'ouvrage analyse les déclinaisons de l'idée de progrès dans le domaine moral et politique. Il décrit aussi sa lente percée dans le fourmillement intellectuel d'une époque qui vit naître, à côté de la pensée « progressiste », des utopies d'une société immobile, et où certains exaltèrent, avant Rousseau, un « état de nature » idéal, malheureusement corrompu par la technique. Ce livre n'est pas d'un abord facile, notamment en raison de son écriture souvent allusive, mais l'effort du lecteur est largement récompensé.

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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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