En guise de conclusion... | ![]() |
Après avoir consacré trois beaux articles à la Méditerranée et aux couleurs diverses qu’elle prend chez Braudel, Jean-Claude Adrian nous livre une conclusion. Et cette conclusion est politique. C’est un programme ou plutôt c’est un manifeste. Dans cet espace méditerranéen dont les lignes bougent à nouveau et qui va rester un des centres, si ce n’est le centre du monde qui vient, la France a sa place et elle peut avoir un grand dessein. Ce dessein n’est ni atlantique, ni asiatique, il est européen, latin et donc universel. Il participe d’un monde qui retrouve ses repères, ses lignes de force, ses frontières qui protègent et qui personnalisent, ses mers et ses océans qui unissent et qui humanisent. Ce dessein français est possible, sous des conditions qui nous sont – somme toute - assez familières lorsque nous avons fait le pari du renouveau et de la grandeur : une nation unie, un Etat fort, des idées susceptibles d’entrainer l’adhésion de tout un continent et de susciter des amitiés partout dans le monde.
Le projet de Jean-Claude Adrian n’est pas complètement le nôtre ? Peu importe. Il y a dans cette libre revue des opinions de toutes natures touchant à l’histoire, à la philosophie, aux religions, jusqu’à la littérature, jusqu’à l’art, jusqu’à la musique. Alors pourquoi pas en politique ? Nous comptons parmi nous des royalistes, quelques-uns républicains, sans parler des socialistes et des libertaires. Le colbertisme de notre ami Adrian est sans doute un peu trop « jacobin » à notre goût. Nous lui voudrions des couleurs plus traditionnelles, plus régionales, plus représentatives de cette diversité française qui est une force et une richesse. Ce colbertisme ne va pas de soi, il a besoin d’être soutenu, tisonné, aiguillonné et nous voudrions être sûrs que les institutions de la Ve République ont encore le ressort suffisant pour donner cette impulsion dans la durée. Quant à l’Europe puissance qu’il décrit, avec son euro et ses « autorités » politique et financière, elle ressemble un peu trop à celle qui se défait actuellement sous nos yeux. Nous pensons que l’ère des empires est révolue – en tous cas pour un temps – et nous avons en tête une autre Europe, une libre confédération d’Etats souverains, à partir de laquelle la France pourrait manœuvrer et grandir dans le reste du monde.
Ces différences existent, elles ont leur importance. Mais pour l’essentiel l’ambition est la même et les conditions de sa réalisation sont partagées. Nous œuvrons dans la même direction.
R. C.
Un grand dessein français, la Romanité retrouvée
Buvons un coup, buvons en deux
A la santé des amoureux
A la santé du Roi de France,
Et merde pour le Roi d'Angleterre,
Qui nous a déclaré la guerre.
Air connu.
Avec l’esprit de panache qui dans nos meilleures heures nous donne cet air hardi inimitable, les marins français répondent à l’agression anglaise.
Aujourd’hui, mauvais temps pour la France. L’air corrosif attaque les deux piliers de notre génie, l’Etat, la culture.
L’Etat « a fabriqué la France, lui a donné son espace, ses frontières, sa langue » (Braudel). Partout, il dépérit, la volonté politique cède devant la toute puissance de l’économie. Le citoyen qui exerçait le pouvoir à travers la souveraineté collective n’est plus qu’un individu nombriliste.
La culture française a rayonné sur le Monde, tenu des siècles durant la première place, à la Renaissance, du milieu du règne de Louis XIV jusqu’aux années cinquante. Quel rôle joue-t-elle aujourd’hui dans un monde indifférencié où le présent, tel un trou noir, absorbe le passé et l’avenir ? Sans repère historique, la culture, c’est le journal télévisé et Facebook.
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L’esprit de panache vient à notre rescousse, la France se sauvera en s’engageant, à nouveau, dans un grand dessein.
Mais avant, il s’agit de se rassembler, tel un perchiste s’élançant vers la barre à six mètres pour conquérir la médaille d’or, d’imiter Mirabeau qui, nous dit Michelet, « se ramassa sur lui-même, comme le lion qui médite un bond »
Être français n’est pas un état civil mais un état d’esprit. Résistons aux modes, engouements, dérives sociétales, à la repentance, au culte de l’Autre, aux fausses idées ; l
Réhabilitons notre héritage historique et culturel. Chacun s’inscrivant dans la continuité française prend place dans une Histoire plus vieille que lui, se réapproprie son passé, sa culture. Ainsi, selon le beau mot d’Ortega Y Gasset, se constitue un « peuple qui circule dans tout son temps », matrice d’une élite soucieuse de l’intérêt national. Un geste symbolique, la restauration d’un véritable service militaire, creuset à la française.
Politiquement, la France reste une puissance militaire, diplomatique, économique, culturelle. La Défense Nationale est une priorité budgétaire. La force de frappe sera maintenue, non en l’état, mais constamment modernisée afin que nous restions la troisième puissance nucléaire mondiale. La sortie de la structure militaire intégrée de l’OTAN décidée. Le choix en faveur du nucléaire civil, garant de notre indépendance énergétique est renouvelé. Notre politique étrangère s’appuiera sur le rayonnement de nos Ambassades, Centres Culturels, Lycées français, …..
la pensée économique dominante. R
était pas aimable. Mais ce mal aimé crée l’administration française avec le réseau des intendants, réorganise les provinces. Le Roi règne et gouverne le royaume depuis Versailles, où il assigne la noblesse à résidence ; la réaction nobiliaire de la Fronde est vaincue. Il jette les bases de l’industrie française avec les manufactures royales, tel Saint-Gobain, où travaillent des centaines d’ouvriers organisés en corporations qui veillent à la qualité de la fabrication. Il développe un réseau d’infrastructures, routière et fluviale (le canal du Midi), favorise l’essor de la marine de guerre et marchande française qui devient la première du monde. Il finance les guerres de Louis XIV en maîtrisant la dette (les guerres coûtant dix fois plus que de la construction de Versailles).
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Quels seraient les grands axes d’une politique colbertiste moderne ?
- restaurer l’Etat jacobin interventionniste. Sans déclarations tapageuses et d’annonces provocatrices. En mettant de la viscosité dans la fluidité de l’économie. Puisque l’Etat, ce sont les fonctionnaires, négocier avec eux sur la base d’un contrat: être moins nombreux, mieux payés, accepter d’être notés sur les résultats – cela valant pour l’Education Nationale, un professeur bien noté étant plus respecté du corps social, donc des élèves.
- pratiquer un patriotisme économique, fondé sur une dose de protectionnisme et de préférence nationale, intelligent, discret, efficace. En sélectionnant nos interventions : les entreprises françaises rachètent plus de firmes étrangères que l’inverse – ne pas confondre protectionnisme avec le « care » !
- oser une politique industrielle, en rejetant le mythe des services créateurs d’emploi. Inciter les entreprises à relocaliser une partie de leurs centres de production.
- échapper à la férule de l’Organisation Mondiale du Commerce, le bras armé mondial du libre-échangisme. Ainsi, entre un Marché Commun méditerranéen, dont la France favoriserait l’instauration, et l’Europe, l’on pourrait négocier des accords commerciaux et douaniers, en s’exonérant des dictats de l’OMC
- parier sur l’intelligence. Le budget de la recherche doit être considérablement augmenté, l’Université rénovée. Les moyens financiers existent, des arbitrages s’imposent
- travailler plus, abandonner les 35 heures, néfastes pour l’économie.
- s’appuyer sur les corps intermédiaires, comme Colbert sur les corporations. Ainsi, favoriser les syndicats avec lesquels il faudra négocier.
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Comme Colbert a financé les guerres de Louis XIV, ce Colbertisme nouvelle manière supporterait les coûts élevés du grand dessein que la « Nation turbulente » se donnerait.
Lequel ? Examinons quelques possibilités.
- L’Occident. Nous nous incorporons à un vaste groupe fondé sur une supposée communauté de valeurs entre les Etats Unis et l’Europe de l’Ouest, le libéralisme politique et économique. Devenant les vassaux d’un suzerain chancelant, nous aurions le déshonneur et la décadence. A oublier.
- Le libéralisme à tout va. Selon ses partisans, nous le critiquons sans le connaître, faute de ne l’avoir pratiqué qu’avec timidité. Ils feignent d’oublier l’impossibilité d’acclimater dans un pays où l’Etat est essentiel une doctrine qui prône son effacement dans la vie économique. De plus, ils omettent de remarquer que les expériences de Reagan et Margaret Thatcher se sont déroulées avant la mondialisation et l’émergence de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Hors sujet.
- La Nation dominante des « cigales du Sud ». La zone Euro éclate ; deux groupes se constituent, les fourmis industrieuses du Nord, autour de l’Allemagne ; les laissés pour compte, autour de la France. Cela rappelle feue l’Union Latine dissoute en 1927 sur un constat d’échec (notons que la Grande-Bretagne et l’Allemagne étaient restées en-dehors).
Nous éloignant du centre de l’économie-monde, nous deviendrions un pays de deuxième ordre, le niveau et la qualité de vie baisseraient. Isolé du monde germanique, tourné vers le monde arabe, cet ensemble romprait avec ce qui est l’une de nos forces et originalités, la synthèse des apports latin, celte et germain. Il s’engagerait dans un dialogue étroit avec l’islam, civilisation distante, sinon hostile, l’avenir des « printemps arabes » restant en suspens. Artificiel ; déjà dépassé.
- La tête de pont de la démondialisation. Là, c’est un avenir possible que nous proposent, avec des arguments solides, structurés, des économistes de talent, tel Jacques Sapir. Le scénario repose sur un triptyque, dévaluation, protectionnisme, réglementation. Il évoque le combat mené par de Gaulle contre le dollar et le recyclage du déficit américain en eurodollars. Nous voilà en terrain connu, pensons-nous.
Pas tout à fait. Dévaluations et réglementations ont été très utilisées par la France de la IVe République, mais la Ve rompît avec ce tandem. La dévaluation de 1959 fût accompagnée du Plan Rueff-Armand de modernisation et d’ouverture de notre économie, le Nouveau Franc symbolisant l’ambition retrouvée. De Gaulle, qui passait pour un adversaire de l’Europe, ratifia le Traité de Rome de 1957 et lança la France dans l’aventure de la concurrence - sans abolir toute réglementation. Quant à la lutte contre le dollar, qui sait si le Général ne verrait pas dans l’euro une arme plus efficace que l’étalon-or ?
- Alors, l’Europe quand même ? Oui, mais pas n’importe laquelle.
Nous vivons la crise constitutive de l’Europe. Elle ne se construira ni par « le fer et le feu » comme l’Allemagne de Bismarck, ni dans la douce euphorie rêvée par les europhiles béats. Comme toutes les grandes réalisations politiques, elle naîtra dans la violence, celle de la plus grave crise financière de l’après-guerre.
Trichet, les grands banquiers sont trop intelligents et bien placés pour s’illusionner sur la capacité de remboursement de la Grèce. Ils décaissent des milliards pour acheter du temps, tel un trader d’option sur les marchés.
Du temps, pour quoi ? Profiter de la crise et de l’urgence vitale à la résoudre, en couronnant l’euro d’une autorité politique et financière, volontairement oubliée lors de sa création.
Souverainistes, vous croyez à leur implosion, vous aurez plus d’euro et d’Europe !
Nombreux, nous avons espéré une autre Histoire, et nous voici confrontés à une alternative historique. L’enjeu ? La survie en tant que Nation, le mode de vie de chacun d’entre nous.
- D’un côté, la France ne peut rester en-dehors de l’Histoire, ou ce ne sera plus la France.
- De l’autre, dès le XIIIème siècle, le juriste Jean de Blanot proclame que « le Roi de France est empereur en son royaume ». Le ton est donné. La France placera son indépendance au-dessus de tout.
Comment concilier ces impératifs ? Une chicane s’ouvre. Trois virages.
1°) Avancer sans complexe. Se convaincre que l’Europe a plus besoin de la France que l’inverse – donc ne pas jouer petit bras. De Gaulle bluffait, pratiquait la « politique de la chaise vide ». Emportait la mise. A notre tour soyons intelligents. Comme depuis 1870, l’Allemagne sera sur notre chemin. Une Allemagne qui a gagné beaucoup de batailles mais perdu les guerres. Aujourd’hui encore, sa force est trompeuse, son modèle efficace sur le court terme seulement, sa démographie en berne. Mais allons vite. L’Histoire avance au grand galop en ces jours.
2°) Jouer notre atout. L’Europe ne peut s’inspirer d’aucun modèle. La voie américaine, création à partir de rien (« from scratch ») n’est pas transposable à une association d’Etats multi centenaires, batailleurs, concurrents, de style et de langues différents. D’où l’obligation d’inventer Or inventer, nous savons faire. La Monarchie Absolue, la Révolution, la Nation, les Droits de l’Homme, nous avons toujours été aux avant-gardes. Il nous revient d’imaginer, de concevoir la nouvelle architecture européenne, qui ressemblera plus à Versailles qu’à la porte de Brandebourg, de donner le ton, devant plus à Debussy ou Bizet qu’à Wagner.
3°) Imposer notre objectif : l’Europe, première puissance politique et économique mondiale, l’euro, monnaie de réserve internationale, la croissance, priorité de la BCE nouvelle – sinon, à quoi bon.
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Mais qui guidera la France dans cette chicane délicate à négocier ? En 1806, Hegel avait vu passer "l’esprit du monde" à cheval ! Moins héroïque, nombre d’historiens estiment que le grand homme n’est que le délégué interchangeable d’une grande cause. Quelle que soit la vision retenue, nul héros ou délégué du grand dessein ne se profile à l’horizon.
Tout dépendra du monarque républicain de la Ve République ; il a plus de pouvoir qu’un Roi constitutionnel, dépasse le rôle d’arbitre [1]. Sera-t-il grandi par le grand dessein que la Nation chargera d’accomplir ?
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Dernière interrogation. Comment tout au long du parcours susciter l’enthousiasme des français pour un grand dessein européen, alors que l’attitude de l’Europe évoque plus le Père Fouettard que Saint Nicolas, que beaucoup la jugent responsable de notre abaissement ?
- Tactiquement, assumer le paradoxe d’être le fer de lance d’une construction européenne à la française et de s’opposer à Bruxelles, au besoin en prenant des décisions scandaleusement incorrectes aux yeux des eurocrates inspirés par les démocraties du Nord de l’Europe, restaurer une hiérarchie gauloise entre les principes de plaisir et de précaution, avoir le courage de s’exonérer de manière unilatérale de la convention de Schengen et décider souverainement de notre politique de contrôle des flux migratoires, …
- Stratégiquement, expliquer que nous avons bien vécus parce que la France et l’Europe avaient formé, grâce à leur expansion commerciale et coloniale, une économie-monde dominante, berceau historique du capitalisme. Plus tard, les Etats-Unis la rejoignirent et en devinrent le centre. Les avantages du centre rejaillissaient sur la France, même légèrement décalée, accumulation de richesse, pouvoir, savoir, en raison d’une division internationale du travail favorable.
De nouvelles puissances émergeant, la Chine, notamment, l’économie-monde occidentale a perdu sa suprématie. Le capitalisme a profité de la mondialisation pour organiser, avec succès, une nouvelle division du travail visant à la restauration des profits.
Une Europe puissante, interventionniste et raisonnablement protectionniste – colbertiste en un mot- seule peut casser cette mécanique, reprendre la main sur les marchés financier, restaurer, non plus les profits, mais le niveau de vie des peuples européens.
Allons plus loin, puisque cette série d’articles a été placée sous l’égide de la Méditerranée et de ses civilisations. Cette Europe rayonnante, équilibrée entre le Nord et le Sud, c’est notre vieille civilisation, plus de deux fois millénaire, restaurée, la Romanité latine puis chrétienne, avec la France comme pivot culturel et politique.
Jean-Claude Adrian.
[1]« Il y a un président de la République, élu au suffrage universel, qui définit les grandes orientations de la politique nationale. Il y a un Premier ministre, nommé par le président de la République, qui dirige le gouvernement et il y a une majorité qui soutient le gouvernement » - déclaration de Raymond Barre.