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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 23:21
La France qui se bat
 
Dimanche 1er mai
- La fête du travail ne fait pas le plein de manifestants (120 000 en France selon la CGT, 77 000 selon la police). La CFDT et la CGT réclament un coup de pouce au smic et l'ouverture de négociations salariales. 
Mercredi 4 mai
- Les Métallurgies du Forez récupèrent l'ex-usine de compresseurs du groupe américain Sullair. Ce dernier avait fermé le site et licencié ses 112 salariés en décembre dernier pour relocaliser sa production dans des pays à faibles coûts de main d'oeuvre. Le repreneur, une PME familial de Montbrison, espère 40 recrutements sous trois ans sur l'ancien site Sullair.
- Le tribunal de commerce de Troyes a prononcé, le 26 avril, la mise en liquidation judiciaire de la Société industrielle de reliures et de cartonnage, plus connue sous le nom de SIRC, à Marigny-le-Châtel (Aube). L’entreprise est en redressement judiciaire depuis octobre 2009. Les juges ont donc été contraints de prononcer la liquidation judiciaire avec une poursuite d’activité de deux mois. Du côté des 217 salariés de SIRC l’espoir d’une reprise subsiste et une solution de Scoop n’est pas exclue.
Jeudi 5 mai
- le groupe papetier finlandais M-Real menace de fermer sa grande usine d'Alizay dans l'Eure, s'il ne trouve pas de repreneur d'ici fin septembre. Le site, qui fabrique du papier pour photocopieurs, emploie aujourd'hui 330 salariés. Les syndicats mettent en avant le manque de vision stratégique de la direction et le coût de dépollution du site, estimé à plus de 150 M€.
Vendredi 6 mai
- La reprise de l’entreprise d’emboutissage Sodedit (Theil-sur-Huisne - Orne), par le groupe espagnol Gestamp Automocion, va se traduire par la suppression de 180 postes, compte tenu du faible niveau de commandes.
- Les 136 salariés de la laiterie Novandie, (Maromme - Seine-Maritime),  spécialisé dans les dans les yaourts brassés (marque Mamie Nova) se mettent en grève, afin d’obtenir des éclaircissements sur la stratégi du groupe Andros, actionnaire majoritaire de Novandie.
-  Le tribunal de commerce de Paris prononce la liquidation complète de l’entreprise Richard Ducros, soit l’arrêt de l’activité sur les sites du Gard, des Vosges et des Landes, qui regroupent 300 salariés. C’est sur le site d’Alès, que les incidences de cette fermetire seront les plus importantes.
-  Cela fait maintenant une semaine qu’une partie des 127 salariés de l’usine bayonnaise Plastitube (Pyrénées-Atlantiques) de tubes souples à destination des industries pharmaceutique et cosmétique est en grève. Les grévistes s’inquiètent du transfert d’une partie de la production vers un autre site du groupe, à Chimay, en Belgique, qui pourrait se traduire par 47 suppressions d’emploi
Lundi 9 mai
- Le tribunal de commerce de Tours place en redressement judiciaire l'entreprise Sécurité et Signalisation (SES), l'un des spécialistes français de la signalisation routière. Malmenée par la baisse des prix, SES a perdu 14% de son activité en 2010. Les salaires d'avril des 520 collaborateurs n'ont toujours pas été payés. Plusieurs repreneurs se sont manifestés.  
Mardi 10 mai
- Le plan de restructuration annoncé par le groupe 3 Suisses en décembre 2010 pour ses enseignes grand public va entraîner la suppression d'environ 280 emplois sur 4000 salariés dans cette branche du groupe. 
- Le groupe laitier Sodiaal confirme la fermeture de son unité de Trébillet-Montanges (Ain), dédiée aux fromages fondus. L’activité sera transférée à l'usine de Sainte-Catherine, à proximité d'Annecy (Haute-Savoie). Selon la direction, « les 97 salariés concernés seront très fortement incités à rejoindre la Haute-Savoie ».
- Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, veut imposer des heures de "travail social " aux allocataires du RSA. Ses propositions suscitent un tollé à gauche et à droite, et jusqu'au sein du gouvernement. Le Premier ministre, M. Fillon, les critique très vivement devant le groupe UMP de l'Assemblée.
Vendredi 13 mai
- Le Monde titre son éditorial: "Faut-il punir les pauvres ou les aider ?", en référence aux propos calamiteux de M. Wauquiez. Ce débat pourrait revenir au sein de l'UMP dans le cadre de la préparation de la Présidentielle.
Mardi 17 mai
- les représentants syndicaux de l’usine de production de chocolat Net Cacao à Marseille, reprise à Nestlé en 2006, n’abandonnent pas leur lutte : ils devraient être reçus ce 17 mai au ministère de l’Industrie, à Paris, afin de plaider la cause de leur entreprise, menacée de liquidation judiciaire le 11 mai par le tribunal de commerce de Marseille. L’unité emploie 182 salariés. Une solution de reprise est à l’étude.
Jeudi 19 mai
- Le bureau confédéral de la CFTC propose à l'unanimité la candidature de M. Louis pour succéder à M. Voisin au poste de secrétaire général. La centrale chrétienne se réunira en congrès en novembre prochain pour examiner ce choix. 
- La cour d'appel de Versailles confirme le jugement du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts de Seine qui avait condamné Renault pour avoir commis une faute inexcusable, à l'origine du suicide d'un ingénieur de haut niveau le 20 octobre 2006. Le jugement, très sévère, incrimine les méthodes de management de Renault.
Lundi 23 mai
- La direction d’Exxon Mobil Chemical France confirmeun plan de suppression de postes dans son usine de Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime. Un plan de sauvegarde pour l’emploi conduira à une réduction nette de l’effectif de 133 personnes. Ces suppressions de postes seront effectives dans les prochains mois.
Jeudi 26 mai
- Les salariés du centre de production de Visteon à Carvin (Pas-de-Calais) sont en grève. Ils protestent contre la décision prise par l’équipementier automobile américain de fermer le site carvinois, ce qui se traduirai par la suppression d’une centaine de postes.
Vendredi 27 mai
La CFDT annonce avoir dépassé fin 2010 le seuil des 850 000 adhérents. Près de 19 000 cotisants supplémentaires l'ont rejointe depuis un an.
- Le groupe cimentier Lafarge annonce la fermeture prochaine de son usine de Frangey (Yonne).Un coup dur pour ses 74 salariés, qui se verront toutefois proposer des solutions de reclassement au sein de la filiale Lafarge Ciments. « Il n’y aura pas de suppressions de postes », promet la direction.
Mardi 31 mai
- Le groupe américain d'électroménager Whirlpool arrête de produire des sèche-linges dans son usine d'Amiens. L'arrêt de cette activité pourrait sceller l'avenir du site picard, plusieurs fois menacé.
Henri Valois.
 
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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 14:37
Défis actuels, défis futurs.
   
Les manifestations du 1er mai ont été assez décevantes et il n'y a pas eu, dans le mois qui vient de s'écouler, d'actualité sociale majeure, tout au moins au plan national. En revanche, il est intéressant d'observer ce qui se passe au sein des confédérations. Un certain renouvellement de la ligne se fait jour, les équipes changent et les effectifs sont à la hausse. Il y a là des évolutions de fond.
C'est le cas à la CFTC. Jacques Voisin, qui termine son troisième mandat, doit passer la main au prochain congrès de novembre. Le bureau confédéral a finalement choisi de présenter la candidature de Philippe Louis, l'actuel numéro 2, un cheminot alsacien qui a franchit tous les degrés de l'organisation. C'est une surprise et un coup dur pour Jean-Louis Deroussen, l'actuel président de la CNAF, qui faisait figure de dauphin de M. Voisin. M. Louis s'appuie sur une base qui veut du changement, un rajeunissement et une orientation plus combative de la centrale chrétienne. Mme Coton, très populaire du fait de son implication dans le conflit des retraites, sera numéro deux. La vieille garde devrait donc laisser la place à une équipe plus agressive vis à vis du Medef et sans doute plus favorable à l'unité d'action. Tant mieux.
Autre évolution intéressante, celle des effectifs syndicaux. Ils sont nettement repartis à la hausse sous l'effet de la crise et du long conflit de l'automne 2010. La CFDT dénombrait plus de 851 000 adhérents au 31 décembre, soit près de 19 000 cotisants de plus qu'un an auparavant et ces chiffres, tout-à-fait excellents, ne reflètent encore que partiellement l'épisode "retraites". On recommence à parler, boulevard de la Villette, d'un objectif d'un million de cotisants à fin 2013. Même évolution positive du côté de la CGT, avec un nombre d'adhésions supplémentaires en 2010 qui sera sans doute plus élevé encore. Tout cela rend d'autant moins compréhensible la "pause sociale" décrétée par les états-majors syndicaux jusqu'aux élections de 2012. C'est, au contraire, lorsque le pouvoir est affaiblit et que le patronat est en roue libre, qu'il faut mettre la pression. Sur l'augmentation des salaires, sur la protection sociale, sur la défense de l'emploi.
Sur les salaires, le message semble compris. Enfin ! On aurait pu obtenir plus de résultats et plus vite si les confédérations, et notamment la CGT et la CFDT, s'y étaient sérieusement mises dès le début du printemps. On a bêtement laissé passer l'annonce de la prime Sarkozy qui est venue, comme il se doit, brouiller les cartes. Maintenant que tout le monde a compris qu'elle n'est qu'un leurre qui profitera à très peu de monde, il faut passer à l'offensive. Et de préférence ensemble, avec des objectifs communs, une stratégie commune. En commençant par le SMIC, comme l'a dit fort justement M. Chérèque, parce qu'il touche 2,3 millions de travailleurs pauvres qui sont les premières victimes de l'inflation et de la réduction du pouvoir d'achat. Mais il faut également engager les négociations par branche. M. Mailly a raison de réclamer un Grenelle des salaires, mais pour l'imposer il faut l'unité d'action. Or, FO a été la première organisation à saboter l'intersyndicale de l'automne. Résultat : les confédérations françaises en sont réduites à demander "un coup de pouce" au-delà de l'inflation, là où IG-Metall, le syndicat de la métallurgie allemande, a obtenu une hausse générale de 3,6% en 2010, venant après une hausse de 8% en 2008. Il est vrai qu'IG-Metall compte près de 2,3 millions de cotisants !
Sur la protection sociale, en revanche, les choses avancent très mollement. Le bilan du RSA a même été l'occasion d'une offensive d'une rare stupidité de ce qu'on appelle la "droite sociale" et qui n'a de sociale que le nom. A sa tête, Laurent Wauquiez, un fils, petit-fils et arrière petit-fils de grossiums lyonnais, normalien et énarque nomenclaturé, poule de luxe du gouvernement Sarkozy, qui a voulu se pousser du col en faisant la leçon aux travailleurs et à la classe ouvrière. On l'a rabroué, mais gentiment. On l'a "recadré", mais sans violence. "L'excellent" Daubresse", qui fait la pluie et le beau temps social chez Borloo, a parlé "d'idées justes", mais exprimées avec maladresse. Gageons qu'on retrouvera ces âneries, à peine édulcorées, dans la plateforme du candidat Sarkozy. Au titre sans doute de la lutte contre les privilèges ! Tout celà a malheureusement stérilisé le débat sur l'indemnisation du chômage et sur l'insertion où des avancées sont possibles parce qu'il y a du grain à moudre. Dommage!
Reste l'emploi. La situation dans l'industrie est toujours alarmante et aucun chiffre, aucun indice ne semble dessiner d'amélioration. Il faut le dire, partout, haut et fort : le pouvoir sarkozyste a une responsabilité majeure dans l'affaiblissement de notre industrie nationale. Il n'a rien vu et rien voulu faire et quand, par force, il a du agir, c'est pour démanteler (la recherche publique et les aides à l'innovation), pour entraver (l'action de la Caisse des Dépôts), pour déréguler ou pour se soumettre platement aux décisions d'ouverture à la concurrence décidée par Bruxelles. L'Allemagne a fait d'autres choix qui se révèlent payants : elle a confié la politique industrielle à ses Länder, c'est à dire à ses régions qui agissent avec efficacité et connaissance du terrain, loin du regard des gnomes de la Commission;  elle cible son action sur un tissu d'entreprises innovantes, petites ou moyennes, là où les mauvaises habitudes, consanguines, de l'oligarchie française, font que l'on n'aide que les gros et à du proportion des services qu'ils rendent au régime; enfin, outre-Rhin, l'industrie est au coeur du consensus social, c'est là que la cogestion s'exerce avec le plus d'efficience, au plus grand profit des salariés et de l'économie nationale. Ces choix s'imposent aux dirigeants politiques allemands parce qu'ils sont les choix de la nation, et d'abord de ses producteurs, syndicats ouvriers, techniciens, ingénieurs, créateurs.
Voilà le grand chantier que les confédérations françaises doivent ouvrir. Celui d'un syndicalisme moderne, ouvert, un syndicalisme de contenu et de propositions. Quatre ingrédients sont indispensables à cette révolution : le passage à un syndicalisme de masse, ce qui suppose l'obligation faite aux salariés de se syndiquer, la présence d'administrateurs salariés dans tous les conseils d'administration, la promotion d'un vaste secteur d'économie sociale et mutualiste, une très large décentralisation afin de remettre la société française en mouvement. Ces ingrédients sont de nature politique. C'est sur ces points que le syndicalisme français devra peser dans les prochaines échéances électorales
Henri Valois.

   P.S.  Nous n'avons pas évoqué le seul sujet social qui semble un tant soit peu agiter les rédactions : je veux parler de la pénétration du Front national dans les syndicats. On a l'impression que certains découvrent la lune : dans la mesure où le FN rassemble sur son nom plus de 4 millions d'électeurs et qu'il représenterait (selon les sondages) entre 30 et 40 % de l'électorat ouvrier et employé, qui y a-t-il d'étonnant à cela ? Il est même assez vraisemblable que de l'ordre de 10 à 15% des responsables syndicaux locaux (à l'exception peut-être de la CFDT) aient de la sympathie pour les idées du Front. Faut-il s'en émouvoir ? Non. L'angélisme démocratique est-il suffisant pour y répondre ? Certainement pas. Alors, que faire ? Sortir de la langue de bois, ce qui est souvent la meilleur option. Reconnaître en particulier qu'il y a une question européenne, que l'euro est l'outil des rentiers, pas des producteurs, qu'une dose de protectionnisme national ne ferait pas de mal et que les travailleurs grecs, demain espagnols et portugais, ont raison d'agir par la grève générale contre leurs dirigeants européistes. Reconnaître qu'il y a une question salariale en France et que la seule façon de sortir les classes défavorisées et moyennes de la prolétarisation, c'est de renouer avec une politique de salaires élevés. Reconnaître que l'intégration des travailleurs d'origine étrangère passe, comme on le voit aujourd'hui en Allemagne ou en Italie, par un syndicalisme de masse. Convenir enfin que ce sont les patrons, pas les travailleurs, qui ont intérêt à une politique d'immigration sans contrôle parce qu'elle permet d'abaisser les salaires et de faire disparaître les frontières. Voilà ce qu'il faut répondre à ceux d'entre nous qui posent de "vraies questions", sans apporter les bonnes réponses.
H.V.

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12 juin 2011 7 12 /06 /juin /2011 23:57
Le capitalisme à l'agonie          
 
de  Paul Jorion
Mis en ligne : [13-06-2011]
Domaine :   Idées   

JORION--Paul-.gif

 
Paul Jorion, né le 22 juillet 1946, est anthropologue, sociologue et économiste. Il est l'un des rares chercheurs à avoir anticipé la crise des subprimes américains de 2006 et le risque de récession mondiale qui en a résulté. Il a publié récemment : Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte, 2007), L'implosion : la finance contre l'économie : ce qu’annonce et révèle la "crise des subprimes" (Fayard, 2008), La crise : des subprimes au séisme financier planétaire (Fayard, 2008) , L'argent, mode d’emploi (Fayard, 2009), Comment la vérité et la réalité furent inventées ( Gallimard, 2009), Le prix (Broissieux, 2010).
 

Paul Jorion, Le capitalisme à l'agonie. Paris, Fayard, mars 2011, 348 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
À la chute du mur de Berlin en 1989, le capitalisme triomphait. Vingt ans plus tard, il est à l’agonie. Qu’a-t-il bien pu se passer entre-temps ? Une explication possible est que le capitalisme a été atteint du même mal qui venait de terrasser son rival, et la complexité devrait alors être incriminée : l’organisation des sociétés humaines atteindrait un seuil de complexité au-delà duquel l’instabilité prendrait le dessus et où, sa fragilité étant devenue excessive, le système courrait à sa perte. Une autre explication serait que le capitalisme avait besoin de l’existence d’un ennemi pour se soutenir. En l’absence de cette alternative, ses bénéficiaires n’auraient pas hésité à pousser leur avantage, déséquilibrant le système entier. Autre explication possible encore : du fait du versement d’intérêts par ceux qui sont obligés d’emprunter, le capitalisme engendrerait inéluctablement une concentration de la richesse telle que le système ne pourrait manquer de se gripper un jour ou l’autre. Entre ces hypothèses, il n’est pas nécessaire de choisir : les trois sont vraies et ont conjugué leurs effets dans la première décennie du xxie siècle. Cette rencontre de facteurs mortifères explique pourquoi nous ne traversons pas l’une des crises habituelles du capitalisme, mais sa crise majeure, celle de son essoufflement final, et pour tout dire celle de sa chute. Anthropologue, sociologue et spécialiste de la formation des prix, Paul Jorion jette depuis plusieurs années un autre regard sur l’économie ; il annonçait ainsi dès 2005 ce qui allait devenir la crise des subprimes. Il est également l’auteur, chez Fayard, de L’Implosion, La Crise et L’Argent.
 
Critique d'Alain Faujas. Le Monde du 7 avril 2011.
Le spectre de Karl Marx.  Voici un livre au titre sensationnel - Le Capitalisme à l'agonie - qui débute franchement "marxiste" et par la critique implacable de ce qui, selon Paul Jorion, sociologue, spécialiste de la formation des prix et chroniqueur au "Monde Economie", n'est pas "un système économique, mais une tare de notre système économique". Il déploie ensuite une analyse très fine des mécanismes historiques et psychologiques où s'affrontent notamment la liberté et l'égalité, l'éthique et la propriété. Mais l'auteur se sépare de Marx et de son spectre en ce qu'il ne distingue pas deux classes d'acteurs (capitaliste et prolétaire), mais quatre : le capitaliste, l'entrepreneur, le salarié et le marchand. Dans la lutte implacable pour la captation du surplus dégagé par leur activité conjointe, c'est le salarié qui perd à tout coup, car l'intérêt versé au capital et les positions de force des trois autres acteurs concentrent peu à peu la richesse et le patrimoine dans les mains d'un tout petit nombre.  Ce n'est donc pas la baisse tendancielle des profits qui tuera le capitalisme, comme le croyait Marx, mais l'accumulation outrancière du capital, car l'intérêt versé aux capitalistes les enrichit toujours plus et les investisseurs substituant les machines au travail, le pouvoir d'achat et la consommation se tarissent. Il ne reste plus que le crédit pour maintenir la demande, jusqu'à ce que le paiement des intérêts de celui-ci achève d'appauvrir la cohorte des salariés. Le jeu s'arrêtera quand il n'y aura plus assez de joueurs. Faisant un long détour par la crise actuelle qu'il voit comme les prémices de l'effondrement, l'auteur met surtout en pièces la spéculation dont il décrit par le menu les turpitudes et les stupidités, les produits financiers "pourris", les modèles mathématiques et les ordinateurs chargés de grappiller des milliards de centimes en moins d'une seconde en détraquant sciemment l'offre et la demande. Non, dit Paul Jorion, la spéculation ne met pas de l'huile dans les rouages du marché, comme ses tenants le prétendent, mais elle y met le feu. Parce que les Bourses sont devenues des maisons de jeu légales et dangereuses, peut-on les contraindre pour autant ? Sacrifier la liberté à la vertu ? La propriété à l'éthique ? Le brillant renfort de Marat, Robespierre, Hegel, Freud ou Lacordaire, comme celui de l'anthropologie et de la psychologie des profondeurs ne lui permettent pas de trancher. Proche de John Maynard Keynes, Paul Jorion s'en distingue en ce qu'il ne croit plus à la possibilité de parvenir au plein-emploi qui remettrait le travailleur au centre et l'économie sur ses pieds. Il appelle donc à "un changement de civilisation". Pour réussir cette mutation, sa préférence va à l'instauration d'un système "où les revenus proviendraient d'une autre source que le travail", ce qui supposerait la création d'un "revenu minimum universel". Et ce qui supposerait encore plus une intervention de la puissance publique pour mieux répartir les richesses - sans pour autant tomber dans la dictature - à savoir la fiscalité. Il énonce quatre principes : "ne pas imposer le travail qui constitue sans conteste l'activité humaine la plus utile et la plus digne d'être encouragée" ; "imposer substantiellement les revenus du capital" (dont les stock- options) ; "imposer de manière dissuasive les gains du jeu" (y compris les opérations financières) ; "éliminer les rentes de situation". Autrement dit, il n'est point question de révolution, mais de "remettre les compteurs à zéro", de gré ou de force. Le capitalisme n'est pas vraiment à l'agonie, mais il a une fièvre de cheval et Paul Jorion fait partie des médecins qui se pressent à son chevet.

 

Autre critique :  , "Faut-il enterrer le capitalisme",

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 22:53
Trois pièces de Robert Marteau    
 
Quelques mots sur Robert Marteau, mort le 15 mai dernier dans un silence presque complet et qui était pourtant un des grands poètes de sa génération. Pourquoi ce silence ? Est-ce parce que Marteau ne faisait partie d'aucun cercle, d'aucun cénacle, qu'il avait choisi de ne sacrifier à aucune mode ? Est-ce parce qu'il était né dans une de ces familles paysannes de l'Ouest et que son oeuvre, depuis Royaumes, Travaux sur la Terre jusqu'à son récent Temps ordinaire, parle d'une nature belle et proche et du travail qu'y font les hommes ? Est-ce parce que lui, presque autodidacte, savait faire vivre dans ses vers les dieux d'Eschyle et de Sophocle, le paysan d'Hésiode, la terre sèche de Giono et celle plus grasse des hommes de l'Atlantique, parce qu'il aimait les taureaux et leur mystère rouge et noire, les oiseaux et les arbres, parce qu'il parlait bien du Saint Laurent et des forêts du Canada ? Soucieux d'écrire clair et juste, Robert Marteau avait choisi de revenir à la forme classique du sonnet, peut être parce qu'elle donne à la poésie cette forme d'éternité et de plénitude qu'on trouve chez Pétrarque et, en France, chez Ronsard, Saint-Amant ou Mallarmé. Marteau cherchait derrière l'artifice de notre modernité le monde tel qu'il continue à être, son temps long, ses saisons fortes, le bruit des sources, le cortège des morts et la rumeur des antiques combats. Chrétien, il avait l'âme latine et grecque et ne dédaignait pas, tout comme nos renaissants, un certain hermétisme. Pour tout cela, il faut le découvrir ou le relire. 
E. C

 

MARTEAU (Robert)


 
Travaux pour un bûcher
(fragment)
 
Pour incendier le repaire ils feront de paille
Leur cheval de Troie et de leur dard ouvriront
Les volets humides des chambrières.
Ah - Astarté
Que le jasmin gagne ta chair insolente !
Ah, ce corps maculé de digitale
Qui empoorpre la verrière !
Déjà Byzance nous maquille,
Eteint la torche, empierre le bûcher,
Nous montre le tombeau la plus sûre galère;
Tandis que les mules qui ont tiré
Jusqu'ici les troncs urinent dans la poussière,
Tandis qu'à cheval on se dispute l'or,
Tandis que les marchands débattent du cubage,
Et que les bûcherons crachent le vin rouge;
Tandis que perle la résine aux blessures de l'aubier
Et que nous autres de nos capes nous chassons les buses
Qui font un dais sur le bûcher.
 
Les dieux sont immortels mais ils vivent masqués
Qu'ils changent de visage et nous croyons changée
Leur nature pourtant qui est surnaturelle
Puisqu'en Un ils sont trois et multiples de trois
Peuplent l'Olympe et le Nil les îles les bois.

  Travaux sur la terre. (1966).
 
C'est ce que j'aime...
 
C'est ce que j'aime : un tertre avec des cyprès; l'eau
Qui ruisselle sur la pierre d'un abreuvoir;
Des chevaux disséminés parmi les genêts;
Un chemin qui s'insinue entre l'herbe; un toit
De tuiles; une hirondelle accrochée au bord
De la génoise; un épouvantail que les pies
Prennent pour perchoir et que les geais vitupèrent.
C'est le premier matin de juin : le faisan
Salue, étonné du silence; un coup de vent
Fait parler le frêne, emportant un papillon
Sur les vagues de la prairie. A l'horizon,
Les montagnes s'appuient contre le bleu du ciel.
Une corneille en ramant se tient sur ses ailes;
Avertit de trois cris, et d'une croix contresigne.
 Louange. (1996).
 
Le houx est coupé...
 
Le houx est coupé. La symphorine a fleuri.
La valériane épanouit ses corymbes
Dans la haie où le ciel tombe en ajours, en voiles
Qui se déchirent dès que le soleil en armes
Miraculeusement inaugure un nouveau Règne.
C’est aussitôt que de leur bec armé
Les pics en tribus vous aident à déchiffrer
La mythologie au secret entre l’écorce
Et le liber. Clameur en forêt. À la porte
On crie : au parlement des oiseaux on n’est plus
D’accord. La chevêche est cachée au fond de l’arbre.
Sans elle on ne peut rien décider. La hulotte
S’est retirée avant l’aube. La buse tourne
Où la lune était. On a des soucis nouveaux.
Rites et offrandes. (2002).
 
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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 22:08
Actualité de Barrès
 
On ne saurait trop remercier les Éditions des Equateurs. En entreprenant de republier l'ensemble des Cahiers de Barrès [1], avec un appareil de notes augmenté et mis à jour, elles offrent un superbe cadeau aux lecteurs du grand Lorrain. Les onze premiers Cahiers sont sortis de l'imprimerie en octobre dernier, avec une belle préface d'Antoine Compagnon et les huit suivants nous ont été livrés en janvier. L'oeuvre comprend au total quarante-sept tomes que Barrès remplira de 1896 à sa mort, en 1923, sans s'interrompre une seule année. Voilà presque toute une vie sous nos yeux et on connaît trop l'auteur pour penser qu'il se soit arrêté sur des détails insignifiants. Une véritable mine. Après la réédition l'an dernier chez Bartillat des Déracinés [2] , avec la publication chez Bourin d'une nouvelle et belle édition du Voyage de Sparte [3] , Barrès revient auprès de nous après le détour d'un long purgatoire. Il faut y voir un signe des temps.
Quelle plume ! Quel verbe lumineux ! Quel enchantement ! Massis prétendait que tout ce que touchait Barrès se transformait en or. C'est vrai. Et tout particulièrement ces quatre premiers Cahiers de 1896 à 1898, où Barrès connaît une première croisée des chemins. Il vient de subir son premier échec électoral à Neuilly sur Seine. C'est une période de doute où on le sent hésiter entre les bruits et la fureur de la politique et l'ataraxie littéraire. La République parlementaire n'est pas encore le régime abject qu'elle deviendra sous Combes et sous Rouvier. Barrès se définit comme socialiste, même s'il fustige déjà "l'à peu près romantique, la misère intellectuelle" de Jaurès, "ce vaniteux sonore". Son adhésion au nationalisme reste une adhésion douloureuse, qui vient de loin, "du fonds éternel" :
 
Le problème religieux, douloureux, qu'ils [nos prédécesseurs] ont connu : abandonner le moral et le poétique de la religion, parce que l'intelligence humaine ne la sent plus vraie, nous l'éprouvons pour la notion de patrie. On va à préférer la médiocrité, l'uniformité dans la sécurité de la paix.
 
mais aussi de son goût des causes difficiles, goût des minorités. "Goût malsain", ajoute-t-il avec un certain sourire d'ironie, "goût d'un homme qui n'a pas l'esprit social".
Pour un temps, Barrès s'éloigne de l'arène politique. Il n'y reviendra que progressivement. En 1898, où il tente en vain de reprendre son siège de député de Nancy. Puis, d'une façon plus déterminée, en 1899, après le procès de Rennes où Dreyfus sera à nouveau condamné. D'ici là, il met ses idées à jour. Finie l'anarchie littéraire et intellectuelle d'Un Homme Libre et de L'Ennemi des Lois, même si Barrès revendiquera jusqu'au bout le droit à l'égotisme. Il se rapproche de son vieux maître Jules Soury qui lui fait l'éloge de l'émotivité et de l'intuitif. Barrès en tire quelques formules définitives : "l'homme est bien plus intérieur comme être sensitif, affectif, que comme être intelligent " ou encore "Comprendre, ce n'est jamais que saisir les rapports. La vérité, les vérités il n'y en a pas. Il y en a une pour chaque homme. Et il n'en sera jamais autrement". Il lui faut néanmoins une vue générale de la nature, un fond de paysage qui évite la désespérance, la plongée dans le nihilisme. Il la trouve dans la philosophie de Lucrèce et de Démocrite. Le voilà mûr pour cette grande mue intellectuelle qui aboutira en 1897 à l'écriture des Déracinés.
L'heure est aussi à la famille, à ses joies et à ses drames. Juillet 1896, c'est la naissance de Philippe, de ce fils qui l'émerveille, qu'il épie, dont il suit les premiers pas avec étonnement et avec délice : "Je suis très frappé de la majesté des petits enfants quant à leur figure. Ce ne sont pas du tout des bêtes. Philippe a vraiment une expression royale". Et qu'il glorifie dans ce passage où s'allient si subtilement la tendresse et l'ironie de Barrès :
 
29 décembre 1896. - Aujourd'hui Philippe a ri pour la première fois devant un jouet, un bonhomme qui fait de la gymnastique autour d'une barre fixe. Evidemment il n'a pas vu la ressemblance; il n'a pas vu que c'était un gymnaste et que ce gymnaste avait un désossement grotesque et par là amusant. C'est le bruit et l'agitation qui l'ont égayé. Mais il y avait dans ce sourire, dans cette appréciation d'un jeu, d'une chose d'art, quelque chose qui classe Philippe au-dessus de l'animal et, si faible, en fait un membre de l'humanité. En outre la qualité de ce  sourire était d'une grande bonté un peu hautaine : "Est-il farce, cet animal-là, disait le sourire au gymnaste. Il va  se donne bien du mal. C'est un rigolo. Mais cet enfant si bienveillant, tout de lait, bientôt pour assurer sa vie va commencer l'indéfinie série des meurtres.
 
C'est aussi la mort de Stanislas de Guaita - Stanis, l'ami d'enfance, le compagnon de jeunesse d'un Homme Libre, le modèle de Saint-Phlin, l'aristocrate lorrain du voyage mosellan de l'Appel au Soldat -. Puis, quelques mois plus tard, c'est le père de Barrès qui disparaît. Disparition qu'il évoque d'une phrase, avec une émotion que l'on sent fortement contenue:
 
Nuit du 2 au 3 juin, vendredi 3 au matin. - Je veux inscrire pour me les rappeler : le terrible vent de la mort passait, avec une force ! Il m'a dit : "je vous ai bien aimés".
 
Ces morts n'ont jamais quitté Barrès. Il voue déjà un culte à cette grande famille des morts qui vient à nous, dans les moments de solitude, lorsque tout notre être se confond avec la nature:
 
Sur la campagne, en toutes saisons, pour moi s'élève le chant des morts. Un vent léger le porte et le disperse comme une senteur par où s'oriente mon génie. Au cliquetis des épées, Achille, jusqu'alors distrait, comprit, accepta son destin et les compagnons qui l'attendaient sur leurs barques. Le chant des morts que me communiquent la gorge des fauvettes, la multiplicité des brins d'herbe, la ramure des arbres, les teintes du ciel et le silence des espaces m'assigne pour compagnons tous les éléments mouvants dont est faite l'incessante décomposition.
 
Ces passages somptueux éclatent presque à chacune des pages des Cahiers. Comme dans le reste de son oeuvre littéraire, Barrès y ménage ses effets. Il mêle les images fortes et brillantes aux soucis de la vie publique ou familiale, aux moments de joie, de tristesse ou de repos. Telles ces belles journées passées en Provence, où notre rhénan découvre, émerveillé, le paysage des Baux et de Saint-Remy :
 
Quand on regarde vers la plaine, des intensités d'arbres, des accentuations de vigueur sur un décor très doux de plaine semée d'oliviers et ondulé à l'horizon par les Alpines du nord. Au Midi, la sévère Sierra. Le petit bruit d'une fontaine. En automne, les hêtres ayant des branches jaunes parmi un ensemble encore vert semblent présenter de longs fruits d'or.
 
Ou lorsqu'il rend visite à Mistral. Et qu'il ressent, brusquement, au détour d'un discours du vieux lion provençal, cette prodigieuse alliance, cette alchimie puissante de la pensée qui unit, du nord au sud, les enfants de la terre française.
Paul Gilbert.
 

[1]. Maurice Barrès, Mes Cahiers, Editions des Equateurs (les tomes I et II sont parus).
[2]. Maurice Barrès, Les Déracinés, Bartillat, 2010.
[3]. Maurice Barrès, Le Voyage de Sparte, Ed. Bourin, 2011.
 
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7 juin 2011 2 07 /06 /juin /2011 23:57
La vie vivante                           
Contre les nouveaux pudibonds               
 
de  Jean-Claude Guillebaud
Mis en ligne : [9-06-2011]
Domaine :  Idées  

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Jean-Claude Guillebaud, né en 1944, écrivain, essayiste et journaliste, lauréat du prix Albert-Londres, est éditorialiste au Nouvel Observateur. Son cycle d'essais, "Enquête sur le désarroi contemporain", qui a connu un grand succès public, en France et à l'étranger, a été couronné par de nombreux prix. Il a notamment publié : La Force de conviction : à quoi pouvons-nous croire ? (Seuil, 2005),  Comment je suis redevenu chrétien  (Seuil, 2007), Le Commencement d'un monde (Seuil, 2008), La confusion des valeurs (Seuil, 2009).
 

Jean-Claude Guillebaud, La vie vivante, contre les nouveaux pudibonds. Paris, Les Arènes, mars 2011, 276 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
Nous vivons un extraordinaire paradoxe. Les technoprophètes de la modernité tiennent le corps en horreur. Numérique, nanotechnologies, intelligence artificielle, posthumanisme, gender studies... Les nouveaux pudibonds veulent nous "libérer" de la chair et du réel. Au coeur de la mutation anthropologique, technologique et historique en cours, des logiques redoutables sont à l'oeuvre. Elles vont dans le sens d'une dématérialisation progressive de notre rapport au monde. Le biologique témoignerait d'une " infirmité" dont il faudrait s'émanciper au plus vite. Ainsi, sous couvert de "libération ", la nouvelle pudibonderie conforte étrangement ce qu'il y a de pire dans le puritanisme religieux hérité du XIXe siècle. Et pas seulement au sujet des moeurs. Dans le discours néolibéral, l'adjectif "performant" désigne le Bien suprême. Mais ni le "système" ni ses logiciels ne savent prendre en compte des choses aussi fondamentales que la confiance, la solidarité, l'empathie, la gratuité, la cohésion sociale. La Vie vivante, celle qu'il faut défendre bec et ongles, c'est celle qui échappe aux algorithmes des ordinateurs, à l'hégémonie des "experts" et des dominants, qui confondent "ce qui se compte" avec ce qui compte.
 
Entretien avec Jean-Claude Guillebaud. Le Pélerin, mai 2011.
Jean-Claude Guillebaud : "La technologie nous éloigne de la vie réelle". Écrivain et journaliste, Jean-Claude Guillebaud mène l'enquête dans un monde qui perd ses repères. Dans son dernier livre, La vie vivante, il dénonce le piège du virtuel et de la technologie qui éloignent de la vie réelle.
Dans votre nouveau livre La vie vivante, vous lancez un appel à « plus de vie », dans un monde envahi par la technique… Depuis vingt, trente ans, notamment avec l'apparition des nouvelles technologies, la généralisation de l'Internet, on assiste en effet à une dématérialisation du monde et du corps humain. En 1945, rentrant du Brésil, Bernanos disait déjà : « La modernité procède par l'incarnation à rebours. » Il soupçonnait la modernité de désincarner l'homme. Aujourd'hui, je m'alarme et m'inquiète de trouver sous la plume des techno-prophètes des projets un peu fous. Prenez l'exemple de l'utérus artificiel : délivrer les femmes de la grossesse, c'est faire preuve d'une haine de la matière et du corps.
Mais le corps est aussi sublimé : vous avez parlé vous-même de « la tyrannie du plaisir » !  Nous vivons un grand paradoxe. Le discours médiatique nous donne l'impression qu'il exalte le corps, mais c'est une vision trompeuse, parce que c'est un corps parfait... C'est l'utopie de la santé parfaite : le corps doit être jeune, lisse, mince, sans défaut, alors qu'évidemment, il vieillit, prend des rides... Mais il y a quantité de civilisations dans lesquelles le vieillissement n'est pas considéré comme une malédiction, et où les personnes âgées sont considérées comme belles.
L’Église prend part à ce débat. Son propos n’est-il pas parfois réduit à une morale ? Au XIXe siècle, l'Église s'est ralliée à tort à la défiance à l'égard du corps, qui venait des médecins scientistes. C'était oublier une part essentielle du message chrétien, l'incarnation : « Le Verbe s'est fait chair. » Autrement dit, il y a toute une partie de la tradition chrétienne, joyeuse, détendue, confiante à l'égard du corps qui a été oubliée. Aujourd'hui, nous risquons de reproduire la même erreur : on constate dans toutes les religions une espèce de regain de pudibonderie, de « jansénisme sexuel », pour parler comme Mgr Rouet, archevêque émérite de Poitiers. Cela nous introduit dans un monde triste, méfiant, obsédé par le chiffre, la quantité, qui s'oppose à ce que j'appelle la « vie vivante ».
Cette réconciliation avec la réalité humaine du corps est quand même possible Je suis retourné à Lourdes il n'y a pas très longtemps. Quand on parle de Lourdes, il est de bon ton de se moquer des marchands du temple, de toutes ces vierges en stuc ou en plastique, mais on oublie de dire que c'est à l'extérieur du sanctuaire. Ce qui m'a frappé dans l'enceinte, c'est cette incroyable pacification : les gens se présentent comme ils sont. Il manque une jambe à celui-ci, cet autre est vieux, sa voisine est paralysée... Cette acceptation paisible de mon corps et de celui de l'autre est bouleversante.
L’autre nom de la « vie vivante », ce serait le bonheur ? Le désir ? L’espérance ? Oui. Ce serait peut-être simplement l'humain. La « vie vivante » est une expression que j'ai empruntée au philosophe Michel Henry. C'est une autre façon de parler de l'humanisme pour dire : n'oublions pas les hommes, les femmes, dans leur quotidienneté. Ne nous perdons pas dans les songes, la perfection, la performance.
Ce serait encore le symptôme d’un monde illusoire…  Internet, le Web, constituent ce que j'appelle le sixième continent. On y trouve une impression de légèreté, de fluidité, de liberté, mais on perd contact avec la vie réelle. Car les outils de la nouvelle technologie donnent une priorité à ce qui peut se mesurer, se compter en économie, en politique... Or, je reprends une phrase d'Edgar Morin : « On finit par confondre ce qui se compte avec ce qui compte. » Et ce qui compte, c'est précisément ce qui ne peut pas se mesurer : la tendresse, la spiritualité, la poésie, l'amour, la gratuité. Tout ce qui nous constitue comme êtres humains.
N’est-il pas trop tard ? Ne sommes-nous pas déjà gagnés par le virtuel, le quantifiable ?  Je ne suis pas pessimiste. Le poète allemand Hölderlin disait : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » Nous assistons aujourd'hui à une forme de résistance tâtonnante, confuse. Mais c'est une sorte de bouillonnement qui réinvente la politique, l'engagement. Regardez ce qui s'est passé dans les pays arabes : on a vu surgir, du cœur même de la jeunesse et de la société civile, une forme de résistance non violente. Ce qui s'est passé est un signe de printemps.
Comment résistez-vous ? Quelle est votre réalité ? Des choses toutes simples ! D'abord, reconnaître l'importance capitale de la présence, de l'échange concret. Et puis, essayer d'établir avec son corps, avec son âge, des relations pacifiées. J'ai 67 ans et j'essaie de l'accepter paisiblement. Enfin, j'essaie aussi de résister à quelque chose qui nous rend fous, c'est le culte de la vitesse, de la hâte, de la précipitation. Le temps humain s'est raccourci : il faut courir, courir, courir tout le temps, ne plus jamais prendre de temps. Je plaide pour le retour à une lenteur minimale.

Autre critique :  Gérard Leclerc, "Haine de la Chair ?", Royaliste, n° 988, 28 mars 2011.

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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 22:08
Danse sur un volcan
 
Une mauvaise semaine - une de plus - pour l'euro. La crise grecque n'est pas enrayée, les marchés n'ont plus confiance et la crédibilité de la monnaie unique s'effondre. Les dirigeants européens, épuisés par des mois de négociation stériles, ne savent plus à quel saint se vouer. Les plus lucides oscillent entre accablement et fatalisme. Ils savent maintenant que la dégringolade finale n'est plus qu'une affaire de mois et que la situation leur échappent à peu près complètement.
Ce qui vient de se passer à Athènes illustre parfaitement ce sentiment général d'impuissance. Jeudi soir, les protagonistes de la crise grecque - le gouvernement de M. Papandréou et la troïka de ses créanciers - nous jouaient le nième épisode de l'accord trouvé in extremis. Le Premier ministre grec annonçait une liste impressionnante de privatisations, de réduction des dépenses publiques et de hausses d'impôt que personne ne prenait vraiment au sérieux. Côté créanciers, on confirmait le déblocage d'un nombre non moins impressionnant de milliards d'euros  - de 50 à 100 milliards d'euros selon les sources et les heures - pour permettre au pays d'honorer ses prochaines échéances. MM. Trichet, Juncker et quelques dirigeants du FMI se félicitaient bruyamment d'avoir gagné du temps et éloigné pour quelques mois - ou quelques semaines - le spectre d'un défaut de paiement grec.
Il a suffit d'un communiqué de l'agence Moody's, publié en fin de soirée, pour que la comédie s'arrête. L'agence de notation annonçait sans crier gare qu'elle n'avait plus aucune confiance ni dans l'euro ni dans la capacité d'Athènes à faire face à des engagements aussi colossaux. La dette grecque était rétrogradée en quelques minutes au niveau de la dette cubaine. Les taux d'intérêts sur les obligations grecques s'envolaient et les mesures du plan d'aide européen, présentées quelques instants auparavant comme décisives, apparaissaient dérisoires. A Berlin, à Luxembourg et à Bruxelles les regards se figeaient, les visages se fermaient. On prenait subitement conscience que la crise de l'euro venait de franchir une nouvelle étape. Ce mardi 7 juin, l'accord trouvé avec Athènes n'était plus confirmé et l'on apprenait que l'Allemagne y mettait toujours son veto.
Il est vrai que pour les gouvernements de la zone Euro le problème n'est plus seulement grec. L'effet de contagion gagne. L'incapacité des Européens à se mettre d'accord sur un dispositif de sauvegarde de l'euro, les tensions politiques et sociales en Espagne, en Italie et au Portugal, la défiance des agences et des marchés font craindre une crise majeur des dettes souveraines et une réaction en chaîne sur l'ensemble des banques du continent. A Madrid et à Rome, on redoute des effets rapides. D'autant plus rapides que les gouvernements ne contrôlent plus grand chose : la gauche espagnole vient de subir il y a dix jours une défaite historique et elle a d'autres soucis en tête que la maîtrise des déficits. Au Portugal, ce sont les conservateurs qui ont pris le pouvoir dimanche dernier, mais leur légitimité est insuffisante pour faire passer la potion amère qu'ils annoncent. Quant à M. Berlusconi, le temps lui est compté et les questions financières n'ont jamais été son fort. Même la "vertueuse" Belgique vient d'être mise sous surveillance, ce qui montre le niveau de fébrilité des marchés !
Que faire ? A Berlin, on ergote. L'Allemagne qui pensait tirer un grand bénéfice de l'euro commence à s'inquièter de l'évolution de sa créature. Le jeu en vaut-il encore la chandelle ? Surtout si l'on doit soutenir non pas un seul, mais quatre, cinq, voire six Etats membres au bord de la faillite. Mme Merkel plaide pour que les banques paient, elles aussi, les pots cassés. Comme on l'imagine, les banques ne l'entendent pas de cette oreille. Elles ont réussi, au pire moment de la crise financière en 2008, à faire payer leurs folies, leurs fonds pourris et les surrémunérations de leurs dirigeants et de leurs traders par le contribuable européen. Sans que quiconque rechigne, sans une seule nationalisation, sans qu'aucun banquier n'aille en prison. Ce n'est pas maintenant que l'on va partager les pertes. Pas question : si l'Allemagne ne paye pas, les banques ne paieront pas non plus !
Telle est en tous cas la profession de leur parrain, de leur porte-voix, de leur chef de file, M. Trichet. Le Président de la Banque Centrale Européenne aurait piqué ces dernières semaines plusieurs grosses colères : contre ses collègues européens qui n'ont pas hésité à mettre sur la table l'idée d'une restructuration de la dette grecque; et contre ceux qui commencent à exiger une contribution des banques. M. Trichet est trop avisé pour ne pas savoir que la restructuration est la seule issue praticable et qu'elle va progressivement rallier tous les gouvernements européens. Il sait que la crédibilité de l'euro sera profondément atteinte et que la monnaie unique ne s'en remettra sans doute pas. Il sait aussi que l'effet en retour sera considérable sur les banques européennes et que bon nombre d'entre elles n'échapperont pas au contrôle public ou à la nationalisation. Quant aux banques centrales, le mythe de leur indépendance sera définitivement mis à mal.
Est-ce parce qu'il voit la fin de ses rêves que M. Trichet ratiocine ? Alors que la maison Europe prend l'eau de toutes parts, le voilà qui relance l'idée d'un gouvernement économique européen, la création d'un ministère européen des Finances, la mise sous tutelle des pays européens en crise... et autres songes creux. Qui vigilans dormiat. M. Trichet a visiblement besoin de repos. Il est temps, oui grand temps qu'il prenne une retraite bien méritée.

François Renié.

 
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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 12:42
Limites de
Michel Houellebecq                     
HOUELLEBECQ (Michel) 
  
Sur Houellebecq, sur ses cartes et son territoire, le débat continue. Ici comme ailleurs. Il y a un mois, cette revue publiait un beau texte de Bruno Lafourcade, un admirateur - un brin critique, mais globalement sous le charme - de l'auteur des Particules Elémentaires. Article lu, commenté, apprécié, blâmé aussi par une grosse phalange de lecteurs, bien au-delà du petit cercle d'influence de notre publication. Voilà une autre contribution au dossier Houellebecq, celle de notre ami Gilles Monplaisir. On y trouve un peu de tendresse pour l'homme, un reste d'admiration pour l'écrivain, mais aussi beaucoup de bonnes questions. Et si le personnage que s'est forgé Houellebecq, ce "dernier des hommes" dans le dernier des mondes, était une supercherie ? Et s'il n'était finalement que l'ombre palissante d'un monde qui disparait, d'un mauvaise rêve qui s'achève, celui de notre fausse modernité ? Voilà qui ne serait pas pour nous déplaire !
E. C.

 

   

La carte et le territoire [1] retrace le parcours de Jed Martin – « l’artiste contemporain ». Sa vie se résume à sa carrière : « Lui non plus, croyait-il, n’avait pas tellement changé au cours de ces dix dernières années, il avait produit une œuvre comme on dit, sans davantage rencontrer, ni même envisager le bonheur. » La préparation d’une exposition amène Jed à rencontrer Michel Houellebecq dont il doit réaliser le portrait. Les deux hommes s’entretiennent à plusieurs reprises : « Il y avait dans la voix de l’auteur des Particules élémentaires quelque chose que Jed ne lui avait jamais connu, qu’il ne s’attendait pas du tout à y trouver, et qu’il mit du temps à identifier, parce qu’au fond il ne l’avait plus rencontré chez personne, depuis pas mal d’années : il avait l’air heureux. » Ce bonheur n’est que de courte durée : peu après que Jed Martin lui ait offert son portrait, Michel Houellebecq est retrouvé assassiné dans sa maison du Loiret. Jed Martin se retire dans la Creuse ; poursuit son œuvre ; vieillit ; meurt : « C’est ainsi que Jed Martin prit congé d’une existence à laquelle il n’avait jamais totalement adhéré. »

Jed Martin et Michel Houellebecq sont inaptes au bonheur. Leur vie, châtrée comme un écran plasma, exclut toute iruption du corps. Si les sensations s’invitent parfois, elles tournent aussitôt au négatif. Là où un autre écrivain, par exemple, sent « la projection des désirs» [2], Michel Houellebecq ne retient que la pourriture : « La beauté des fleurs est triste parce que les fleurs sont fragiles, et destinées à la mort, comme toute chose sur Terre bien sûr mais elles tout particulièrement, et comme les animaux leur cadavre n’est qu’une grotesque parodie de leur être vital, et leur cadavre, comme celui des animaux, pue – tout cela, on le comprend dès qu’on a vécu une fois le passage des saisons, et le pourrissement des fleurs. » Résignés devant la castration du temps, Jed Martin et Michel Houellebecq ne perçoivent pas la chance que recèle toute angoisse : celle de jouir – sans contrepartie – de l’instant présent. L’un ne va pas sans l’autre.

Celui qui se résigne à mourir se place ipso facto dans un continuum biologique – base du totalitarisme – qui exclut toute émergence de la parole au profit d’une filiation matrilinéaire des êtres : « Qu’est-ce qui définit un homme ? Quelle est la question que l’on pose en premier lieu à un homme, lorsqu’on souhaite s’informer de son état ? Dans certaines sociétés, on lui demande d’abord s’il est marié, s’il a des enfants ; dans nos sociétés, on s’interroge en premier lieu sur sa profession. C’est sa place dans l’appareil de production, et pas son statut de reproducteur, qui définit avant tout l’homme occidental. » Produire et se reproduire sont les moteurs de toute société. Se définir à partir de ces critères fait entièrement dépendre votre vie de la matrice collective. Michel Houellebecq l’admet : « Ce que je fais, en tout cas, se situe entièrement dans le social. » Lui et Jed Martin demandent à la société qu’elle les reconnaisse, qu’elle leur attribue une valeur, comme une fille l’attend de sa mère : « On peut travailler en solitaire pendant des années, c’est même la seule manière de travailler à vrai dire ; vient toujours un moment où l’on éprouve le besoin de montrer son travail au monde, moins recueillir son jugement que pour se rassurer soi-même sur l’existence de ce travail, et même sur son existence propre, au sein d’une espèce sociale l’individualité n’est guère qu’une fiction brève. »

Pourquoi ne serait-ce pas l’inverse ? « Ce type semblait n’avoir pas de vie privée », remarque l’inspecteur chargé d’enquêter sur l’assassinat de Michel Houellebecq. En faisant du tableau – que Jed Martin donne à l’écrivain – le mobile du meurtre, La carte et le territoire révèle l’incapacité des deux personnages à vivre autrement que dans la valeur d’échange, et donc à être heureux. Car le bonheur, tout comme une fleur, est gratuit. Sa valeur est d’usage, et non d’échange. Il ne peut donc pas faire l’objet d’un contrat social. Incapable de s’extraire de ces rapports d’échange, Michel Houellebecq l’est également dans sa langue : les mots ne sont chez lui que les signes monétaires d’une réalité extérieure au livre : « Nous aussi, nous sommes des produits…», poursuivit-il, « des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d’obsolescence. » Michel Houellebecq dit juste : ses livres ne survivront pas à une société dont il n’aura été, finalement, que le téléspectateur.

Gilles Monplaisir.

 


[1]. Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Ed. Flammarion, 2010.

[2]. Philippe Sollers, Fleurs dans Discours parfait, Ed. Gallimard, 2009.

 
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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 09:53
A tous ceux-là ... 
Au commandant Philippe Kieffer.
Au 1er Bataillon de Fusilliers Marins Commandos
A ceux des nôtres qui, partis des plages de Dunkerque, de Bretagne ou d'Afrique, débarquèrent dans l'aube froide du 6 juin, se couvrirent de gloire à Colleville, à Ouistreham, à Benouville, sur l'Orne, puis dans les combats de Walcheren et de Flessingue.
A tous ceux-là et à leurs camarades d'Afrique, d'Italie, de Provence et du Rhin qui refirent de la France une grande nation d'hommes libres.
Ce soir, nous nous souvenons.
 

KIEFFER--Philippe--Commandant.jpg

 
 
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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 22:42
Perspectives méditerranéennes
 
Après avoir évoqué les trois Méditerranées de Fernand Braudel ("Une mer, trois destins", Revue Critique du 5 mai), notre ami Jean-Claude Adrian montre le chemin qu'elles ont parcouru depuis la fin des années 80. L'effondrement du communisme a redonné vie et puissance à la civilisation arabe et à l'islam. A l'ouest, c'est l'Allemagne, elle aussi renaissante, qui a semblé dans un premier temps dominer l'ancienne Europe latine. Le «Printemps arabe» et l'affaiblissement du projet d'Union européenne pourraient ouvrir d'autres perspectives. Seront-elles plus favorables à la France ?
 
Au mitan des années 80, des trois civilisations qui se partagent l’espace méditerranéen, la « romaine » est encore florissante, l’orthodoxe étouffe sous le communisme soviétique, l’islam, assoupi, paraît exotique.
La chute du communisme a marqué ces trente ans ; l’orthodoxie semblait la mieux placée pour en bénéficier ; curieusement, c’est l’islam qui en a tiré le plus d’avantages. L’URSS disloquée, nationalités et religions se réveillent. Si l’accès à l’indépendance des républiques musulmanes d’Asie Centrale s’effectue sans trop de drame, les problèmes se concentrent au Caucase. La première guerre de Tchétchénie est une guerre d’indépendance, nationaliste ; dans la seconde, les wahhabites radicaux interviennent et donnent au conflit un caractère plus religieux. Quels que soit leur importance et influence réelles, ils sont sortis de leur isolement, entrés dans le jeu.
On les retrouvera dans les Balkans, où à la chute de Tito, les trois civilisations s’affrontent dans de sanguinaires guerres ethnico-religieuses. Les serbes orthodoxes en sortent vaincus médiatiques. L’islam est revigoré. Il ne subit plus ; radicalisé, il se lance au combat au cri de « Allah akbar ». Partout dans l’espace méditerranéen, l’islam est en première ligne, Palestine, Irak, Iran. Plus loin, les moudjahiddins, après avoir vaincu les russes, tiennent tête aux américains – avec toujours en arrière-plan l’Arabie Saoudite et le wahhabisme. Nouveaux kamikazes, à la différence que leurs avions suicides embarquent des passagers, ils se fracassent sur les twin towers. 
Assistons-nous au triomphe posthume du grand historien belge Henri Pirenne ? En 1937, paraît « Mahomet et Charlemagne », publié deux ans après sa mort par son fils. Sa thèse, largement étayée se résume ainsi : « l’islam  a rompu l’unité méditerranéenne que les invasions germaniques avaient laissé subsister ». L’ancien Empire romain dérive à l’Est, devient l’Empire byzantin d’Orient. Le centre de gravité de l’Empire de Charlemagne, Empire d’Occident, bascule de Rome au Nord de l’Europe. Libéré de Rome, le germanisme, qui, malgré les invasions des premiers siècles était resté confiné dans un rôle secondaire, entre à jamais dans l’Histoire.
Accueillie très favorablement à sa sortie, la thèse de Pirenne était plus critiquée dans les années 80. Pourtant, n’est-ce pas le même schéma que nous voyons se reproduire ? La Méditerranée de nouveau coupée en deux, la France, des nations européennes la plus tournée vers la rive Sud, est la plus affectée. L’islam y est ressenti comme un adversaire ; poids de l’immigration, difficultés d’intégration des jeunes descendants d’immigrés, nés en France, mais tentés de se forger une identité spécifique en se rattachant à la civilisation musulmane. Les projets ambitieux d’Union Méditerranéenne tombent à l’eau.
La France se détournant du Sud, l’Europe perd son contre-poids méditerranéen. Comme à l’époque de Charlemagne, elle bascule vers le Nord. L’Allemagne donne le ton. Or selon la position respective de la France et de l'Allemagne, le destin de l’Europe diffère. Dominée par l’Allemagne, elle pencherait vers l’Est, la MittelEuropa et la Russie. N’appartenant plus au noyau central, la France ne serait plus que la tête de file des nations du Sud et subirait une politique économique sur laquelle elle aurait peu de prise. Le protestantisme, absent en l’an 800, triompherait du catholicisme ; le houblon et la pomme de terre prendrait le pas sur le blé et la vigne. Coincée entre la renaissance du Saint Empire Romain Germanique et le retour de l’islam, entre Charlemagne et Mahomet, la civilisation romaine latine vacillerait.
Heureusement, le pire n’est jamais sûr. Aucune Nation européenne ne tend à l’hégémonie. L’Allemagne, comme effrayée de sa puissance, renonce au nucléaire civil, sa démographie est en berne. A nous de jouer, la partie est en cours.
Jean-Claude Adrian.
 
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N°1 - 2009/01
 
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