Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 23:07
L'héritage de Jean-Jacques 
 
Notre ami Bruno Lafourcade n'aime pas les combats douteux et il a raison. Surtout lorsqu'ils touchent à l'école et à l'avenir des enfants. Alors que notre système éducatif prend l'eau de toute part, voilà que la gauche enseignante et la gauche parentale repartent à l'offensive, bras dessus bras dessous, contre les devoirs à la maison ! Comme s'il n'y avait pas de sujet plus urgent à traiter, comme s'il fallait à tout prix se boucher les yeux sur les vraies causes d'échecs de l'enseignement français ! Ces causes d'échecs, la Cour des Comptes vient d'en pointer un certain nombre dans un récent rapport qui souligne qu'en France, l'Education nationale n'a plus de "nationale" que le nom. Le fameux "élitisme républicain", qui conduit à traiter chaque élève selon la même norme, à refuser de reconnaître les différences, les particularismes, les individualités et à rejeter toute idée d'enseignement différencié, ce mode de pensée est en faillite. C'est lui qui est à l'origine du système éducatif inefficace, inégalitaire, conservateur, en un mot absurde qui est aujourd'hui le nôtre. Et tout cela au nom des sacro-saints principes d'égalité et de refus des différences qui sont depuis deux siècles au fondement de notre enseignement. Le refus du travail à la maison procède de ces mêmes principes. Au nom de l'égalité, on refuse de reconnaître que des milliers d'enfants, issus souvent de milieux modestes, ont besoin de l'aide de leurs parents pour rester dans le rythme scolaire. Et au nom d'une conception dévoyée de l'éducation, on refuse d'admettre que l'effort des parents est tout aussi important que celui des maîtres dans une éducation réussie. Rousseau n'est jamais très loin de ces absurdités. Sa conception naturaliste de l'éducation, son Emile embrument toujours les cerveaux de nos éducateurs. Si le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques, que la République célèbre cette année sans grand faste, pouvait voir le reflux de ses idées funestes, la France serait libérée d'un grand poids. 
Paul Gilbert.
 
 
Plus bas ! Toujours plus bas !
   

Plus bas ! Plus bas ! Toujours plus bas ! Et vive l’égalité ! La putain ! La sacro-sainte égalité ! « Nous dénonçons depuis longtemps la persistance des devoirs à la maison, dont personne n’a jamais prouvé l’utilité et qui ne font qu’accentuer les inégalités entre les enfants selon qu’ils peuvent ou non bénéficier d’aide à la maison. » (Comment les « devoirs à la maison » arrivent-ils à accentuer les inégalités alors qu’ils n’ont pas d’utilité prouvée ? Mystère et tapioca.)

Les auteurs de cette « dénonciation », qui nous saisit par l’ampleur désespérante de sa bêtise, sont des parents d’élèves [1]. – Je me demande d’ailleurs pourquoi ces humanistes s’arrêtent en si bon chemin. Et les livres ? Et la musique ? Et Breughel ? A-t-on jamais prouvé leur utilité ? N’accentuent-ils pas les inégalités ?

Le même communiqué dénonce « cette forme de “sous-traitance pédagogique” aux familles » ; et annonce, plus loin : « à partir du 26 mars une “quinzaine sans devoirs” débutera. » Sous-traitance ! (Pourquoi pas « mal-traitance » !) Une quinzaine ! Les soldes, quoi ! – Les mots ne mentent jamais.

Aura-t-on jamais manifesté, et avec autant d’arrogance, au nom de la régressive béchamel égalitaire, pareille haine pour le savoir et sa transmission, pour l’instruction, pour l’enseignement, pour l’éducation ; et finalement, surtout, pour ses propres enfants ? Car il faut bien les détester, ceux-là, et furieusement encore, pour espérer qu’ils restent sur le barreau le plus bas de l’échelle de l’esprit, de l’intelligence, de la culture !

Sur le site de cette association de soldeurs névropathes, chacun est également invité à dire tout le mal qu’il pense de la sous-traitance en question. Ainsi, ces deux témoignages, que je donne sans en changer une virgule :

« Mon fils a été diagnostiqué tdah, l’école est source d'angoisse et de mauvaise estime de lui. Des devoirs en plus a la maison le soir après 6h d’école plus une prise en charge lourde pour lui en dehors, c’est tout juste impossible. Comme la maîtresse en donne toujours (malgré des discussions à ce sujet et bien c’est moi qui les faits ! Je ne vois pas l’intérêt d’en donner le programme est déjà bien chargé comme ça et se n’est vraiment pas bénéfique ! »

« Entièrement d’accord avec votre action. Quand j’étais enseignant, en CP, je refusais que mes élèves emportent leur livre de lecture le WE. Je proposais aux parents de leur lire simplement des histoires ... Ce n’est pas aux parents de faire l’école à la maison. Parent, je me désole de voir mes enfants crouler sous les devoirs, faisant le dimanche ce que l’enseignant n’a pas pu ou voulu faire en classe. Cela me révolte, mais je me tais, ne voulant pas mettre mes enfants en porte à faux. »

Des parents qui ne veulent pas éduquer leurs enfants, des instituteurs qui ne veulent pas enseigner leurs élèves, des parents et des professeurs qui préfèrent que tous les enfants soient ignorants plutôt que d’offrir à un petit nombre la chance de ne pas l’être : ce monde est devenu si stupéfiant de démence, si perdu pour le sens commun, qu’il laisse interdit et incrédule. Je ne peux rien lui répondre tant je suis loin de lui. L’un de nous deux est fou, et si ce n’est pas moi, ce n’est que provisoire.

Bruno Lafourcade.



[1]. Ils appartiennent à la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves.


Partager cet article
Repost0
30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 22:34

Une étape

Le scrutin du 22 avril n’est ni un accident, ni une rupture. Ceux qui n’ont voulu y voir qu’une manifestation passagère de « malaise » ou de « défoulement » et qui n’ont d’yeux que pour le second tour se trompent et ils trompent les électeurs qu’ils essaient de rassurer. Mais ceux qui parlent de coup de force, de situation prérévolutionnaire, de comportement insurrectionnel des Français (dans un quotidien de gauche du matin !) trompent tout autant l’opinion, quand il ne cherche pas à la manipuler. Ce scrutin a une signification. Il marque à l’évidence une nouvelle étape dans le rejet du système politique actuel. On peut penser – et nous le pensons - que ce système est à bout de souffle et qu’il se terminera par une crise. Mais il n’est pas sérieux de dire ou d’écrire, sous le coup de l’émotion, que cette crise de régime est pour demain.

Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : lors de l’élection présidentielle de 1995, les candidats antisystème avaient rassemblé 10 millions de suffrages ; ils en rassemblent près de 12 millions en 2012.  Plus du tiers des électeurs refusent désormais de jouer le jeu des candidats et des partis traditionnels. Chiffres énormes, considérables et, qui plus est, tendanciellement croissants ! Sont-ils pour autant de nature à ébranler le régime ? A l’évidence non. Les partis du système gardent la main sur une majorité de l’électorat et l’on a encore vu dimanche dernier qu’ils savent mobiliser quant il le faut les abstentionnistes. Sous la IVe République, il a fallu attendre plus de 10 ans pour que la conjonction des mécontentements tourne à l’émeute et mette le pouvoir à genoux. Il en faudra plus pour venir à bout du système que nous subissons aujourd’hui.

Car pour qu’il y ait crise, il ne suffit pas que la méfiance hante les urnes. Il faut un programme révolutionnaire et une personnalité qui l’incarne. Ce programme et cette personnalité n’existent pas. Les électeurs de Mme Le Pen et ceux de M. Mélenchon n’ont pas de projet commun, même s’ils font souvent le même diagnostic sur l’état du pays et s’ils subissent les mêmes injustices. On a pu penser au début de cette campagne que la gauche révolutionnaire et que la droite de combat allaient croiser leurs tirs sur les mêmes objectifs : l’euro, la dictature des marchés, les traités allemands, l’austérité, la mondialisation, l’Europe ouverte à tous les vents qui détruit nos emplois et ruine notre économie… Eh bien non ! Chacun a préféré son petit fond de commerce : l’insécurité, l’immigration pour Mme Le Pen, l’antifascisme et le laïcisme pour M. Mélenchon.  Si ces deux-là ont gagné leurs galons de chefs de partis, aucun d’eux n’a l’envergure d’un révolutionnaire ou d’un homme d’Etat. Au point que certains de leurs électeurs se demandaient le 22 avril au soir si leur vote n’avait pas servi à rien.

Qu’ils se rassurent, leur vote a servi à quelque chose. Et d’abord à apeurer le système, à défaut de le déstabiliser. La classe politique et les médias aux ordres ne s’attendaient pas à une telle ampleur du vote protestataire. Ils s’étaient fait à l’idée que l’élection se jouerait au centre autour des électeurs de M. Bayrou, que le Front national ne retrouverait pas son niveau de 2002 et que la vigoureuse campagne du Front de gauche ne se traduirait pas dans les urnes. C’est le scénario inverse qui est apparu dimanche soir et les commentateurs avaient la mine des grands soirs de défaite. Qu’on prenne les chiffres comme on voudra – par région, par classe sociale ou par classe d’âge -, on est toujours ramené aux mêmes résultats : un profond désenchantement des milieux populaires et d’une partie des classes moyennes pour la démocratie bourgeoise, un vote massif de la jeunesse en faveur du Front national, de la gauche et de l’extrême gauche révolutionnaire. Le visage de cette France-là n’était jamais aussi clairement ressorti des urnes !  

L’autre surprise de ce scrutin, c’est l’évolution des rapports de force au sein de la gauche et de la droite. Le vote protestataire ne s’était manifesté jusqu’ici que d’un côté de l’échiquier politique et il était facile à la classe politique, comme on l’avait vu en 2002, de jouer sur les réflexes « antifascistes » ou « antiautoritaires » des Français. Avec l’émergence du Front de gauche et la montée du Front national à un niveau inégalé, la situation est complètement nouvelle. Le système est pris en tenaille entre deux forces qui, à gauche comme à droite, ont les moyens de peser sur l’orientation des majorités et des gouvernements futurs. On voit d’ailleurs que les deux candidats du second tour ont été obligé d’infléchir leurs discours pour tenir compte de ce nouveau rapport de force : sur l’Europe, sur l’Allemagne, sur le contrôle des banques, sur la mise au pas des marchés, sur l’affirmation de notre souveraineté nationale, les déclarations de M. Hollande et de M. Sarkozy se font, chaque jour, plus fermes et plus affirmatives. Les électeurs antisystème savent à quoi s’en tenir : ils ne se font aucune illusion sur ces discours, ni  sur ce que sera la pratique réelle du vainqueur du second tour, une fois qu’il sera élu. Mais ils savent aussi que les batailles politiques finissent par se gagner sur les idées : c’est autour des questions sociales et nationales que s’organise ce second tour et ce sont ces questions qui vont durablement structurer le débat politique en France.

D’autant qu’ils ne sont plus seuls à exprimer ces préoccupations. Toutes les enquêtes d’opinion confirment qu’elles sont partagées par une partie croissante de l’électorat modéré. On l’avait vu lors des primaires du PS avec l’excellent score fait par M. Montebourg et ses amis. On le voit aujourd’hui au sein de l’UMP où de véritables factions s’organisent contre le discours dominant. Les législatives qui vont suivre le second tour déboucheront-elles sur une profonde recomposition du paysage politique ? On peut le penser, en particulier à droite. Et l’échec de M. Bayrou permettra plus difficilement à l’oligarchie de se recomposer autour d’un pôle centriste, atlantiste et européiste qui n’existe plus qu’à l’état de trace. Voilà une autre bonne surprise du scrutin du 22 avril.

Le second tour s’annonce sous de mauvais auspices pour le pouvoir. L’actuel chef de l’Etat est promis à une défaite cuisante et sa majorité pourrait voler en éclat à l’issue des législatives, voire même avant. Dans cette configuration, c’est l’ensemble du système politique qui sera ébranlée par la secousse sismique du 22 avril.

Dans ce contexte, quel peut être le choix des patriotes pour ce second tour ?

Certains lecteurs et amis de la Revue Critique s’orientent vers l’abstention. S’ils souhaitent la défaite de M. Sarkozy, ils n’entendent pas cautionner la politique de son adversaire et ils veulent continuer à faire entendre le 6 mai la puissante clameur antisystème qui s’est exprimée le 22 avril. Nous comprenons leur attitude.

D’autres lecteurs, d’autres amis nous ont confirmé leur intention de voter pour M. Hollande. Ils n’ont aucune illusion, ni sur l’homme, ni sur sa politique. Mais ils savent que la réélection de M. Sarkozy signifierait à nouveau cinq ans de malheurs pour notre pays. Alors que sa défaite peut rouvrir le jeu politique en France et envoyer dans toute l’Europe un puissant message de lutte et d’espoir. Ce choix d’espoir sera aussi le nôtre.

Le groupe de la Revue Critique.

 

Partager cet article
Repost0
29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 22:16
Guerre de mouvement
et guerre de position
 
choix de textes d'Antonio Gramsci
présentés par Razmig Keucheyan
Mis en ligne : [30-04-2012]
Domaine : Idées 
GRAMSCI-Antonio-Guerre-de-mouvement-et-guerre-de-position.gif
 
Antonio Gramsci (1891, 1937). Publications récentes : Jean Marc Piotte, La pensée politique de Gramsci (Lux, 2010), Augusto de Noce, Gramsci ou le suicide de la Révolution (La Nuit surveillée, 2020). Razmig Keucheyan est maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Il est l’auteur de Le constructivisme. Des origines à nos jours (2007) et de Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques (2010).
 

Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Anthologie de textes présentés par Razmig Keucheyan. Paris, La Fabrique, février 2012, 338 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Gramsci en France : une série de contresens. Non, Gramsci n’est pas le « classique » qu’ont instrumentalisé les héritiers italiens et français du marxisme de caserne. Il n’est pas non plus, sur le bord opposé, une pure icône du postmodernisme, limité au rôle de père des subaltern et autres cultural studies. On ne peut pas le réduire aux concepts « gramsciens » toujours cités, toujours les mêmes – hégémonie, intellectuel organique, bloc historique, etc. Il faut dire que Gramsci, si prestigieux qu’il soit, reste difficile à classer, et pas si facile à comprendre : les Cahiers de prison ne sont pas un livre, ce sont des notes rédigées dans les pires conditions, et il est remarquable que cet ensemble qui s’étale sur plus de cinq ans ait tant de cohérence dans sa circularité. Dans le choix et la présentation des textes, ce livre a pour but de faire comprendre l’actualité de Gramsci, son importance dans la réflexion stratégique, dans la compréhension des crises du capitalisme, dans l’adaptation du marxisme à la crise du mouvement ouvrier et aux luttes anticoloniales, antiracistes, féministes et écologiques. On y trouvera les raisons qui font aujourd’hui de l’œuvre de Gramsci un outil révolutionnaire essentiel, de l’Argentine à l’Allemagne en passant par l’Inde et l’Angleterre. Pour la France, il était grand temps.
 
Note de lecture. - Le Monde des livres, 6 avril 2012.
Relire Lénine et Gramsci. Les éditions La Fabrique poursuivent leur redécouverte du marxisme en rééditant deux grands classiques du communisme : le fameux livre de Lénine (1870-1924), L'Etat et la Révolution (présentation de Laurent Lévy, 232 p.), et les Cahiers de prison du dirigeant du Parti communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), sous forme d'une anthologie (Guerre de mouvement et guerre de position, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, 338 p.).  Ecrit peu avant la révolution d'Octobre 1917, l'essai de Lénine développe sa théorie du " dépérissement de l'Etat " dans le sillage de Marx et Engels, en soulignant ses fortes convergences, mais aussi ses désaccords avec l'anarchisme. Vingt ans plus tard, mourrait Gramsci dans les geôles fascistes, après avoir renouvelé profondément le marxisme. Pour lui, la révolution bolchevique était une " révolution contre Le Capital " de Marx, puisqu'elle avait explosé dans des conditions qui n'étaient pas " mûres ". Dans sa préface stimulante, Keucheyan explique pourquoi il faut relire Gramsci. Théoricien souvent caricaturé de " l'hégémonie culturelle ", l'Italien ouvre des perspectives à une " pensée critique " qui manque cruellement de " réflexion stratégique ". Et en écrivant, avant bien d'autres, sur les " groupes subalternes ", Gramsci aiderait à penser " la pluralité des situations de domination, tout en tâchant de concevoir la spécificité de la logique du capital ".

 

Partager cet article
Repost0
28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 16:39
 
 
le jardin sur le canal
 
 
 
Le jardin finit en terrasse
Au bord du Canal glorieux
D'où les gondoliers curieux
Regardent par la grille basse.

C'est un jardin rempli de fruits,
De fleurs, d'arbres et de statues.
On y voit des déesses nues
Sous les cyprès et sur les buis.

Un citron que lâche sa branche
Tombe parfois sur le sentier;
Il parfume l’air tout entier
De l’odeur que sa plaie épanche.

Le cortège secret du Temps
Sur ce jardin passe en silence,
Trahi par la double cadence
Des églises et des couvents.

Et, le soir, quand le ciel arrose
De rubis et de perles d’eau,
Un nuage de Tiepolo
Vient décorer le couchant rose.
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Poésies. (1913).
 
 
mars en provence
 
 
 
Vois, l’amandier en fleurs au cyprès et au chêne
Annonce le printemps prochain, et, dans les cieux,
Phœbus répand un or jeune et délicieux
Qui fait de chaque source une riche Hippocrène.

Suivons la route blanche et brillante, elle mène
Au bois où Marsyas enfle son roseau creux;
Une Muse sourit sous l'arceau langoureux
De la colline rose où verdit le troène.

Ici, les Dieux, hier encor, vivaient cachés.
Tu ne découvrais pas, au milieu des maires,
Dans ces joueurs malins, les fils de Palamède;

Mais la Fable est venue avecque la Saison,
Et, si cet aigle plane au-dessus du sillon.
C'est que l’Olympe cherche un nouveau Ganymède.
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921).
 
 
ombres stendhaliennes
 
 
 
I. — ROME

Je vous ai rencontrée à Rome,
Ombre en habit de drap marron :
Vous aviez le corps d'un gros homme,
Mais le regard malin et prompt ;

Non dramatique et grave comme
Chateaubriand et lord Byron,
Ayant moins l'air d'un gentilhomme
Que d'un voyageur lazzaron;

Aux peintres vous donniez des notes
Dans les salles du Vatican :
Guerchin, dix-huit ; neuf, Parmesan ;

Et, sauf dans les maisons dévotes,
La nuit, du fumoir au divan,
Vous recueilliez des anecdotes.

II. — MILAN

A Milan aussi je vous vis,
Dans la Scala poudreuse et vide.
Vous dépendiez d'un œil perfide
Qui régnait sur vos favoris.

Est-ce Angela ou bien Métilde,
Dans la loge, en face, qui rit ?
Vous songez : « Ayons de l'esprit ! »
Mais votre aplomb n'est pas solide.

Plus amoureux qu'heureux amant,
Cher Stendhal, curieux des femmes,
Vous trembliez comme un enfant

Près d'elles, combinant vos trames ;
Mais vos détours de sentiment
Dérangeaient les meilleurs programmes.

III. — PADOUE

Pedrotti, café de Padoue,
Je n'y puis entrer, Henri Beyle,
Sans y voir votre ombre fidèle,
La barbe teinte sur la joue.

Votre grosse breloque joue ;
Le sang d'un camée étincelle
Au doigt d'une main toujours belle
Qu'un geste, par instant, secoue.

Car vous causez, l'œil plein de feu,
Avec cet aimable « neveu »
Qui vous raconta la Chartreuse.

O soirée à jamais fameuse !...
Vous demandâtes au garçon
De vous servir un zambayon.

IV. — PARME

A Parme, j'ai vu vos enfants :
Gina, qui se cache qu'elle aime ;
Mosca, que le doute rend blême,
Mais qui rit pour les médisants.

Fabrice cherche un stratagème
Pour voir Clélia un instant ;
Marietta passe en chantant ;
Ranuce-Ernest, trompé, blasphème.

Moi, dans le grand jardin désert
Où ne vont plus les Parmesanes,
J'ai repris, pour flatter vos mânes,

Votre livre, au hasard ouvert.
Je longeais les bosquets humides :
« Les prisons de Parme étaient vides... »
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921).
 
 

fontaine.jpg

 
Partager cet article
Repost0
22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 23:00
Louis XIII et Richelieu           
 
de Jean Castarède
Mis en ligne : [23-04-2012]
Domaine : Histoire
CASTAREDE-Jean-Louis-XIII-et-Richelieu.jpg
 
Né en 1934, Jean Castarède est historien et essayiste. Il a publié plusieurs  grandes études sur la Renaissance et le Grand Siècle français, parmi lesquels :  Henri IV, le roi vengé (France Empire, 1996), Bassompierre (Perrin, 2002), La Fontaine (Studyrama, 2004), 1610, l'assassinat d'Henri IV, un tournant pour l'Europe (France Empire, 2009).
 

Jean Castarède , Louis XIII et Richelieu. Paris, France Empire, mars 2011, 346 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Au XVIIe siècle, la France a proposé au monde un système de gouvernance original, fondé sur le couple "Monarque-Premier ministre". Ce duumvirat, incarné par Henri IV et Sully, puis par Louis XIII et Richelieu, Louis XIV et Colbert, et dans une certaine mesure Anne d'Autriche et Mazarin, passera à la postérité avec un contenu dirigiste et technocratique que l'on appelle le colbertisme. C'est Richelieu qui en a le mieux fixé les règles et qui a su le plus clairement en déterminer le contenu par ses nombreux écrits et messages à son souverain. Ainsi, le couple Louis XIII-Richelieu, présenté ici pour la première fois comme un cas d'école, amène à réfléchir sur la difficulté, mais aussi les chances, de gouverner à deux. Même si les transpositions sont difficiles de nos jours, y compris dans certains pays émergents, l'histoire de cette dyarchie, indépendamment des spécificités psychologiques et caractérielles des deux êtres qui l'ont incarnée, est riche d'enseignements. On découvre également dans ce livre les deux véritables personnalités du roi et de Richelieu, différentes des images déformées par certains historiens ou par la légende, et, surtout, leur attachement mutuel, ce qui les réhabilite tous les deux.
 
La recension de Jean-Pierre Bédéï. - La Dépêche du 19 mai 2011.
Le pouvoir à deux tête. La politique a la réputation d’être brutale de nos jours. Il suffit pourtant de lire le livre de Jean Castarède sur le tandem Louis XIII-Richelieu pour prendre conscience qu’elle était beaucoup plus violente sous l’Ancien régime. C’est dans une atmosphère de luttes d’influences et de pouvoirs, de révolte des princes, d’assassinats, et de conflits entre Louis XIII et sa mère Marie de Médicis, que se construit, après une période de méfiance, la relation entre le roi et son premier ministre, l’un mystérieux et taciturne, l’autre calculateur et secret dégageant un « magnétisme », tous deux souffrant d’une santé défectueuse. « Richelieu se montrera sa pitié lorsque l’intérêt de l’Etat l’exigera », écrit Castarède qui bat en brèche l’idée selon laquelle Louis XIII n’a été que « l’instrument » du cardinal. Pour l’auteur, si le roi n’échappait pas à « l’ascendant » de son ministre, il a su aussi s’en « affranchir ». C’est sans doute là l’apport majeur de ce livre qui se lit par moments comme un roman de capes et d’épées tant l’Histoire est haletante en cette période.

Partager cet article
Repost0
21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 22:00
Nos consignes
 
A quelques heures du premier tour, il est difficile de tirer un bilan de cette campagne présidentielle: l'abondance d'offre, de programmes, de candidats donne un peu le vertige. On ne discernera vraiment les propositions essentielles que dans la confrontation du second tour. Le sentiment général est que l'on a beaucoup proposé et peu débattu, que les propositions ont été peu confrontées avec la réalité et que les Français n'y ont pas trouvé leur compte. Etonnant régime que cette démocratie où une débauche d'argent, de mots, de propagande et de discours débouche sur autant de déception, de frustration et de mécontentement !
Mais on aurait tort de croire qu'il n'est rien sorti de ces quelques six longs mois de précampagne, puis de campagne. On a assisté au contraire à des évolutions intéressantes et à quelques bonnes surprises qui ont permis de clarifier et, disons-le, d'assainir le débat politique.
Certaines de ces clarifications sont venues de la gauche. L'affaire Strauss-Kahn fait partie des coups du sort qui montrent que la Providence continue à veiller sur le destin de ce pays. Il suffit de  mettre en parallèle les scores que DSK faisait en mai dernier dans les sondages et ce que l'on sait aujourd'hui de lui pour prendre conscience du danger auquel nous avons échappé.  Le succès remporté par M. Montebourg lors de la primaire socialiste atteste qu'un nouveau corpus d'idées, inspiré de Proudhon et de la deuxième gauche, est en train d'émerger au sein du PS. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'échec de Mme Joly et du courant euro-écologiste, comme nous nous réjouissons du retour d'une gauche de la gauche, eurosceptique, anticapitaliste, qui peut aiguillonner la social-démocratie vers des voies qu'elle avait désertées. 
D'autres clarifications sont venues de la droite. M. Bayrou, que l'on a présenté à un moment comme le troisième homme, voire comme le concurrent de M. Sarkozy, n'a pas su reconstituer autour de lui la dynamique qu'il avait créée en 2007. Son discours est apparu pour ce qu'il est réellement, celui de la vieille démocratie chrétienne, européiste et atlantiste, moralisante, dure avec les classes populaires et indulgente avec les puissants. Cette élection sera sans doute son chant du cygne. Ni M. Bayrou, ni M. Borloo, ni a fortiori M. Morin ou M. Raffarin, n'ont su redonner vie à une voie centriste qui rame désormais à contre-courant de l'histoire. Leur seul espoir repose sur un éclatement de l'UMP et sur le reflux d'une partie des dirigeants libéro-conservateurs vers le centre. Mais dans cette hypothèse, que pèsent un Bayrou ou un Borloo face à un Juppé ou à un Fillon? 
Ce premier tour peut être lui aussi porteur de bonnes nouvelles. La première, et la plus attendue des patriotes, serait celle d'un échec cuisant de M. Sarkozy. Il le mérite doublement. Parce que l'homme qui a trahi pendant tout son mandat les millions de Français de bonne foi qu'il a entraînés derrière lui en 2007 est un imposteur. Et que l'homme qui a sciemment, volontairement, abaissé l'Etat, affaibli notre défense nationale, sacrifié notre diplomatie, celui qui a fait de nous les vassaux de l'Amérique et les obligés de l'Allemagne ne mérite aucune indulgence. Il laisse derrière lui un bilan calamiteux, l'un des pires que la France ait eu à subir depuis la Libération. Les patriotes ne doivent égarer aucun vote, aucun bulletin, aucun suffrage sur le candidat de la honte et de l'abaissement de la France.
Nous les incitons en revanche à porter leurs suffrages sur les candidats qui s'élèvent contre le système et que l'affrontement largement factice entre une droite libérale et une social-démocratie molle ne satisfait plus. Ils plébisciteront les candidats qui portent un regard critique sur l'Europe telle qu'elle se construit, qui refusent la mondialisation financière, ruineuse pour notre économie et pour nos emplois, et qui remettent en cause le dogme de l'euro. Même si ces candidats se situent aux deux extrémités de l'échiquier politique, même s'ils ne portent pas les mêmes valeurs et quand bien même nous réfuterions certaines de ces valeurs, le nombre de leurs électeurs, le poids des suffrages qui se sera porté sur eux aura une signification profonde. Ils exprimeront la colère du peuple français, son refus de la société marchande, sa volonté de rupture avec l'Europe libérale et sans frontière qu'on cherche à lui imposer.
Nous les inviterons enfin à privilégier la candidature de M. Nicolas Dupont-Aignan. Car il propose, tout comme nous, une France libre de ses alliances, une sortie rapide de l'euro et de l'OTAN, une rupture avec l'idéologie libre-échangiste et libérale. Car il défend, tout comme nous, le principe d'un Etat fort, indépendant du jeu des partis, garant et arbitre et capable d'agir dans la durée. Et parce qu'il refuse, tout comme nous, la logique de ceux qui cherchent à dresser nos concitoyens les uns contre les autres, à diffuser la haine et à divertir les Français du seul combat qui vaille, celui du redressement national et du retour de la France dans le monde.
Le groupe de la Revue Critique. 

Partager cet article
Repost0
21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 21:43
Un petit mufle irréaliste
                                      
 
NEUHOFF-Eric-Mufle.gif
 
M. Eric Neuhoff a-t-il déjà péché à la ligne ? Nous n’en sommes pas sûr. D’un corps animé de beaux mouvements, souples et sensuels, l’auteur écrit qu’il « s’agitait comme un poisson sorti de l’eau ». Devant les dons d’observation de ce romancier dans le domaine, assez peu fouillé dans l’ensemble, de la sensualité mêlée de pisciculture, nous sommes restés perplexe.
Notre embarras cependant s’est bientôt étendu à la totalité, ou quasi, des comparaisons de ce très mince roman [1]. Chez M. Neuhoff, en effet, la tristesse et l’angoisse ne se contentent pas d’être bêtement tristes et angoissantes : la « tristesse saute à la gorge avec la vitesse du cobra », et « l’angoisse s’insinue dans les veines comme une armée de vietcongs rampant dans leurs souterrains » ; cela vaut aussi pour les manifestations extérieures des sentiments, où un homme en sueur ne transpire pas mais se révèle « en proie à une mousson intime », tandis que son lit devient « une mare, un pédiluve ». – Cobra, mousson et vietcong... on est prié de noter le tropisme extrême-oriental de l’auteur, avec la croissance de notre perplexité.
Cependant, toutes les jungles où sifflent, rampent et sévissent reptiles, mercenaires et paludisme métaphoriques, toutes les jungles vous le diront dès qu’elles pourront parler : les serpents venimeux, les soldats asiatiques et les moiteurs tropicales, quel que soit le rôle disproportionné qu’on entend leur faire jouer, témoignent d’une volonté de renouveler son stock de clichés – entreposé dans le hangar symbolique où circulent les caristes de l’allégorie,comme dirait à peu près M. Neuhoff si ses goûts le portaient plus vers la manutention que vers l’Asie.
Or ce renouvellement n’a pas été constant ; et l’auteur a eu soin de laisser sa place aux bonnes vieilles perles des nanars de M. Gérard de Villiers. Ainsi, l’amour, c’est toujours un « visage tordu de plaisir » sous des « coups de boutoir », entre autres prouesses de canapé-lit qui ne dépareilleraient pas un antique S.A.S. des Presses de la Cité (Guêpier en Angola ou Panique au Zaïre, par exemple, et bien que nos goûts personnels nous porteraient plutôt vers Opération Matador et Putsch à Ouagadougou[2]).
Dans un autre genre, juste avant que les visages ne se tordent de plaisir, les « baisers » ont eu tendance à « sentir le vertige » : on ne sait pas ce que cela veut dire, mais c’est impressionnant. On sent surtout que l’on a quitté Gérard de Villiers pour la collection Harlequin.
« Il avait du mal à s’installer en plein réalisme », écrit l’auteur de son héros. Nous aussi, nous aussi... – Par souci d’objectivité, nous nous sommes mis en quête d’une comparaison originale, c’est-à-dire, donc, réaliste. Nous avons trouvé celle-ci : « sauvegarder leur union, comme on regonfle un oreiller aplati ». Elle est bien vue, assez jolie (on pense aux « joues de l’oreiller », chez Proust) ; et elle témoigne surtout que, avec quelques efforts, l’auteur aurait pu faire son travail proprement. (Avec simplicité, M. Neuhoff dit aussi de son héros qu’il a peur de « mourir comme un con ». Ce n’est pas original, mais c’est préférable aux excès auxquels il nous avait habitués.)
 
Plusieurs raisons justifient que nous nous attardions sur ces images. Ce bref roman est d’abord minimaliste, écrit en phrases très brèves elles-mêmes cousues sur cet unique patron : sujet, verbe, comparaison. Autrement dit, le récit est quasi entièrement composé de métaphores, et c’est pourquoi celles-ci sautent aux yeux : le regard ne pouvant se porter sur la syntaxe ni sur le choix des mots, également élémentaires, il n’y a que les images à observer.
La seconde raison est que le regard ne peut pas se porter davantage sur l’intrigue elle-même, qui est sans péripéties (ce n’est pas un reproche). Il s’agit du récit d’une obsession : un homme apprend que sa maîtresse le trompe, l’a toujours trompé. Il en devient malade, il en souffre, il en crève ; on comprend sa maladie, sa souffrance, sa crevaison.
On les comprend et on s’en fout ; car, pour rendre cette jalousie monomaniaque, l’économie grammaticale (que l’on rappelle : sujet, verbe, comparaison), qui montre moins un parti pris littéraire que la conscience de moyens esthétiques limités, a obligé l’auteur à rendre tout hyperbolique, et conséquemment cocasse, si l’on veut sombrer dans la gentillesse – notre pente naturelle, comme on ne s’en doute peut-être pas.
Tous ces baisers qui sentent le vertige, ces Vietcongs qui rampent dans les veines, ces lits qui ressemblent à des mares, n’ont d’autre but que de donner chair à des sentiments. Or ceux-ci restent aussi loin du lecteur que la Terre est loin de Saturne ; et M. Neuhoff lui-même de la littérature.
Bruno Lafourcade. 
   

[1]. Mufle, Éric Neuhoff, Albin Michel, 2012.
[2]. Guêpier en Angola, Plon / Presses de la Cité, 1975 ; Panique au Zaïre, Plon / Presses de la Cité, 1978 ; Opération Matador, Plon / Presses de la Cité, 1979 ; Putsch à Ouagadougou, Plon / Presses de la Cité, 1984.
 
Partager cet article
Repost0
20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 18:36
Une campagne diplomatique
 
Alors que la France est paralysée pour de longues semaines encore par ses rites démocratiques, l’Allemagne engage une vaste offensive diplomatique en Europe pour  placer ses pions et reconstruire son jeu d’alliances.
La présidence de l’Eurogroupe – la réunion des ministres des finances de la zone euro – fait partie des objectifs de cette campagne. C’est dans ce cénacle en effet que s’élabore la doctrine économique et financière de l’Euroland et il n’est pas question pour Mme Merkel que sa direction passe entre des mains hostiles. L’actuel titulaire du poste, l’insubmersible M. Juncker, est un vieil ami de l’Allemagne. Elu d’un petit pays, chrétien-social à la mode du Benelux, il a été placé là pour servir d’homme de paille aux banques, à la Commission et aux gouvernements d’Europe du nord. Mais M. Juncker a pris son rôle un peu trop au sérieux dans la dernière période. En se portant en première ligne dans la négociation des plans d’austérité grecs et italiens, il s’est fait beaucoup d’ennemis parmi les dirigeants des pays du sud. Fatigué, décrié, il vient d’annoncer son intention de passer la main à l’été 2012. Il faut donc songer à le remplacer.
Mme Merkel s’y emploie activement. Elle a décidé de soutenir la candidature de son propre ministre des finances, M. Schäuble, qui fait déjà figure de favori. Il est vrai que le profil de M. Schäuble a tout pour séduire les tenants d’une Europe à poigne. Autoritaire, fanatiquement libéral, considéré comme un des représentants de la ligne dure de la CDU, il est connu pour ses furieuses diatribes contre les Grecs, les Italiens et, tout récemment, contre le gouvernement espagnol, coupable à ses yeux de laxisme budgétaire.  Partisan intransigeant de l’indépendance de la BCE, M. Schäuble mène également campagne depuis des mois pour qu’on mette les budgets des Etats membres sous le contrôle de la Commission. Son arrivée à la tête de l’Eurogroupe est donc dans l’ordre des choses. Elle ne ferait que traduire la domination qu’exerce aujourd’hui l’Allemagne sur l’ensemble du système financier européen. Certains s’étonnent même que le passage de témoin avec M. Juncker n’ait pas encore eu lieu et ils souhaitent que le processus s’accélère.
Cet empressement ne fait pas les affaires du gouvernement français. Non pas que la candidature de M. Schäuble déplaise d’une quelconque façon au clan sarkozyste. Bien au contraire. Lui et M. Baroin sont devenus les meilleurs amis du monde et les désidératas de Mme Merkel sont généralement des ordres. Seulement voilà, la France est en pleine fièvre électorale et les Français ont retrouvé dans cette campagne quelques vieux reflexes antiallemands. D’où le souci de l’Elysée de renvoyer le sujet à plus tard, afin  que cette nomination n’apparaisse pas comme une nouvelle reculade de la France devant Berlin. « Sur l’Eurogroupe, rien n’est fait et les décisions ne seront prises qu’après le 6 mai » a confirmé M. Baroin, en marge de la dernière réunion de l’Eurogroupe à Copenhague. M. Schäuble ne semblait pas particulièrement  inquiet de ce contretemps. Les Allemands ont-ils reçu des assurances côté Sarkozy que le dossier se débouclerait très vite après la présidentielle ? On le dit. Et côté Hollande ? Certains le murmurent.
Mais l’offensive de Mme Merkel vise également à redorer le blason de l’Allemagne vis-à-vis des pays de l’Europe du Sud. La Chancelière a perçu très négativement le mémorandum rédigé par M. Monti et plusieurs autres chefs de gouvernement en faveur d’une initiative de croissance européenne. Ce texte prend en effet clairement le contrepied de la « culture de stabilité » chère à la Bundesbank. Berlin craint que la France ne finisse par se joindre au mouvement, au cas, désormais probable, où M. Hollande l’emporterait. Tout cela est de nature à compliquer, à retarder, voire à remettre en cause l’approbation du nouveau pacte budgétaire européen, ce que l’Allemagne ne veut à aucun prix. On comprend mieux, dans ces conditions, les récents « messages d’amitié » envoyés par la Chancelière allemande au gouvernement grec et l’engagement qu’elle a pris de le soutenir coûte que coûte en cas de nouvelles attaques des marchés. Cet éclairage permet également de mieux comprendre pourquoi Berlin a accepté fin mars d’assouplir fortement sa position sur le renforcement des moyens du Fonds Européen de Stabilité Financière, ce qui a comblé d’aise les pays du sud en difficultés, et pourquoi Mme Merkel joue à fond la carte d’une coopération très médiatisée avec M. Monti. L’Allemagne craint un isolement préjudiciable à ses plans. Elle est disposée à consentir de nouveaux moyens et à accepter un certain partage des pouvoirs au sein de la zone euro, pour peu qu’on reste dans sa ligne générale de rigueur et d’austérité. On va voir, dans les mois qui viennent, jusqu’où elle est prête à lâcher du lest dans cette direction.
M. Cameron est également courtisé. On veut minimiser son refus de rejoindre le nouveau pacte budgétaire européen. Le Royaume-Uni a décidé de faire cavalier seul sur les questions budgétaires ? Libre à lui ! « La Grande Bretagne doit savoir qu’en Allemagne nous voulons une Grande-Bretagne forte dans l’UE, c’est ce que nous avons toujours souhaité et ce que nous souhaiterons toujours », déclarait fin mars la Chancelière allemande dans un entretien télévisé à la BBC. Manœuvre là encore, et manœuvre habile. On sait que M. Cameron est dans une passe assez difficile. Son plan d’austérité est vivement contesté et l’aile libérale de sa majorité ne le soutient plus que d’un doigt. En outre, il doit se débattre avec l’empoisonnante question écossaise. Le Premier ministre anglais a besoin de retrouver des appuis en Europe, et tout particulièrement auprès des grands Etats. Ce que l’Allemagne veut éviter par-dessus tout, c’est un rapprochement entre la France et le Royaume Uni après la présidentielle française. Le risque existe. M. Sarkozy avait fait quelques pas dans cette direction l’été dernier. Et ce n’est sans doute pas un hasard si M. Hollande a choisi Londres pour son premier déplacement de candidat. Quel axe privilégiera M. Cameron ? Voilà une des questions-clés de ces prochains mois.
Reste la France. Mme Merkel était persuadée, jusqu’à ses dernières semaines, que M. Sarkozy serait réélu haut la main. Elle n’avait sans doute pas mesuré jusqu’à cette campagne l’ampleur du sentiment antiallemand dans l’opinion française. Mais elle pense que ce sentiment n’aura pas d’influence sur l’attitude de nos futurs dirigeants. Elle est persuadée qu’ils seront, comme les précédents, velléitaires et chimériques.  Elle s’attend à ce qu’ils lui demandent des gages sans importance, des inflexions de pure forme qu’elle s’empressera de leur concéder en échange de leur signature au bas de ses mauvais traités. Mme Merkel n’est pour autant pas dupe de la situation actuelle. Elle perçoit bien les points de faiblesse de l’Allemagne en Europe. Et les risques que ferait courir à l’Allemagne une France forte, manœuvrière, sûre d’elle-même, fédérant autour d’elle les puissances de changement qui agitent l’ensemble du continent. Mais elle repousse pour le moment cette perspective, comme on chasse un mauvais rêve. Rien, pense-t-elle, ni personne ne pourra changer le poids des habitudes. Quels hommes, quelles forces nouvelles se chargeront-ils de contredire son jugement ?
François Renié.
 
Partager cet article
Repost0
15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 23:11
Aventures extraordinaires
d'Arsène Lupin
 
de Maurice Leblanc
Mis en ligne : [16-04-2012]
Domaine : Lettres  
LEBLANC-Maurice-Aventures-extraordinaires-d-Arsene-Lupin.gif
 
Maurice Leblanc (1864-1941). est écrivain. Publications récentes : Jacques Derouard, Dictionnaire Arsène Lupin (Encrage, 2001).  
 

Maurice Leblanc, Les Aventures extraordinaires d'Arsène Lupin, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, novembre 2011, 368 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
" Le talent, le génie des malfaiteurs modernes semble prendre à notre époque, où tout se civilise, même le mal, des proportions grandioses. Qui peut se vanter d'échapper aux criminelles entreprises d'un coquin de l'envergure de celui dont le récit que nous publions expose " : ainsi commence L'Arrestation d'Arsène Lupin, la toute première aventure du célèbre gentleman cambrioleur publiée en juillet 1905 dans le magazine "Je sais tout". A l'origine, cette histoire ne devait pas connaître de suite. Mais l'accueil enthousiaste des lecteurs incite Maurice Leblanc, le père d'Arsène Lupin, à imaginer une suite, puis une autre. En quelques années, " le plus grand des voleurs " devient l'un des plus grands héros de la littérature. A travers vingt nouvelles accompagnées de leurs illustrations d'époque, les lecteurs du XXIe siècle vont découvrir, pour la première fois, l'Arsène Lupin de leurs (arrière) grands-parents, le seul, le vrai, celui publié dans Je sais tout entre 1905 et 1911. Dans ces Aventures extraordinaires, on croisera l'inspecteur Ganimard, Miss Nelly Underdown, la blonde et brune Clotilde Destange, le chef de la Sûreté Mr Dudouis, les agents de police Dieuzy et Folenfant ou Sherlock Holmes ! Le lecteur, qu'il soit lupinien averti ou non, retrouvera surtout le séduisant Arsène, ce virtuose de la cambriole, si élégant, si chevaleresque et si inoubliable.
 
Article de Delphine Peras, L'Express - novembre 2011.
Le grand retour d'Arsène Lupin. Pour le 70e anniversaire de la mort de Maurice Leblanc, les premières aventures du gentleman cambrioleur sont rééditées dans leur version d'origine. Une renaissance!  L'Arrestation d'Arsène Lupin: c'est le titre de la toute première des aventures du gentleman cambrioleur, publiée en juillet 1905 dans le sixième numéro de Je sais tout. Un mensuel créé par Pierre Lafitte, ancien journaliste sportif devenu directeur de journaux, qui prétend en faire le "roi des magazines". Il demande donc à son ami Maurice Leblanc, ancien journaliste aussi - né à Rouen en 1864 et décédé le 6 novembre 1941 - de lui trousser une histoire haute en couleur. Son héros, bien sûr, devra au moins rivaliser avec le Sherlock Holmes de Conan Doyle, déjà très célèbre au Royaume-Uni. Travail de commande, L'Arrestation d'Arsène Lupin n'appelle aucune suite. De fait, la carrière du "fantaisiste gentleman qui n'opère que dans les châteaux et dans les salons" y débute très mal: au terme d'une traversée en transatlantique, il échoue à conquérir le coeur d'une belle Américaine, perd son butin dans le port de New York et se fait menotter par son ennemi de toujours, l'inspecteur Ganimard! Mais Arsène Lupin séduit d'emblée les lecteurs de Je sais tout, qui en redemandent, et Pierre Lafitte convainc Maurice Leblanc de continuer à mettre en scène son "homme aux mille déguisements". Vingt aventures du "plus grand des voleurs", prompt à s'évader de prison, paraîtront ainsi sous la forme d'un feuilleton à rebondissements entre 1905 et 1913, assurant la bonne fortune de la revue, qui ne mégote pas sur les annonces accrocheuses - "Arsène Lupin revient!". Voici ces épisodes republiés aujourd'hui pour la première fois dans leur version initiale, avec les illustrations d'origine. "C'est un Arsène Lupin comme vous ne l'avez jamais lu !" assure Gilles Bouley-Franchitti, à l'initiative de ce très beau livre - avec le concours de l'Association des amis d'Arsène Lupin. De fait, Maurice Leblanc, dont l'oeuvre tombera dans le domaine public le 31 décembre, a réécrit, remanié et complété ces textes lors de leur réédition en romans. A commencer par Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, paru en 1907, qui reprend les neuf premiers épisodes de Je sais tout.  Il a aussi modifié le septième, Sherlock Holmes arrive trop tard: puisqu'il fallait tenir la dragée haute à Conan Doyle, à qui on eut tôt fait de le comparer, Maurice Leblanc n'a pas hésité à lui emprunter son détective. Si l'écrivain français évoque dans cette nouvelle le "grand policier anglais pour qui il n'est point de mystère" et le "plus extraordinaire déchiffreur d'énigmes que l'on ait jamais vu", il le met en échec face à son classieux vide-gousset et finit par le ridiculiser. Le procédé a si fortement déplu à Conan Doyle qu'il portera plainte. Qu'à cela ne tienne: Maurice Leblanc rebaptisera Sherlock Holmes en Herlock Sholmès et le Dr Watson en Dr Wilson! Elémentaire, mon cher Arsène...  
 
Partager cet article
Repost0
9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 14:29
Inévitable protectionnisme
 
de Franck Dedieu et alii
Mis en ligne : [9-04-2012]
Domaine : Idées 
DEDIEU-Franck-Inevitable-protectionnisme.gif
 
Franck Dedieu, né en 1972, est grand reporter au magazine L'Expansion. Il a récemment publié : 150 idées recues sur l'économie (L'Express, 2012). 
 

Franck Dedieu et alii, Inévitable protectionnisme. Paris, Gallimard, janvier 2012, 244 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Le protectionnisme est le dernier tabou des élites européennes. Malgré la violence de la crise, la suprématie du libre-échange demeure une croyance indiscutée. C’est cette interdiction de débattre que les auteurs, journalistes économiques de la nouvelle génération, ont voulu lever dans ce livre sans a priori idéologique. Le constat est cruel : l’idéologie libre-échangiste, devenue hégémonique à la fin du siècle dernier, est aujourd’hui battue en brèche par les faits. Dans les pays en développement, l’amélioration du niveau de vie, réelle dans certains cas, s’est avérée illusoire dans beaucoup d’autres. Dans les pays développés, la mondialisation a creusé des inégalités qui menacent de corroder le tissu social de nos sociétés. Le temps est donc venu pour l’Europe de définir un protectionnisme positif, européen, social et écologique, à l’opposé du nationalisme et du repli sur soi. C’est ce à quoi s’emploie cet ouvrage, qui étudie les conditions de la mise en oeuvre d’un tel dispositif et la manière dont il pourrait s’appliquer concrètement dans la vie des Européens.
 
Recension de Pierre Le Vigan. - Spectacle du Monde, mars 2012.
 Un sondage ifop réalisé en mai 2011, à l’initiative de l’association pour un débat sur le libre-échange avait montré que l’immense majorité des Français, toutes préférences partisanes confondues, était favorable à des barrières douanières autour de l’Europe. C’est que le constat ne fait plus de doute : la vieille Europe se vide de sa base productive. Les auteurs de cet ouvrage montrent que, contrairement à la théorie de Ricardo, le libre-échange, dans un monde non homogène en matière de protections sociales et environnementales, aboutit à une loi des désavantages comparatifs. C’est le triomphe du moins-disant salarial et social, au détriment à la fois de l’Europe et des pays émergents. Supposée « globalement positive » (Pascal Lamy) ou « heureuse » (Alain Minc), la mondialisation sans frontières ni écluses s’avère, au contraire, perdant-perdant. Le mérite des auteurs est triple : ils n’ont pas une vision exclusivement européocentrée ; ils ne dissimulent pas qu’il peut y avoir un mauvais usage du protectionnisme, qui serait mis au service d’un laxisme monétaire ou budgétaire ; enfin, ils envisagent divers scénarios d’une sortie du libre-échange mondial. Un ouvrage au cœur du débat.

 

Partager cet article
Repost0

 
Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
Présentation
 

Accueil

Présentation

Manifeste

Historique

Rédaction

Nous contacter

Recherche