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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 00:15
L'heure
des diktats

 

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L'Allemagne abat ses cartes. L'une après l'autre. Avec la sérénité et la tranquillité du joueur qui domine le jeu. Que la crise européenne s'accélère, comme c'est à nouveau le cas depuis quelques semaines, que les gouvernements du sud de l'Europe vacillent sous les effets de la récession, que la France elle-même commence à perdre pied, et les cartes allemandes s'abattent plus vite encore.
Après avoir forcé ses "partenaires" à voter au canon un traité qui va instaurer partout l'austérité germanique, voilà que M. Schäuble passe à l'étape suivante : celle de la mise sous tutelle des budgets nationaux et des économies de chacun des Etats-membres de l'Union. Depuis un an, le pouvoir de la Commission a pourtant été considérablement élargi, sous la pression de l'Allemagne et avec la complicité de ses hommes-liges, MM. Van Rompuy à Bruxelles, Juncker à Luxembourg et Draghi à Francfort. Le "pacte de stabilité" a été renforcé et on avance rapidement vers une union bancaire.
Mais L'Allemagne veut plus et plus vite. Elle exige maintenant de ses partenaires la nomination d'un super-commissaire européen aux finances disposant d'un vrai droit de veto sur tous les budgets nationaux. Elle s'appuie sur tout ce que la Commission ou la BCE compte d'amis ou d'obligés de Berlin, et Dieu sait s'ils sont nombreux.
Londres a  fait savoir que ce sera sans la Grande Bretagne. M. Cameron manoeuvre habilement pour tenir son pays à l'écart de la crise de l'euro et l'opinion publique britannique s'exprime de plus en plus ouvertement pour une sortie de l'Union européenne. Mme Merkel ne fera rien pour irriter les Anglais. Ses objectifs concernent la seule zone mark, ce qu'on appelle, pour quelques temps encore, l'Eurozone.
Le gouvernement français s'est lui aussi fait tirer l'oreille. Moins par souverainisme budgétaire que parce qu'il craint une bronca des parlementaires contre une mesure qu'ils vivront comme une mise sous tutelle. Qu'importe, on forcera une fois encore la main de M. Hollande et de ses ministres. En laissant entendre s'il le faut que la France est "l'homme malade" de l'Europe et qu'un quarteron d'experts allemands travaillent sans relâche sur son cas. C'est ce qui vient de se passer cette semaine et la manoeuvre a parfaitement réussie. L'opinion française s'est légitimement émue des rumeurs d'ingérence de l'Allemagne. La presse bourgeoise a obligeamment relayé l'information en incriminant "l'immobilisme" et "l'amateurisme" qui règnent au sein du pouvoir. M. Hollande a dépêché d'urgence M. Ayrault à Berlin, que Mme Merkel s'est empressé de rassurer. L'incident étant clos, les Français sont murs pour tourner casaque et accepter tous les diktats de M. Schäuble. Les prochaines semaines devraient, hélas, nous donner raison sur ce point !
Ce qui semble surtout inquiéter l'Allemagne, c'est la dégradation du climat social en Europe. Elle ne veut à aucun prix d'un mouvement de grande ampleur qui forcerait les gouvernements de la zone euro à changer de cap économique, sous la pression de la rue. On a vu le 14 novembre que si la contestation prenait de l'ampleur, c'était surtout dans les pays d'Europe du sud, que l'Allemagne veut chasser de la zone euro. Quelques manifestations à Paris et à Bruxelles, rien à Londres et à peu près rien en Allemagne, en Scandinavie et dans les pays de l'est. Mais rien ne dit que le mouvement ne va pas faire progressivement tache d'huile du sud vers le nord, sous l'effet de la récession qui gagne. Raison de plus pour hâter les choses et les rendre  irréversibles, pense sans aucun doute M. Schäuble. L'heure des diktats est arrivé. Celle des superviseurs, des contrôleurs et des sanctions ne devrait plus tarder.
François Renié.
 
Mardi 16 octobre
- Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, propose de renforcer les pouvoirs du commissaire européen à l'économie en lui donnant un droit de veto sur les budgets nationaux. Cette proposition, qui séme le trouble à la veille du Conseil européen, est immédiatement soutenue par le directoire de la Banque centrale européenne et par certains secteurs de la Commission.
Mercredi 17 octobre
- Le gouvernement britannique décide de faire jouer sa clause d'exemption lui permettant de sortir de la politique européenne de coopération policière et judiciaire. Le Royaume uni précise qu'il pourrait rejoindre cette coopération, dans un deuxième temps, mais sur les seuls domaines qui relèvent de "l'intérêt national" britannique.   
Jeudi 18 octobre
- A la veille du Sommet de Bruxelles, François Hollande déclare : "Sur la sortie de la zone euro, nous en sommes près, tout près. Parce que nous avons pris les bonnes décisions au sommet des 28 et 29 juin et que nous avons le devoir de les appliquer rapidement. D'abord en réglant définitivement la situation de la Grèce, qui a fait tant d'efforts et qui doit être assurée de rester dans la zone euro". 
Vendredi  19 octobre
- Le Conseil européen de Bruxelles s'achève sur un échec. La supervision bancaire souhaitée par la France, ne sera effective au mieux qu'en 2014. L'Allemagne remet officiellement sur la table la désignation d'un super-commissaire européen chargé des questions économiques et budgétaires. M. Hollande met officiellement les divergences franco-allemandes sur le compte du "calendrier électoral en Allemagne". 
Jeudi 25 octobre
- Le ministre des finances grec, M. Yannis Stournaras, annonce que son pays a impérativement besoin de 16 à 20 milliards d'argent frais et de deux ans de délai de remboursement supplémentaire s'il veut éviter la faillite. La troïka impose, au préalable, au gouvernement grec de faire voter un nouveau paquet de 89 réformes structurelles.
- Les syndicats grecs, espagnols, portugais et italiens annoncent une journée de grève générale le 14 novembre. La Conférence européenne des syndicats, qui rassemble 85 organisations dans 36 pays européens, propose de faire  du 14 novembre une journée d'action européenne contre l'austérité.  
Vendredi 2 novembre 
- De premières rumeurs concernant l'inquiétude de Berlin sur la situation économique de la France commencent à courir dans la presse populaire allemande. Le quotidien "Bild-Zeitung" titre : "La France est-elle la nouvelle Grèce ?"
Lundi 5 novembre
- Le Premier ministre grec, M. Antonis Samaras et son allié socialiste, M. Evangélos Venizelos, brandissent à nouveau la menace d'une sortie de l'euro, si le parlement n'approuve pas en urgence le nouveau plan de rigueur réclamé par la troïka. Selon de récentes projections d'Athènes, la dette du pays pourrait atteindre 207,7 % de son PIB, alors que l'accord avec les créanciers prévoyait de ramener ce ratio à 120 % en 2023.
Mardi 6 novembre 
- La plupart des journaux français pronostiquent une faillite à court terme de la Grèce. Selon Les Echos : "Cette fois, si la Grèce fait faillite, ce ne sont pas les banques qui seront en première ligne, mais les créanciers publics qui détiennent désormais près de 200 milliards de dette grecque." . 
Vendredi 9 novembre
- Selon un sondage Yougov réalisé au Royaume uni, en Allemagne et en France, en cas de référendum, 49% de Britanniques voteraient pour une sortie de l'Union, contre 28% seulement pour un maintien. Les Allemands seraient 25% à demander une sortie (contre 57% pour le maintien) et les Français 32% (contre 43%).
- Alors que plus de 100.000 manifestants défilent dans les rues d'Athènes, le parlement grec adopte le plan de rigueur exigé par la troïka d'une très courte tête (153 voix alors que la majorité est de 151 voix). Six députés du Pasok et un député de droite ont été exclus de leurs partis pour avoir voté contre le plan.   
Lundi 12 novembre
- Selon le quotidien "Die Zeit" et l'agence Reuters, le ministre des finances allemand aurait commandé aux cinq experts économiques chargés de conseiller le gouvernement un plan de réformes pour la France. L'opinion publique française réagit très négativement. Le président de la République annonce, sans réagir à cette information,que le Premier ministre se rendra à Berlin jeudi 15 novembre.
Mercredi 14 novembre
- Alors que de nombreux économistes dénoncent l'échec tragique des plans de sauvetage de la Grèce, l'Eurogroupe confirme que les 31 milliards d'euros dont Athènes a un besoin urgent ne pourront pas être versée avant fin novembre. La récession annéantit tous les efforts de la Grèce pour retrouver l'équilibre de ses finances publiques et la dette atteindra 190% du PIB en 2014. 
- des millions de salariés sont descendus dans la rue à Athènes, Madrid, Libonne et en Italie pour dénoncer la politique d'austérité imposée par l'Allemagne et la Commission de Bruxelles. Les manifestations ont été émaillées de nombreux incidents avec les forces de l'ordre. A Rome, à Naples, à Milan, à Pise et à Turin, de violentes échauffourées ont eu lieu entre la police et des groupes de manifestants très organisés et décidés à en découdre.
Jeudi 15 novembre
- Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en visite à Berlin estime qu'entre la France et l'Allemagne, "la compréhension n'est pas suffisante en ce moment et que les deux pays doivent encore plus parler ensemble". Bien que les articles se soient multipliés ces derniers jours dans la presse allemande pour décrire la France comme l'"homme malade de l'Europe", M. Ayrault n'a que peu réagi à ces critiques. La chancelière allemande a profité de cette visite pour encourager son hôte français dans ses efforts en matière de compétitivité. Elle a à nouveau évoqué la question d'un contrôle renforcé des budgets nationaux par Bruxelles. 

 

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 21:16
La leçon de Florange
 
Lorsque les socialistes sont au pouvoir, la question n'est pas de savoir s’ils vont tenir leurs promesses mais quand ils vont y renoncer. En 1983, il leur avait fallu un peu plus de deux ans pour prendre le « tournant de la rigueur » et passer du « changer la vie » aux sirènes de Bruxelles et du patronat. En 1989 avec M. Rocard, comme en 1997 avec M. Jospin, l’état de grâce avait duré moins d’un an, après quoi l’on avait libéralisé et privatisé à tour de bras. M. Hollande fait encore plus fort : six mois à peine après l’élection présidentielle, il ne reste à peu près rien de ses promesses, ni sur l’Europe, ni sur l’Allemagne, ni sur les retraites, ni sur la jeunesse. Et comme aux pires moments du mitterrandisme, voilà qu’on déverse l’argent public à pleines poignées, au nom d’une compétitivité illusoire, dans les poches de grands patrons qui n’auront jamais été aussi avides, aussi nuls et aussi arrogants.
Mais ce qui vient de se passer à Florange dépasse toutes les bornes. Que les socialistes oublient leurs engagements, passe encore, mais qu’ils le fassent aussi sciemment, avec la parfaite bonne conscience des gens qui n’ont rien à se reprocher, montre que la situation du pays leur échappe totalement. Ce soir, avec la Lorraine, c’est toute la France industrielle qui est en état de choc. La reculade de Florange renvoie un écho terrible à Gémenos chez Fralib, à Saint-Nazaire chez STX France, à Rouen chez Petroplus, à Revin chez Electrolux, à Angers chez Thomson, à Toulouse chez Sanofi et chez tous ceux qui se battent chaque jour, dos au mur et la rage au ventre pour défendre leur emploi et sauvegarder leur usine. Ce soir, ce sont des millions de salariés qui se sentent floués par les mensonges, les bassesses, la lâcheté de ceux qui sont censés nous gouverner et qui, en réalité, ne comprennent plus rien et ne dirigent plus rien.
Oui, il y a eu mensonge et mensonge d’Etat. Depuis des mois, on a volontairement trompé les métallos et les élus lorrains sur les vraies intentions du gouvernement. En dépit des engagements du candidat Hollande, des rodomontades de M. Montebourg, des assurances de M. Ayrault, jamais, au grand jamais, le pouvoir ne s’est donné les moyens d’affronter le trust Mittal et de faire triompher l’intérêt collectif. On a parlé des mois durant d’une loi de réquisition industrielle. Où en est-elle ? Nulle part. On a agité l’hypothèse d’une nationalisation - au point de donner des vapeurs à cette pauvre Mme Parisot – avant de prétendre qu’elle exposerait l’Etat à des risques juridiques. Lesquels ? Mystère. On a soutenu que l’Etat ne saurait pas gérer la sidérurgie, alors qu’il l’a géré pendant des lustres, via le corps des mines. Qui craint-on ? A qui a-t-on peur de déplaire ? A Bruxelles ? A Londres ou à Francfort ? Ou au patronat méprisable [1] qui a pris fait et cause depuis des mois pour le grossium Mittal, contre ses salariés français !
Oui, le pouvoir s’est conduit avec bassesse et avec lâcheté. On a entretenu l’espoir des salariés de Florange pendant toute la campagne électorale, on leur a fait les mêmes fausses promesses que M. Sarkozy vis-à-vis de ceux de Gandrange. Les élections gagnées, on les a reçus, à grand renfort de presse, en leur assurant qu’ils n’avaient plus rien à craindre. Comment oublier les extases de Mme Filipetti devant les métallos de Florange venus fêter son entrée au gouvernement ? Et les visites sur place, très médiatiques, de M. Montebourg ? Qui pouvait imaginer que le pouvoir continuait à discuter avec M. Mittal ? Que tout en flattant les uns, on cajolait les autres ? Les rumeurs de nationalisation, allègrement colportées dans les médias, n’étaient que de la poudre aux yeux. En réalité, on négociait depuis des semaines sans illusions la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. Quant aux fameux repreneurs de M. Montebourg, à supposer qu’ils existent, gageons qu’ils rient encore du rôle qu’on leur aura fait jouer !
Les socialistes auraient tort de penser que ce dossier sera sans suite. La reculade de l’équipe Hollande va faire le tour du monde et on peut compter sur M. Mittal pour populariser l’image des piètres négociateurs qu’il a eus en face de lui. En France, les effets ne seront guère meilleurs. Les syndicats, qui ont fait confiance à M. Montebourg, ont perdu la face dans le dossier lorrain. Nul doute qu’ils ne fassent, à un moment ou un autre, payer l’addition au pouvoir, notamment si M. Mittal devait s’amuser à ne pas tenir le peu d’engagements qu’il a pris. Florange renvoie également aux salariés l’image d’un Etat irrésolu, velléitaire, et in fine impuissant à assurer leur défense. Voilà qui n’est pas de nature à améliorer un climat social déjà très lourd. Faute d’arbitre, de voie de recours crédible, ne risque-t-on pas de voir les conflits sociaux se radicaliser et la tentation de la violence gagner du terrain, au moment même où le chômage atteint chez nous des niveaux inégalés ? En choisissant la voie de la capitulation à Florange, le pouvoir a-t-il pris conscience du vent qu’il a semé et de la tempête qu’il risque de récolter ?
Pour le chef de l’Etat et son Premier ministre, ce dossier sera sans doute oublié dans quelques jours. Il est vrai que leurs cotes de popularité auprès des ouvriers peuvent difficilement descendre en dessous des niveaux où elles sont actuellement ! M. Hollande a clairement fait une croix sur la gauche populaire et il attend le moment propice pour provoquer une alliance à l’allemande entre un centre présentable et une social-démocratie décomplexée. Mais les vrais socialistes – car il en reste quelques-uns? Qu’ont-ils à gagner dans cette affaire ? Et M. Montebourg ? Peut-il rester au gouvernement après un pareil camouflet ? Ses premières explications, hier soir, étaient très embarrassées. Après PSA, après Petroplus, et maintenant après Florange, il ne lui reste plus beaucoup de temps pour tirer les conséquences de ses échecs et abandonner le navire de M. Hollande avant qu’il n’entre dans les eaux de MM. Borloo et Bayrou. Pour M. Montebourg, le courage, c’est maintenant !
Que l’on prenne bien garde à la leçon de Florange. Elle illustre ce que nous disons ici même depuis des mois : la question sociale a fait son retour en France [2] et c’est autour de cette question sociale que va s’opérer la recomposition du paysage politique français. Qu’on le veuille ou non, c’est elle qui est à l’origine de la montée du Front national, dans une France industrielle où les hommes, les territoires se sentent repoussés aux marges de notre histoire. C’est elle qui travaille depuis des mois la droite républicaine, jusqu’à provoquer, comme on l’a vu ces derniers jours, la scission entre une aile bonapartiste, populiste, revendicative et une aile européiste, libérale, à l’aise dans la mondialisation. Les mêmes mouvements, les mêmes ruptures menacent la gauche de gouvernement. Qu’une partie de ses troupes, effrayée par la montée du chômage, lassée par l’échec des politiques libérales, inquiète des conséquences d’une guerre classe contre classe, fasse dissidence et « l’arc républicain » s’effondrera. C’est alors qu’en France, tout redeviendra possible.
Hubert de Marans.  
 

[1]. L’odieuse campagne médiatique déclenchée depuis 10 jours par le grand capital « français » contre la nationalisation du trust Mittal a du ouvrir les yeux de ceux qui gardaient quelques illusions sur le MEDEF de Mme Parisot. On murmure, qu’en interne, les patrons patriotes sont au bord de la révolte. A défaut de nationaliser Mittal, pourquoi ne demandent-ils pas à Montebourg de nationaliser le MEDEF ?
[2]. On se référera notamment aux chroniques de notre ami Henri Valois : « Révoltes ouvrières » (1) à (28).  
 
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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 22:56
La France 
qui se bat...        

 

Florange-arcelorMittal-occupation.jpg
 
Mardi 2 octobre
- La multinationale ArcelorMittal confirme son intention de fermer les hauts-fourneaux de Florange. Elle accorde deux mois au gouvernement français pour trouver un repreneur, tout en limitant le périmètre de cession aux activités les moins rentables du site. Alors que les syndicats réclament une nationalisation des activités françaises de Mittal, le gouvernement atermoie et M. Montebourg se lance dans la chasse au repreneur.
- Plus de la moitié de la production de lave-vaiselle de l'usine FagorBrandt de La Roche-sur-Yon (Vendée) va être délocalisée en Pologne. L'actionnaire de l'entreprise, le groupe espagnol Fagor, assure que le site vendéen conservera les produits à haute valeur ajoutée. Les syndicats craignent la fermeture progressive du site, qui emploie 350 salariés.
-Mercredi 3 octobre
- La direction française d'ArcelorMittal assure que "la solution la plus réaliste est de fermer les hauts-fourneaux de Florange". Aucun délai supplémentaire, au-delà de deux mois, ne sera accordé au gouvernement pour trouver une solution de reprise. Un "plan social exemplaire" est annoncé en cas d'échec des tentatives de M. Montebourg. Les syndicats refusent toute discussion sur ce plan.
Jeudi 4 octobre
- Plusieurs milliers de salariés de Sanofi manifestent devant le siège du groupe pour protester contre les restructurations boursières. Convoqué par Arnaud Montebourg, le directeur général de Sanofi se fait rappeler à l'ordre. Sous la pression des élus locaux et des syndicats, Sanofi ramène son plan à 900 suppressions de postes et le site de Toulouse, qui emploie 600 chercheurs, pourrait être sauvegardé.
- Lors d'une table ronde sur la revitalisation du site Fralib de Géménos, la direction d'Unilever refuse de s'engager sur une cession des marques et un volume de sous-traitance confiée à la nouvelle unité de production que les salariés souhaitent mettre en place sous la forme d'une SCOP. Arnaud Montebourg confirme aux syndicats de Fralib qu'une "réquisition" de la marque serait illégale. 
- La négociation s'ouvre entre syndicats et patronat sur "une meilleure sécurisation de l'emploi". Le chef de l'Etat, M. François Hollande appelle à un "compromis historique" entre les partenaires sociaux. Le MEDEF ne cache pas qu'il en attend surtout une plus grande flexibilité du marché du travail.
Vendredi 5 octobre
- L'usine Nobelautomotive de Vitry-le-François, filiale du holding turc Orhan, devrait supprimer 200 des 364 emplois que compte le site. Les syndicats et les élus, qui en appelent au gouvernement, s'inquiètent de voir la production partir vers les pays de l'est. 
Vendredi 12 octobre
- Le tribunal de commerce de Nanterre place en liquidation judiciaire la société Thomson Angers, filiale du groupe Technicolor. Aucune offre de reprise n'aura permis de relancer cette usine de décodeurs numériques qui emploie 350 salariés. Les employés de Technicolor mettent en cause les mauvaises décisions prises par leur direction, et notamment la perte en octobre dernier du marché des décodeurs France Télécom. 
Lundi 15 octobre
- Les syndicats du chantier naval STX France sortent déçus de leur rencontre avec Arnaud Montebourg. Ils trouvent le gouvernement peu motivé à défendre l'avenir de l'entreprise qui emploie 2100 salariés à Saint-Nazaire et dont le carnet de commandes est en chute.
Mardi 16 octobre
- Les salariés de l'usine Iveco-Camiva de Saint-Alban-Leysse (Savoie) refuse le plan social proposé par leur actionnaire, le groupe italien Fiat. Le site, qui emploie 171 salariés dans la fabrication de véhicules de lutte contre les incendies, est en cours de fermeture. Les syndicats appelent au débrayage et au blocage de l'usine. 
Mercredi 17 octobre
- La commission exécutive de la CGT désigne Thierry Lepaon comme futur secrétaire général de la confédération. Le Comité confédéral national (CCN) devrait entériner ce choix les 6 et 7 novembre prochain avant que Thierry Lepaon ne soit formellement élu au congrès de Toulouse, en mars 2013. M. Lepaon, 52 ans, ancien délégué CGT de Moulinex, est un partisan de la ligne réformiste imposée par Bernard Thibault.
- La crise est ouverte à la CGC. A six mois du congrès confédéral, la rupture est consommée entre M. Van Craeynest, président sortant, candidat à un troisième mandat, et la moitié des fédérations qui pourraient se ranger derrière la candidature de Mme Couvert, l'actuelle numéro deux de la centrale.
- Après l'annonce en août dernier, de la fermeture de l'usine de glaces Pilpa de Carcassonne, les salariés attaquent en justice leur employeur, le groupe anglais R&R, pour insuffisance du plan social. Les 124 employés de Pilpa ont pris contact avec l'Etat et la Région qui cherchent un repreneur.
Jeudi 18 octobre
- Le groupe néerlandais Philips annonce la suppression de 55 emplois dans son usine de Chartres qui emploie près de 400 salariés. La direction table sur le volontariat et espère pouvoir éviter tout licenciement. Cette mesure découle du plan du groupe qui veut économiser plus d'un milliard d'euros sur ses coûts de production en 2013.
- Sicli, leader français des extincteurs et filiale du groupe américain UTC, annonce la suppression de 96 postes sur 154 dans son usine de Saint-Florentin (Yonne). Les salariés dénoncent la stratégie d'UTC qui engrange des bénéfices importants en Europe et qui cherche à délocaliser sa production dans des pays à bas coût de main d'oeuvre.
Mardi 23 octobre
- Le groupe suédois d'électroménager Electrolux annonce son intention de céder ou de fermer son usine de lave-linge de Revin (Ardennes).  Le site emploie 419 salariés dans une zone très fortement touchée par la désindustrialisation. La totalité du personnel s'est immédiatement mis en grève illimitée et a recu le soutien des élus locaux, du département et de la Région.
- Dans le baromètre CSA-Les Echos, la cote de confiance du chef de l'Etat auprès des ouvriers passe en cinq mois de 64% à 34%. C'est dans cette catégorie que François Hollande enregistre désormais ses plus mauvais scores. Jean-Marc Ayrault recule, quant à lui, de 60 à 38%. 
- Le groupe d'ameublement Cauval pourrait fermer deux de ses filiales, situées en Ile de France et dans l'Aube et spécialisées dans la fabrication de canapés. 530 emplois seraient menacés sur un total de 4600 salariés chez Cauval.
Mercredi 24 octobre
- Un comité d'entreprise exceptionnel se réunit chez PSA pour évoquer le plan social qui prévoit  8000 suppressions de postes au niveau du groupe et la fermeture du site d'Aulnay. Le dialogue de sourd se poursuit entre le constructeur automobile, les syndicats et les pouvoirs publics. Arnaud Montebourg organise dans la foulée une réunion tripartite qui ne débouche sur aucune annonce. 
- Une délégation de salariés du groupe Presstalis est reçue au ministère de la culture et de la communication pour évoquer le plan de restructuration du distributeur de presse, qui prévoit 1250 suppressions d'emplois sur un total de 2500. Le syndicat CGT du Livre, majoritaire, proteste contre le contenu des mesures sociales proposées par le groupe et en appelle à l'arbitrage du gouvernement.
- Le liquidateur judiciaire de l'usine Thomson d'Angers assigne en justice Technicolor pour obtenir le financement d'un plan social au bénéfice des 350 salariés licenciés.
- Plus de 300 emplois sont en danger chez le constructeur vendéen de semi-remorques Seg-Samro, placé en liquidation judiciaire. La direction recherche un repreneur et pourrait annoncer le 23 novembre prochain le nom du nouvel actionnaire.
Jeudi 25 octobre
- Progression sans précédent du chômage en septembre. La France compte plus de 3 millions de demandeurs d'emploi de catégorie A (n'ayant pas travaillé dans le mois) et plus de 4,5 millions d'inscrits à Pôle emploi.
Vendredi 26 octobre
- Sous la pression des salariés et de la justice, Technicolor accepte de négocier un plan social pour indemiser ses anciens salariés d'Angers. L'entreprise obtient du tribunal un délai de 15 jours pour finaliser l'accord avec les salariés, qui porterait sur environ 30 millions d'euros.  
Lundi 29 octobre
- En visite à Annecy, le ministre de l'économie sociale, M. Benoit Hamon, apporte son soutien aux salariés de la SET qui veulent reprendre leur entreprise sous forme de SCOP. SET, qui fabrique des composants micro-électroniques à Saint-Jeoire-en-Faucigny (Haute Savoie), est en redressement judiciaire depuis le 27 avril. Le groupe américano-singapourien Kulicke & Soffa a également déposé une offre de reprise, sans garantir, aux yeux des salariés, le maintien de l'activité en France.
Mardi 30 octobre
- Le groupe suédois Cycleurope annonce son intention de se désengager de son usine de vélos de Machecoul (Loire Atlantique) qui emploie 250 salariés. Les syndicats mettent en avant la stratégie de la grande distribution qui abaisse continuellement ses prix et s'approvisionne à l'étranger. Un repreneur est recherché. 
Henri Valois.
 
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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 13:01
Vent du sud
 
Un vent de révolte se lèverait-t-il enfin sur l’Europe ?  Le 14 novembre prochain, dans les trois pays européens les plus durement touchés par la crise, un grand mouvement de grève générale se dessine. Les salariés grecs, espagnols et portugais descendront dans la rue le même jour pour protester contre les politiques d'austérité et de récession qui saignent leurs pays à blanc. Signe des temps, la Confédération européenne des syndicats (CES), qui se situe pourtant d'ordinaire sur une ligne très réformiste, a décidé d’appuyer le mouvement en décrétant une journée d’action européenne ce même 14 novembre. Rien d’étonnant à tout cela. On sentait depuis plusieurs semaines la colère monter dans les rues des grandes capitales européennes. Le 15 septembre, en Espagne et au Portugal, une journée commune de protestation, rassemblant des masses impressionnantes, a rapidement tourné à l’émeute. Le 9 octobre, 30 000 personnes ont manifesté à Athènes contre la venue de Mme Merkel, en débordant là encore la police. Au cri de « Dehors, le IVe Reich », des salariés très en colère pendaient l’effigie de M. Schaüble, l’ennemi des Grecs, le chien enragé de la CDU allemande. Le 21 octobre, à Londres et à Rome, des centaines de milliers de manifestants défilaient derrière les banderoles des syndicats en conspuant allègrement MM. Cameron et Monti, Mme Merkel et les gouvernements aux mains des banques. Le 12 novembre, deux jours avant la grève générale, ce sera au tour de la jeunesse portugaise de protester contre la venue à Lisbonne de la chancelière allemande. Elle sera, nous dit-on, bien reçue !
Il faut se féliciter de la tournure politique que prennent les évènements. Pour des millions de salariés européens, l'heure n'est plus à la protestation ni à l'indignation, elle est à l'action. Les manifestants de Madrid, de Rome ou d’Athènes n'hésitent plus à pointer du doigt les coupables, les responsables, ceux qui, au niveau de chacun des pays ou à l’échelle de l’Europe toute entière, organisent la récession, ouvrent les vannes du chômage, fragilisent les droits sociaux au nom du libéralisme, de la compétitivité et du sauvetage de l’euro. Leur colère a désormais un visage, des visages : celui de Mme Merkel, ceux des hobereaux arrogants du gouvernement allemand, ceux de MM. Draghi, Barroso, Juncker, Van Rompuy ou Monti, tous les exécutants zélés des mauvaises médecines décidées à Bruxelles, à Francfort et au FMI, par les amis des banques et des marchés. D’où l’inquiétude d’une partie des dirigeants politiques face à ce qui commence à ressembler à une lame de fond. Et en premier lieu des sociaux-démocrates. On comprend mieux pourquoi le parti socialiste portugais, par la voix de son secrétaire général M. Seguro, vient de prendre ses distances avec le gouvernement libéral de Lisbonne et sa ligne « austéritaire ». On comprend mieux pourquoi, à Rome, les socialistes et les démocrates de gauche s’apprêtent à lâcher M. Monti, après avoir été son meilleur soutien. On s'explique mieux pourquoi en Espagne et en Grande Bretagne, l’opposition de gauche donne subitement de la voix. Les citoyens et les électeurs, que l’on cherche à l’évidence à récupérer, seront-ils dupes de ces volte-face ? Rien n’est moins sûr. Quand à ceux qui pensent que l’Europe irait mieux si elle était entièrement de gauche, ils ont perdu, eux aussi, beaucoup crédibilité. Ce n’est pas un hasard si M. Mélenchon ne fait plus recette à Paris et si M. Tsipras, le chef de la gauche radicale grecque, s’est fait sifflé en défilant dans les rues d’Athènes bras dessus, bras dessous avec les responsables allemands de Die Linke ! La stratégie du Front de gauche européen a, elle aussi, fait long feu. 
Si la France n’est pas encore entrée dans le mouvement, c'est que M. Hollande a bénéficié jusqu'à la rentrée de septembre d'un certain état de grâce. On voulait croire qu’il tiendrait ses engagements et qu’il saurait tenir tête à Mme Merkel. Cet "effet Hollande" est maintenant terminé: le passage en force du traité européen, les reculades de M. Montebourg, la farce du « choc de compétitivité », l’alignement du gouvernement sur les discours du patronat viennent de faire tomber les masques. En moins d'un mois, l'exécutif a vu sa cote de popularité s'effondrer chez les ouvriers et les employés. De là à ce que cette désaffectation embraye sur un mouvement social de grande ampleur, il y a encore de la marge. Les syndicats avancent, depuis des mois, en ordre dispersé. Ils sont très divisés sur la stratégie à suivre, entre ceux qui, il y a quelques semaines encore, faisaient confiance au gouvernement et ceux qui, dès le départ, savaient à quoi s'en tenir. La succession de M. Thibault à la tête de la CGT et celle de M. Chérèque à la CFDT ont beaucoup occupé les esprits. En parallèle, les centrales se sont laissées entrainer par le gouvernement dans une négociation sur la réforme du marché du travail dont ils découvrent seulement aujourd'hui qu'elle ne débouchera sur rien. La CGT et FO semblent enfin décidés à sortir de ce piège et à reprendre une attitude plus offensive. Mais il leur faudra du temps pour convaincre les autres confédérations de quitter la table des négociations et de relancer la dynamique intersyndicale, mise en sommeil après l'échec du conflit sur les retraites.
Tout dépendra également de la combativité des salariés français. Celle-ci ne fait aucun doute lorsqu'on examine avec attention ce qui se passe sur le terrain social. A Florange, chez Fralib, chez Petroplus, chez Goodyear, dans tous les conflits qui ont marqué la fin de l’ère Sarkozy, la mobilisation des employés, des syndicats, des élus locaux est totale. Il en est de même chez Sanofi, chez PSA, chez Electrolux, chez Doux ou chez Alcatel, et dans tous ces sites touchés par des  plans sociaux, dont la liste s'allonge de jour en jour. Les coups d’esbrouffe de M. Montebourg ont choqué beaucoup de monde. Son dialogue ambigü avec les dirigeants d’ArcelorMittal et de de PSA, son incapacité à mettre en place les mesures promises pour lutter contre les licenciements boursiers ont achèvé de décrédibiliser l'exécutif. Mais cela n'a entamé en rien la détermination de ceux qui se battent à sauvegarder leur emploi et leur outil de travail. A ceux là, à tous ceux là, les prochains défilés d’Athènes, de Lisbonne et de Madrid devraient donner des ailes.

Henri Valois.
 
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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 23:04
 
 
le fleuve
 
 
 
Avec midi,
Solitaire, tu resplendis ;
le silence à tes bords gagne jusqu'aux oiseaux.
J'ai surpris ton frémissement
quand la lune vient se baigner à tes roseaux.
Mais dans le matin tournoyant
peut-être encore es-tu plus beau !

Parmi les chênes,
les pins
Et les dunes mouvantes,
jamais il ne s'achève, ton destin :
la source chante
là-haut, dans la montagne,
sans fin.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 
angelus
 
 
 
J'aime les cloches, le matin,
dans les branches des peupliers.
J'aime les cloches, chantent mes coqs,
et brille le coq de mon clocher.
Les coqs chantent, chantez beaux coqs !
Vers l'aube, l’aurore, l'espoir peut-être.
Qu'en sais-je, qu'en savons-nous ?
Plus que le chant du coq,

vive l'alouette et son tireli,
vive l'alouette !
Mais Frère Jacques, dormez-vous ?
Sonnez les matines!
Cloches, clochettes, clarines.
l'alouette s'envole,
vole avant l’Angelus
L’Angelus du matin.
J'aime les cloches, le matin.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 
trinacrie
 
 
 
Là-bas, sur les plages mandchoues,
au bout du Transibérien,
Cendrars a rencontré Sindbad le Marin.
Moi j'ai peur de la neige
Et je ne connais point la fleur du caoutchouc.
Je ne quitterai pas la belle Trinacrie
où des déesses brunes passent en des carrioles peintes,
et sur la mer couleur de raisin
le soleil est un bouquet de roses.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 

sirene.jpg

 
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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 09:57
Colonies, un
héritage français
 
 
RIOUX Jean-Pierre La France coloniale

 

HISTOIRE
La France coloniale
sans fard ni déni
.
Jean-Pierre Rioux.
André Versaille.
Septembre 2011.
192 pages.
 

 
Jean-Pierre Rioux, né en 1939, est un des meilleurs spécialistes de l'histoire de la France contemporaine. Directeur de recherche au CNRS puis inspecteur général de l'éducation nationale, il contribue à de nombreuses publications et donne des chroniques régulières au quotidien La Croix. Il a récemment publié : La France perd la mémoire. (Perrin, 2006), Les Populismes. (Perrin, 2006), De Gaulle et l'Algérie. (De Vive Voix, 2010), Les Centristes. (Fayard, 2011).
 
Présentation de l'éditeur.
Dans le contexte actuel, et face aux assauts des lois mémorielles et des interrogations sur l'identité nationale, il s'agit, à propos de la colonisation française, de dire le plus vrai qu'il est possible, sans soupçons ni remords. Aujourd'hui, il n'est pas plus question de se contenter de refaire le procès du colonialisme ou d'un "système" colonial, que de glorifier une "épopée" : il s'agit de tenir compte des interpellations du présent et d'affirmer qu'en effet une France "coloniale" a existé, et qu'elle a une légitimité à l'instar de la France "rurale", "urbaine", "politique" ou "culturelle". Faire ici de l'histoire exige de rappeler ce que la France a entendu aux XIXe et XXe siècles par "colonies" et "colonisation", et ce qu'il en a été en intentions comme en actes : qu'impliquait le rêve de Jules Ferry ? Comment évaluer l'action de De Gaulle en outre-mer ? Pourquoi la décolonisation fut-elle manquée en Algérie ? Etc. Mais il s'agit également (pour rendre compte des avancées de la recherche en histoire) de dresser un inventaire, aussi large et rigoureux que possible, sans nullement prétendre contribuer à l'établissement de vérités ou d'une histoire officielles.  Il est temps pour la France de s'examiner elle-même au miroir colonial. Et de se poser, au présent et au futur, des questions restées en souffrance depuis trop longtemps : que faire de ce passé ? Quel avenir pour tous ceux qui sont venus d'outre-mer ? En réfléchissant à la France coloniale de Ferry à de Gaulle, en passant par Alger, Jean-Pierre Rioux ouvre largement les débats difficiles mais essentiels auxquels les Français du XXIe siècle sont confrontés.
     
Le point de vue de La Revue Critique.  Est-il enfin possible de parler de l’histoire coloniale de la France de façon objective, ou, tout du moins, d'une manière apaisée ? En oubliant un instant les souvenirs sanglants, les postures idéologiques des uns ou des autres, la pression des lobbys mémoriels ? Jean-Pierre Rioux, qui nous a donné il y a cinq ans un remarquable Dictionnaire de la France coloniale, s’y est essayé et le résultat est plus que convaincant. Les quinze articles qu’il a réunis dans cet essai donnent un aperçu très complet de ce que fut l’Empire français, ses origines, son organisation économique et politique, la puissance toute relative du fameux parti colonial, les attitudes des milieux politiques et intellectuels ainsi que les variations d’une opinion publique, parfois enthousiaste mais le plus souvent indifférente au sort de nos territoires lointains. Il en ressort que le colonialisme à la française fut une affaire assez singulière. Contrairement à la Grande Bretagne, pour qui puissance et empire sont liés, il n’y eut jamais chez nous ni de grand dessein ni même d’idée coloniale. Comme le souligne Jean-Pierre Rioux, il y eut une France colonisatrice, une France colonialiste, une France colonisée, mais pas à proprement parler de politique coloniale. L'expansion outre-mer a consisté la plupart du temps en « un mélange de coups de tête et de coups fourrés, de pressions et d’immobilisme, une affaire de réseaux et de groupes de pression ». L’Empire français n'est ni le résultat d'un calcul politique, ni l'expression positive de la volonté d'un homme ou d'un groupe d'hommes. Il trouve ses origines dans un désastre, celui de la guerre de 1870. Pour la IIIe République, l’expansion outre-mer est d’abord conçue comme une sorte de dérivatif à la défaite militaire. C’est l’occasion pour la France d’oublier l’Europe et, pour le régime, de redorer son blason par des victoires rapides et faciles. C’est aussi l’occasion de changer d'adversaire, d’oublier la Prusse victorieuse et de retrouver notre vieille rivalité avec l'Angleterre. Les milieux nationalistes regardent d'ailleurs d’un mauvais œil ces expéditions militaires qui détournent la France du seul combat qui vaille, celui de la Revanche. Quant à l’opinion publique, si elle s’enthousiasme au départ pour nos faits d’armes en Afrique ou en Indochine, c’est davantage par patriotisme que par esprit impérialiste. Les républicains, eux-mêmes, sont mal à l’aise avec la colonisation. Pas question de recourir aux arguments mercantiles. Ferry invoque la vocation civilisatrice et universelle de la France et c'est l'antienne que tous les gouvernements reprendront pendant près d’un demi-siècle, y compris ceux du Front populaire. Ce mélange de patriotisme et de mauvaise conscience sera à l’origine des drames qui marqueront la décolonisation. Si, dès la fin du deuxième conflit mondial, l’Angleterre se replie en bon ordre et transforme son empire en une vaste zone de coprospérité, le Commonwealth, la France s’accroche à son mirage coloniale et chacun de ses reculs se transforme en tragédie. La IVe République essaiera de sauver l’héritage de la IIIe, mais sans vraiment s’en donner les moyens, ni au plan militaire, ni au plan diplomatique. L'opinion publique, d’abord indifférente, lachera le régime lorsque la guerre d'Algérie prendra la forme d'une guerre civile. Il faudra attendre le retour au pouvoir du général de Gaulle pour que le drame prenne fin et pour que la France sauve, mais à quel prix, son influence en Afrique, en Asie de l’est et dans le monde arabe. Le dossier colonial s’est-il refermé avec les années 60 ? Non, répond Jean-Pierre Rioux. Une grande partie des immigrés qui vivent en France sont des descendants de colonisés et les questions qu’ils soulèvent – intégration, nationalité, citoyenneté, communautarisme, revendications mémorielles – sont parmi les plus brulantes qui se posent à nous aujourd’hui. La république, qui n’a su vraiment ni coloniser, ni décoloniser, saura-t-elle y répondre ? Rien n’est moins sûr. jacques darence.
 
Entretien avec Jean-Pierre Rioux. - Royaliste, 5 mars 2012.
Colonisation, un projet dérivé. Historien, auteur de nombreux ouvrages, invité à plusieurs reprises à s’exprimer dans nos colonnes, Jean-Pierre Rioux a voulu sortir du champ polémique la question coloniale qui hante nos mémoires et qui marque le présent puisque de nombreux immigrés ou anciens immigrés viennent de l’ancien empire français. Sur la politique coloniale, le colonialisme, la décolonisation, la tragédie algérienne, voici une mise au point équilibrée qui sera source de débats apaisés.
Royaliste. - Pourquoi avez-vous décidé de reprendre la question coloniale ?
Jean-Pierre Rioux. - Ma génération a été profondément marquée par la guerre d’Algérie et la question coloniale n’a cessé de nous hanter. J’ai voulu poser un regard hexagonal sur cette aventure coloniale et post coloniale en publiant des textes variés : il y a des analyses générales, des portraits, une petite étude sur la chanson colonialiste... Ma génération d’historiens a longtemps vécu avec le livre que Raoul Girardet avait publié en 1972 sur L’idée coloniale. Mais aujourd’hui de nombreux travaux mettent en cause non pas l’idée coloniale mais l’État colonial et même la République coloniale. Ma réflexion se situe dans l’entre-deux. I1 est temps d’examiner sans fard ni déni ce que fut la France coloniale en intentions et en actes.
Royaliste. - Vous prenez comme point de départ le contexte actuel...
J-P R. - Cette histoire de la France coloniale est loin d’être close. Les groupes de pression mémoriels s’activent pour en tirer les leçons - à condition que ces leçons corroborent leur vision singulière du passé. Les politiques s’en sont mêlés : vous vous souvenez que l’article 4 de la loi du 23 février 2005, invalidé par le Conseil Constitutionnel, demandait que soit présentés les aspects positifs de la colonisation. Dès lors se posent de graves questions. Comment empêcher cette guerre des mémoires ? Comment empêcher que les mémoires des victimes imposent à la collectivité leur vision partielle et partiale du passé ? Comment surtout inscrire le plus utilement possible dans les débats d’aujourd’hui les questions et les conflits dont sont porteurs les mémoires des victimes ? Ruse de l’histoire : les descendants de colonisés sont aujourd’hui dans le métro. Ce qui redouble en intensité la question de l’immigration, de la distinction entre nationalité et citoyenneté, de l’avenir de l’Outre-mer français. La question coloniale entre dans la question beaucoup plus vaste du rapport au passé. Au fond, il faudrait que la France puisse comprendre pourquoi l’Algérie - seule terre colonisée organisée dans un cadre départemental - a connu une très grande violence. La question est de savoir comment on arrive ou non, à mêler deux histoires, deux espaces, deux sociétés hétérogènes tout en maintenant la domination de l’une par l’autre. Cette tentative aventureuse conduisait à une impasse, à une guerre sans fin dès lors que les Français d’Algérie considéraient qu’ils avaient fait l’Algérie, alors que les Algériens soutenaient que les Français avaient défait l’Algérie. Cela explique pourquoi la notion d’amitié franco-algérienne n’a jamais pu faire l’objet d’un traité malgré toutes les tentatives faites en ce sens.
Royaliste. - Qui a voulu coloniser ?
J-P R. - Première remarque : la colonisation en France n’a pas eu beaucoup d’adversaires. L’anticolonialisme a toujours été ténu et sans influence durable sur l’opinion. Jamais il n’a été fait de distinction entre la colonie de peuplement et la colonie de domination - au service de la puissance. L’opinion française s’est toujours cantonnée dans une serai-indifférence ponctuée d’enthousiasmes éphémères. Le ministère des Colonies n’a jamais été un grand ministère... La politique coloniale est restée un mélange de coups de tête et de coups fourrés, de pressions et d’immobilisme, une affaire de réseaux et de groupes de pression - le parti colonial ayant été très influent sous la III° République. Deuxième remarque : l’entreprise coloniale n’a jamais été rentable sur le plan économique, notamment à l’âge de l’impérialisme ! Il y a un fort contraste entre le dynamisme de la métropole et le déclin des affaires coloniales. En 1914, l’Empire colonial français représente 9 % des investissements à l’extérieur, contre 25 % en Russie. Troisième remarque : la France subit une décolonisation sanglante avec une défaite militaire qui s’appelle Dien Bien Phu.Jamais l’Angleterre n’a connu ça ! Le rythme et la violence de la décolonisation lui ont été imposés de bout en bout après 1945. Les suites humaines de cette victoire des colonisés ont été si fortes mais si mal admises en France que nous ne leur avons pas donné la place qu’elles méritaient dans notre Nation. Du coup, nous avons maintenu le mutisme sur les rapatriés, sur les harkis, sur les immigrés venus de notre ancien empire. Mais les fils des harkis militent comme leurs parents l’avaient fait et certains immigrés d’Afrique du Nord continuent de penser que la France est toujours une république coloniale dont ils seraient les indigènes. Cela tient au fait que nous ne maîtrisons pas la métropolisation du fait colonial aujourd’hui - puisque c’est à domicile que les questions se posent.
Royaliste. - Qui a colonisé ?
J-P R. - Il y eut d’abord les militaires, les négociants et bien entendu les missionnaires qui ont permis la formation des premières élites colonisées. Puis les administrateurs, les médecins, les ingénieurs, les banquiers, quelques maîtres d’école.Par la suite, les processus de colonisation se sont ennoyés dans l'urbanisation - la ville coloniale d'origine a été, elle aussi, bousculée et englobée dans la nouvelle urbanisation.
Royaliste. - Parlons des colonisés...
J-P R. - Pour Franz Fanon, pour Albert Memmi, l’histoire des colonisés n’aurait été qu’une damnation ou une sortie de l’histoire. Ce que les historiens disent, c’est que ce fut toujours plein d’une violence originelle puis dérivée, propre à la situation coloniale. Ce qui fait que, au fil des décennies, la France colonisatrice à la Jules Ferry est devenue une France colonialiste. Par exemple, à la fin de la guerre d’Algérie, deux millions d’Algériens sur neuf étaient placés dans des processus d’internement. Cela dit, les rapports de force ont été fluctuants - il y avait des colonisés faussement soumis et des colonisateurs roulés, il y avait des métissages et des acculturations en tous genres. Il y a toujours eu un jeu subtil entre l’impossible assimilation républicaine et une sorte de communautarisme toléré sur lequel les historiens travaillent beaucoup aujourd’hui. L’islam a joué un rôle beaucoup plus important qu’on ne le croit dans ce jeu. Mais ce n’était pas l’islamisme politique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Surtout, il faut bien voir que le sens profond du combat du FLN n’était pas religieux : il s’agissait de construire une nation algérienne. Tous les mouvements d’indépendance ont pour objectif la construction d’un État national en référence à l’histoire précoloniale. C’est vrai au Maroc où il y a un sultan, en Tunisie qui est un protectorat. C’est plus difficile de construire une nation sur trois départements français.
Royaliste. - Somme toute, il y a bien une France colonialiste mais peut-on parler d’un impérialisme français ?
J-P R. - La France a participé avec les autres puissances occidentales à la politique de partage de la terre. Mais elle n’a pas eu de politique coloniale, de pensée coloniale ou impérialiste continue et cohérence. C’est une particularité française qui s’explique par la démographie de notre pays, trop faible pour qu’il y ait des colonisations de peuplement. I1 y a aussi des raisons économiques : la vocation et l’activité marchandes de la France n’ont jamais été à la hauteur des ambitions de l’Espagne ou de l’Angleterre. Dans son développement historique, la France est restée très orientée vers le continent européen : il n’y a pas eu de véritable balancement entre la vocation maritime et la vocation continentale. Il y a enfin des raisons politiques : l’Ancien régime, la Révolution, les deux Empires, la III° ; République ont toujours considéré que la vocation naturelle de la France était de défendre le pré carré. Il s’agissait d’assurer la puissance et le rayonnement en Europe d’abord puis de porter le plus loin possible l’idée universelle des droits de l’homme. Autrement dit, l’idée coloniale a été tenue comme une dérivation de la vocation nationale. Les Français ont toujours eu une vision de « leurs » colonies étroitement rapportée aux enjeux franco-français et franco-européens.
C'est bien cette conception nationale que le général de Gaulle exprime en avril 1961 à la veille du putsch des généraux : « Notre grande ambition nationale est devenue notre propre progrès, source réelle de la puissance et de l’influence. La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. » Telle est le raisonnement qui conduit le général de Gaulle à mettre fin à la guerre d’Algérie en accord avec la grande majorité des Français qui refusaient de vivre un violent conflit interne et qui voulaient profiter du bien être assuré par la croissance économique.
La colonisation avait toujours été sur trois registres mal démêlés : - le registre économique ; la politique coloniale étant conçue comme la fille de la politique industrielle -  ce fut un échec ; - le registre humanitaire-civilisateur au temps de Ferry et jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie : on apprenait aux enfants des écoles que « les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races inférieures »; - le registre national : pour une grande nation, révolutionnaire de surcroît, ne pas rayonner c’est abdiquer. Il faut qu’elle rayonne selon ses principes. C’est le grand débat entre Ferry et Clemenceau à la Chambre en 1885. Ferry développe ces trois arguments et Clemenceau lui rétorque qu’il ne faut pas recouvrir la violence du manteau hypocrite de la civilisation. Mais l’Outre-mer n’a pas marqué de façon décisive le cours de l’histoire de France et n’a infléchi le régime républicain que pendant la guerre d’Algérie, en 1958 et en 1962. L’idée coloniale a débouché sur l’aveuglement : nous avons introduit aux quatre coins du monde une contradiction entre nationalité et citoyenneté ; entre colonisation et émancipation ; entre mondialisation et nation. C’est pour toutes ces raisons que la France coloniale a un écho aujourd’hui beaucoup plus large que les débats mémoriels.
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20 octobre 2012 6 20 /10 /octobre /2012 17:35
Un adversaire
du désordre établi
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Roland Hureaux est une personnalité que nos lecteurs connaissent bien. Gaulliste, souverainiste, ancien collaborateur de Philippe Séguin, ses thèses sur l’Europe, sur le rôle de la France dans le monde, sur la préservation du modèle social français trouvent ici beaucoup d’écho. Son parcours au sein du corps préfectoral, son passage à la Cour des Comptes, son expérience d’élu local, en font un bon connaisseur de la sphère publique et des réalités du territoire français. Il dresse dans son dernier livre, La Grande démolition [1], un réquisitoire sans appel contre les réformes brouillonnes menées pendant les deux dernières décennies et qui ont considérablement affaibli notre pays.
L’ouvrage s’ouvre sur un premier constat : la souffrance du peuple français. Une souffrance qui n’a que peu de choses à voir avec les difficultés sociales que la plupart de nos voisins rencontrent aujourd'hui. Une souffrance spécifique, sourde, un malaise profond que révèlent toutes les enquêtes d'opinion et dont pourtant les médias se gardent bien de parler: malaise du fonctionnaire dégouté de ce qu’est devenu l’administration, du professeur révulsé par le niveau des connaissances des élèves, des policiers consternés par la montée de la violence et de l'incivisme, et de bien d’autres encore : agriculteurs, petits patrons, agents des services publics…
On a beaucoup parlé du décalage croissant entre les élites et le peuple. Au point d’en faire un slogan et de perdre de vue ce que ressent l’opinion publique. En réalité, une grande partie de ce qu’on appelle improprement l'élite partage ce malaise. Les cadres du privé comme ceux de la fonction publique sont confrontés aux mêmes situations et ils posent souvent les mêmes diagnostics. Pour eux comme pour le reste du peuple français, c’est véritablement la classe dirigeante de ce pays qui est en cause, nos dirigeants politiques au premier chef que le pouvoir enferme dans leurs certitudes mais aussi tous   les faiseurs d’opinion, communicants, conseillers, chroniqueurs, intellocrates… Toutes ces «figures de l’oligarchie mondaines qui conseillent la droite et la gauche » sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont irresponsables.
Cette profonde déprime des Français se double du fait que les gens ne comprennent plus ce qu’il leur arrive. Ils éprouvent, face au tourbillon de réformes et de communication dont on les accable, le même sentiment d’absurdité que ressentaient les citoyens soviétiques devant le « désordre établi », les mensonges, le gaspillage des ressources d’un système qui ne fonctionnait plus que dans l’irrationnel. Quelques voix commencent à s’élever pour dénoncer cet état de chose. Mais leurs constats n’appréhendent qu’une partie de la réalité et ils ont tendance à minimiser la gravité de la situation. Ce qui est en cause, pour Roland Hureaux, est infiniment sérieux. C’est l’Etat, « celui de Philippe le Bel, de Richelieu, de Napoléon et de Clémenceau », qui tourne à l’envers, ce qui ne l’empêche pas de grossir et de faire de la mauvaise graisse. Et c’est l’ensemble des repères qui ont longtemps structurés notre vie publique ou privée (corps constitués, école, famille, urbanité…) que l’on modifie inutilement et comme à plaisir.
 Loin d’adapter le pays à la mondialisation, comme on le prétend, les réformes menées depuis vingt ans nous privent de nos meilleurs atouts. Si certaines d’entre elles ne sont que des trompe-l’œil destinées à brouiller les cartes, d’autres ont des effets violemment destructeurs. Et tout particulièrement celles qui touchent à l’Etat, à l’organisation locale et à l’éducation. La réforme de l’Etat, poursuivie et aggravée par la RGPP de l’ère Sarkozy, a restructuré sans discernement des administrations entières, au nom de  logiques purement comptables. La décentralisation, menée sans méthode et sans vision d’ensemble, débouche sur ce « mille-feuilles » des compétences auquel le citoyen ne comprend plus rien. Quand à l’éducation nationale, ballottée de réforme en réforme, livrée, selon les époques, aux ayatollahs de la pédagogie ou aux chantres de l’ouverture à la société, ses résultats sont médiocres et ses enseignants largement démotivés.   
Les lignes directrices qui inspirent ces réformes sont partout les mêmes : le transfert, sans raison valable, des méthodes du privé au public, l’imitation, sans aucun esprit critique, des modèles étrangers, et surtout le refus de la complexité, et in fine la réduction de toutes les activités à des indicateurs chiffrés, selon une logique absurde qui ressemble de plus en plus à celle du Gosplan. Contrairement à ce qui est souvent dit, l’esprit technocratique n’est pas le principal responsable de ces dérives. Derrière la mauvaise inspiration de tant de réformes, il y a un mode de pensée idéologique très répandue dans nos élites : un esprit de simplification et de système, s’appuyant sur des conceptions erronées de l’organisation, de la pédagogie et du savoir, qui produit, comme toutes les idéologies, des résultats contraires aux buts poursuivis et dans tous les cas un gigantesque gâchis de talents et d’argent public.
Là où la pensée dominante stigmatise notre incapacité à nous réformer et préconise toujours plus de réforme, Roland Hureaux finit par conclure que la véritable origine de nos maux, ce sont ces centaines de réformes mal conçues et mal inspirées qui mènent le pays tout droit à la paralysie. D’un point de vue philosophique, nos réformateurs actuels relèvent des mêmes critiques que celles de Karl Marx vis à vis du capitalisme ou celles de Guy Debord vis-à-vis de la société du spectacle : des systèmes qui ne survivent que par la destruction répétitive du passé, la désorganisation du corps social et le sabordage des élites.
Que faire pour en sortir ? Faut-il en revenir, comme le propose l’auteur, au conservatisme libéral du second XIXe siècle : peu de réformes, concentrées sur les questions essentielles, et après évaluation précise de leurs effets ? La conclusion est un peu courte et tranche, par son côté schématique, avec l’intelligence et la finesse d’analyse qui parcourent l’ensemble de cet essai. Roland Hureaux frappe souvent juste lorsqu’il dénonce l’activisme stérile, le psittacisme, l’ignorance des réalités, la nullité intellectuelle et l’hystérie communicante de notre classe dirigeante. Mais son plaidoyer final pour un retour à l’état ex ante convainc beaucoup moins. Sa défense et illustration de l’Etat jacobin, ses extrêmes réserves sur la décentralisation, son attachement inflexible à l’échelon communal sont d’un autre temps. Les nostalgies du préfet finissent par l’emporter sur les clartés de l’analyste et les lucidités du politique.
« Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qu’était l’Empire, tout comme on peut regretter, disait le Général de Gaulle, la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile et le temps des équipages. Mais quoi, il n’y a pas de politique en dehors des réalités !… » [2]. Remettre la France en mouvement, la sortir de l’ornière des idéologies et des intérêts particuliers, lui fournir les moyens d’agir dans le temps qui est le sien, voilà la leçon première des Richelieu, des Colbert, des Choiseul et des Philippe le Bel. L’heure des préfets, des monopoles, des conglomérats, des plans quinquennaux, des grands paquebots étatiques est derrière nous. Comme le disait également de Gaulle : « L'effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire à la France pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain.» [3] C’est en faisant à nouveau bouger le pays, via ses régions, via ses villes, ses entreprises locales, ses syndicats, ses citoyens, qu’on sortira de la torpeur actuelle. L’heure n’est plus à la nostalgie, cher Roland Hureaux, elle est à la construction, au programme, aux propositions; elle sera peut-être demain à la révolution !
Paul Gilbert.


[1]. Roland Hureaux, La Grande Démolition. La France cassée par les réformes (Buchet Chastel, 2012).

[2]. Général de Gaulle, Discours sur l’Algérie, 14 juin 1960.

[3]. Général de Gaulle, Discours sur la réforme régionale, Lyon, 24 mars 1968.

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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 01:17
Une première victoire
 

Le retour au pouvoir des nationalistes au Québec est une très bonne nouvelle. Elle comble de joie tout ce que la France et le monde comptent d’amis de la Belle province. Nous ne rentrerons pas dans le jeu des commentateurs grincheux qui ont parlé de victoire étroite ou de demi-victoire. Que cette victoire dérange, qu’elle agace les milieux d’affaires anglo-saxons, qu’elle perturbe les médias occidentaux [1] qui considérent la question québécoise comme une affaire classée, c’est certain. Mais, peu importe. La victoire est là, elle est belle et bien là, et, pour Mme Marois et ses amis indépendantistes, c’est le début d’une nouvelle et d’une grande aventure politique.

Le succès des souverainistes marque un échec cuisant pour le camp libéral, et l’on s’en réjouira. M. Charest était persuadé qu’il resterait au pouvoir. Il reçoit la claque que toute la jeunesse québécoise rêvait de lui donner depuis des mois. Les foules étudiantes du « Printemps érable », matraquées, humiliées, tiennent enfin leur revanche. L’ancien Premier ministre, battu dans sa propre circonscription, a démissionné de la présidence de sa formation, dès les résultats proclamés. Il laisse un parti exsangue, sans direction, sans cap, et dont l’image dans l’opinion publique est durablement ternie. Même ses amis fédéraux d’Ottawa ont vu sans déplaisir partir ce mauvais cheval. Ils mettront du temps à en trouver un autre, aussi servile.

Quant aux centristes de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ils n’obtiennent pas – loin s’en faut – les résultats qu’on leur prédisait. Avec moins de 20 sièges sur 125, ils pèseront d’un poids très relatif dans la nouvelle Assemblée nationale. On sait que leur chef, l’ancien ministre François Legault, et qu’une partie de leurs dirigeants sont des transfuges du Parti québécois, qu’ils ont abandonné au nom d’un certain « réalisme ». Leur stratégie opportuniste et l’attitude très agressive qu’ils ont adoptées vis-à-vis de leurs anciens amis n’ont pas été payées en retour et il est vraisemblable qu’une partie de leur électorat sera tenté, tôt ou tard, de retourner dans le giron souverainiste.

L’affaiblissement des libéraux et les bisbilles internes qui commencent à se faire jour au sein de la CAQ donnent à Mme Marois les moyens d’agir vite. C’est ce qu’elle vient de faire, en s’appuyant scrupuleusement sur ses promesses de campagne. Suppression de la hausse des droits de scolarité, abolition d’une taxe impopulaire sur la santé, abrogation des restrictions au droit de manifester, annulation des aides versées à certaines multinationales…, c’est tout l’héritage de l’équipe Charest qui vient de disparaitre en fumée. « Pauline Marois démarre en lion », titrait le 21 septembre le Devoir de Montréal. Pas question pour autant de laisser filer l’économie. Les budgets seront tenus, les politiques d’encouragement à la recherche-développement relancées. Et Mme Marois de rappeler, à l’attention notamment des milieux d’affaire, que « les meilleurs résultats au niveau économique dans les 25 dernières années l’ont été sous un gouvernement du Parti québécois ». Rien de plus exact.

Reste la question de l’indépendance. Fidèle à ses convictions, Mme Marois a déclaré dès son élection : « En tant que nation, nous voulons prendre nous-mêmes les décisions qui nous concernent. Nous voulons un pays et nous l’aurons ». Pour autant, la nouvelle équipe souverainiste entend bien tirer les leçons des deux référendums perdus en 1980 et en 1995. Pas question de brûler les étapes. Dans l’immédiat, Mme Marois veut commencer par obtenir d’Ottawa la plus large autonomie possible dans des domaines stratégiques comme l’économie, l’éducation ou la politique d’immigration. Elle a répété, à la plus grande satisfaction de ses électeurs, qu’elle ne s’engagerait dans la voie d’un référendum sur l’indépendance que si elle avait la certitude de le remporter.

Sages paroles, qui démontrent une parfaite lucidité sur l'état de l'opinion publique et le rapport de forces politique. Il est clair en effet que le succès du PQ résulte avant tout d’une volonté des Québécois de tourner la page de neuf années de gouvernement Charest. C’est le désaveu d’une politique libérale, et c’est, dans une certaine mesure aussi, le souhait de voir les intérêts du Québec mieux défendus face aux prétentions du gouvernement canadien. Mais ce n’est pas un blanc-seing pour l’indépendance. L’opinion publique est tout aussi partagée qu’il y a vingt ans sur la question nationale. Pour réussir son pari, Mme Marois devra convaincre, argumenter, montrer le cap et dessiner un chemin. Elle devra aussi faire bouger son camp car les conditions du succès  ne seront réunies que si le Parti québécois change profondément de stratégie, de positionnement et de pratique politique.

La première de ces conditions, c’est l’union des patriotes. Rien ne sera possible sans un rassemblement des forces indépendantistes sur la base politique la plus large possible. Or, ce choix est loin d’être fait. Lors du dernier scrutin, les voix souverainistes se sont à nouveau éparpillées entre plusieurs formations politiques [2], ce qui a failli coûter cher au PQ. Alors qu’une stratégie de front unique aurait permis aux indépendantistes de disposer d’une majorité absolue de 70 à 75 sièges et d’avoir les mains plus libres pour réaliser leur programme. Rien ne sera possible tant que le PQ n’acceptera pas de tendre la main au centre, à la droite patriotique ainsi qu’aux électeurs du CAQ, même si les relations sont mauvaises avec ses dirigeants. Mme Marois s’y est jusqu’à présent refusé. Elle a préféré jouer l’alternance gauche/droite plutôt que le front patriotique. Cette stratégie lui a permis de surfer sur l’impopularité de M. Charest et peut lui assurer le pouvoir pour quelques années. Mais elle ne sera pas suffisante pour créer dans l’opinion publique le choc émotionnel favorable à l’indépendance.

La deuxième condition, c’est la reconquête de l’opinion. Si l’idée nationale est encore vivace chez bon nombre de Québécois, elle est moins enracinée que par le passé dans une opposition de tous les instants à la culture américaine, dans une volonté de conserver, contre vents et marées, l’Etat social, dans le refus d’une mise en coupe réglée du pays par les multinationales. S’appuyer sur les jeunes, les intellectuels, les syndicats, l’aile marchante de l’économie, jouer d’une façon déterminée la carte de l’écologie, de la différenciation culturelle, des droits sociaux, de la protection du travail et de l’économie, voilà les choix qui permettront aux souverainistes de gagner à leur cause le pays tout entier. On a vu, lors des deux référendums perdus de 1980 et de 1995, la puissance du lobby fédéraliste et la capacité des médias libéraux à intimider l’électeur. C’est en appuyant l’idée d’indépendance sur un vaste mouvement populaire que les souverainistes pourront faire évoluer le rapport des forces en leur faveur, et non pas en jouant la carte d’une social-démocratie à la française.

Troisième et dernière condition, la reconstitution d’un puissant réseau d’alliés à l’international. Le Québec continue à jouir d’une excellente image de marque dans le monde. C’est, entre autres, le résultat de la diplomatie intelligente menée par les gouvernements souverainistes lorsqu’ils ont été au pouvoir. Alors que le Canada, traditionnellement libéral ou conservateur, est à la traine de la diplomatie américaine, les Québécois ont pris parti pour la liberté des peuples, au Proche Orient, en Afrique, en Amérique du sud, au risque d’indisposer Washington. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir de M. Charest pour que la Belle province donne le sentiment de rentrer dans le rang. Mme Marois est consciente de la nécessité de reprendre l’initiative. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi de faire son premier grand discours au sommet de la francophonie qui s’ouvrira samedi prochain à Kinshasa. Elle sait que c’est en Europe, et dans cette Europe latine en pleine ébullition qu’elle peut trouver ses alliés les plus sûrs. Le lien avec la France reste un élément essentiel et elle sera prochainement à Paris pour rencontrer François Hollande. Les deux dirigeants se connaissent bien et s’apprécient. La Québécoise sait ce qu’elle peut tirer, y compris dans ses relations avec Ottawa, de relations renforcées avec Paris. Le Français sait le puissant levier qu’est le Québec dans le jeu des forces en Amérique du Nord.

Le chemin vers l’indépendance sera long et semé d’embûches. Celle que les médias canadiens appellent « la dame de béton » ne l’ignore pas. Il est clair que la perspective d’un Etat français d’Amérique du Nord a de quoi inquiéter, voire effrayer, les tenants du vieil ordre anglo-saxon. Si cette perspective devait prendre de la consistance, ce serait, à coup sûr, une menace pour la fédération canadienne et un nouveau signal d'affaiblissement et de déclin des Etats Unis sur leur propre continent. Une telle perspective marquerait également, en ce début du XXIe siècle, un retour en force de l’influence française dans le monde. Mme Marois et ses amis peuvent être les initiateurs, les déclencheurs de ce mouvement historique. Ils le souhaitent visiblement. S'en donneront-ils les moyens ? Il faudra pour cela qu’ils adoptent un autre profil, celui des authentiques révolutionnaires.

René la Prairie.

 


[1]. En France, Le Monde et Libération se sont livrés à une surenchère de dénigrement et de mauvaise foi contre Mme Marois et le Parti québécois. Il est vrai que M. Charest, libéral bon teint, familier de MM. Bush et Sarkozy et ami de tout ce qui pense et parle anglais au Canada, était le candidat idéal des milieux d’affaires mondialisés qui influencent désormais ces deux journaux. Leur exécration pour tout ce qui touche de près ou de loin le nationalisme, surtout lorsqu’il s’exprime en langue française, est tel qu’ils vont finir par nous forcer à nous remettre à la lecture du Figaro !  

[2]. PQ (souverainiste, centre gauche), Québec solidaire (ex gauche marxiste) et Option nationale (indépendantistes radicaux).


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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 14:19

Automne 2012
La France
et l'Orient arabe
 

- Les lys et le croissant, par François Renié. [lire]

Les idées et les livres

- Florange, une rupture, par Henri Valois. [lire]
Lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande s'était présenté comme l'homme d'une politique économique "équilibrée", conjuguant volontarisme industriel et rigueur financière. L'approbation, sans négociation, du pacte budgétaire européen, le fiasco de Florange, l'adoption des mesures libérales du rapport Gallois ont eu raison de ces bonnes intentions. Que reste-t-il aujourd'hui du hollandisme, au-delà du discours incantatoire sur le retour de la croissance ? La France est-elle encore dirigée ?

- La Palestine à l'ONU, par Claude Arès. [lire]
Déboussolées et fragilisées par les réformes de l'ère Sarkozy, les armées sont à nouveau sacrifiées au dogme de l'austérité budgétaire. La nouvelle loi de programmation militaire ne repose que sur des considérations d'ordre financier. Elle aura des conséquences dramatiques, aussi bien sur nos forces classiques que sur notre potentiel de dissuation. En rabaissant la France au rang de puissance moyenne, le pouvoir réduit nos moyens d'agir au moment même où de nouvelles menaces planent sur la paix du monde.

- La France et l'Orient arabe, textes présentés par Henri de Montfort.  [lire]
Pour les Britanniques, une sortie de l'Europe n'est plus une vue de l'esprit. Une large majorité d'entre eux le souhaitent, les partis d'outre-manche prennent le train en marche et le gouvernement de David Cameron vient d'accepter la tenue d'un référendum en 2016. S'agit-il d'une perspective sérieuse ? L'euro et l'Union européenne pourraient-ils s'en remettre ?

- Contre Rousseau (2), textes présentés par Paul Gilbert. [lire]
Pour les Britanniques, une sortie de l'Europe n'est plus une vue de l'esprit. Une large majorité d'entre eux le souhaitent, les partis d'outre-manche prennent le train en marche et le gouvernement de David Cameron vient d'accepter la tenue d'un référendum en 2016. S'agit-il d'une perspective sérieuse ? L'euro et l'Union européenne pourraient-ils s'en remettre ?

- L'oeuvre de Cingria, par Rémi Clouard. [lire]
Pour les Britanniques, une sortie de l'Europe n'est plus une vue de l'esprit. Une large majorité d'entre eux le souhaitent, les partis d'outre-manche prennent le train en marche et le gouvernement de David Cameron vient d'accepter la tenue d'un référendum en 2016. S'agit-il d'une perspective sérieuse ? L'euro et l'Union européenne pourraient-ils s'en remettre ?

- Montagne et poésie, un essai de Charles-Albert Cingria.  [lire]

- Le jardin français, poèmes de R. Houdelot, A. Castagnou, L. Codet. [lire]

Chroniques

- Notes politiques, par Hubert de Marans.
Tapie, le retour ? - Implosion à l'UMP. - Mélenchon et ses gauchistes.

- Chronique internationale, par Jacques Darence.
Pékin réveille Tokyo. - La comédie démocratique aux Etats-Unis - La France dans l'Otan.

- Chronique sociale, par Henri Valois.
Quelle compétitivité. - Un mauvais accord - Révoltes ouvrières.

- La vie littéraire, par Eugène Charles et Rémi Clouard.
Vialatte. - Duteurtre.  - Modiano. - Alexakis. - Radiguet. - Crouzet.

- Idées et histoire, par Jacques Darence et Paul Gilbert.
Jean Clair. - Jean-Marie Rouart. - Virgile.

- Notes d'Art, par Sainte Colombe et Olivier du Fresnois.
Dali. - Beckett.

- Revue des revues, par Paul Gilbert.
Que reste-t-il de la gauche ? - L'hégémonie allemande. - Pascal.

- Les livres, par Paul Gilbert, Eugène Charles, François Renié.
Ils ont tué l'histoire-géo. (Laurent Wetzel). - La voie chinoise. (Michel Aglietta). - Après l'Europe de Bruxelles. (Roland Hureaux). - Ernest Renan. (Jean-Pierre Van Deth). - L'Armée d'Afrique. (Pierre Montagnon). - Et si la France avait continué la guerre... (Jacques Sapir et alii). - Histoire des mouvements sociaux en France. (Michel Pigenet). - Le Cycliste du lundi. (François Nourissier). - Géographie de l'instant. (Sylvain Tesson). - Voyages extraordinaires. (Jules Verne). - Petite sélection stendhalienne.  - Livres reçus.

 

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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 09:01
 
 
sonnet
 
 
 
Je veux courir en Bièvre et je boucle mes guêtres
Mais, quand je poursuivrai l'ase ou la perdrix grise,
Viendrez-vous pas ici chasser la Peine, assise
Au seuil empoussiéré de la maison sans maîtres ?

Je vous réserverai — vous connaissez les aîtres —
Cette chambre carrée où vous plaît une frise
Multipliant la nymphe hostile à l'entreprise
— Où le rosier grimpant a cerné la fenêtre.

Vous aurez le miroir qui sait votre visage
Depuis longtemps déjà, le lit, le paysage
Et le jardin noyé, ce soir, de brume basse.

Vous aurez le verger, les raisins de septembre.
Et la maison, le parc, la cueilleuse, la chambre
Enchanteront mon rêve aux loisirs de la chasse.
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 
bohême
 
 
 
— Nous n'entendrons plus ta chanson,
Marchande, « belles fraises »,
Ni ta trompette à l'aigre son,
Doux rempailleur de chaises !

— Prépare l'omelette au lard,
Je vais plier les nappes.
— Oh ! ces écharpes de brouillard
Sur mon quai de Jemmapes.

— Ou sont les restes du pâté ?
— Où, tes rires, faunesse ?
— J'ai perdu la passoire à thé.
— J'ai vécu ma jeunesse...

Nos premières heures d'amants
Ses baisers d'étourdie,
Rêve !... — Deux déménagements
Valent un incendie.
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 
la nuit d'avril
 
 
 
Je ne me suis pas fait la tête de Musset,
Je tartine des vers, je prépare un essai,
J'ai le quart d'un roman à sécher dans l'armoire.
... Mais que sont vos baisers, ô filles de mémoire!
Vous entendre dicter des mots après des mots
Triste jeu !
... Le loisir d'été sous les ormeaux,
Une écharpe du soir qui se lève et qui glisse…
Des couplets sur ce bon Monsieur de La Palice
Que répète un enfant dans le jardin couvert
Ce crépuscule rouge, et puis jaune, et puis vert...
... Une femme passant le pont de la Concorde
... Le râle d'un archet pâmé sur une corde,
La danse, la chanson avec la danse, un son
De flûte, sur la danse entraînant la chanson,
Ce geste d'une femme et celui d'une branche
Ah ! vains mots ! pauvres mots en habits du dimanche
Ah ! vivre tout cela, le vivre et l'épuiser !...
Muse, reprends mon luth et garde ton baiser !
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 

amour

 
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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