La Revue Critique des idées et des livres |
"Ce n’est pas seulement pour vivre ensemble, mais pour bien vivre ensemble qu’on forme un État." aristote |
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Paul Jorion, Le capitalisme à l'agonie. Paris, Fayard, mars 2011, 348 pages.
Trois pièces de Robert Marteau |
Quelques mots sur Robert Marteau, mort le 15 mai dernier dans un silence presque complet et qui était pourtant un des grands poètes de sa génération. Pourquoi ce silence ? Est-ce parce que Marteau ne faisait partie d'aucun cercle, d'aucun cénacle, qu'il avait choisi de ne sacrifier à aucune mode ? Est-ce parce qu'il était né dans une de ces familles paysannes de l'Ouest et que son oeuvre, depuis Royaumes, Travaux sur la Terre jusqu'à son récent Temps ordinaire, parle d'une nature belle et proche et du travail qu'y font les hommes ? Est-ce parce que lui, presque autodidacte, savait faire vivre dans ses vers les dieux d'Eschyle et de Sophocle, le paysan d'Hésiode, la terre sèche de Giono et celle plus grasse des hommes de l'Atlantique, parce qu'il aimait les taureaux et leur mystère rouge et noire, les oiseaux et les arbres, parce qu'il parlait bien du Saint Laurent et des forêts du Canada ? Soucieux d'écrire clair et juste, Robert Marteau avait choisi de revenir à la forme classique du sonnet, peut être parce qu'elle donne à la poésie cette forme d'éternité et de plénitude qu'on trouve chez Pétrarque et, en France, chez Ronsard, Saint-Amant ou Mallarmé. Marteau cherchait derrière l'artifice de notre modernité le monde tel qu'il continue à être, son temps long, ses saisons fortes, le bruit des sources, le cortège des morts et la rumeur des antiques combats. Chrétien, il avait l'âme latine et grecque et ne dédaignait pas, tout comme nos renaissants, un certain hermétisme. Pour tout cela, il faut le découvrir ou le relire. E. C |
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Travaux pour un bûcher (fragment) Pour incendier le repaire ils feront de paille Leur cheval de Troie et de leur dard ouvriront Les volets humides des chambrières. Ah - Astarté Que le jasmin gagne ta chair insolente ! Ah, ce corps maculé de digitale Qui empoorpre la verrière ! Déjà Byzance nous maquille, Eteint la torche, empierre le bûcher, Nous montre le tombeau la plus sûre galère; Tandis que les mules qui ont tiré Jusqu'ici les troncs urinent dans la poussière, Tandis qu'à cheval on se dispute l'or, Tandis que les marchands débattent du cubage, Et que les bûcherons crachent le vin rouge; Tandis que perle la résine aux blessures de l'aubier Et que nous autres de nos capes nous chassons les buses Qui font un dais sur le bûcher. Les dieux sont immortels mais ils vivent masqués Qu'ils changent de visage et nous croyons changée Leur nature pourtant qui est surnaturelle Puisqu'en Un ils sont trois et multiples de trois Peuplent l'Olympe et le Nil les îles les bois. Travaux sur la terre. (1966). C'est ce que j'aime... C'est ce que j'aime : un tertre avec des cyprès; l'eau Qui ruisselle sur la pierre d'un abreuvoir; Des chevaux disséminés parmi les genêts; Un chemin qui s'insinue entre l'herbe; un toit De tuiles; une hirondelle accrochée au bord De la génoise; un épouvantail que les pies Prennent pour perchoir et que les geais vitupèrent. C'est le premier matin de juin : le faisan Salue, étonné du silence; un coup de vent Fait parler le frêne, emportant un papillon Sur les vagues de la prairie. A l'horizon, Les montagnes s'appuient contre le bleu du ciel. Une corneille en ramant se tient sur ses ailes; Avertit de trois cris, et d'une croix contresigne. Louange. (1996). Le houx est coupé. La symphorine a fleuri. La valériane épanouit ses corymbes Dans la haie où le ciel tombe en ajours, en voiles Qui se déchirent dès que le soleil en armes Miraculeusement inaugure un nouveau Règne. C’est aussitôt que de leur bec armé Les pics en tribus vous aident à déchiffrer La mythologie au secret entre l’écorce Et le liber. Clameur en forêt. À la porte On crie : au parlement des oiseaux on n’est plus D’accord. La chevêche est cachée au fond de l’arbre. Sans elle on ne peut rien décider. La hulotte S’est retirée avant l’aube. La buse tourne Où la lune était. On a des soucis nouveaux. Rites et offrandes. (2002). |
La vie vivante Contre les nouveaux pudibonds |
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Jean-Claude Guillebaud, La vie vivante, contre les nouveaux pudibonds. Paris, Les Arènes, mars 2011, 276 pages.
François Renié.
Limites de Michel Houellebecq | |
La carte et le territoire [1] retrace le parcours de Jed Martin – « l’artiste contemporain ». Sa vie se résume à sa carrière : « Lui non plus, croyait-il, n’avait pas tellement changé au cours de ces dix dernières années, il avait produit une œuvre comme on dit, sans davantage rencontrer, ni même envisager le bonheur. » La préparation d’une exposition amène Jed à rencontrer Michel Houellebecq dont il doit réaliser le portrait. Les deux hommes s’entretiennent à plusieurs reprises : « Il y avait dans la voix de l’auteur des Particules élémentaires quelque chose que Jed ne lui avait jamais connu, qu’il ne s’attendait pas du tout à y trouver, et qu’il mit du temps à identifier, parce qu’au fond il ne l’avait plus rencontré chez personne, depuis pas mal d’années : il avait l’air heureux. » Ce bonheur n’est que de courte durée : peu après que Jed Martin lui ait offert son portrait, Michel Houellebecq est retrouvé assassiné dans sa maison du Loiret. Jed Martin se retire dans la Creuse ; poursuit son œuvre ; vieillit ; meurt : « C’est ainsi que Jed Martin prit congé d’une existence à laquelle il n’avait jamais totalement adhéré. »
Jed Martin et Michel Houellebecq sont inaptes au bonheur. Leur vie, châtrée comme un écran plasma, exclut toute iruption du corps. Si les sensations s’invitent parfois, elles tournent aussitôt au négatif. Là où un autre écrivain, par exemple, sent « la projection des désirs» [2], Michel Houellebecq ne retient que la pourriture : « La beauté des fleurs est triste parce que les fleurs sont fragiles, et destinées à la mort, comme toute chose sur Terre bien sûr mais elles tout particulièrement, et comme les animaux leur cadavre n’est qu’une grotesque parodie de leur être vital, et leur cadavre, comme celui des animaux, pue – tout cela, on le comprend dès qu’on a vécu une fois le passage des saisons, et le pourrissement des fleurs. » Résignés devant la castration du temps, Jed Martin et Michel Houellebecq ne perçoivent pas la chance que recèle toute angoisse : celle de jouir – sans contrepartie – de l’instant présent. L’un ne va pas sans l’autre.
Celui qui se résigne à mourir se place ipso facto dans un continuum biologique – base du totalitarisme – qui exclut toute émergence de la parole au profit d’une filiation matrilinéaire des êtres : « Qu’est-ce qui définit un homme ? Quelle est la question que l’on pose en premier lieu à un homme, lorsqu’on souhaite s’informer de son état ? Dans certaines sociétés, on lui demande d’abord s’il est marié, s’il a des enfants ; dans nos sociétés, on s’interroge en premier lieu sur sa profession. C’est sa place dans l’appareil de production, et pas son statut de reproducteur, qui définit avant tout l’homme occidental. » Produire et se reproduire sont les moteurs de toute société. Se définir à partir de ces critères fait entièrement dépendre votre vie de la matrice collective. Michel Houellebecq l’admet : « Ce que je fais, en tout cas, se situe entièrement dans le social. » Lui et Jed Martin demandent à la société qu’elle les reconnaisse, qu’elle leur attribue une valeur, comme une fille l’attend de sa mère : « On peut travailler en solitaire pendant des années, c’est même la seule manière de travailler à vrai dire ; vient toujours un moment où l’on éprouve le besoin de montrer son travail au monde, moins recueillir son jugement que pour se rassurer soi-même sur l’existence de ce travail, et même sur son existence propre, au sein d’une espèce sociale l’individualité n’est guère qu’une fiction brève. »
Pourquoi ne serait-ce pas l’inverse ? « Ce type semblait n’avoir pas de vie privée », remarque l’inspecteur chargé d’enquêter sur l’assassinat de Michel Houellebecq. En faisant du tableau – que Jed Martin donne à l’écrivain – le mobile du meurtre, La carte et le territoire révèle l’incapacité des deux personnages à vivre autrement que dans la valeur d’échange, et donc à être heureux. Car le bonheur, tout comme une fleur, est gratuit. Sa valeur est d’usage, et non d’échange. Il ne peut donc pas faire l’objet d’un contrat social. Incapable de s’extraire de ces rapports d’échange, Michel Houellebecq l’est également dans sa langue : les mots ne sont chez lui que les signes monétaires d’une réalité extérieure au livre : « Nous aussi, nous sommes des produits…», poursuivit-il, « des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d’obsolescence. » Michel Houellebecq dit juste : ses livres ne survivront pas à une société dont il n’aura été, finalement, que le téléspectateur.
Gilles Monplaisir.
A tous ceux-là ... | ||
Au commandant Philippe Kieffer. Au 1er Bataillon de Fusilliers Marins Commandos A ceux des nôtres qui, partis des plages de Dunkerque, de Bretagne ou d'Afrique, débarquèrent dans l'aube froide du 6 juin, se couvrirent de gloire à Colleville, à Ouistreham, à Benouville, sur l'Orne, puis dans les combats de Walcheren et de Flessingue. A tous ceux-là et à leurs camarades d'Afrique, d'Italie, de Provence et du Rhin qui refirent de la France une grande nation d'hommes libres. Ce soir, nous nous souvenons. |
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01 |
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