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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 20:16

Eté 2011
Un été grec
 

- La démocratie et son avenir, par François Renié.  [lire]

Les idées et les livres

- Un été grec, par Claude Arès.  [lire]
Les gouvernements de la zone euro ne savent plus à quel saint se vouer. La monnaie unique, que l'on présentait comme notre meilleur rempart contre la crise financière, se révèle être un piège redoutable. La plupart des économistes avaient pourtant mis en garde nos dirigeants sur les risques qu'ils prenaient en se lancant dans l'aventure de l'euro. Le sommet européen de Bruxelles, censé tout remettre en ordre, n'a en réalité rien réglé. Après la Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande et l'Italie perdent pied. L'effondrement de l'euro aura-t-il lieu plus vite que prévu?

- La démocratie désenchantée (1). - Textes présentés par Pierre Gilbert.
Démocrates sans démocratie. - La démocratie est attaquée de toutes parts. En Occident, on lui reproche d'être trop institutionnelle, trop bourgeoise, pas assez participative. En Russie, en Chine, en Iran et, d'une façon moins explicite, dans beaucoup de pays émergents, on en relativise la portée. Quelles formes prend cette contestation ? Est-elle susceptible de déboucher sur de nouvelles formes politiques, "postdémocratiques"? Cette enquête aborde en premier lieu les idées de gouvernance mondiale et de "pouvoirs experts", censées mettre la démocratie à l'abri du populisme, des nationalismes et de la dictature du court terme, et qui débouchent bien souvent sur des institutions "hors-sol".

- Méditerranées, par Jean-Claude Adrian.  [lire]
Retour en Méditerranée, avec Fernand Braudel et ses trois grands espaces, le monde romain, celui de l'orthodoxie et le monde arabo-musulman. Les lignes bougent à nouveau au sein de ces espaces et entre ces espaces. Si les révoltes arabes retiennent aujoud'hui l'attention, l'Occident est, lui aussi, à la veille de mutations profondes. L'affaiblissement du projet d'Union européenne offre la possibilité de nouvelles alliances. L'Allemagne veut tenter sa chance mais la France peut, elle aussi, tirer son épingle du jeu, pour peu qu'elle le veuille et qu'elle se donne un projet.

- Italia, Italia par Jean-Gabriel Faure.  [lire]
Le 150e anniversaire de l'unité italienne devait être une commémoration comme une autre. Et pourtant, elle provoque un choc de conscience chez nos amis transalpins. Chacune des manifestations - et encore cet été la série de concerts consacrés à Verdi - est l'occasion pour le peuple italien d'exprimer son profond patriotisme, sa cohésion et son dégout d'une classe politique qui se complait, plus encore qu'hier, dans les divisions, l'incurie et la corruption. Alors qu'ici comme ailleurs, le projet d'Europe fédérale ne fait plus recette, dans quelle direction peut se canaliser l'énergie d'un pays qui n'a rien perdu de son enthousiasme et de son esprit d'innovation ? Comme dans le passé, l'Italie peut-elle surprendre et réveiller l'Europe ?

Le véritable d'Artagnan, par Jacques Darence. [lire]
Passionnant à plus d'un titre, le vrai d'Artagnan n'a rien à envier à son frère de légende. Sa vie fut pleine de rebondissements, de panache, de bravoure et de gloire. Le petit gentilhomme gascon trouvera à Paris la renommée et la fortune. Il sera tour à tour guerrier, policier, diplomate et courtisan. Il finira - son rêve - au grade de capitaine-lieutenant des mousquetaires et tombera à Maastricht, l'épée à la main face à l'ennemi. Preuve supplémentaire que, sous l'Ancien régime, les grandes charges n'étaient pas l'apanage d'une caste et qu'on les attribuait d'abord au mérite. Cette redécouverte de d'Artagnan, nous la devons à une petite phalange d'écrivains et d'historiens passionnés, dont il faut saluer la persévérance et le talent.

Azurine ou le nouveau voyage, une nouvelle de René Boylesve. [lire]
René Boylesve et l'automobile ! Voilà un curieux rapprochement! Comment imaginer que le charmant auteur de la Leçon d'amour dans un parc ou du Parfum des Iles Borromées ait pu s'intéresser à cet objet sans âme ! Et pourtant le monstre d'acier revient régulièrement dans l'oeuvre de notre Tourangeau. Il commença par en trouver l'invention plaisante, à une époque où elle n'était encore qu'un moyen d'agrément. Et puis il assista à la glorification saugrenue de la vitesse pour la vitesse, à l'enlaidissement de nos villes et de nos campagnes, et il déchanta. Mais restons sur la première impression de Boylesve et suivons-le avec des amis choisis sur les routes encore désertes de l'Ile de France, de la Bourgogne et du Lyonnais. En voiture à pétrole...

- Le jardin français, poèmes de H. Muchard, R. Kipling, F. Jammes.  [lire]

Chroniques

- Notes politiques, par Hubert de Marans.
L'affaire Tapie. - Le socialisme à l'ère primaire. - Perspectives corses.

- Chronique internationale, par Jacques Darence.
Irresponsable Amérique. - Quand le roi se fâche. - La France en Libye.

- Chronique sociale,, par Henri Valois.
Indignés et syndiqués. - Stratégies. - L'industrie papetière sacrifiée.

- La vie littéraire, par Eugène Charles.
Mohrt. - Jenni. - Obaldia. - Pirotte. - Drieu. - Tintin. - Poètes baroques.

- Idées et histoire, par François Renié et Paul Gilbert.
Marcel Gauchet. - Ernest Renan. - Rémy Brague. - Chateaubriand.

- Revue des revues, par Paul Gilbert.
Un candidat de rêve. - Une monarchie exemplaire. - Post-romantiques. - Boulez.

- Les livres, par Paul Gilbert, Eugène Charles, François Renié.
Apocalypse de la modernité (Emilio Gentile). - La Vie vivante (Jean-Claude Guillebaud). - L'Hiver de la culture (Jean Clair). - Le capitalisme à l'agonie (Paul Jorion). - Partir (Blaise Cendrars). - Pise 1951 (Dominique Fernandez). - Le goût d'autrui (Ghislain de Diesbach). - Voyage en Amérique (Philippe d'Orléans). - Romulus et le rêve de Rome (Thierry Camous). - Petite sélection stendhalienne.  - Livres reçus.

 

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 09:27

Libye : Le retour du roi ?

  Le courage du peuple libyen et la détermination de ses alliés viendront à bout du régime Kadhafi. "La question n'est plus de savoir s'il doit quitter le pouvoir, mais comment et quand il le fera" disait il y a quelques jours Alain Juppé. A Tripoli, les derniers soutiens du régime s'évanouissent ou passent à la rébellion. Mais qui sont ces rebelles, d'où viennent-ils, que veulent les hommes qui tiennent Benghazi ? Alors que certains exagèrent les divisions au sein de la résistance libyenne, le poids des islamistes dans ses rangs et les risques de guerre civile, l'essayiste Roland Hureaux pose sur son blog la seule fonction qui vaille : pourquoi ne pas organiser le retour du roi ? La Libye, libérée de Kadhafi, aura besoin d'une longue période de paix civile, de stabilité et d'unité pour reprendre en main son destin. Qui mieux que le descendant des Senoussides pourrait incarner cette permanence de l'Etat et de l'intérêt général ? Ce n'est pas un hasard si de nombreux libyens combattent aujourd'hui sous le drapeau de l'ancienne monarchie. Les diplomates occidentaux qui préparent l'après Kadhafi seraient bien avisés d'en tenir compte.

F.R.


Les hommes politiques de la Troisième République, républicains intraitables, étaient aussi de grands pragmatiques. La rigueur de leurs convictions pour ce qui était de l’hexagone ne les empêcha pas de maintenir et même de consolider le régime monarchique au Maroc, en Tunisie, au Cambodge, au Laos et dans l’Annam. Le parti pris dissuada seulement Gallieni de le faire à Madagascar et ce fut dommage.

Le même pragmatisme doit prévaloir dans la solution du problème libyen.

L’intervention des forces de l’OTAN, sévèrement bridée par la résolution du Conseil de sécurité, risque de tourner à la déconfiture politique si les adversaires de Kadhafi ne présentent pas rapidement  une alternative crédible au régime actuel.

Le totalitarisme kadhafiste qui règne depuis plus de quarante ans n’ayant pas été la meilleure propédeutique à la démocratie, il convient de considérer l’option du retour à la monarchie.

Colonie italienne de 1911 à 1951, la Libye avait adopté à l’indépendance le régime monarchique. Le roi Idris Ier était issu de la confrérie des Senoussis qui exerçait depuis plusieurs décennies une forte influence sur le Fezzan (désert libyen). Cette monarchie se déclara constitutionnelle peu après et n’était donc pas, au moins en principe, incompatible avec la démocratie.

Le coup d’Etat de Kadhafi en 1969 mit fin au règne du roi Idris. Son petit-fils, Mohammed el Senoussi, vit actuellement à Londres et a des partisans dans la rébellion. On ne voit pas quelle considération pourrait dissuader la coalition d’envisager son retour.

Encore faut-il qu’il ose lui-même sortir du bois, peut-être même qu’il débarque en Cyrénaïque : attendre la fin des événements pour venir faire un tour de piste n’est sûrement pas pour lui la solution. Craindrait-il d’apparaître comme l’homme des Occidentaux ? A-t-il le choix ? L’histoire ne repasse pas les plats. La dynastie sénousite ne trouvera pas de si tôt une telle occasion de revenir en Libye.

Il est difficile de dire quel degré de consensus il rencontrerait. Que le drapeau de la monarchie ait surgi ici ou là n’est pas nécessairement significatif. Tout dépend sans doute de ses capacités. Mais les insurgés dépendent trop de l’appui extérieur pour s’opposer à une solution qui leur serait clairement suggérée par leurs alliés.

Heureusement, il est célibataire et donc disponible. Dans ce pays où l’esprit de clan domine, les mariages sont de longue date le moyen de sceller les alliances de clan à clan. Kadhafi sut user du procédé pour consolider son pouvoir. Le prétendant pourrait par exemple se rapprocher des Mégahras, clan stratégique au dire des experts.

Outre le manque d’imagination des chancelleries, cette solution se heurte à un obstacle : quoique fieffés réactionnaires en bien des matières, les Américains demeurent des républicains plus hostiles au principe monarchique que l’on imagine.

Cette hostilité de principe a fait manquer en Afghanistan une belle occasion d’organiser la réconciliation nationale. Le vieux roi Mohammed Zaher Shah, qui avait déjà régné sur le pays de 1933 à 1973 était, à la chute des talibans en 2001, plus légitime que quiconque pour prendre la relève. Les Américains n’en ont pas voulu, préférant le douteux Hamid Karzaï. Faute du soutien américain, Zaher Shah s’est contenté de présider l’assemblée constituante des chefs de tribu, la Loya Jirga.

En Irak, la monarchie hachémite, issue comme celle de Jordanie des anciens chérifs de la Mecque, avait été renversée en 1958. Un des héritiers du trône, le chérif Ali Ben Hussein, a, dans la période troublée qui a suivi la guerre de 1983 ouvert un site internet, sans succès. Même si ce prétendant avait sans doute moins de légitimité que d’autres, son élévation à la tête de l’Etat, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, aurait permis de mieux équilibrer la direction du pays entre les sunnites qui gouvernent l’Irak depuis des siècles et se résignent mal à ne plus le faire, et les chiites, désormais majoritaires.

En tentant de remettre l’héritier du trône libyen dans le jeu, la coalition se doterait d’une carte supplémentaire. Elle pourrait au moins présenter une solution ayant une apparence de légitimité historique, plus en tous cas que celle d’un clan opposé se substituant à un autre clan, d’un colonel succédant à un autre colonel. La monarchie a longtemps fait rétrograde et à ce titre représenté une cause risquée, mais depuis 1990, qui sait où est le sens de l’histoire ?

Roland Hureaux.

 

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 08:45
 
 
provence
 
 
 
C'était sur un chemin crayeux
Trois châtes de Provence
Qui s'en allaient d'un pas qui danse
Le soleil dans les yeux.

Une enseigne, au bord de la route,
- Azur et jaune d'œuf, -
Annonçait : Vin de Châteauneuf,
Tonnelles, Casse-croûte.

Et, tandis que les suit trois fois
Leur ombre violette,
Noir pastou, sous la gloriette,
Toi, tu t'en fous : tu bois...

C'était trois châtes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Les Contrerimes (1921).
 
 
fleurs à jeanne d'arc
pour sa fête en mai
 
 
 
Du jardin où la fermière
Pleure en songeant à l'absent
Voici la rose première !
On dirait de la lumière,
Hélas, on dirait du sang.

Et puis voici des pensées:
De mon amie, en sa fleur,
Les prunelles nuancées
Que l'amour fait plus foncées
Avaient la même couleur.

Convient-il mieux à tes larmes
Le lis de candeur vêtu
Dont la France orna ses armes ?
Ah ! Le deuil même a ses charmes
Que couronne la vertu.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Vers inédits (1936).
 
 
seychelles
 
 
 
Mahé des Seychelles, le soir :
Zette est sur son dimanche,
Et sous la mousseline blanche
Brille son mollet noire.

Les cases aux fraîches varangues
Bâillent le long des quais ;
Dans les branches d'un noir bosquet
Etincellent les mangues.

Tandis qu'en ses jardins fleuris
Mystérieuse et belle,
Rêve une pâle demoiselle
Aux chapeaux de Paris.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Nouvelles Contrerimes (1936).
 
 

 
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27 juin 2011 1 27 /06 /juin /2011 21:49
Histoires de la Révolution       
et de l'Empire                               
 
de Patrice Gueniffey
Mis en ligne : [27-06-2011]
Domaine : Histoire
Patrice-Gueniffey.gif
 
Patrice Gueniffey, né en 1955, est historien. Il est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il a récemment publié Le Dix-huit Brumaire, l'épilogue de la Révolution française. (Gallimard, 2008).  
 

Patrice Gueniffey, Histoires de la Révolution et de l'Empire. Paris, Perrin, mars 2011, 744 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Depuis son ouvrage La politique de la Terreur, Patrice Gueniffey s'est imposé comme un historien majeur de la Révolution et de l'Empire. Il le doit non seulement au caractère toujours novateur de son approche et à la densité de ses analyses, mais aussi à la qualité de son style. Le présent ouvrage rassemble pour la première fois ses principaux textes, tous réécrits pour permettre une lecture continue et vivante. Etudes et récits y côtoient les portraits de contemporains (Robespierre, La Fayette, Maistre, Napoléon) et d'historiens (Bainville, Cabanis). L'ensemble propose une vision stimulante de la période 1789-1815 qui fera date.
 
Recension. - L'Histoire, juin 2011.
Finir la Révolution. Ce recueil d’articles fera date. Inédits ou révisés pour l’occasion, les chapitres qui composent ce volume sont précédés d’une introduction incisive liant crise actuelle de l’histoire et disparition de la croyance en l’efficacité de la politique qui caractérisait l’époque considérée. Patrice Gueniffey, dans un style qui marie clarté et profondeur et unit récit et analyse, offre une compréhension de l’ensemble de la période révolutionnaire et impériale dans sa dimension la plus essentielle, la politique.L’impossible quête d’une stabilité gouvernementale et institutionnelle est ouverte par la crise révolutionnaire en 1789. Patrice Gueniffey décrypte les valeurs et passions à l’oeuvre dans cette France en lutte avec elle-même et l’Europe pour le pouvoir. Mais cette histoire qui met aux prises nécessité et volonté n’est pas ici désincarnée. Aussi aux portraits collectifs - Feuillants, républicains jacobins et Cordeliers, la Commune de Paris - l’auteur a-t-il joint quelques itinéraires remarquables : La Fayette, Barnave, Chaptal, Napoléon et un Robespierre tout en nuances, fulgurant de justesse (un texte publié dans L’Histoire en mai 1994). Trois grands thèmes sont privilégiés pour analyser la succession de régimes, de l’Assemblée constituante à l’Empire, et leur difficulté à ancrer leur légitimité. La question de la représentation et de la participation, de la difficile invention du vote individuel à l’introuvable publicité de la compétition électorale. Ensuite, la violence révolutionnaire et la Terreur, avec une remarquable analyse de la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) inaugurant la séquence qu’on appelle la « Grande Terreur », et où Patrice Gueniffey permet de sortir de l’ornière du débat « circonstances versus idéologie » où avait pu s’embourber l’historiographie. Enfin, la question de la guerre, si vite cruciale pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir, facteur de consolidation mais aussi de fragilité pour la légitimité. L’ouvrage s’achève avec un hommage à François Furet, occasion de revenir sur Napoléon à la biographie duquel travaillait le grand historien lors de sa disparition en 1997.  
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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 14:22

Sous le capitalisme, 

la civilisation….

Sounion 2

 

Notre ami Jean-Claude Adrian poursuit son périple intellectuel autour de la Méditerranée, dans les pas de Fernand Braudel. Le mur de Berlin s'effondre. La puissance "orthodoxe", qui a dominé la moitié de l'Europe, est plaquée au sol.  En une décennie, l'Amérique gache ses chances de devenir la nouvelle Rome. Le monde musulman relève la tête. L'Europe doute de son rôle de "franchisé" du capitalisme mondial et secoue le vieux joug allemand. Alors que le jeu des relations internationales s'ouvre à nouveau, la France a toutes ses chances. S'élancera-t-elle ?

  Ce qui surprend le plus notre regard moderne, c’est la place centrale qu’assigne Braudel à la religion, en même temps il nous avertit que civilisation est aussi un « art de vivre ». Or des trois civilisations, seule l’islamique est encore fondée sur une religion. Les chrétientés romaine et orthodoxe ont, elles, été submergées par le capitalisme. A la limite, nous serions en droit de proclamer que l’Islam est la seule civilisation qui subsiste dans notre espace méditerranéen. Et peut-être, tenons-nous là l’explication la plus convaincante du rôle majeur, aujourd’hui le sien.

Revenons à la fin des années 70. Le capitalisme vit une crise structurelle avec une baisse soudaine et forte du taux de profit que ne peut endiguer le keynésianisme finissant – au contraire, il en est sans doute responsable. On parle de stagflation.

Marx écrivait en 1847 dans le Manifeste que « la bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire ». Il ajoutait : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. …. Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier …  Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale.» 

La manière violente et efficace dont elle reprend les choses en main ne l’aurait pas surpris (la bourgeoisie s’identifiant de nos jours aux capitalistes). Milton Friedmann et les Chicago’s boys entreprennent la « révolution conservatrice ». A la théorie de la demande, tournée vers la consommation, succède la théorie de l’offre, « supply side theories », visant à restaurer le taux de profit des entreprises. Reagan et Margaret Thatcher sont élus pour mettre en œuvre cette nouvelle politique ; le basculement est brutal.

L’Europe Continentale résiste. Au sein de la romanité, le capitalisme « rhénan », proche de l’économie sociale de marché allemande, et le modèle français, encore imprégné de colbertisme, conservent leurs spécificités. Derrière le rideau de fer, protecteur ou geôlier, selon les points de vue, la civilisation orthodoxe reste à l’écart.

Mais le capitalisme, superstructure avide de profit sans risque, ne renonce pas. «Sa caractéristique et sa force, nous dit Braudel, sont de pouvoir passer d’une ruse à une autre, d’une forme d’action à une autre, de changer dix fois ses batteries selon les circonstances de la conjoncture et, ce faisant, de rester fidèle, assez semblable à lui-même. »

A la mondialisation, le capitalisme ajoute une « ruse » nouvelle, le contrôle de l’économie par la finance, appelé financiarisation.

La hausse des profits entraîne l’envolée des cours de bourse durant les années 90. Les marchés financiers draine des capitaux tels que les entreprises s’adressent à lui pour financer leur activité, introductions en Bourse, augmentations de capital, émissions obligataires se succèdent. Le rôle des banques et des Etats diminue d’autant. Ces flux d’argent stimulent la créativité des traders et des mathématiciens, souvent français, aidée par l’essor de l’informatique. Des produits de plus en plus sophistiqués naissent, leur complexité étant elle qu’à l’instar de Frankenstein ou du robot de 2001 ils menacent d’échapper à leurs créateurs, ce qui se produira avec les « subprimes ».

Véhicule surpuissant à quatre roues motrices, mondialisation à l’avant pour déblayer le terrain, financiarisation à l’arrière pour une accélération permanente, le capitalisme déferle sur toutes les économies, recouvre les civilisations. Le rideau de fer ayant implosé telle une barre d’HLM vétuste, l’économie soviétique est privatisée, le secteur étatique mis en vente comme les biens nationaux en 1790.  A la nomenklatura succède une oligarchie dont les membres paradent en grosses voitures allemandes et envahissent les paradis touristiques au bras de jeunes filles en fleurs, blondes à la beauté et à la minceur inversement proportionnelles à celles de leurs mentors, comme quoi l’argent est bien une valeur d’échange – bref, capitalisme sauvage, anarchie, mafia, petites pépées et vodka. Et l’orthodoxie ? Un placage qui suscite de la sympathie.

En Europe, pas de rideau de fer, mais des frontières. Maastricht les élimine, la monnaie unique nivelle les spécificités nationales, les Etats abandonnent leurs prérogatives régaliennes, aucun obstacle ne gêne l’avancée du capitalisme tout-terrain. Les particularismes rhénans et colbertistes rendent les armes. Le capitalisme financier anglo-saxon devient la norme unique. La jeune romanité avait su convertir les barbares germains à ses valeurs ; la notre, plus friable, succombe aux maléfices du nouvel envahisseur, adopte son « art de vivre », fondé sur la cupidité et la permissivité – le fric et le mariage homosexuel en somme.

Si l’on admet que le capitalisme marchand et financier commence à la Renaissance et se développe à partir de la Révolution Industrielle, on comprend que l’Islam, qui n’a connu ni l’une ni l’autre, soit resté à l’écart. L’Islam formerait ainsi une sorte de haut plateau sur lequel échoueraient les vagues du capitalisme. Qu’en sera-t-il du « printemps arabe » ? Précède-t-il l’arrivée des grands vents du large venus du continent américain, des orages ravageurs, un renouveau, des dictatures militaires, un resserrement religieux ?

Mais ne rêvons pas. Souvenons-nous que « les civilisations, c’est la guerre ». L’islam, poussé par une population jeune, est en position de prendre sa revanche sur Rome, victorieuse de Carthage en 146 avant JC. Soumise au capitalisme « intégral », la Romanité est condamnée. Le capitalisme, par essence amoral, ne s’autorégule pas ; attirant les plus belles intelligences, souvent fascinés par l’argent, il déjoue les pièges laborieux préparés dans les cabinets ministériels. Une fois encore, il nous faut écouter un grand historien, Lucien Febvre, père intellectuel de Braudel. Que nous dit-il ? Qu’au Moyen-Age, « l’Europe s’est faite contre l’Asie », ajoutant, « elle s’est faite aussi avec l’Asie » (par Asie, comprendre surtout l’Islam). Il situe le tournant au seuil des temps modernes quand naît le « sentiment de la supériorité européenne, ce sentiment de supériorité et d’orgueil qui va dès lors accompagner l’européen et ne jamais l’abandonner. »

Lucien Febvre écrit à la sortie de la deuxième guerre. A l’évidence, ce sentiment de supériorité, nous l’avons perdu. Dans le péril, l’islam nous donne l’occasion de nous ressaisir. Non en le niant, ou en le considérant comme un ami, ce qu’il n’est pas, ni comme un ennemi, encore que … Mais comme un rival qui tire de notre faiblesse actuelle sa force nouvelle. Alors, qu’au contraire, sa jeunesse manifeste une forte envie de s’assimiler aux Etats-Unis dont la puissance, réelle ou apparente, séduit.

C’est de France, retrouvant sa vocation universaliste, que doit partir le sursaut. La confrontation n’est pas guerrière, le temps des Croisades est révolu, mais intellectuelle et morale. Il ne s’agit pas de nous resserrer ou refermer, mais d’affirmer.

Oui, la France n’est pas une démocratie du Nord, de la taille de l’une de nos Régions ; ni le Brésil multiethnique, à l’Histoire différente de la nôtre, ancienne colonie portugaise formée en agglomérant aux arrivées successives de portugais, des esclaves africains (réception de 42% de la traite atlantique), des libanais et des immigrants européens. Ni son destin, la dissolution dans un vague assemblage multi-culturel.

Les quatre piliers de la France sont la philosophie grecque, la pensée juive, la loi romaine, la religion catholique. Ce bloc n’est pas monolithique. Il peut s’enrichir de nuances, d’apports extérieurs, se piqueter de taches de couleurs, en provenance de notre ancien Empire, à condition que le noyau dur reste inaltéré. Et que de ce noyau dur rayonne notre action.

Et l’économie ? Eh bien, elle « suivra ». Car JM Keynes nous l’a appris, l’économie est avant tout une question de confiance. De politique, en somme.

Sortie ou non de l’euro et protectionnisme, déficits commercial et public, … la France est face à des problèmes importants. Mais ne l’oublions pas, elle n’est pas un nain économique. Elle reste, malgré son pessimisme généralisé, la 5ème ou 6ème puissance économique mondiale. Sa productivité horaire est la deuxième du monde, après celle des Etats Unis, avant l’Allemagne. Avec 65 Mds d’Euros, elle est demeurée en 2009 la troisième destination mondiale des flux d'investissement directs étrangers et la première destination européenne, résistant mieux à la crise que le Royaume-Uni et l’Allemagne. Seul Paris détone, tombant au 5ème rang des capitales les plus attirantes, après Londres, Shangaï, Hong Kong et Moscou - mais qu’attendre d’une politique tournée vers  « l’homo festivus » ?

Cela ne tient pas du miracle, mais de nos forces et talents. Coûts d'implantation les plus faibles des pays européens, taille du marché national, position géographique stratégique, qualités des infrastructures, de l’administration et des hommes.

Sans la foi, aucune recette purement économique ne réussit. Quand de Gaulle revient au pouvoir, il dévalue le Franc de 17,5%, en l’accompagnant d’un plan global de modernisation et d’ouverture de notre économie, le Plan Rueff-Armand. L’expansion dans la stabilité sera assurée pour dix ans. A l’inverse, une dévaluation menée dans un climat délétère ne procurerait qu’un court instant de répit – « encore un moment, Monsieur le bourreau », sans effets positifs durables. Alors, oui, redressons la tête, retrouvons notre fierté.

Mais, comprenons-nous bien. Cet appel, s’il l’est en partie, n’est pas que vaine nostalgie à « une certaine idée de la France ».

C’est, beaucoup plus concrètement, le rappel d’une idée simple, souvent oubliée, que l’on vit mieux au sein d’un pays puissant, dynamique, proche du cœur de l’économie-monde et non rejeté à ses lointains confins. Qu’en dépend (et non d’une politique du « care ») le maintien de notre « art de vivre », fondé sur une certaine douceur dans l’atmosphère.

Toute civilisation repose sur une part d’égoïsme vis-à-vis de l’extérieur. L’art de vivre en est le joli fruit. Alors cultivons nos vertus. Sans nous soucier des importuns.

Jean-Claude Adrian.


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24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 15:50

M. Dugenou 

Est-ce l’effet de l’été ou des vacances prochaines qui se fait sentir ? On a le sentiment que les Français sont un peu plus indulgents avec leur classe politique. La série de sondages publiée par le Monde jeudi dernier l’illustre assez bien. Malgré l’affaire Strauss Kahn, malgré tous les déballages qu’elle a provoquée au vu et au su de tous, le parti socialiste conserve finalement toutes ses chances de remporter l’élection présidentielle de l’an prochain. On s’attendait au moins à ce qu’une ligne plus morale, moins bourgeoise, et pour tout dire, plus à gauche s’affirme. Ce n’est pas le cas. M. Melenchon et l’extrême gauche font des scores anecdotiques et, des trois principaux candidats à l’investiture socialiste, c’est M. Hollande qui est le mieux placé pour l’emporter, à quelques encablures de Mme Aubry et très loin devant Mme Royal. M. Hollande serait même, aux yeux des sondés, celui des candidats dont la « stature présidentielle » (sic) est la plus forte.

Voilà de quoi combler d’aise le Petit Chose de Tulle, qui n’envisageait il y a quelques semaines encore qu’une campagne de témoignage et qui se trouve brusquement propulsé au premier rang. Voilà aussi de quoi rassurer ses amis de l’oligarchie de gauche, privés de leur candidat « naturel » depuis la bouffonnerie du Sofitel, et qui s’inquiétaient de leurs places et de leur avenir. Qu’ils se tranquillisent ! L’équipe de campagne de M. Hollande est prête à les accueillir à bras ouverts  et l’on fera aux amis les mêmes promesses que celles que leur avait faites DSK. Le fond de commerce du directeur général du FMI a maintenant trouvé un repreneur. On l’annonce d’ailleurs à longueur de colonnes dans Le Monde, Libération et Le Nouvel Observateur, ne serait-ce que pour rassurer Bruxelles et les marchés sur les intentions de la gauche, si d’aventure elle devait accéder au pouvoir.

Reste maintenant à convaincre les Français, ce qui n’est pas nécessairement le plus facile. M. Hollande est trop fin connaisseur de la vie politique pour ignorer qu’une campagne présidentielle se gagne sur une posture et non pas sur des idées. Il a trouvé la sienne. Il assure vouloir être le candidat de la « normalité », après cinq années d’agitation sarkozyste.  Finis les rodomontades, les coups, les opérations de communication sans lendemains. Il faut à la France un « président comme tout le monde », un « monsieur tout le monde » qui agisse sans affectation, sans forfanterie, sans foucades. Les Français aspirent à plus de calme ? Eh bien M. Hollande leur promet un long sommeil réparateur, de grandes vacances politiques, cinq années sans un mot plus haut que l’autre, une forme de paix des sens à la sauce démocratique. Après la République remuante, la République lénifiante… voilà le futur slogan de notre Corrézien.

Quand certains disent que Pompidou est son modèle, ils se trompent. Pompidou était trop cultivé, trop bien élevé, trop amateur d’art, de bonnes phrases et de bonne chère, en un mot trop brillant pour M. Hollande. Il vise plus bas, plus morne, plus assoupi. On sent qu’il brule de nous parler de Vincent Auriol, de René Coty, de Gaston Doumergue, de Paul Deschanel et, pourquoi pas d’Henri Queuille ! Il rêve d’une démocratie somnolente, où les gouvernements se taisent, où les ministres pensent à peine, où le Sénat ronfle plus fort que l’Assemblée nationale. Il va de soi que les affaires du pays seraient mises entre de bonnes mains, celles d’une caste d’experts et de technocrates dévoués dont M. Hollande, esprit pratique et prévoyant, a déjà dressé la liste. Quant aux Français, on leur demandera leur avis le moins possible, pour qu’ils puissent jouir en toute quiétude de leurs activités favorites : la pêche à la ligne, la belote, le tiercé, la gay pride ou la lecture des œuvres complètes de Kautsky.

Cette posture sera-t-elle suffisante pour permettre à M. Hollande de l’emporter ? Rien n’est moins sûr. Quoi de plus banal en effet que la « normalité ». Quelques mauvais esprits ne manqueront pas de faire remarquer que si la France avait été dirigé depuis mille ans par des esprits normaux, elle ne serait sans doute pas la France et que nous serions déjà depuis très longtemps en démocratie. Nos Français n’aiment pas qu’on leur parle avec de grands airs mais ils ne supportent pas que le successeur des rois de France ait la même binette et le même QI que leurs voisins de palier. Qu’à cela ne tienne, M. Hollande a d’autres tours dans son sac. A défaut d’endormir les Français, il peut tout aussi bien les faire rêver. Son rêve français, c’est celui « du progrès, de la confiance en l’avenir, de la garantie de jours meilleurs pour les enfants, de la réussite, le rêve né de la Révolution d’égalité et de liberté, du Front populaire, du Conseil national de la Résistance, le rêve de 68, le rêve des alternances de 1981, 1988, de Lionel Jospin en 1997 ». « Faites ce rêve avec moi, ce sera la réalité de demain ! » plaidait-il lors d’un récent meeting. On aimerait tellement y croire.

Mais il se trouve que certains Français ont la mémoire longue. Ceux là se souviennent, qu’en fait de Front populaire et de programme du CNR, M. Hollande fut de 1997 à 2002 le soutien constant, le directeur de la propagande d’un pouvoir qui a privatisé plus qu’aucun gouvernement précédent, qui a initié la casse systématique des services publics, le démantèlement de nos frontières, la mise en concurrence de nos emplois et de nos activités, au nom de l’Europe fédérale et de la mondialisation. Qu’en fait de mai 68 et de rêves d’alternance, il fut pendant toutes ces longues années le chef de file le plus conformiste et le plus sectaire de l’aile bourgeoise de la social-démocratie, qu’il est un des « parrains » de cette oligarchie de hauts fonctionnaires, de journalistes, d’hommes d’affaires et de banquiers, qui, issus des mêmes milieux et des mêmes écoles, tiennent ce pays en coupe réglée. Qu’en fait de démocratie et de liberté, il fut, lui, Hollande, un des responsables de ce déni de démocratie que fut l’adoption du traité de Lisbonne : les patriotes de ce pays se rappellent parfaitement le rôle qu’il a joué, en pleine complicité avec Nicolas Sarkozy, pour imposer une approbation du traité par la voie parlementaire, alors que la gauche s’était engagée à exiger un référendum et qu’elle aurait pu l’obtenir !

C’est le même Hollande qui, dans une brochure modestement intitulée «Parlons de la France» [1], annonce noir sur blanc qu’il ne reviendra pas sur la réforme des retraites, contrairement là encore aux déclarations de son parti. Que c’est le même qui, au nom du réalisme et de notre « avenir européen », laisse entendre dans le même programme que le retour de la France dans l’Otan est un fait acquis, que nous devons nous engager sans discussion dans une politique de désarmement nucléaire et qu’il faudra envisager sérieusement une fusion de nos forces armées avec celle de l’Allemagne ! Voilà le programme, voilà les vraies idées de François Hollande, celles qu’il va s’employer à dissimuler, soyons en sûr, dans les semaines et mois qui viennent derrière le rideau de fumée de sa république lénifiante et de son « rêve français » à deux sous.

M. Hollande n’offre pour le moment qu’une seule face à la lumière. Celle du notable rondouillard et rassurant, qui fait le tour des banquets républicains, des maisons de retraite et des comices agricoles, l’œil égrillard et l’œillet à la boutonnière. Celle aussi du démagogue, de l’histrion parfaitement vulgaire qui prétend que « son rôle est de convaincre Mme Dugenou », ce qui en dit long sur le mépris qu’il porte au peuple français. Mais il existe un autre Hollande, plus chafouin, plus sournois, plus dissimulateur. Celui là sait très bien où il va. Il vient d’hériter du programme de M. Strauss-Kahn et il fera tout pour en être l’exécuteur. Il le fera sans état d’âme, convaincu que le projet qu’il porte – européiste, mondialisateur – est le seul possible. Plus idéologue, moins visible que Dominique Strauss-Kahn, il n’en est que plus dangereux. Il est indispensable de démasquer le personnage et d’en faire connaître les vraies idées et les vrais états de service. De faire savoir partout que Hollande, c’est Strauss-Kahn en pire.

Hubert de Marans.

 


[1]. On trouvera la brochure « Parlons de la France avec François Hollande » à l’adresse suivante : http://www.repondreagauche.fr/sites/repondreagauche.fr/files/parlonsdelafrance.pdf

 

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 12:42
Mérites de
Michel Houellebecq              
Réponse à Gilles Monplaisir
  HOUELLEBECQ (Michel) 2
  
Houellebecq! encore et toujours Houellebecq! Gilles Monplaisir évoquait ici-même il y a quelques jours (La Revue critique du 6 juin 2011) les limites du personnage et de l'écrivain. Bruno Lafourcade revient à la charge et prétend qu'on lui reconnaisse aussi quelques mérites. Il en a, incontestablement. Les vues de nos deux amis ne sont d'ailleurs pas aussi éloignées qu'il n'y parait. Monplaisir décrit Houellebecq comme une sorte de dandy lunaire, sans éthique et sans esthétique, pris d'une joie mauvaise, celle de vivre son siècle en téléspectateur et d'en chasser sciemment, définitivement l'espérance. Lafourcade ne dit pas l'inverse, mais il insiste sur le savoir-faire de Houellebecq, sur ses capacités d'observation, sur ses talents d'entomologiste. Il est vrai que peu d'auteur auront aussi bien traduit la vacuité d'un monde qui ne semble plus habité que par des fantômes. Houellebecq préfigure-t-il le monde qui vient? Lafourcade le pense. Nous n'avons rien trouvé de tel dans son oeuvre, pas même une pensée neuve. Il n'est pour nous qu'un embaumeur subtil. L'avons nous mal lu ?
E. C.

 

Dans un article récent, Gilles Monplaisir relève les « limites de Michel Houellebecq ». Elles seraient morales et esthétiques, et auraient pour fondement l’inaptitude au bonheur et à la joie sensuelle dont souffre l’auteur de La carte et le territoire.
« Si les sensations s’invitent parfois, elles tournent aussitôt au négatif. » Cette noirceur est une évidence depuis Extension du domaine de la lutte, qui était déjà la désespérante chronique de deux informaticiens ; et les romans ultérieurs n’ont fait que confirmer la description de l’accablement spécifique au monde d’aujourd’hui. Or, de cette façon de voir et de sentir, Gilles Monplaisir déduit une morale  [1] , puis une esthétique, également médiocres. 
Le manque de joie de vivre serait donc moralement douteux. C’est très audacieux (sans être bien nouveau) : on ne sache pas que les écrivains aient l’obligation contractuelle d’être des professeurs de vitalité et d’énergie. J’espère qu’on ne veut pas les forcer à ne pas désespérer Billancourt, ni les obliger à nous donner de la joie comme la bonne de Trenet s’en donne avec sa passoire  [2] ... (Au vrai, ils n’ont pas davantage pour devoir de nous accabler. Quelle que soit l’humeur, noire ou blanche, avec laquelle l’artiste ressent ce qui l’entoure, le public n’a aucune morale à en tirer. Je constate que les fleurs puent, que l’espèce humaine est une ordure, et que je crèverai bientôt d’un cancer de l’estomac : ça ne me donne pas du génie, ça ne m’en retire pas non plus.)
Dans le taedium de Houellebecq, dit Gilles Monplaisir, il entre l’idée que le bonheur a une valeur « d’usage, et non d’échange » ; qu’il « ne peut donc pas faire l’objet d’un contrat social. » Or toute la lucidité de Michel Houellebecq a été de montrer précisément que le bonheur en Occident était bien l’objet d’un contrat ; qu’il relevait d’un légitime commerce (que le touriste achète du plaisir sexuel à Phuket, comme dans Plateforme ; ou que l’art soit une marchandise culturelle et la France un produit touristique, comme dans La carte et le territoire). 
L’esthétique, ensuite. « Incapable de s’extraire de ces rapports d’échange, Michel Houellebecq l’est également dans sa langue : les mots ne sont chez lui que les signes monétaires d’une réalité extérieure au livre » ; en conséquence, « ses livres ne survivront pas à une société dont il n’aura été, finalement, que le téléspectateur ».
Outre le fait que la télévision, parfois à son insu, donne du réel une image juste et irremplaçable, celle que peinent à montrer tant de nos romanciers, Houellebecq fait ce que font tous les écrivains de quelque intérêt : il décrit la fin d’un monde, avec la naissance du nouveau. Il a montré la consommation touristique, le supermarché comme solitude et comme esthétique, le confort morne et paisible de l’Audi Allroad A6, l’art et les sentiments dans leurs rapports marchands, la névrose de l’employé du tertiaire à l’heure des raviolis en boîte, la pornographie à forfait illimité, le caractère inédit de la mélancolie contemporaine, and so on.
D’ailleurs, tout le mérite de Houellebecq est qu’il regarde le monde en face, et c’est bien là que se manifeste sa sensibilité ; et que celle-ci soit noire ou blanche importe peu pourvu qu’elle soit. S’il n’est pas un professeur d’énergie, il est un maître en lucidité. 
L’art de Houellebecq, explique incidemment Gilles Monplaisir, a la valeur médiocre de la nourriture sous vide. Pour le dire autrement : il est sans style.
On ne sait si Houellebecq a un style, mais il a un ton ; et ce ton, parce qu’il est fondé sur la distance, et sur la maîtrise de l’oxymore, de l’ironie, de l’ellipse et du paradoxe, donne du désenchantement contemporain une image précise, exacte : « ... après un démarrage catastrophique, où je m’étais signalé par des notes ridiculement élevées » ; « Et puis, évidemment, tout se calmera ; squelettes » ; « Comment tu as fait pour t’arrêter de boire ? lui demandai-je. – Morphine » ; « ... tout cela me donnait un peu envie de mourir, mais je me contins » ; « Le jour du suicide de mon fils, je me suis fait des œufs à la tomate» [3]; etc.
Cette manière distancée, essentiellement anti-mélodramatique, détourne les sentiments, les ramène à la relation neutre d’évènements tragiques et révoltants. L’auteur scrute en biologiste les rapports sociaux, comme le savant des bactéries, curieux de cette vie étrangère, s’interrogeant sur leurs mouvements, sincèrement étonné d’en découvrir les ressorts.
Ces quelques exemples ne montrent certes pas que Houellebecq survivra « à une société dont il n’aura été que le téléspectateur » ; ils prouvent cependant que ses mots ne sont pas seulement « les signes monétaires d’une réalité extérieure au livre » et à l’art.
Bruno Lafourcade.
 

[1]. On aura reconnu ici, dans ce devoir d’être heureux, d’avoir du plaisir, et autres salades immâchables, la vieille laitue que Sollers mastique depuis quarante ans avec une patience de tortue.
[2]. « Les jours de repassage, / Dans la maison qui dort, / La bonne n’est pas sage / Mais on la garde encore. / On l’a trouvée hier soir, / Derrière la porte de bois, / Avec une passoire, se donnant de la joie. » (La folle complainte, Charles Trenet)
[3]. Phrases extraites de livres de M. Houellebecq.
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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 08:30
Marco Polo                                                                         
 
de Olivier Germain-Thomas
Mis en ligne : [20-06-2011]
Domaine : Lettres  
Marco-Polo-par-Olivier-Germain-Thomas-copie-1.gif

 

Né en 1943, Olivier Germain-Thomas est essayiste, romancier et journaliste. Ecrivain voyageur, il parcourt les routes d'Asie depuis des années.  Parmi ses ouvrages les plus récent<s : Un matin à Byblos (Editions du Rocher, 2005), Mosaïques du feu (Editions du Rocher, 2004, Lumières du Bouddha (Editions EDL, 2007), Le Bénarès-Kyôto (Editions du Rocher, 2007), Asies (Editions Signatura, 2010).
 

Olivier Germain-Thomas, Marco Polo, Paris, Folio Biographies, octobre 2010, 220 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Sans une série de circonstances particulières, la vie de Marco Polo (1254-1324) aurait pu être banale. Plusieurs siècles après sa mort, le périple de ce marchand voyageur qui pensait, en homme de son temps, que la terre était plate, les étoiles accrochées à une voûte céleste fixe et la Bible à prendre à la lettre, continue de nourrir nos songes. Cette biographie nous révèle un Marco Polo à taille humaine, simple, loyal, courageux, attachant. Qui ne manque ni d'humour ni de sagacité. Qui affronte avec stoïcisme la faim, la soif, la maladie, la brûlure du soleil, la froidure des nuits glacées. On est à ses côtés lorsqu'il parcourt la route de la Soie, entre au service de l'empereur mongol, dicte, dans une prison génoise, ses Mémoires à son compagnon d'infortune, un écrivain auteur de romans de chevalerie...
 
Recension de Patricia Reznikov, Service littéraire - janvier 2011
Jeux de polo. Qui fut Marco Polo ? Ce Vénitien parti de l'autre côté du monde, à la rencontre de royaumes inconnus? Cet homme du XIIIe siècle pour qui la terre est plate et immobile, les étoiles en mouvement, la Bible à prendre à la lettre? marco quitte Venise en 1271, à dix-sept ans, pour un périple de vingt-cinq ans qui le mènera de l'Adriatique à la Perse et jusqu'en Chine et en Inde. Mandaté par le grand Kubilaï Khan, le Vénitien sera son fidèle administrateur et explorera sans relâche pour le souverain mongol éclairé, aussi curieux de l'Occident que du Christianisme, les confins de son immense empire. Rentré à Venise après d'extraordinaires péripéties, Marco Polo dictera son "Devisement du Monde" à Rustichello De Pise. Mais déjà, il avait marqué les esprits et jeté des caravelles à la découverte du Nouveau Monde. Il faudra attendre le XVIe siècle pour que le livre prenne son envol. Au-delà de la biographie, Olivier Germain-Thomas nous emmène sur ces routes poudreuses et éblouissantes de l'Orient. Sa profonde connaissance de l'Asie nous permet d'approcher l'épopée de cet ULysse qui ébranlera l'imaginaire de l'Europe. Ce livre, en plus d'une belle et érudite réflexion, est aussi une invitation.  Car Suivre Marco Polo, c'est sortir de soi La question du désir, celle du voyage, celle du mystère et de l'altérité, des préjugés et de l'émerveillement, tout cela est contenu dans l'histoire de Marc Polo, dont le destin nous sidère encore.
  
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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 18:42
Mademoiselle
Roxane
 
Un conte d'Anatole France
Anatole France.jpg
 
Ah! l'abbé Coignard, M. l'abbé Jérôme Coignard, l'excellent homme, bon chrétien, bon dineur, bon buveur, fin lettré et parfait connaisseur de l'âme humaine ! Combien d'heures de notre belle jeunesse avons-nous sacrifiées aux tribulations de cet ecclésiastique hors du commun, de son disciple, le gentil Jacques Tournebroche, entourés d'autres figures délicieuses dans un XVIIe siècle aussi faux que nature ! Le tout servi dans la langue splendide d'Anatole France. Talleyrand prétendait que "ceux qui n'ont pas vécu avant 1789 ne peuvent connaitre la douceur de vivre". C'est sans doute pour nous consoler - et pour se consoler lui-même - de notre triste purgatoire qu'Anatole France s'est plongé avec passion dans le dossier Coignard. Il en tira un roman d'aventures - La Rôtisserie de la Reine Pédauque -, un volume de causeries - Les Opinions de Jérome Coignard -, et une dizaine de petits récits qu'il publia dans diverses revues avant de les rassembler dans le volume des Contes de Jacques Tournebroche. Le roman mit du temps à se faire :  on sait que le XVIIe siècle était la période chérie d'Anatole France et il ne voulut pas décevoir. Les Opinions, aussi, car il fallait y être fidèle aux débats de l'époque, tout en y introduisant ceux d'aujourd'hui et Anatole, écrivain perfectionniste, voulait être irréprochable dans l'exposition des uns et des autres. Les contes de Jacques Tournebroche lui donnèrent moins de fil à retordre. C'était surtout l'occasion d'exhumer de vieilles histoires et de permettre au couple Coignard-Tournebroche de donner libre cours à sa fantaisie. On ne croit pas un instant à l'histoire de Mademoiselle Roxane, que nous présentons ci-dessous. Peut-on d'ailleurs parler d'histoire? Coignard ratiocine, Tournebroche prend sa leçon de choses sur la vie, une belle jeune femme retrouve l'espoir et Paris s'endort et s'éveille dans la douceur... Le plaisir du conte en veut-il davantage ?
 
eugène charles.
 
Mademoiselle Roxane
 
Mon bon maître, M. l'abbé Jérôme Coignard, m'avait mené souper chez un de ses anciens condisciples qui logeait dans un grenier de la rue Git-le-Cœur. Notre hôte, prémontré de grand savoir et bon théologien, s'était brouillé avec le prieur de son couvent pour avoir fait un petit livre des malheurs de mam'zelle Fanchon ; en suite de quoi il était devenu cafetier à La Haye. De retour en France, il vivait péniblement des sermons qu'il composait avec beaucoup de doctrine et d'éloquence. Après le souper, il nous avait lu ces malheurs de mam'zelle Fanchon, source des siens, et la lecture avait duré assez longtemps; et je me trouvai dehors, avec mon bon maître, par une nuit d'été merveilleusement douce, qui me fit concevoir tout de suite la vérité des fables antiques qui se rapportent aux faiblesses de Diane, et sentir qu'il est naturel d'employer à l'amour les heures argentées et muettes. J'en fis l'observation à M. l'abbé Coignard, qui m'objecta que l'amour cause de grands maux.
– Tournebroche, mon fils, me dit-il, ne venez-vous pas d'entendre de la bouche de ce bon prémontré que, pour avoir aimé un sergent recruteur, un commis de monsieur Gaulot, mercier à la Truie-qui-file, et monsieur le fils cadet du lieutenant criminel Leblanc, mam'zelle Fanchon fut mise à l'hôpital? Voudriez-vous être ce sergent, ce commis ou ce cadet de robe ?
Je répondis que je le voudrais. Mon bon maître me sut gré de cet aveu et il me récita quelques vers de Lucrèce pour me persuader que l'amour est contraire à la tranquillité d'une âme vraiment philosophique.
Ainsi devisant, nous étions parvenus au rond-point du Pont-Neuf. Accoudés au parapet, nous regardâmes la grosse tour du Châtelet, noire sous la lune
- Il y aurait beaucoup à dire, soupira mon bon maître, sur cette justice des nations polies, dont les vengeances sont plus cruelles que le crime même. Je ne crois pas que ces tortures et que ces peines, qu'infligent des hommes à des hommes, soient nécessaires à la conservation des États, puisqu'on retranche de temps à autre quelqu'une des cruautés légales, sans dommage pour la république. Et je devine que les sévérités qu'on garde ne sont pas plus utiles que n'étaient celles qu'on a abandonnées. Mais les hommes sont cruels. Venez, Tournebroche, mon ami ; il m'est pénible de songer que des malheureux veillent sous ces murs dans l'angoisse et le désespoir. L'idée de leurs fautes ne m'empêche pas de les plaindre. Qui de nous est juste ?
Nous poursuivîmes notre chemin. Le pont était désert, à cela près qu'un mendiant et une mendiante s'y rencontrèrent. Ils se blottirent dans une des demi-lunes, sur le seuil d'une échoppe. Ils semblaient assez contents l'un et l'autre de mêler leurs misères et, quand nous passâmes près d'eux, ils songeaient à tout autre chose qu'à implorer notre charité. Pourtant, mon bon maître, qui était le plus pitoyable des hommes, leur jeta un liard qui demeurait seul dans la poche de sa culotte.
- Ils recueilleront notre obole, dit-il, quand ils auront repris le sentiment de leur détresse. Puissent-ils alors ne pas se disputer cette pièce avec trop de violence.
Nous passâmes outre, sans plus faire de rencontre, quand, sur le quai des Oiseleurs, nous avisâmes une jeune demoiselle qui marchait avec une résolution singulière. Ayant hâté le pas pour l'observer de plus près, nous vîmes qu'elle avait une taille fine et des cheveux blonds dans lesquels se jouaient les clartés de la lune. Elle était vêtue comme une bourgeoise de la ville.
- Voilà une jolie fille, dit l'abbé; d'où vient qu'elle se trouve seule dehors, à cette heure ?
– En, effet, dis-je, ce n'est pas ce qu'on rencontre d'ordinaire sur les ponts après le couvre-feu.
Notre surprise se changea en une vive inquiétude quand nous la vîmes descendre sur la berge par un petit escalier fréquenté des mariniers. Nous courûmes à elle. Mais elle ne parut point nous entendre. Elle s'arrêta au bord des eaux qui étaient assez hautes, et dont le bruit sourd s'entendait à quelque distance. Elle demeura un moment immobile, la tête droite et les bras pendants, dans l'attitude du désespoir. Puis, inclinant son col gracieux, elle porta les mains à ses joues, qu'elle tint cachées durant quelques secondes sous ses doigts. Et tout de suite après, brusquement, elle saisit ses jupes et les ramena en avant du geste habituel à une femme qui va s'élancer. Mon bon maître et moi, nous la joignîmes au moment où elle prenait cet élan funeste et nous la tirâmes vivement en arrière. Elle se débattit dans nos bras. Et comme la berge était toute grasse et glissante du limon déposé par les eaux (car la Seine commençait à décroître), il s'en fallut de peu que M. l'abbé Coignard ne fût entraîné dans la rivière. J'y glissais moi-même. Mais le bonheur voulut que mes pieds rencontrassent une racine qui me servit d'appui, pendant que je tenais embrassés le meilleur des maîtres et cette jeune femme désespérée. Bientôt, à bout de force et de courage, elle se laissa aller contre la poitrine de M. l'abbé Coignard, et nous pûmes remonter tous trois la berge. Il la soutenait délicatement, avec cette grâce aisée qui ne le quittait pas. El il la conduisit jusque sous un gros hêtre au pied duquel était un banc de bois où il l'assit.
Il y prit place lui-même.
– Mademoiselle, lui dit-il, ne craignez rien. Ne dites rien encore, mais sachez qu'un ami est près de vous.
Puis, se tournant vers moi, mon maître me dit :
- Tournebroche, mon fils, il faut nous réjouir d'avoir mené à bonne fin cette étrange aventure. Mais j'ai laissé là-bas, sur la berge, mon chapeau, qui, bien que dépouillé de presque tout son galon et fatigué par un long usage, ne laissait point de garantir encore du soleil et de la pluie ma tête offensée par l'âge et les travaux. Va voir, mon fils, s'il se trouve encore à l’endroit où il est tombé et, si tu l’y découvres, apporte-le-moi, je te prie, ainsi qu'une boucle de mes souliers, que j'ai perdue. Pour moi, je resterai près de cette jeune demoiselle et je veillerai sur son repos.
Je courus à l'endroit d'où nous venions et je fus assez heureux pour y trouver le chapeau de mon bon maître. Quant à la boucle, je ne puis la découvrir. Il est vrai que je ne pris pas un extrême soin à la chercher, n'ayant vu, de ma vie, mon bon maître qu'avec une seule boucle de soulier. Quand je revins au hêtre, je trouvai la jeune demoiselle, dans l'état où je l’avais laissée, assise, immobile, la tête appuyée contre l'arbre. Je m’aperçus quelle était parfaitement belle. Elle portait une mante de soie garnie de dentelles, et fort propre, et était chaussée d'escarpins dont les boucles reflétaient les rayons de la lune.
Je ne me lassais pas de la considérer. Soudain, elle ranima ses yeux mourants et, jetant sur M. Coignard et sur moi un regard encore voilé, elle dit d'une voix éteinte, mais d'un ton qui me sembla celui d'une personne de qualité :
– J'apprécie, messieurs, ce que vous avez fait pour moi dans un sentiment d'humanité ; mais je ne puis vous en marquer mon contentement, car la vie à laquelle vous m'avez rendue est un mal haïssable et un cruel supplice.
En entendant ces paroles, mon bon maître, dont le visage exprimait la compassion, sourit doucement, parce qu'il ne croyait pas que la vie fût à jamais haïssable pour une si jeune et jolie personne.
– Mon enfant, lui dit-il, les choses ne nous font point la même impression, selon qu'elles sont proches ou lointaines. Il n'est pas temps de vous désoler. Fait comme je suis et dans l'état où m'a réduit le temps injurieux, je supporte la vie où j'ai pour plaisirs de traduire du grec et de dîner quelquefois avec d'assez honnêtes gens. Regardez-moi, mademoiselle, et dites-moi si vous consentiriez à vivre dans les mêmes conditions que moi ?
Elle le regarda ; ses yeux s'égayèrent presque, et elle secoua la tête. Puis, reprenant sa tristesse et sa désolation, elle dit :
- Il n'y pas au monde une créature aussi malheureuse que je suis.
- Mademoiselle, répondit mon bon maître, je suis discret par état et par tempérament; je ne chercherai point à vous tirer votre secret. Mais on voit clairement à votre mine que vous souffrez d'une peine d'amour. Et c'est un mal dont on réchappe, car j'en ai été moi-même atteint. Il y a de cela fort longtemps.
Il lui prit la main, lui donna mille témoignages de sympathie et poursuivit en ces termes :
- Je n'ai qu'un regret à cette heure, c'est de ne pouvoir vous offrir un asile pour passer le reste de la nuit. Mon gîte est dans un vieux château assez distant, où je traduis un livre grec en compagnie de ce jeune Tournebroche que vous voyez ici.
En effet, nous habitions alors chez M. d'Astarac, au Château des Sablons, dans le village de Neuilly, et nous étions aux gages d'un grand souffleur qui périt, depuis, d'une mort tragique
- Si toutefois, mademoiselle, ajouta mon bon maître, tous saviez quelque lieu ou vous pensiez pouvoir vous rendre, je serai heureux de vous y accompagner.
A quoi la jeune demoiselle répondit qu'elle était sensible à tant de bonté, qu'elle logeait chez une parente où elle était assurée d'entrer à toute heure, mais qu'elle n'y voulait point retourner avant le jour, tant pour n'y point troubler le sommeil des gens que par crainte d'être trop vivement rappelée à la douleur par la vue des objets qui lui étaient familiers.
En prononçant ces paroles, elle versa des larmes abondantes.
Mon bon maître lui dit:
-Mademoiselle, donnez-moi, s'il vous plaît, votre mouchoir et je vous en essuierai les yeux. Puis: je vous conduirai, en attendant le jour, sous les piliers des Halles où nous serons assis commodément à l'abri du serein.
La jeune demoiselle sourit dans ses larmes.
– Je ne veux point, dit-elle, vous donner tant de peine. Allez votre chemin, monsieur, et croyez que vous, emportez toute ma reconnaissance.
Pourtant elle posa la main sur le bras que lui tendait mon bon maître et nous prîmes tous trois le chemin des Halles. La nuit s'était beaucoup rafraîchie. Dans le ciel qui commençait à prendre une teinte laiteuse, les étoiles devenaient plus pâles et plus légères. Nous entendions les premières voitures des maraîchers rouler vers les Halles au pas lent d'un cheval endormi. Parvenus aux piliers, nous prîmes place tous trois dans l'embrasure d'un porche à l'image Saint-Nicolas, sur un degré de pierre que M. l'abbé Coignard prit soin de recouvrir de son manteau, avant d'y faire asseoir la jeune demoiselle.
Là, mon bon maître tint sur divers sujets des propos plaisants et joyeux à dessein, afin d'écarter les images funestes qui pouvaient assaillir l'âme de notre compagne. Il lui dit qu'il tenait cette rencontre pour la plus précieuse qu'il eût jamais faite dans sa vie, qu'il emporterait d'une si touchante personne un cher souvenir, sans vouloir lui demander son nom et son histoire.
Mon bon maître pensait peut-être que l'inconnue dirait ce qu'il ne lui demandait pas. Elle versa de nouveau des larmes, poussa de grands soupirs et dit
– J'aurais tort, monsieur, de répondre par le silence à votre bonté. Je ne crains pas de me confier à vous. Je me nomme Sophie T***. Vous l'aviez deviné c'est la trahison d'un amant trop chéri qui m'a réduite au désespoir. Si, vous jugez que ma douleur est démesurée, c'est que vous ne savez point jusqu'où allaient ma confiance et mon aveuglement, et que vous ignorez à quel rêve enchanteur je viens d'être arrachée.
Puis, levant ses beaux yeux sur M. Coignard et sur moi, elle poursuivit de la sorte :
– Je ne suis pas telle, messieurs, que cette rencontre nocturne pourrait me faire paraître 'à vos yeux. Mon père était marchand. Il alla, pour son négoce, à l'Amérique, et il périt, à son retour, dans un naufrage, avec ses marchandises. Ma mère fut si touchée de cette perte qu'elle en mourut de langueur, me laissant, encore enfant, à une tante qui prit soin de m'élever. Je fus sage jusqu'au moment où je rencontrai celui dont l'amour devait me causer des joies inexprimables, suivies de ce désespoir où vous me voyez plongée.
A ces mots, Sophie cacha ses yeux dans son mouchoir.
Puis elle reprit en soupirant :
- Son état dans le monde était si fort au dessus du mien, que je ne pouvais prétendre à lui appartenir qu'en secret. Je me flattais qu'il me serait fidèle. Il me disait qu'il m'aimait et il me persuadait sans peine. Ma tante connut nos sentiments et elle ne les contraria pas, parce que son amitié pour moi la rendait faible et que la qualité de mon cher amant lui imposait. Je vécus un an dans une félicité qui vient de finir en un moment. Ce matin il est venu me demander chez ma tante où j'habite. J'étais hantée de noirs pressentiments. Je venais de briser, en me coiffant, un miroir dont il m'avait fait présent. Sa vue augmenta mon inquiétude par l'air de contrainte que je remarquai tout de suite sur son visage. Ah! monsieur, est-il un sort pareil au mien ?...
Ses yeux se gonflaient de larmes qu'elle renfonça sous ses paupières et elle put achever son récit, que mon bon maître jugeait aussi touchant, mais non point aussi singulier qu'elle le croyait elle-même.
- Il m'annonça froidement, mais non sans quelque embarras, que son père ayant acheté une compagnie, il partait pour l'armée, mais qu'auparavant sa famille exigeait qu'il se fiançât avec la fille d'un intendant des finances, dont l'alliance était utile à sa fortune et lui procurerait assez de biens pour tenir son rang et faire figure dans le monde. Et le traître, sans daigner voir ma pâleur, ajouta, de cette voix si douce, qui m'avait fait mille serments d'amour, que ses nouveaux engagements ne lui permettaient plus de me revoir, du moins de quelque temps. Il me dit encore qu'il me gardait de l'amitié, et qu'il me priait de recevoir une somme d'argent, en souvenir du temps que nous avions passé ensemble.
» Et il me tendit une bourse.
» Je ne mens point, messieurs, en vous disant que je n'avais jamais voulu écouter les offres qu'il m'avait maintes fois faites de me donner des hardes, des meubles, de la vaisselle, un état de maison, et de me retirer de chez ma tante où je vivais fort étroitement, pour me mettre dans un petit hôtel fort propre, qu'il avait au Roule. J:'estimais que nous ne devions être unis que par les liens du sentiment et j'étais fière de ne tenir de lui que quelques bijoux qui n'avaient de prix que leur origine. Aussi la vue de cette bourse qu'il me tendait souleva mon indignation, et me donna la force de chasser de ma présence l'imposteur qu'un seul instant m'avait mise à même de connaître et de mépriser. Il soutint, sans trouble mon regard indigné et m'assura le plus tranquillement du monde que je n'entendais rien aux obligations qui remplissent l'existence d'un homme de qualité, et il ajouta qu’il espérait que plus tard, dans le calme, j'en viendrais à mieux juger ses procédés. Et remettant la bourse dans sa poche, il m'assura qu'il saurait bien m'en faire parvenir le contenu de manière à m'en rendre le refus impossible. Et sur cette idée intolérable, qu'il entendait être quitte envers moi par ce moyen, il prit la porte que je lui montrai sans rien dire. Demeurée seule, je me sentis une tranquillité qui me surprit moi-même. Elle venait de ce que j'étais résolue à mourir. Je m'habillai avec quelque soin, j'écrivis une lettre à ma tante pour lui demander pardon de la peine que j'allais lui faire en mourant et je sortis dans la ville. J'y errai tout l'après-midi et une partie de la nuit, traversant les rues animées ou désertes sans éprouver de fatigue et retardant l'exécution de mon dessein, pour la rendre plus sûre, à la faveur de l'ombre et de la solitude. Peut-être aussi, par une sorte de faiblesse, me plaisait-il de caresser l'idée de ma mort et de goûter la triste joie de ma délivrance. A deux heures du matin, je descendis sur la berge de la rivière. Messieurs, vous savez le reste, vous m'avez arrachée à la mort. Je vous remercie de votre bonté, sans me réjouir de ses effets. Les filles abandonnées, cela court le monde. Je désirais qu'il ne s'en trouvât point une de plus.
Ayant ainsi parlé, Sophie se tut et recommença de verser des larmes.
Mon bon maître lui prit la main avec une extrême délicatesse.
- Mon enfant, lui dit-il, j'ai pris un tendre intérêt au récit de votre histoire, et je conviens qu'elle est douloureuse. Mais je suis heureux de discerner que votre mal est guérissable. Outre que votre amant ne méritait guère les bontés que vous avez eues pour lui et qu'il s'est montré, à l'épreuve, léger, égoïste et brutal, je distingue que votre amour pour lui n'était qu'un penchant naturel et l'effet de votre sensibilité dont l'objet importait moins que vous ne vous le figurez. Ce qu'il y avait de rare et d'excellent dans cet amour venait de vous. Et rien n'est perdu, puisque la source demeure. Vos yeux, qui ont coloré des nuances les plus belles une figure sans doute fort vulgaire, ne laisseront pas de répandre encore ailleurs les rayons de l'illusion charmante.
Mon bon maître parla encore et laissa couler de ses lèvres les plus belles paroles du monde sur les troubles des sens et les erreurs des amants. Mais tandis qu'il parlait, Sophie, qui, depuis quelques instants, avait laissé fléchir sa jolie tête sur l'épaule du meilleur des hommes, s'endormit doucement. Quand M. l’abbé Coignard s'aperçut que la jeune demoiselle était plongée dans le sommeil, il se félicita d'avoir tenu un langage propre à communiquer à une âme souffrante le repos et la paix.
Il faut convenir, dit-il, que mes discours ont une propriété bienfaisante.
Pour me pas troubler le sommeil de mademoiselle Sophie, il prit mille précautions et se contraignit à parler couramment, dans la crainte raisonnable que le silence ne l'éveillât.
– Tournebroche, mon fils, me dit-il, toutes ses misères sont évanouies avec la conscience qu'elle en avait. Considérez qu'elles étaient toutes imaginaires et situées dans sa pensée. Considérez aussi qu'elles étaient causées par une sorte d’orgueil et de superbe qui accompagne l'amour et le rend très âpre. Car enfin, si nous aimions avec humilité et dans l'oubli de nous-même, ou seulement d'un cœur simple, nous serions satisfaits de ce qu'on nous donne et nous ne tiendrions pas pour trahison le mépris qu'on fait de nous. Et s'il nous restait de l'amour après qu'on nous a quittés, nous attendrions tranquillement d'en faire l'emploi qu'il plairait à Dieu.
Mais comme le jour commençait à paraître, le chant des oiseaux s'éleva si fort qu'il couvrit la voix de mon bon maître. Il ne s'en plaignit point.
- Écoutons, dit-il, ces passereaux. Ils font l'amour plus sagement que les hommes.
Sophie se réveilla dans le jour blanc du matin, et j'admirai ses beaux yeux que la fatigue et la douleur avaient cernés d'une nacre fine. Elle paraissait un peu réconciliée avec la vie. Elle ne- refusa pas une tasse de chocolat que mon bon maître lui fit prendre sur le seuil de Mathurine, la belle chocolatière des Halles.
Mais à mesure que cette pauvre demoiselle recouvrait la raison, elle s'inquiétait de certaines difficultés qu'elle n'avait point aperçues jusque-là.
Que dira ma tante? Et que lui dirais-je? s'écria-t-elle.
Cette tante demeurait vis-à-vis de Saint- Eustache, à moins de cent pas du pilier de Mathurine. Nous y conduisîmes la nièce. Et M. l'abbé Coignard, qui avait l'air assez vénérable, en dépit de son soulier sans boucle, accompagna la belle Sophie au logis de madame sa tante, à qui 'il fit un conte :
– J'eus le bonheur, lui dit-il, de rencontrer mademoiselle votre nièce dans le moment où elle était précisément attaquée par quatre larrons armés de pistolets, et j'appelai le guet d'une si forte voix que les voleurs épouvantés enfilèrent la venelle, mais non point assez vite pour échapper aux sergents qui, par grand hasard, accouraient à mon appel. Ils s'emparèrent des brigands après une lutte qui fut chaude. J'y pris part, madame, et j'y pensai perdre mon chapeau. Après quoi nous fûmes conduits, mademoiselle votre nièce, les quatre larrons et moi, devant monsieur le lieutenant criminel, qui nous traita avec obligeance, et nous retint jusqu'au jour dans son cabinet pour recueillir notre témoignage
La tante répondit sèchement
– Je vous remercie, monsieur, d'avoir tiré ma nièce d'un danger qui, à vrai dire, n'est pas celui qu'une fille de son âge doit le plus redouter, quand elle se trouve seule de nuit dans une rue de Paris
Mon bon maître ne répondit point, mais mademoiselle Sophie dit avec beaucoup de sentiment :
- Je vous assure, ma tante, que monsieur l'abbé m'a sauvé la vie.
Quelques mois après cette étrange aventure, mon bon maître fit le fatal voyage de Lyon qu'il n'acheva pas. Il fut indignement assassiné, et j'eus l'inconcevable douleur de le voir expirer dans mes bras. Les circonstances de cette mort n'ont point de lien avec le sujet que je traite ici. J'ai pris soin de les rapporter ailleurs; elles sont mémorables, et je ne crois pas qu'on les oublie jamais. Je puis dire que ce voyage fut de toutes façons infortuné, car, après y avoir perdu le meilleur des maîtres, j'y fus quitté par une maîtresse qui m'aimait, mais n'aimait pas que moi, et dont la perte me fut sensible après celle de mon bon maître. C'est une erreur de croire qu'un cœur frappé d'un mal cruel devient insensible aux nouveaux coups du sort. Il souffre au contraire des moindres disgrâces. Aussi je revins à Paris dans un état d'abattement qu'on a peine à se figurer.
Or un soir que pour me divertir j'allai la Comédie où l'on donnait Bajazet, qui est un bon ouvrage de Racine, je goûtai particulièrement la beauté charmante et le talent original de la comédienne qui jouait le rôle de Roxane. Elle exprimait, avec un naturel admirable la passion dont ce personnage est animé, et je frissonnai quand je l'entendis qui disait d'un ton tout uni et pourtant terrible :
Écoutez, Bajazet, je sens que je vous aime.
Je ne me lassai pas de la contempler tout le temps, qu'elle fut sur la scène, el d'admirer la beauté de ses yeux sous un front pur comme le marbre et que couronnait une chevelure poudrée, toute semée de perles. Sa taille fine, qui portait si noblement les paniers, ne laissa pas non plus de faire une vive impression sur mon cœur. J'eus d'autant plus le loisir d'examiner cette adorable personne qu'elle se trouva tournée de mon côté pour réciter plusieurs endroits importants de son rôle. Et plus je la voyais, plus je me persuadais l'avoir vue, sans qu'il me fut possible de me rappeler aucune circonstance de cette première rencontre. Mon voisin, qui fréquentait beaucoup à la Comédie, m'apprit que cette belle actrice était mademoiselle B***, l'idole du parterre. Il ajouta qu'elle plaisait autant à la ville qu'au théâtre, que M. le duc de La*** l'avait mise à la mode, et qu'elle éclipserait bientôt mademoiselle Lecouvreur.
J'allais quitter ma place après le spectacle, quand une femme de chambre me remit un billet où je lus ces mots tracés au crayon :
« Mademoiselle Roxane vous attend dans son carrosse à la porte de la Comédie. »
Je ne pouvais croire que ce billet me fût destiné. Et je demandai à la duègne qui me l'avait remis si elle ne s'était pas trompée d'adresse.
– Il faut, me répondit-elle, si je me suis trompée, que vous ne soyez point monsieur de Tournebroche.
Je courus jusqu'au carrosse arrêté devant la Comédie, et j'y reconnus mademoiselle B*** sous un capuchon de satin noir.
Elle me fit signe d'entrer, et quand je fus près d'elle:
- Ne reconnaissez-vous pas, me dit-elle, Sophie que vous avez tirée de la mort, sur la berge de la Seine?
– Quoi! vous! Sophie… Roxane… Mademoiselle B***, est-il possible ?
Mon trouble était extrême, mais elle semblait le considérer sans déplaisir.
– Je vous ai vu, dit-elle, dans un coin du parterre, je vous ai reconnu tout de suite et j'ai joué pour vous. Aussi ai-je bien joué. Je suis si contente de vous revoir !
Elle me demanda des nouvelles de M. l’abbé Coignard, et quand je lui appris que mon bon maître avait péri malheureusement, elle versa des larmes.
Elle daigna m'instruire des principaux événements de sa vie :
– Ma tante, me dit-elle, raccommodait les dentelles de madame de Saint-Remi qui est, vous le savez, une excellente comédienne. Peu de temps après cette nuit où vous me fûtes secourable, j'allai prendre des dentelles chez la Saint-Remi. Cette dame me dit que j'avais une figure intéressante. Elle me demanda de lui lire des vers et jugea que j'avais de l'intelligence. Elle me fit donner des leçons. Je débutai à la Comédie l'an passé. J'exprime des passions que j'ai senties, et le public me trouve quelque talent. Monsieur le duc de La*** me montre une extrême amitié, et je crois qu'il ne me causera jamais de chagrin, parce que j'ai appris à ne demander aux hommes que ce qu'ils peuvent donner. En ce moment, il m'attend à souper. Il faut que je le joigne.
Et comme elle lisait ma contrariété dans mes yeux, elle reprit :
- Mais j'ai dit à mes gens de prendre par le plus long et d'aller doucement.
 
anatole france.  [1].
 

 
[1]. Anatole France, Les Contes de Jacques Tournebroche, 1908.
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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 22:08
Qui sème le vent...
 
Comme à la fin de la tragédie, le piège grec se referme et l'Eurozone va sans doute connaître dans les semaines, voire dans les jours qui viennent, des troubles de grande ampleur. L'économie grecque est emportée dans une spirale désastreuse - lundi soir, Standard & Poor's dégradait la dette grecque au niveau "spéculatif", à deux crans seulement du défaut de paiement et les taux des obligations grecques s'envolaient sur les marchés. Et contrairement à ce qu'on nous avait dit la semaine dernière, et alors qu'il y a le feu, le compromis européen sur l'aide à la Grèce n'est toujours pas trouvé.
L'Allemagne, échaudée par l'échec des précédents plans, commence à soupconner le trust bancaire européen de tirer profit de la crise. Elle n'acceptera pas la première solution venue. Elle veut obtenir un rééchelonnement de la dette grecque et elle exige une participation - contrainte, s'il le faut - des banques à l'effort financier. M. Trichet et ses amis banquiers ne l'entendent pas du tout de cette oreille. Pas question pour eux de participer, sauf de façon marginale et volontaire, au règlement des pôts cassés. Deux lignes s'affrontent et les protagonistes sont d'autant moins prêts au compromis que celui ci vaudra précédent pour la suite. Et l'on sait qu'il y aura une suite, et même des suites... en Espagne, au Portugal, en Irlande ou ailleurs. Hier soir, la Commission n'annoncait plus de calendrier de décisions pour le nouveau plan d'aide à la Grèce
Or, faute de mesures d'urgence, la situation risque de devenir très vite "insaisisable". Les agences de notation commençaient, ce matin, à attaquer les positions des banques françaises et allemandes. Les marchés et l'euro perdaient à nouveau pied. Un vent de panique soufflait sur les chancelleries européennes. La crise politique qui s'est ouverte, hier soir, à Athènes, n'arrange pas la situation même si elle la clarifie. M. Papandréou, effrayé par une situation qu'il a pour partie crée, s'est dit près à s'effacer devant un gouvernement d'union nationale. Mais qui veut d'une telle union, y compris dans son camp ? Et qui va accepter de porter la responsabilité politique d'une vente par appartement de la Grèce ? La droite ne jouera pas le jeu. Quant à la gauche, on verra d'ici la fin de la semaine si elle maintient sa confiance à l'équipe Papandréou. En cas d'échec, la voie des élections générales est ouverte, ce qui signifie que la Grèce n'aura plus de gouvernement pendant des mois. D'ici là, la crise de l'euro aura franchi d'autres étapes et, sauf à imaginer le triomphe de la bétise et de l'aveuglement - ce qui est toujours possible en démocratie ! -  le retour aux monnaies nationales apparaitra comme l'unique solution pour sortir de ce cauchemar.
Que restera-t-il de cette crise ? La fin d'une certaine Europe, du moins peut-on l'espérer. Il restera aussi de la haine, beaucoup de haine. La haine des peuples lorsqu'on les méprise, lorsqu'on cherche à les pousser au désespoir. Cette haine était présente hier chez les manifestants de la place Syntagma. Contre la classe politique grecque qui les a vendus, contre les dirigeants européens qui les bafouent, contre cette Europe sénile, froide et dure où les Grecs ne se retrouvent plus. Tous comme les Espagnols, tous comme les Portugais, les Irlandais, tout comme nous.
Ce cri de haine et de désespoir, nous en trouvons l'écho dans ce billet terrible publié il y a quelques jours par le quotidien To Ethnos d'Athènes, que nous reproduisons ci-dessous. Nous dédions ce texte à tous les indignés d'Europe.
François Renié.

Nous, peuple blessé sous occupation

En Grèce, on a le cœur brisé aujourd’hui. Tout Grec qui se respecte est blessé ne serait-ce que par la lecture des titres de la presse internationale sur l’annonce par le gouvernement Papandréou de la privatisation des biens publics. “Liquidation de l’Acropole. Tout doit disparaître”, écrit la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour d’autres journaux, c’était “Braderie à Athènes”. Les Allemands s’interrogent : “combien nous coûtent les Grecs ?” La presse espagnole s’y met aussi. Les étrangers s’inquiètent mais sont aussi intéressés pour racheter, éventuellement, les biens du pays. Depuis plusieurs semaines, des représentants de grands groupes tournent autour du ministère des Finances. C’est triste, mais nous sommes sous occupation étrangère à présent et les jeunes, assis sur les places des grandes villes du pays, l’ont bien compris. L’avenir est sombre. L’an dernier, le gouvernement Papandréou s’était engagé sur la voie de l’austérité, qui devait se traduire par l’amélioration de la situation financière. Les faits ont lamentablement démenti ce programme. Le gouvernement a décidé d’amputer les salaires et les retraites, de mettre en vente les biens publics et d’imposer des taxes avec une brutalité sans précédent. Aujourd’hui, la situation du pays est nettement pire que l’an dernier. Le gouvernement a utilisé comme excuse le montant de la dette publique – qui a atteint les 115 % du PIB – pour justifier le recours au plan de rigueur. Mais, en l’espace de dix-huit mois, la dette s’élève déjà à… 155 % du PIB. Et le ministère des Finances estime que d’ici la fin de l’année, elle parviendra au taux inimaginable de 163,5 % ! D’ici à mars 2012, soit dans moins d’un an, les obligations et les bons du Trésor, d’un montant de 42 milliards d’euros, arrivent à expiration. Où trouvera-t-on de l’argent frais dans ce contexte de crise cauchemardesque ? Un nouveau prêt est la seule réponse. Mais pas un seul euro ne sera donné pour renforcer l’économie, les salaires ou les retraites. Il n’y a plus aucun espoir.

Giorgos Delastik.

 

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N°1 - 2009/01
 
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