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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 22:00
Régis Debray, avec   
et sans frontières
DEBRAY Régis

Régis Debray nous a livré à la fin de l'année dernière un petit livre  [1] que nous regrettons de ne pas avoir lu et commenté plus tôt. Il n'y a pas d'oeuvre mineure chez Debray et cette conférence donnée en mars 2010 à la maison franco-japonaise de Tokyo aurait du mobiliser plus vite notre attention. Pensez-donc ! Debray au Japon, loin des hâbleries parisiennes et des faux débats qu'il déteste ! Debray en liberté ! Et Debray qui profite de l'occasion pour entretenir ses auditeurs d'un concept qui n'a pratiquement pas de sens pour eux mais qui en a beaucoup pour nous : la frontière. S'entourer de frontières, voilà une occupation bien inutile lorsqu'on est séparé du monde par une vaste mer, lorsqu'on a vécu si longtemps loin de l'Occident, hors du temps et qu'aujourd'hui encore on n'a pas besoin "de barbelés, de quotas, ni de censure pour filtrer les apports nutritifs du grand large". "Vos poissons crus", dit Debray à son auditoire nippon, "vos caractères d'écriture, vos rues sans adresse, vos entrelacs religieux, vos kimonos font, sous la surface d'une ultramodernité sans complexes, un filet aux mailles fines, étonnamment résistantes". Pourquoi vouloir dresser des frontières, marquer des limites lorsqu'on sait si bien, d'instinct, comme au Japon, discerner ce qui est proche du coeur et ce qui lui est étranger ?
Avec l'Europe, c'est autre chose. Dans ce petit finistère de l'Asie, les peuples ont toujours vécu entassés, les uns sur les autres. D'où la nécessité, vite ressentie, de protéger sa tranquillité, ses biens, ses dieux et ses valeurs vis à vis de voisins souvent envahissants. Alors, on a fait les nations, les langues ont divergé, les coutumes et les cultes se sont séparés. La civilisation, chez nous, s'est conjuguée au pluriel. Notre continent ressemblait hier encore à ce "ballet des nations" que Molière donne dans ses intermèdes. Gascons, suisses, italiens, espagnols et français y célèbrent l'amour et le vin chacun selon ses rites. Les frontières ont été, de tous temps, les ornements de l'Europe, ses rubans, ses dentelles, ses brandebourgs, ses passepoils. Et Debray de rappeler que sur les deux cent cinquante mille kilomètres de frontières européennes, "seulement la moitié d'entre elles suivent les lignes de partage des eaux, fleuves, rivières, lignes de crête. C'est à tort qu'on les a dites naturelles. [...]. La frontière est d'abord une affaire intellectuelle et morale". Ornements, disions nous, objets de galanterie mais aussi totems sanglants. Si "nous plantons des signes, érigeons des emblèmes", c'est souvent pour nous battre, pour nous tuer, pour faire l'histoire. Car les frontières, comme toutes les choses divines, ont deux faces, la plaisante et la hideuse. En cela, elles diffèrent de la démocratie qui n'en a qu'une seule.
Si Debray prend le risque d'écrire, et donc d'être impopulaire, c'est que les frontières sont en danger. Il va, clamant jusqu'au Japon, qu'une "idée bête enchante l'Occident : l'humanité, qui va mal, ira mieux sans frontières". Pourquoi d'ailleurs s'échauffer inutilement ? "La démocratie y mène tout droit, à ce monde sans dehors ni dedans. Aussi tout ce qui a pignon sur rue dans notre petit cap de l'Asie - reporters, médecins, footballeurs, banquiers, clowns, coaches, avocats d'affaires et vétérinaires - arbore-t-il l'étiquette "sans frontières"." Un mot d'ordre absurde ? Une histoire déjà écrite ? De nouveaux conformistes ?  Il n'en faut pas plus à Régis Debray pour partir en guerre. Contre les mondains, contre les imbéciles, il va s'employer à défendre la thèse inverse : le droit à la frontière. Mieux encore : le devoir de frontière.  Contre tout ce qui tend à uniformiser le monde, à en lisser les contours, à en gommer toute trace de différence, donc de vie. Et le voilà qui part en croisade, le coeur content, l'âme sereine, un léger sourire au coin des lèvres.
C'est que, dans ce combat, Debray tient pour une fois le beau rôle. Le réaliste, c'est lui. A ceux qui lui opposent les mirages du sans-frontiérisme, les beautés de la ville-monde, les charmes du village planétaire, il répond murs, barrières électriques, miradors, caméras de surveillance. Ce monde que l'on dit ouvert n'a jamais été autant surveillé, fliqué, contrôlé. "Des frontières au sol, il ne s'en est jamais tant créé qu'au cours des cinquante dernières années. Vingt-sept mille kilomètres de frontières nouvelles ont été tracés depuis 1991, spécialement en Europe et en Eurasie. Dix mille autres de murs, barrières et clôtures sophistiquées sont programmés pour les prochaines années." Voilà la réalité que l'on prétend nous faire oublier, par discours ou par image interposés. Mais rien n'y fait. "Ce réel nous résiste et nargue nos plans sur la comète." Plus l'économie se globalise, plus les moyens de communication rapprochent, au point de nous faire croire que nous sommes tous voisins, plus les territoires se fragmentent, plus les sensibilités nationales, régionales ou locales sont à fleur de peau. On crée des frontières partout, là où elles étaient inimaginables il y a un siècle. Elles divisent nos provinces, elles passent même aujourd'hui au coeur de nos villes.  
Ceux qui, comme Debray, connaissent les lois de l'histoire ne s'en étonnent pas. "L'intempestif qui déjoue les programmes est vieux comme Caïn, assassin notoire et premier constructeur de ville. Il ne ferait pas retour avec tant d'insistance s'il ne tenait à la nature des choses, à une loi d'organisation que l'expérience indique, hélas, comme infrangible. Comment faire souche ? Comment mettre de l'ordre dans le chaos ? Configurer un site à partir d'un terrain vague ? En traçant une ligne."  Quelle que soient les traditions, nous sommes ramenés aux mêmes signes. C'est le geste du Dieu de la Genèse, séparant la lumière des ténèbres, les eaux d'avec les eaux. C'est Romulus et sa charrue, traçant le pomerium, et ouvrant la voie aux légendes des fondateurs de villes et des constructeurs de limes. Les limites sont choses sacrées, elles sont aussi - comme le terme latin limen - seuil et barrière, chemin et borne. Elles ont à voir avec la peau des êtres vivants "dont le rôle n'est pas d'interdire, mais de réguler l'échange entre un dedans et un dehors". La seule frontière que l'on ne franchit qu'une fois et dans un seul sens, c'est le Styx, c'est la mort. Il existe de bonnes, de vraies frontières, celles qui filtrent sans enfermer, qui permettent l'échange lorsqu'il est souhaitable et souhaité, qui préservent aussi la liberté et la tranquillité des peuples. Il existe également de mauvaises frontières, murs, clôtures, "rideaux de fer" qui confinent les nations et les conduisent à l'asphyxie ou à la révolte. Or, paradoxalement, ce sont les premières que notre modernité cherche à abolir, les secondes qu'elle essaime un peu partout. 
Debray agit en philosophe : il condamne et il construit. Il a beau jeu de dénoncer les duperies du sans-frontiérisme. Derrière la fable du "meilleur des mondes ouverts", on trouve toujours les mêmes rapaces et les mêmes canailleries. Qui a le plus intérêt à l'élimination des frontières, sinon l'entrepreneur globalisé, pour qui le monde n'est qu'un vaste marché et un vaste cimetière pour ses concurrents ? Sinon les spéculateurs, les "évadés fiscaux, membres de la jet-set, stars du ballon rond, trafiquants de main d'oeuvre" ? Tous ceux là n'ont plus besoin de frontières, ils ont leurs propres frontières - celles de l'argent, du pouvoir, de la caste - qui les séparent bien mieux du reste du monde. Et qui a le plus intérêt au maintien des frontières, sinon le pauvre monde, le travailleur que l'on exploite, le peuple du tiers monde que l'on rançonne ? Oui, le sans-frontiérisme, comme le dit Debray, "excelle à blanchir ses crimes" et ses mensonges. Oui, il a bien toutes les tares de la mondialisation - économisme, technicisme, absolutisme, impérialisme - et il en est même la fable la plus répugnante.
Mais c'est aussi une autre conception du monde - politique au plein sens du terme - que Debray nous livre dans son petit livre. Et c'est d'abord un hymne à la diversité humaine. La richesse du monde ne se mesure ni dans les statistiques de production, ni dans les coffres des banques. Elle ne repose pas sur les "performances" de quelques-uns. La richesse du monde, c'est d'abord celle de ses nations, l'étonnante diversité des cultures, des talents, des traditions qui composent chacun des peuples. Nier cette réalité, qui s'épanouit à l'ombre des frontières, c'est travailler à l'appauvrissement du monde et à sa mise en coupe réglée au profit de quelques uns. Car - et c'est l'autre belle leçon de ce petit opuscule - il n'y a pas de peuple autonome, responsable sans frontière, comme il n'y a pas de peuple sans Etat. Le choix d'un peuple, c'est l'échange mais c'est aussi le refus de l'échange lorsqu'il est injuste, inéquitable. Le choix d'un peuple, c'est aussi le droit au repos, à la quiétude, à la paix civile, le choix de faire ses affaires sans subir le bruit de l'autre, sa "culture" ostentatoire, ses marchandises de contrebande, sa religion dénaturée, ses leçons de morale ou de démocratie. C'est ainsi qu'on est un homme, nous dit Debray, qu'on devient un vrai "citoyen du monde" : en respectant les peuples, leur diversité, leurs couleurs, leur liberté et leur droit à l'indépendance. C'est ce monde courtois, éduqué, civilisé, adulte qu'il appelle de ses voeux. Une fois dissipées les nuées de la fausse modernité, c'est vers ce monde là que nous irons d'un pas léger.
Paul Gilbert.
 

[1]. Régis Debray, Eloge des frontières, Gallimard, 104 pages.

      

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17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 23:57
Lire Bergson                             
 
de Frédéric Worms
et Camille Riquier (dir.)
Mis en ligne : [17-04-2011]
Domaine :  Idées   

Frédéric Worms Lire Bergson

 
Frédéric Worms, né en 1964, est philosophe. Professeur à l'université de Lille, directeur du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine (CIEPFC) à l'ENS (Paris), c'est un des grands spécialistes français de l'oeuvre de Bergson. Il a récemment publié :  Bergson ou Les deux sens de la vie : étude inédite. (Presses universitaires de France, 2004), La philosophie en France au XXe siècle. (Gallimard, « Folio inédit », 2008).
 

Frédéric Worms et Camille Riquier (dir.), Lire Bergson. Paris, PUF, janvier 2011, 208 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Lire Bergson, se veut à la fois un volume indépendant d’introduction à son oeuvre et l’effet direct d’un travail collectif, celui-là même qui a conduit à une « édition critique » d’ensemble de cette oeuvre, et qui trouve son achèvement avec la parution simultanée des Ecrits philosophiques. Il offre ainsi l’occasion à chacun de ceux qui ont contribué à cette aventure, tout d’abord, de revenir (sans exclusive) sur la partie de l’oeuvre qu’il a plus particulièrement « éditée », en vue de reconduire à sa lecture. C’est ce qui explique aussi l’ordre des études, qui suivent celui des principaux livres et essais de Bergson. Mais si ce travail permet de donner Bergson à lire à nouveau pour lui-même, il fallait aussi que ceux qui se lancèrent dans cette entreprise, engagés par ailleurs chacun dans leur propre lecture, aient appris de cette autre relation à l’oeuvre, et la fassent partager. Il s’agit donc aussi pour chacun d’ouvrir la lecture de Bergson sur ses propres préoccupations ainsi que sur celles du présent. Ce volume voudrait donc montrer aussi, à partir de points de vue variés sur l’oeuvre, la diversité de ce qu’on peut tirer de son étude. C’est naturellement qu’il vient le clore, comme les vendanges viennent après les labours, ou plutôt le réouvrir en le transposant sur de nouveaux terrains.
 
L'article de Roger-Pol Droit. Le Monde, 11 février 2011.
Lire autrement un Bergson différent. Etonnant destin que celui de l'oeuvre d'Henri Bergson (1859-1941). Dès le début, elle rencontre une audience inhabituelle. Durant les premières années du XXe siècle, cet homme frêle, modeste, presque timide, devient une star. Le mot n'existe pas encore, mais ce philosophe, qui scrute la conscience comme le chimiste explore une molécule, est soudain au centre de tous les débats. Dans La Gloire de Bergson (Gallimard, 2007), François Azouvi a retracé cette ascension sans pareille et le brusque déclin qui suivit. Dans la France des années 1960 et 1970, à l'apogée du structuralisme, en effet, c'est le rejet. On écoute Paul Nizan ou Georges Politzer, qui le traitent de "chien de garde" et de "valet de la bourgeoisie". Alors que le marxisme triomphe et que le matérialisme domine sans partage, le malheureux Bergson passe pour un spiritualiste réactionnaire et obsolète. Mis à part quelques fidèles, personne ne le lit. Si... Gilles Deleuze. Contre la machinerie hégélienne et les pesanteurs de la dialectique, Deleuze trouve en lui une pensée de la radicale nouveauté, surgissant au coeur du flux temporel, émergeant d'un mouvement créateur. Sous l'influence de Jean Wahl, qui maintient en France le souvenir de William James - ami de Bergson, presque son alter ego -, Deleuze contribue à réhabiliter l'oeuvre. Il montre combien, pour penser notamment le cinéma et "l'image-mouvement", les intuitions bergsoniennes sont précieuses. Aujourd'hui, quelques décennies plus tard, le paysage est fort différent. L'oeuvre d'Henri Bergson paraît à nouveau centrale. Mais on la lit autrement, sous des angles inédits. On découvre aussi, par de nouveaux textes jusqu'alors oubliés ou inconnus, d'autres facettes. En témoignent, ces jours-ci, pas moins d'une dizaine de volumes de ou sur Bergson. Parmi les indices d'un bergsonisme vivace et renouvelé, rappelons le travail récent de David Lapoujade, éditeur et commentateur de Deleuze et de James. Dans Puissances du temps, paru il y a quelques semaines, il tente de résoudre deux questions laissées de côté par Bergson : la place des émotions et des affects - curieusement peu évoquée par le philosophe, alors que le regret, le deuil ou la mélancolie nous donnent un accès incomparable au temps -, et le sens de l'avenir, qui interroge évidemment une pensée ayant su rendre synonymes durée et mémoire. Toutefois, le volume le plus significatif des approches actuelles est l'ouvrage collectif intitulé Lire Bergson. Sous la direction de Frédéric Worms, grand artisan du renouveau bergsonien et responsable de la nouvelle édition critique, une brochette de philosophes de la nouvelle génération invente des éclairages imprévus. C'est ainsi, par exemple, que Frédéric Fruteau de Laclos, sous un titre surprenant ("La philosophie analytique d'Henri Bergson") rapproche de manière inattendue mais féconde l'homme des données immédiates de la conscience et Russell, Schlick, Goodman ou Meyerson. De même, "Bergson dans la société du risque" - celle qu'il n'a pas connue et qu'analysent diversement, bien après lui,Claude Lévi-Strauss, Jean-Pierre Dupuy ou François Ewald - fournit son thème à une étude de notre collaborateur Frédéric Keck. On le voit : il ne s'agit pas seulement, comme le souligne Frédéric Worms, de s'attacher à ce qu'on découvre seulement chez Bergson - en particulier ces thèses centrales : "Le temps n'est pas de l'espace" ; "Le néant n'existe pas" ; ou encore la différence entre les religions et les morales qui sont closes et celles qui sont ouvertes. Il convient également de faire l'apprentissage d'une lecture intégrale, suivie, raisonnée, qui permette de confronter cette pensée à des objets nouveaux et d'en découvrir des capacités inaperçues. A cela se reconnaissent les vraies philosophies. Encore faut-il disposer de tous les textes dans une édition fiable, sérieuse et accessible. C'est maintenant chose faite, grâce à l'excellente édition critique des Presses universitaires de France (PUF). Maniable, rigoureuse, peu coûteuse, c'est un modèle d'outil de travail utile à tous. Les derniers titres, qui viennent de paraître, reprennent sous forme de courts volumes des études que Bergson avait publiées séparément, puis regroupées, en 1934, sous le titre La Pensée et le mouvant. D'autre part, un fort volume d'Ecrits philosophiques offre lettres, articles, discours, débats ou interviews qui dessinent d'autres silhouettes de Bergson, où s'impose celle d'un maître animé par une indéfectible passion de l'explication lumineuse. On retrouve ce souci de clarté et d'exemples concrets dans les cours de lycée du professeur Bergson, qui ont fait récemment l'objet d'un colloque à l'Ecole normale supérieure (Paris). Deux nouveaux volumes, édités par Sylvain Matton et présentés par Alain Panero, sont disponibles. Comme les précédents, ce sont des cahiers de notes manuscrites prises scrupuleusement par les lycéens d'alors. Pour l'anecdote : ces archives, qui dormaient dans des greniers, ont été proposées à l'éditeur à la suite d'un article du "Monde des livres" relatant par quel hasard avait resurgi de l'oubli le précédent cahier inconnu. Comme quoi...


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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 00:35
Autopsie d'un débat
 
Le gouvernement et l'UMP n'ont pas de chance avec les débats. Celui de l'an dernier sur l'identité nationale produisit une telle confusion au sein de la majorité que le gouvernement fut contraint d'y mettre un terme avant l'heure. Cette année, c'est au tour du débat sur la laïcité. Il a suffit d’une journée de colloque pour que le parti présidentiel s’entre-déchire et pour que toute la droite prenne feu. Après des cantonales calamiteuses, et à un an d’une échéance cruciale pour le pouvoir, voilà qui n'arrange pas les affaires de M. Sarkozy. 
Depuis le 5 avril, date des fameuses rencontres à l'hôtel Pullmann, on ne sait plus très bien quoi penser. M. Copé, le secrétaire général de l'UMP, s'est félicité dans un premier temps de la tenue "d'un débat de bonne tenue et sans langue de bois". Il devait concéder à mi-mots, quelques heures plus tard, que ces rencontres n'avaient pas eu le succès escompté et que la balle était maintenant dans le camp du gouvernement et du Parlement, pour le vote d'un code de la laïcité. Même confusion au sein de l'état-major et des groupes parlementaires de l'UMP, où on est passé en quelques jours d'une communication triomphante à un silence gêné, puis au doute.
Les coups de bec les plus durs sont venus du gouvernement. "La page est tournée et bien tournée", s'est exclamé avec soulagement M. Juppé. "Il est derrière nous ce débat", a renchéri le porte-parole du gouvernement, M. Baroin, sans évoquer de suites - débat parlementaire - à court terme. Les ministres Lagarde, Bachelot et Kosciusko-Morizet se sont exprimés dans le même sens et l'on sait que le Premier ministre, volontairement silencieux depuis sa passe d'armes avec M. Copé, est sur la même longueur d'onde. Côté centriste, la démarche de l'UMP a provoqué de violents échanges entre parlementaires et M. Sauvadet, le président du groupe NC au Palais Bourbon, s'est senti obligé, en fin de semaine dernière, d'appeler ses troupes à la retenue.
Le débat lui même n'a d'ailleurs pas apporté beaucoup d'eau au moulin de l'UMP. Au vu du tapage médiatique qui a accompagné sa préparation, la plupart des instances religieuses ont préféré se faire discrètes et n'envoyer que des observateurs. Les représentants de l'islam, après pas mal d'hésitations, ont estimé qu'ils n'y avaient pas leur place. Les seules sommités à faire le déplacement, le grand rabbin Bernheim et le Père Rougé pour l'épiscopat, ont dénoncé ensemble à la tribune une laïcité qui se radicalise, qui divise et qui tend à devenir une sorte de contre-religion. Quant aux obédiences maçonniques, elles avaient, elles aussi, dénoncé la veille dans un communiqué commun "un débat qui divise la Nation". On imagine la tête des organisateurs devant un tel concert de critiques !
L'affaire se termine donc par un échec pour M. Copé, un de plus. On s'en félicitera car, dans le cas d'espèce, le mensonge, le bourrage de crâne et la démagogie n'ont pas payé. Il n'en reste pas moins que l'UMP et M. Sarkozy ont pris, avec cette initiative, des risques considérables. Pour eux-mêmes et la classe politique, mais surtout pour la paix civile, l'unité du pays, son image et son rôle dans le monde
Le risque est d'abord terrible pour la droite de gouvernement. Il y a désormais deux lignes politiques au sein de la majorité : celle des sarkozystes qui veulent poursuivre leur offensive sur le terrain mouvant de l'islam et de l'immigration et celle des chiraco-centristes qui s'inquiètent de la publicité qu'on donne à ces sujets, en pleine ascension du Front national. «Sur ces terrains-là, nous ne serons jamais crédibles», estime-t-on dans l’entourage de M. Fillon, «les électeurs préféreront toujours l’original à la copie». Le premier bénéficiaire de cette situation, c'est M. Borloo, à qui l'on a fourni un prétexte en or pour quitter le navire sarkozyste et fédérer le "centre social et républicain". Ses initiatives commencent à attirer beaucoup de monde. L'autre gagnante, c'est naturellement Mme Le Pen, qui n'espérait pas tirer si vite les dividendes de son recentrage. Entre les deux, le gros des troupes de la droite classique n'aura bientôt plus le choix qu'entre le ralliement ou la démobilisation.
Il y a aussi un risque pour la classe politique dans son ensemble. M. Copé tient à sa résolution parlementaire sur la laïcité. Son objectif est bien sûr l'opposition et, en première cible, le parti socialiste. Il s'agit de réveiller au sein de la gauche les tendances les plus laïcardes, comme ce fut le cas il y a un an pour la résolution sur l'interdiction du voile intégral, que le PS avait voté après un sérieux débat interne. "Ce sera très intéressant de voir qui vote cette résolution dans l'opposition. Je suis très frappé de voir que le Parti socialiste a été extraordinairement critique, violent, a même été dans le déni par rapport au débat initié par le chef de l'Etat". Et M. Copé d'enfoncer le clou : "les socialistes ont du mal à se prononcer sur le fond parce qu'ils sont profondément divisés entre ceux qui sont communautaristes et ceux qui sont tenants d'une laïcité dure". Diviser, l'objectif est clair. Comme on a divisé la droite, on cherchera aussi à diviser la gauche. A quel résultat aboutira cette politique de gribouille ? A accroître encore la confusion. Le sarkozysme ne prospère jamais aussi bien qu'en eau trouble.
Mais il y a également un risque pour les libertés et pour l'unité du pays, et là le sujet est infiniment plus grave. En jouant avec la laïcité, les dirigeants de l'UMP se sont conduits comme de véritables apprentis-sorciers. Ainsi que le souligne fort justement le rabbin Bernheim, le laïcisme tend de plus en plus à prendre la forme d'une contre-religion assez primaire, "le culte de ceux qui n'en ont pas". Ce sectarisme était jusqu'à présent l'apanage d'une fraction de la gauche, agissante mais minoritaire. Une grande partie de la droite et de l'extrême droite est en passe de s'y rallier, par aversion pour l'islam, par peur de l'autre, par xénophobie. C'est un nouvel épisode de la "guerre de tous contre tous" qui est à craindre. N'est ce pas d'ailleurs ce que l'on cherche ? Car si la guerre laïque ne résout rien, ne débouche sur rien, sinon sur la division et sur la discorde civile, c'est une guerre commode car elle permet les diversions. Elle a l'immense mérite, aux yeux de certains, de faire oublier les vrais sujets, ceux dont souffrent réellement le pays, et d'abord cette question sociale, cette précarisation de la société qui est à l'origine de toutes les tensions. Dieu fasse qu'il reste assez d'esprits clairvoyants pour le dire haut et fort !
C'est enfin l'image et la place de la France dans le monde qui est mise en cause. Le débat sur la laïcité et la place de l'islam préoccupe les capitales arabes et du tiers monde. Au Caire, à Beyrouth, à Rabat, à Tunis et ailleurs, on s'étonne et on s'inquiète de voir la France rouler sur cette mauvaise pente. L'éditorialiste du Quotidien d'Oran signalait fin mars : "cette campagne de mise à l'index de l'islam et des musulmans menée depuis plusieurs années [qui] a pour effet premier de légitimer le discours de l'extrême droite. Les sondages le montrent sans ambages, la grande bénéficiaire du délire antimusulman qui frappe une partie de la droite est Marine Le Pen, chef d'un parti autrefois d'essence pétainiste et antisémite auquel elle a fait opérer un aggiornamento pro-israélien et viscéralement anti-arabe. [...] Mais il serait trompeur de circonscrire cette pathologie à la seule droite : nombreux sont ceux qui, à gauche, au nom d'une laïcité de combat se retrouvent sur une ligne identique" [1]. Preuve, s'il le fallait, qu'on nous voit, qu'on nous connait et qu'on nous juge assez bien. Alors que les peuples d'Orient et d'Afrique du Nord tournent une page de leur histoire, la France n'a-t-elle pas d'autre visage à leur montrer que celui de la démagogie, du populisme et de l'intolérance ? Et pourquoi prétons nous si facilement l'oreille à ceux qui cherchent à influencer notre politique au Proche-Orient, en diffusant, chez nous, une sale propagande anti-arabe ?
Est-ce parce que les  risques que nous venons de décrire sont sérieux que le pouvoir s'apprête à faire machine arrière ? On dit que M. Guéant serait prêt à jeter aux orties les marottes de M. Copé - et en particulier l'idée d'une loi de renforcement de la laïcité - pour revenir à plus de sérénité. Acceptons-en l'augure, même si l'actuel ministre de l'intérieur nous a habitué à varier dans ses positions. M. Guéant s'est dit sensible aux arguments des responsables religieux. Si c'est le cas, la preuve sera faite que c'est le dialogue et l'union des spiritualités qui est le meilleur viatique contre la bétise laïcarde. Nous le pressentions.
  Hubert de Marans.
 

[1].K. Selim, "Délire antimusulman en France", le Quotidien d'Oran, 10 mars 2011.
 
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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 00:18
Gide et Maurras
 
M. Frank Lestringant, éminent professeur de littérature à la Sorbonne, vient de publier le premier volume d'une imposante biographie d'André Gide [1]. Dans la livraison d'avril du Magazine des Livres, il nous livre une série de détails sur la "personnalité incroyablement complexe et mobile" de l'auteur des Faux-Monnayeurs.
Non, Gide n'a pas toujours été cette "grande conscience de la littérature et de la vie politique française", qui a fait soupirer d'ennui des générations de lycéens [2] . A l'orée du siècle précédent, lorsqu'il lanca l'aventure de la NRF, il fut d'abord un dandy, nourri de poésie et de littérature classiques, à la recherche de formes pures mais aussi d'idées nouvelles. Ses débats passionnés de l'époque avec les jeunes rédacteurs de la Revue critique des idées et des livres sont là pour en témoigner. En 1909, l'enquête d'Henri Clouard dans La Phalange, ses articles des Guêpes et de la Revue critique lancent le débat sur le nouveau classicisme. Gide y rentre et n'hésite pas à marquer son accord avec Clouard. Il avoue même son "horreur" du romantisme et de "l'anarchisme littéraire". Le débat est relancé quelques mois plus tard sur la question de l'engagement et du nationalisme littéraire. Clouard et Gilbert montent en première ligne et se déclarent écrivains engagés. Gide leur répond dans trois articles de la NRF ("Sur le nationalisme littéraire", NRF, juin, septembre et octobre 2009) où il finit là encore par reconnaître son accord: "Plus je serai français, plus je serai humain; et plus je serai Gide, plus je serai français; rien ne m'empêche donc de faire un bout de chemin avec les nationalistes littéraires".
Comme le signale M. Lestringat, c'est pendant la Guerre qu'André Gide subira le plus fortement l'attrait des idées néoclassiques et maurrassiennes :
 
Même chose pour la guerre de 1914-1918 : Gide, qui sera pacifiste au tournant des années 1930, n'est pour le moment pas insensible aux sirènes de l'Action française, à laquelle il est près de se rallier en 1916, l'année de Verdun. Ce nationalisme, largement partagé par les membres de la NRF, excepté Martin du Gard, explique d'abord le dernier sursaut de la foi chrétienne [de Gide], dont témoigne le cahier vert de Numquid et tu ?, puis par une sorte de choc en retour l'éloignement irréversible de toute religion...
 
A cette époque, c'est non seulement André Gide mais toute la rédaction de la NRF qui est sous le charme de Maurras et des idées de l'Action française. En janvier 1915, Copeau va jusqu'à déclarer : "Je le dis sincèrement : Maurras seul et ses amis, mais Maurras surtout me paraît avoir une tenue digne de l'heure présente et digne de la patrie. Je le lis chaque matin. Auprès de lui je trouve approbation, conseil et protection". Chez Jean Schlumberger, l'accord avec les idées de Maurras accompagne sa "conversion au nationalisme" et, chez Henri Ghéon, son retour à la foi catholique. Mais Gide ira plus loin : il proclamera ouvertement son admiration pour l'auteur d'Anthinéa dans une lettre que l'Action française publiera le 5 novembre 1916. Et Maurras de commenter :
 
[Un texte] nous arrive d'une région philosophique et littéraire où nous n'espérions nullement conquérir cette rare amitié. [...] la carrière littéraire d'André Gide décrit une courbe brillante, mais dont les contacts avec l'Action française étaient jusqu'ici rares ou fugitifs, et nos relations personnelles, datant de notre plus ancienne jeunesse à l'un et à l'autre, furent aussi clairsemées qu'il était possible. 
 
Tout concourrera, une fois la guerre terminée, à éloigner Gide et Maurras. Le dilettantisme de Gide et, au fond, son assez faible appétit pour les questions politiques et idéologiques, l'intransigeance de Maurras, conjuguée à la véhémence de certains de ces disciples, comme Massis, à l'égard de Gide, expliquent ce divorce croissant. Il restera malgré tout quelque chose de ces affinités littéraires. Chez Gide, en particulier, qui restera fidèle toute sa vie à une forme d'écriture et de pensée claire, dénuée de toute marque de romantisme. C'est un des traits qui fait de lui un de nos grands écrivains modernes.
Paul Gilbert.
 

[1]. Frank Lestringant, André Gide l'inquiéteur : tome 1, le ciel sur la terre ou l'inquiétude partagée (1869-1918), Flammarion, 2011 .
[2]. D'où l'horrible calembour d'Antoine Blondin : "la nature a horreur du Gide" ! 

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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 23:21
La France qui se bat
 
L'affreuse affaire Tapie est là pour nous le rappeler : dès qu'il y a de l'argent dans les caisses de l'Etat, ce sont les amis du régime qui en profitent, pas la production nationale, pas les travailleurs français. Quand aux banques, elles ont naturellement tout oublié de la crise financière de 2008. La spéculation y bat à nouveau son plein et les surrémunérations des "traders" atteignent à nouveau des sommets. On préfère alimenter la prochaine bulle immobilière ou trafiquer sur les marchés asiatiques plutôt que de soutenir  l'industrie nationale qui a pourtant des besoins criants de capitaux.
Le dossier Yoplait illustre parfaitement cette situation : voilà un groupe performant, désendetté, très bien positionné dans la compétition mondiale. Qui plus est, ce fleuron sert de débouché à un de nos secteurs agricoles les plus importants, celui des produits laitiers. Il devrait être logiquement au coeur d'une politique industrielle innovante, volontaire, intelligente. Sa recherche et développement, entièrement localisée en France, devrait être très fortement soutenue par les pouvoirs publics. Et pourtant, il n'en est rien. Lorsqu'au début des années 2000, Yoplait a du faire face à une mutation industrielle de grande ampleur pour tenir ses positions sur le marché mondial, c'est à un fonds privé qu'il a du faire appel. Le fonds en question - FAI dirigé par M. Zinzou, banquier d'affaires et ami de Laurent Fabius - a naturellement demandé des gages aux actionnaires historiques, les coopératives laitières : en récupérant 50% du capital et la direction de l'entreprise, il a fait une première bonne affaire. En décidant, il y a quelques semaines de vendre sa participation majoritaire au géant américain General Mills, FAI dégage une énorme plus-value et réalise une seconde très bonne affaire. Sur le dos de qui ? Du secteur coopératif laitier, qui perd ainsi le contrôle d'une entreprise dont il avait pourtant porté le développement à bout de bras. Des 1300 salariés français de Yoplait, qui s'inquiètent à juste titre pour leur emploi et pour leurs conditions de travail. Et de l'Etat français lui même, qui craint de voir Yoplait découpé et revendu par activités, au gré du marché et des décisions prises par un actionnaire qui n'a rien d'un philanthrope. Résultat : l'Etat va finalement intervenir. Il le fera non pas de façon offensive - ce qui, horresco referens, l'exposerait à passer pour "interventionniste" aux yeux du capital américain! - mais de manière défensive, en aidant les coopératives laitières à conserver leur minorité de blocage dans le capital de Yoplait. Ce qui n'a pas été fait il y a 10 ans, dans des conditions de marché alors raisonnables, l'Etat va maintenant le faire et au prix fort ! Quelle absurdité et pour quels médiocres résultats ! 
Yoplait n'est ni le premier ni le dernier exemple de l'incurie de l'Etat et de la défaillance de nos structures bancaires  : on vient d'annoncer le rachat de Rhodia par le groupe belge Solvay. Rhodia, c'est l'ancien empire des activités chimiques de Rhône-Poulenc, un des fleurons de l'industrie française des années 60 et 70, séparé dans de mauvaises conditions de sa maison-mère. Rhodia, c'est l'histoire d'une restructuration douloureuse, aujourd'hui réussie, mais qui aura coûté cher, en emplois perdus, en usines fermées, en aides publiques. Et voilà que, le groupe redressé, la crise passée presque sans encombre, la France perd les bénéfices des efforts qu'elle a consentis. Pourquoi ? Parce que Rhodia, bien que remis à flot, traine un passif de 2 milliards d'euros, lié à la dépollution de ses anciens sites industriels. Qui a aidé Rhodia à éponger ce passif et à disposer des moyens de rebondir? Personne. Ni l'Etat, ni la Caisse des Dépots, ni bien évidemment le système bancaire français, celui là même qui tendait il y a deux ans la sébile aux contribuables pour effacer les traces de ses placements douteux, off shore. Exit donc Rhodia, et adieu à nos ambitions dans la chimie industrielle, une des activités de base du monde de demain.
Yoplait, Rhodia et combien d'autres... PME performantes qui ne trouvent aucun appui pour financer leur développement, petites entreprises innovantes en manque de capital, entrepreneurs, chercheurs qui se voient refuser un prêt, ouvriers, techniciens, cadres qui ne trouvent aucun soutien pour reprendre leur entreprise défaillante. Voilà la réalité, la triste réalité quotidienne de l'industrie française. Il faudra bien un jour que les choses changent. Nous aurions pu saisir l'opportunité de la crise financière de 2008 pour nationaliser nos banques et constituer de puissantes institutions financières, nationales et régionales, pour répondre aux besoins de nos entreprises et des producteurs qui les font vivre. Il n'en a rien été et les milliards d'euros de subsides versés aux banques l'ont été en pure perte. Ne laissons pas passer la prochaine occasion : la crise qui se prépare, celle de l'euro, va mettre en lumière l'incurie de nos banquiers, privés et centraux. Soyons sans pitié cette fois-ci, licencions-les, exproprions, nationalisons, régionalisons !
Car dans le même temps, les entreprises multinationales continuent à prospérer sur notre sol. Elles n'ont aucun scrupule à dégraisser leurs effectifs et à vendre les activités qui ne répondent plus à leurs standarts de compétitivité. Ainsi le groupe allemand Bayer n'hésite pas à annoncer la cession des activités pharmaceutiques qu'il exploite en Haute Savoie et c'est 350 à 380 emplois qui sont menacés par cette décision. Le suisse Nestlé restructure sa production de produits surgelés et réduit l'activité de ses usines picardes. Des incertitudes pèsent sur l'avenir des sites Bosch d'Angers et de Drancy qui emploient plus de 800 personnes. Heureusement, les salariés et leurs organisations syndicales n'hésitent plus à créer le rapport de force : c'est le cas à Strasbourg, où les employés de General Motors ont entamé une grève illimitée pour obtenir l'arrêt des plans sociaux, et à Blanquefort où les salariés de Ford, eux aussi en grève, cherchent à accélérer la revitalisation du site. C'est le cas aussi dans de nombreuses entreprises en redressement judiciaire, où les salariés décident d'intervenir dans les procédures pour négocier avec les candidats à la reprise, favoriser les meilleures propositions et susciter, s'il le faut, des repreneurs. Les producteurs s'organisent un peu partout, tant mieux !
H. V.

Mardi 1er mars
- Un an après son démarrage, VM Industries, l'entreprise créée pour reprendre l'usine de connecteurs de Molex à Villemur-sur-Tarn emploie 52 salariés, pour l'essentiel des anciens de Molex. A la fin de l'année, l'entreprise engagera une diversification dans le secteur ferroviaire. Avant sa fermeture en 2009, Molex employait 283 salariés. Par ailleurs, les salariés de Molex et la CGT Métallurgie ont saisi l'OCDE de leur conflit avec leur ancien employeur. 
- L'entreprise Hydra, implantée à Moosch (Haut-Rhin) et spécialisée dans la production de produits d'hygiène (cotons à démaquiller, bâtonnets...), demande son placement en redressement judiciaire. Hydra compte 158 salariés.  En 2008, un premier  plan social avait entraîné 45 suppressions de postes.
Mercredi 3 mars
- la majorité des 400 salariés du groupe Photowatt, spécialisé dans la fabrication de panneaux photo-voltaïques à Bourgoin-Jallieu (Isère) ont décidé de se mettre en grève pour une durée indéterminée. Ils s'opposent aux conditions de licenciement proposées dans le plan de restructuration de l’entreprise qui prévoit la suppression de 195 postes en CDI et de 126 contrats d'intérim.
Lundi 7 mars
- Le tribunal de commerce de Périgueux prononce la liquidation judiciaire de Naptural Isoplume (19 salariés en Vendée). Ce fabricant de panneaux isolants dépend du groupe Sofidile-Isoa, qui emploie 220 salariés en Aquitaine.
Mercredi 9 mars
- Le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis va supprimer 700 postes en Europe, notamment parmi ses visiteurs médicaux. Le Portugal serait le pays le plus touché par cette restructuration que Sanofi se refuse pour le moment à confirmer.
Lundi 14 mars
-  L'entreprise Tharreau Industries, qui emploie 135 salariés à Chemillé (Maine-et-Loire) dans les textiles techniques non tissés, va être repris par le groupe danois Fibertex Nonwovens. Les autorités de la concurrence doivent encore valider ce rachat.
Mardi 15 mars
Une manifestation rassemble plus de 1500 personnes à Carhaix (Finistère) pour protester contre la fermeture d'une usine Entremont, après la reprise du fromager par le groupe laitier Sodiaal en décembre 2010.
Mercredi 16 mars
- Accord sur les indemnités de licenciement des salariés de la raffinerie Petroplus de Reichstett (Haut Rhin). Les 255 employés ont mis fin à la grève commencée il y a une semaine. Des repreneurs sont recherchés par les syndicats. 
Jeudi 17 mars
- Un mouvement social perturbe la production de la Compagnie Fromagère de la Vallée de l'Ancre (CFVA, groupe Bongrain) qui emploie plus de 300 salariés à Beauzac (Haute-Loire). La CGT, qui conduit cette grève, demande un relèvement des salaires et une amélioration des conditions de travail.
- Le conseil national de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA, 200000 adhérents) élit Luc Bérille au poste de secrétaire général. M. Bérille remplace Alain Olive, 61 ans, grande figure du syndicalisme, qui ne se représentait pas. Le nouveau secrétaire général entend poursuivre l'implantation de l'UNSA dans le secteur privé et il plaide pour un meilleur équilibre entre démocratie politique et démocratie sociale.
Vendredi 18 mars
L’usine Ford de Blanquefort (Gironde) tourne au ralenti et 500 salariés bloquent les livraisons. Les syndicats veulent faire pression sur la direction afin d'accélérer la reconversion du site. L'usine emploie aujourd'hui 1500 salariés et l'activité boites automatiques  destinées au marché américain doit fermer fin 2011. Ford a engagé un plan de sauvegarde de l'emploi qui concerne 336 postes.
- Le tribunal de commerce d’Evreux vient de confirmer la mise en liquidation judiciaire  de l’entreprise de transport et de logistique Logistrans de Val-de-Reuil. Les 123 salariés du site seront licenciés à la fin du mois.
Samedi 19 mars
- Le groupe laitier Yoplait va passer sous contrôle du géant américain General Mills. Le fonds d'investissement PAI, dirigé par le financier Lionel Zinsou, proche de Laurent Fabius, vend ses parts et Les coopératives laitières regroupées dans la holding Sodiaal vont devenir minoritaires. Yoplait, numéro deux mondial du yaourt, emploie 1250 salariés en France.
Lundi 21 mars
- Après douze heures de négociation au siège du Medef, les partenaires sociaux ont décidé de mettre un point final à la négociation sur l'avenir des retraites complémentaires du secteur privé Arrco et Agirc. Le Medef a refusé d'envisager une augmentation des cotisations patronales. La CFDT est toutefois prête à signer l'accord, alors que la CGT, la CGC et la CFTC devraient refuser de le parapher. La position de FO n'est pas encore connue.
Mardi 22 mars 
- Le gouvernement annonce son intention d'intervenir dans la prise de contrôle de Yoplait par General Mills. Après avoir beaucoup oeuvré pour favoriser une solution de reprise par le duo Lactalis-Nestlé, Bercy envisage de demander au FSI (Fonds stratégique d'investissement) de se mobiliser pour aider Sodiaal à conserver une minorité de contrôle dans Yoplait.
Mercredi 23 mars
- Le tribunal de grande instance de Colmar prononce la liquidation judiciaire de la Papeterie de Turckheim, dans le Haut-Rhin. 110 salariés vont être licenciés.
Vendredi 25 mars
- L'entreprise de boissons chocolatées Cacolac est reprise par Trixaim investissement, qui avait mis la main l'an dernier sur Balarama, un fabricant de barres céréalières. Le site de production de Cacolac, situé à Léognan (Gironde), devrait être conforté ainsi que les 50 emplois existants.
- Après la restructuration intervenue en 2006 et la fermeture de l’usine de Beauvais dans l’Oise l’an dernier, les incertitudes pèsent désormais sur l’usine angevine et le site de Drancy (Seine-Saint-Denis) du groupe allemand Bosch. En tout, 800 emplois seraient concernés. Seul candidat intéressé, le japonais Akebono s’est finalement rétracté au début du mois.
Samedi 26 mars
- Les élections professionnelles à la SNCF marquent un recul de la CGT et de Sud-Rail au profit des réformistes, CFDT et UNSA qui totalisent pour la première fois 35% des voix et qui pourraient, en s'alliant, signer des accords.
Lundi 29 mars
- Un mouvement de grève illimité est lancé par les employés de l'usine de boîtes de vitesses General Motors, à Strasbourg, qui emploie 1 040 personnes. Selon la CGT, 70 à 80 % du personnel de production est en grève. Les grévistes réclament l'amélioration des conditions de travail, l'arrêt du PSE qui prévoit 198 départs volontaires d'ici à fin juin et « l'annulation des accords de l'été 2010 pour tromperie envers les salariés ».
Mardi 29 mars
Les salariés du groupe de linge de maison Descamps contestent en justice la reprise de leur entreprise par l'actionnaire actuel, le groupe italien Zucchi. Ils mettent en valeur l'offre alternative présentée par la Maison de la literie qui prévoyait de conserver la totalité du personnel. 
- Les employés de La Poste lancent une grève nationale pour dénoncer le malaise social au sein du groupe et les mauvaises conditions de travail. L'incertitude liée au changement de statut de l'entreprise pèse lourdement sur le climat social.
- FO signera finalement l'accord Agirc-Arrco ainsi que l'accord sur l'assurance-chômage et celui sur les non-titulaires dans la fonction publique. La centrale de Jean-Claude Mailly profite du durcissement de la CGT pour se replacer sur l'échiquier syndical.
- Le groupe Nestlé annonce une restructuration de son activités "grand froid". 130 suppressions de postes sont envisagées dans son usine de Beauvais (sur un effectif de 300 salariés).
Jeudi 31 mars
- Le groupe allemand Bayer qui emploie près de 800 salariés dans les produits pharmaceutiques de médication familiale à Gaillard (Haute-Savoie) annonce son intention de céder cette activité. Cette mesure concernerait entre 350 et 380 salariés.
Henri Valois.

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 23:57
L'apocalypse de la modernité  
La Grande Guerre et l'homme nouveau            
 
de Emilio Gentile
Mis en ligne : [11-04-2011]
Domaine :  Idées  

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Emilio Gentile, né en 1946, est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Rome "La Sapienza". Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le fascisme, le totalitarisme et l'histoire des idées : Quand tombe la nuit. Origines et émergence des régimes totalitaires en Europe (1900-1934). (L'Âge d'homme, 2001), La Religion fasciste. (Perrin, 2002), Qu'est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation. (Gallimard, 2004), Les Religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes (Éditions du Seuil, 2005).
 

Emilio Gentile, L'Apocalypse de la modernité - La Grande Guerre et l'homme nouveau. Paris, Aubier, janvier 2011, 415 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Le 11 novembre 1918, lorsque prennent fin les quatre années de combats, de sacrifices et de massacres qui ont bouleversé l'Europe, les hommes, hébétés, contemplent les ruines. Ces ruines, ce sont celles d'une époque: celle de la modernité triomphante. où les maîtres mots étaient progrès. science. culture, et où l'on avait foi en l'avenir de l'humanité. Beaucoup, alors, diagnostiquent le déclin de la civilisation européenne, et s'interrogent avec angoisse sur la destinée de l'homme moderne. Ces réflexions, révèle Emilio Gentile, étaient cependant loin d'être nouvelles: elles étaient en germe déjà, dans les années précédant la Grande Guerre. L'Europe de la " Belle Epoque", que l'on se représente resplendissante, sûre d'elle. conquérante, était minée par des courants sombres: isolées d'abord, puis de plus en plus nombreuses. des voix s'étaient fait entendre, qui prophétisaient la fin de la civilisation et appelaient à la régénération de l'homme par la guerre. En nous invitant à les écouter, l'historien italien dévoile pour la première fois une Belle Epoque traversée de cauchemars, rongée par l'angoisse, et entraînée malgré elle dans la spirale apocalyptique de l'autodestruction.
 
L'article de Marc Riglet. Lire, février 2011.
De l'étude à l'interprétation. Emilio Gentile est le grand historien du fascisme. Dans l'amoncellement des travaux sur le sujet, il est sans doute celui qui, avec Zeev Sternhell, aura le mieux contribué à donner une définition satisfaisante du phénomène, préalable indispensable à sa compréhension. Toutes variétés confondues, tous usages du mot disqualifiant considérés, et pourvu que l'on prenne le phénomène au moment où il trouve son nom, dans l'Italie des années 1920, le fascisme c'est, d'abord et avant tout, "l'assaut lancé contre les Lumières" pour reprendre l'expression de Zeev Sternhell. On perçoit tout de suite la différence avec sa variante germanique, le nazisme, qui lui est, de surcroît, "l'assaut lancé contre le genre humain". Dans son dernier ouvrage, Emilio Gentile ne traite pas du fascisme en tant que tel. Il part à la recherche de son terreau. C'est au tournant des XIXe et XXe siècles que se cristallisent les idées qui feront le lit des fascismes. Certes, la critique de la modernité, née de la Révolution française et des Lumières franco-kantiennes, n'a pas attendu la fin du XIXe siècle pour se développer. Antoine Compagnon et ses "antimodernes", de même que Zeev Sternhell avec ses "anti-Lumières", ont montré de manière définitive que modernité et réaction cheminent ensemble tout du long. Dans un autre registre, Philippe Muray, et son XIXe siècle à travers les âges, a aussi démontré, avec érudition et drôlerie, que le XIXe siècle est de façon intriquée tant celui de la raison en marche que celui de l'occultisme. Victor Hugo est le chantre de la science et du progrès mais, à Guernesey, il fait tourner les tables et communique avec les esprits ! Ce qui est nouveau avec les critiques de la modernité fin de siècle, c'est l'introduction du thème de l'apocalypse. Le monde moderne, l'homme et ses droits, la démocratie seraient des injures faites à Dieu et à la nature humaine qui, de plus, conduiraient l'humanité à sa perte. C'est l'heure de gloire des thèmes de la dégénérescence et du déclin. Même si l'ouvrage qui condense ces idées, Le déclin de l'Occident d'Oswald Spengler, est postérieur à la Première Guerre mondiale, c'est avant le cataclysme qu'elles ont été professées. Emilio Gentile montre, avec un luxe d'exemples tirés des mondes des idées, de la science ou des arts, combien cette perception d'une modernité qui conduit au désastre est une idée dominante de la mal nommée "Belle Epoque". C'est l'écrivain hongrois Max Nordau qui rencontre un succès retentissant avec son livre sur la décadence occidentale. En France, c'est Gustave Le Bon qui annonce, pour le pire, l'ère des masses et la corruption de la civilisation. La particularité de ce pessimisme tient alors au fait que ces prophètes de l'apocalypse l'appellent par ailleurs de leurs voeux. La guerre sera rédemptrice et d'elle naîtra l'homme nouveau. Et l'on voit là les liens avec les fascismes. C'est dans la continuité des penseurs de l'apocalypse d'avant-guerre que les fascismes s'inscriront et que le mythe d'un homme régénéré dans les tranchées, sous les Orages d'acier d'un Ernst Jünger, prospérera. 

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 09:53
Vers les yeux des sirènes
 
Qu'on déserte la ville! que nul rallume
L'autel ! nous laisserons à tout jamais, ce soir,
Les dieux horribles de la terre, et dans le noir
Nous partirons, suivis par un frisson d'écume...

La nef impérieuse à travers l'amertume
Bondira, tranchant l'eau du fil de son coupoir
Et nous nous pencherons sur la proue, à l'espoir
De vos terribles voix, déesses de la brume!

Grands poissons glauques d'où fleurissent des corps blancs,
Nus miroirs de la lune et des flots nonchalants,
Vous qui chantez vos yeux dans les algues, Sirènes!

Quand nous aurons touché vos bouches, vous pourrez,
D'un signe seulement de vos doigts adorés,
Délivrer dans la mort nos âmes plus sereines.
 
COCTEAU-Jean-Ulysse-et-les-sirenes-copie-2.jpg
 
Pierre Louÿs. (1870-1925), Poésies. (1927)
 
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9 avril 2011 6 09 /04 /avril /2011 10:00
                                                         La République, c'est le gouvernement des imbéciles...
                                                                                                    Léon Daudet.
Pour Olivier Py

Le ministre de la culture a annoncé vendredi soir, par un communiqué de quelques lignes, sa décision de débarquer M. Olivier Py de la direction du Théâtre de l'Odéon.
Olivier Py est un de nos grands hommes de théâtre. Dramaturge, metteur en scène, comédien, mais aussi philosophe, métaphysicien, passionné de religion, il est l'homme d'une oeuvre et d'un projet. Son oeuvre marque depuis une dizaine d'années la création française et on se presse pour voir sa dernière pièce, Adagio, qui est unanimement saluée par le public et par la critique. Son projet était de faire de l'Odéon une des grandes scènes de la vie intellectuelle française et européenne. Il était en passe de réussir et on se souviendra avec émotion des mises en scène de l'Orestie en 2008, des Sept contre Thèbes et de la reprise du Soulier de Satin en 2009. Esprit universel, Olivier Py travaille également pour l'opéra où il s'impose comme un des meilleurs metteurs en scène contemporains. On garde encore en mémoire sa prestation pour The Rake's Progress d'Igor Stravinsky, éblouissant succès de la saison 2009 de l'Opéra Garnier.
C'est cet homme, ce poète, cet artiste qu'un ministricule vient de congédier comme le dernier des domestiques. Sans un mot, sans une explication, sans même un regard. La conduite de M. Mitterrand est indigne. Esprit nul, historien raté, romancier pour boniche, vaniteux comme un pou, il est le symbole parfait de ce qu'aura été la culture d'Etat sous le sarkozysme. Il ne lui reste plus que quelques mois pour salir de sa présence la rue de Valois et l'art français. A la fin de cette sinistre farce, on le verra disparaître avec plaisir dans une trappe, sifflé par le public, sous un déluge de coups de bâton. Que M. Py se console : après l'exécution de ce pitre, c'est lui, ce soir-là, que nous porterons en triomphe sur le théâtre. 

Jean du Fresnois .


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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 09:26
Mise au point
 
La  chronique de François Renié sur l'intervention militaire en Libye ("Benghazi", Revue Critique du 13 mars 2011) nous a valu un courrier particulièrement abondant. Beaucoup de messages positifs, mais aussi beaucoup de critiques. On nous en veut d'avoir pris partie dans un conflit dont on nous dit qu'il n'est pas celui de la France et qu'il nous expose à une situation "à l'irakienne". Visiblement, on ne nous a pas bien compris.
On nous prête aussi beaucoup d'intentions contradictoires : de pêcher par naïveté et de faire preuve d'opportunisme, de soutenir la cause arabe et de la dénaturer, d'encourager la France à agir seule et de nous en remettre à l'OTAN, de soutenir une coalition qui en fait trop, et, pour certains, pas assez, de faire le jeu de telle ou telle puissance et de défendre des idéaux abstraits, en dehors de toute réalité politique, tactique, stratégique...
Rassurons nos lecteurs : s'ils expriment autant d'opinions divergentes, c'est que cette affaire est tout sauf simple et qu'elle n'admet pas de vérité unique. La situation sur le terrain varie d'ailleurs avec une rapidité surprenante et il est très difficile de sentir dans quel sens les évènements vont tourner. L'opinion publique française est, elle-même, assez fluctuante :  réservée au départ sur le principe d'une intervention française, elle l'approuvait très largement la semaine dernière et elle est aujourd'hui un peu plus prudente.
Dans ce contexte, il est important de bien distinguer les faits des analyses que l'on pourra en tirer. Il est encore trop tôt pour dégager des vues d'ensemble et nous nous en tiendrons donc à quelques constats :
1° Qu'on le veuille ou non, l'intervention en Libye reste dans les objectifs que la France s'est fixé : protéger les populations civiles, éviter l'écrasement de l'insurrection et lui donner les moyens, sinon de gagner, du moins d'impulser un changement. C'est exactement ce qui s'est produit : Benghazi a été dégagé, les forces rebelles ont repris espoir, l'aviation du dictateur, qui était à l'origine d'affreux massacre de civils, est maintenant clouée au sol. Nous n'agissons pas - en tout pas pour le moment - pour des fins qui ne sont pas les nôtres.
2°  Les conditions de notre intervention sont strictement encadrées par le Conseil de sécurité des Nations Unies qui a prévu l'usage de la force pour "protéger les populations civiles menacées d'attaque" mais a exclu toute "force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit". Nous ne sommes ni dans le cas  de figure de la guerre de Yougoslavie en 1999 ni dans  celui de la guerre d'Irak où des forces étrangères agissent en dehors, voire au mépris du droit international. Nous ne sommes pas non plus, comme en Afghanistan, réduits au rôle de supplétif d'une grande puissance qui agit selon ses objectifs propres. La France est légitime à agir et elle reste maître de son engagement.
3° Si les forces du colonel Kadhafi ne sont pas encore réduites, elles sont suffisamment affaiblies pour ne plus être en situation de controler l'ensemble du territoire libyen et de rétablir l'ancienne dictature. Une solution négociée est désormais possible. Il semble même qu'elle soit déjà en cours de négociation. La diplomatie française joue, depuis le début, un rôle positif dans la recherche d'un point de sortie au conflit : en reconnaissant les premiers le conseil national de transition libyen, nous avons donné un visage politique à la rébellion; la coalition dispose, elle aussi, d'un bras armé politique via le "groupe de contact" que nous avons mis en place, avec entre autres le Royaume Uni et l'Italie.
4° La prise en main par l'OTAN des opérations militaires en Libye n'est pas le fait de la France, ni  - semble-t-il - du Royaume Uni. Elle nous a été effectivement imposé par un certain nombre d'Etats membres, comme la Belgique, les Pays Bas ou les pays scandinaves qui ne peuvent pas intervenir militairement en dehors du cadre de l'Alliance Atlantique. On notera toutefois que l'essentiel des actions de la coalition s'est déroulée avant le 31 mars, c'est à dire avant la prise de contrôle de la mission par l'OTAN. Il est, en revanche, regrettable que la participation d'Etats arabes, comme les Emirats ou le Qatar, soit aussi limitée et que la Turquie se soit mise en marge de l'intervention. Il semble également que, depuis plusieurs jours, l'intervention militaire ait perdu de sa force. Les rebelles et certains pays de la coalition pointent la lourdeur de l'OTAN et les divergences qui règnent au sein de l'Alliance. Voilà une raison supplémentaire pour sortir de ce dispositif militaire anachronique, décrié et inefficace.
5° Nous persistons à penser qu'une intervention française en Libye, c'est à dire à nos portes, et avec sous les yeux, les preuves criantes de l'abjection du régime Kadhafi, était non seulement acceptable mais incontournable. La France, comme d'ailleurs l'Italie et comme l'Espagne, doit assumer son rôle de garant de la paix et de protection des populations d'Afrique du Nord, face à des pouvoirs que nous n'avons que trop défendus. Il est mensonger de dire qu'Al Qaïda est derrière les rebelles libyens comme il était mensonger de prétendre que les islamistes influençaient les révolutions tunisiennes et égyptiennes. Dans un climat où toutes les manipulations sont possibles, notamment de la part de ceux qui voient d'un mauvais oeil le réveil des nationalismes arabes, il faut plus que jamais contrôler ses sources et raison garder.
6°  L'intervention en Libye, tant qu'elle restera dans le cadre des décisions des Nations Unies, bénéficiera du soutien de l'opinion publique française. A l'exception notable de l'extrême gauche communiste, parce que celle-ci récuse le rôle internationale de la France, de sa diplomatie  et de ses armées. Et à l'exception tout aussi notable du Front national, pour des raisons assez obscures inspirés par des restes d'esprit munichois et un vieux fond antimusulman. La Revue Critique récuse tout esprit munichois et de repli de la France sur elle-même. Nous pensons que notre pays a un rôle positif et de premier plan à jouer dans cette partie du monde et c'est pourquoi nous défendons cette intervention. Il ne s'agit en aucune façon d'un soutien au pouvoir actuel, qui a constamment sacrifié notre diplomatie et notre défense dans ses arbitrages budgétaires et politiques. Ceux qui disent ou écrivent que cette intervention ne répond qu'à des raisons de politique intérieure se trompent et trompent l'opinion. Les rebelles libyens, que nos avions défendent, ne s'y trompent pas : c'est la France qu'ils acclament et non le pouvoir qui prétend, pour quelques mois encore, nous gouverner.
La Revue Critique. 
 
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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 08:00
Retour sur le XXe siècle          
Une histoire de la pensée contemporaine 
 
de Tony Judt
Mis en ligne : [4-04-2011]
Domaine : Histoire
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Tony Judt (1948-2010) fut un des grands historiens britanniques de la période récente, spécialiste des questions de l'Europe, professeur à l'Université de New York. Il a récemment publié  :  Après guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945 (Armand Collin, 2007). 


Tony Judt, Retour sur le XXe siècle. Une histoire de la pensée contemporaine. Paris, Héloïse d'Ormesson, octobre 2010, 618 pages.


Présentation de l'éditeur.
Des marxistes français à l'économie de la mondialisation, de Primo Levi à Albert Camus, de la Grande-Bretagne à Israël, les essais réunis ici couvrent un éventail remarquable de sujets et un large espace géographique. Deux préoccupations dominantes sous-tendent le recueil: le rôle des idées et la responsabilité des intellectuels, et la place de l'histoire récente dans une ère d'oubli. Car, pour avancer hardiment dans le suivant, il s'agit d'abord de ne pas tourner le dos au XXe siècle troublé qui vient de s'achever, mais d'en donner un sens et d'en tirer des leçons. Liberté de ton, critiques acerbes, analyses fulgurantes ponctuent la pensée rigoureuse et lumineuse de Tony Judt, qui ouvre des perspectives infinies.
 
Critique de Clémence Boulouque. - Le Magazine littéraire, décembre 2010.
Retour sur le XXe siècle. Tony Judt s’est éteint le 6 août dernier, à 62 ans. Dressant son inépuisable activité intellectuelle contre la maladie de Charcot qui l’emprisonnait dans son propre corps, l’historien a travaillé et dicté jusqu’à son dernier jour : deux livres et une multitude d’articles, en vingt-deux mois. Cette force morale de Tony Judt est l’ultime et douloureuse manifestation d’une vigueur intellectuelle peu commune que la traduction de Retour sur le XXe siècle donne à saisir. En 2005, dès sa parution, Après-guerre , cadastre de neuf cents pages de l’Europe de 1945 à 1989, est devenu une référence, unanimement acclamée par l’académie et le grand public. Publié trois ans plus tard, tout en écho et réfractions, Retour sur le XXe siècle est un recueil d’articles parus entre 1994 et 2006, pour la majorité dans The New York Review of Books. Diplômé de Cambridge et professeur à la New York University, où il dirigeait l’Institut Remarque, Tony Judt était l’un des public intellectuals prompt à nourrir le débat public sur ses sujets de prédilection : les questions sociales, l’Europe et la France, ses gauches, les incarnations et réincarnations du marxisme, les intellectuels, Israël et une certaine idée de la judéité. La France a paradoxalement peu reconnu celui qui, dans le monde entier, est salué comme l’un des plus grands historiens contemporains. Ce pays avec lequel il avait une affinité élective était son premier champ d’étude, et ce dès sa thèse La Reconstruction du Parti socialiste (1921-1926) , sous la direction d’Annie Kriegel. À celle-ci et au Britannique George Lichtheim est dédiée cette dernière parution. Deux polémistes, deux penseurs divorcés du marxisme, qui ont su tisser ensemble l’histoire sociale et intellectuelle de l’Europe : deux dettes et une filiation. Le goût de Tony Judt pour la polémique était l’aveu muet d’une nostalgie, d’un idéaliste déçu. Juif anglais, aux racines est-européennes, d’une famille marxiste, sioniste de gauche dans sa jeunesse, Tony Judt a suscité bien des ires pour ses articles provocants sur Israël dont ce volume donne un aperçu. Pourtant, il ne cesse de scruter la judéité et de clamer ce qu’il y voit d’exemplaire ; ainsi convoque-t-il celles de Koestler ou de Sperber, celle de l’homme des marges, de la Mitteleuropa défunte, qui porte témoignage des engloutissements : « L’extermination du passé - par dessein, négligence ou bonnes intentions - est le propre de l’histoire de notre temps. C’est pourquoi la mémoire anhistorique d’une communauté marginale qui s’est trouvée dans le tourbillon peut être encore le meilleur guide de notre époque. Il n’est pas nécessaire d’être juif pour comprendre l’histoire de l’Europe au XXe siècle, mais cela aide. » La formule d’Isaac Deutscher, « Juif non juif », que cite Tony Judt à propos de Koestler, est éclairante. Dans ses fratries, l’homme est déraciné, « toujours légèrement à la tangente de ses affinités », comme il décrit Edward Said. Cosmopolite devenu figure de proue du nationalisme palestinien et des études postcoloniales, ce dernier partageait peu avec ceux qui se réclamaient de lui. Un malentendu dans lequel Tony Judt se retrouve. Classé en penseur de gauche, il clame son goût pour l’histoire des dead white men, de la culture classique ; le postmoderne, les gender ou cultural studies , prétextes aux revendications identitaires, lui sont importuns. Il y voit une invasion de la mémoire et une corruption du projet qui fonde toute société et le métier d’historien. Les identités brandies fragmentent les sociétés, autant que les nouvelles technologies : l’économie se substitue alors au politique comme plus petit dénominateur commun et dessine des programmes électoraux sans âme ni avenir. Au fil de ces critiques se profilent les interrogations et indignations sur le tour pris par nos sociétés, sur la défaite du politique. « Le paradoxe, bien entendu, est que la réussite même des États providence et de leur économie mixte - assurant la stabilité sociale et la démobilisation idéologique [...] - a conduit la jeune génération politique à tenir pour acquise cette même stabilité et passivité idéologique et à exiger que l’on diminue l’"obstacle" d’un État qui [...] intervient. » L’historien de la gauche ne pouvait que déplorer le champ perdu par la social-démocratie et son incapacité à forger une vision. C’est pourtant cette aspiration à une rectitude morale, au coeur de la faillite des idéaux, qu’il décèle dans l’engouement pour Camus et pour Le Premier Homme lors de sa parution en France. Car le moraliste veille en Tony Judt. Les mémoires approximatives, le « charabia » d’Althusser, les intellectuels américains pervertis par l’ère Bush, sont d’incessants foyers de combustion - où il préférait jeter ses amitiés plutôt que ses convictions. Son admiration pour l’historien Eric Hobsbawm ne le conduit pas à la mansuétude lorsque son aîné marxiste s’obstine à ignorer les crimes commis pour la cause. Comme Aron, qui, rappelle-t-il, connaissait mieux les écrits de Marx que nombre de marxistes, ou comme Kolakowski, Judt excelle à tracer les généalogies de la pensée tant il connaît les textes fondateurs, souvent dans leur version originale. Il fait surgir des rapprochements imperceptibles et implacables, fait de ses critiques de véritables essais. Ainsi, au détour de la recension d’une biographie d’Arendt, il souligne ce que son analyse de l’impérialisme doit au méconnu John Hobson ou à Rosa Luxemburg - fidèle, en cela, aux indications qu’Arendt donne elle-même dans ses Vies politiques (1974). Il aime à rappeler des noms qu’on ne lit plus, de Margarete Buber-Neumann à Sidney Hook ou Alva Myrdal. Ses textes sont des réparations face à l’hypermnésie oublieuse. Une prédilection pour le sarcasme, à la Kraus, perce souvent dans l’ouvrage. Les emportements les plus mordants ont un sourire en coin - lorsque Tony Judt note le commentaire de Mary McCarthy sur un dîner londonien avec des « zombies imbéciles » ou savoure d’évidence le titre d’un ouvrage de Kolakowski, « Mes vues correctes sur presque tout » , en réponse à de piteux ennemis. Se lisent aussi les prémices de sa réflexion sur la social-démocratie, prolongée lors d’une ultime conférence en octobre 2009 - de l’aveu de tous, une des grandes heures de la vie intellectuelle new-yorkaise. De là est né Ill Fares the Land , dicté dans la foulée et paru en mars dernier aux États-Unis : un bréviaire dédié à ses deux fils, manuel à l’usage des jeunes générations pour retrouver le sens du politique. Retour sur le XXe siècle dessine aussi l’autoportrait intellectuel que prolongera, plus intimement, son Memory Chalet , publié aux États-Unis cet automne, recueil des miniatures autobiographiques parues dans The New York Review of Books au long de ses derniers mois. Ses étudiants reconnaîtront dans ses écrits le ton précis et limpide de sa conversation. Tony Judt aimait enseigner, donner à penser et penser au loin. Transmettre la conviction que l’histoire sait éclairer la politique, en quête de la « bonne société ». Dans ses ultimes échanges, il confessait, face à la maladie, n’avoir d’autre recours, ni espoir, que de laisser ses livres poursuivre son oeuvre, à travers d’autres. Retour sur le XXe siècle grondait déjà de cette force, de cet appel - une conscience qui scrute ses héritiers.  

 

Autre critique : Eric Aeshiman, "Maux du siècle", Libération, 4 novembre  2010.

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