La rédaction de la Revue critique des idées et des livres souhaite à Monseigneur le Comte de Paris, à la Famille de France et à tous ses lecteurs un joyeux Noël.
Le Coq qui espère
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Un conte de Noël provençal
ette année-là, le 24 décembre, il arriva une chose qui n'était jamais arrivée depuis que ma cousine Magali et moi nous avions ouvert l'œil sur l'Univers.
Vers les deux heures, le soleil se cacha derrière des nuages qui ressemblaient à des balles de coton, et brusquement, sans avertissement aucun, l'atmosphère fut striée de flocons blancs. Il neigeait.
Vous songerez sans doute : La belle invention ! Comme si la neige ne faisait pas partie immuable des décors de veille de Noël !
Dans le reste de la France, peut-être ! Mais ici, en Provence, à Cannes, au bord de cette Méditerranée toujours bleue où se reflètent palmiers, orangers et cactus, la seule neige que l'on y connaisse est la neige des amandiers fleuris. Quelle surprise donc, d'accueillir l'autre, l'authentique.
Magali et moi nous jubilions. Pour un soir de Noël, c'était un vrai soir de Noël, et dans notre contentement de vieux refrains de Saboly nous montaient aux lèvres, et nous n'étions pas loin de croire - pris par la magie du paysage - que quelque part dans les environs, une femme en blanc veillait près d'un berceau où tout à l'heure en poussant à notre tour la porte, nous allions rencontrer : les rois, les bergers, saint Joseph, l'âne, le bœuf et le mouton.
Oh! douces illusions de l'enfance! Combien peu nous importait à ce moment ce que nous apporterait le lendemain dans nos souliers : nous avions la neige, nous n'en demandions pas plus.
Par exemple, là où nous commençâmes à chanter, ce fut après le dîner. Il neigeait toujours et par surcroît une bise assez violente s’était levée qui soufflait en rafale et soulevait de grands fantômes blancs dans la nuit bleutée de clair de lune.
- Quel temps admirable pour une messe de minuit, remarqua notre oncle en collant son front aux vitres. La route d'ici à l'église sera prodigieuse.
La mère, toujours soucieuse de nos santés, ne nous laissa guère le temps de partager cet enthousiasme.
- Evidemment ! L'attristant c’est qu'il faudra laisser les enfants à la maison; il est impossible de les exposer à un froid pareil.
Ce fut un beau concert. Magali se récriait et pleurait, je l'imitais sur un diapason plus haut, l'oncle joignait ses supplications aux nôtres et il n'y eut pas jusqu'à la vieille Martine qui ne quittât ses fourneaux pour plaider notre cause. Ce fut en vain. Notre santé était en jeu, la mère fut inflexible.
Nous aurions, paraît-il, assez le temps de voir de beaux soirs de Noël!
- Mais que ferons-nous en attendant votre retour? demandâmes-nous avec l'accent du désespoir quand nos aînés furent prêts à nous quitter.
Son bâton dans une main, sa lanterne de l'autre, la mère sourit parmi les cache-nez.et les fichus qui l'emmitouflaient.
- Vous aiderez d’abord Martine à dresser la table. Ensuite vous chanterez des cantiques avec elle; et si vous êtes bien sage, elle vous racontera une histoire. N'est-ce pas, Martine?
- Ségur! acquiesça notre nourrice en branlant le chef.
- Et puis, je vous autorise à manger du nougat de capucin. Mais raisonnablement, vous savez! Ou sinon… gare aux souliers vides demain.
Ce n'était évidemment pas ce que nous avions rêvé, mais à défaut de mieux!
Et sitôt la mère partie nous avions commencé à exécuter le programme; par le dernier article d'ailleurs : la confection du nougat de capucin qui est - comme chacun le sait - des noix pressées dans des figues sèches. Un régal de rois… mages.
Après quoi nous nous étions mis en devoir de dresser le couvert. Ce qui n'était pas une petite affaire, car ce n'est pas tous les jours que l'on a à sa table le notaire, le maître d'école, le juge de paix, sans oublier le Doyen de la paroisse, le Doyen qui parlait si bien latin et qui s'écriait joyeusement chaque fois que ma mère l'entretenait de mes progrès : Macte animo, Macte animo, generose puer, sans dire, d'ailleurs, de quels animaux il voulait parler.
II fallait sortir le linge des grandes occasions. Les nappes et les serviettes, qui réfléchissaient la lumière comme si elles eussent été glacées; transvaser le vin blanc et le vin rosé dans les carafons de cristal; mettre de la mousse ici, du houx et du gui par là; arranger sur des compotiers les passerilles ridées, les noix, les pistaches, les grenades, les kakis, les figues… que sais-je encore! Bref, faire une table qui flattait l'œil en disant clairement : c'est Noël. Sans oublier les accessoires symboliques : le chandelier dont la flamme présagera la joie ou la tristesse aux hôtes réunis, et les assiettes où l'on avait mis du blé à germer, et qui, maintenant, s'ornaient d'un vert gazon, indice certain de la prospérité des cultures du mas.
*
* *
Ceci fait et cela avait demandé du temps nous nous étions assis avec Martine au coin de la cheminée et là, dans notre cher provençal, nous avions chanté des « Nouvés » de Saboly, ces vieux noëls que notre peuple chante depuis plus de trois cents ans et qu'il chantera encore, Dieu merci, en dépit de ceux qui voudraient lui faire renoncer à sa langue et à sa foi.
La fatigue avait commencé à se faire sentir pourtant, et tandis que seul, cette fois, je reprenais un refrain, la voix de Magali monta.
- Martine, une histoire, veux-tu?
Martine fit semblant de ne pas entendre. Je l'interrompis à mon tour.
- Oui, Martine, une histoire, une belle histoire!
- Et laquelle, bonne mère ?
- Mais je ne sais pas, Martine! Une histoire de Noël.
- Té vai! Depuis que je vous en conte, vous les connaissez toutes. Anen, revenons aux cantiques : I a proun de gens, qui van en roumevage…
Il n'y eut qu'une seule et même protestation.
- Non, non, Martine, une histoire!
A ce moment, un coq chanta dans la nuit.
- Ah! murmura Martine, si le ciel lui même s'en mêle! Tenez la voilà, ça s'appelle : Le Coq qui espère, et je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup à même de vous la conter. Moi-même, je l'avais oubliée. C'est le chant de cet animal (Macte animo, songeai-je en moi-même) qui me l'a remise en mémoire. Ecoutez.
Et nous approchâmes nos chaises, et voici l'histoire telle qu'elle nous fut narrée par Martine.
« En ce temps-là, mes enfants, il y a bien longtemps, un grand bruit s'était répandu sur la terre : quelque chose allait se passer. Quelque chose que l'on ne pouvait préciser au juste, mais que l'on sentait, comme l'hirondelle prévoit l'hiver, et le pétrel la tempête.
» On sentait que les destinées du vieux monde allaient être changées, et l'on avait conscience qu'il y aurait du bonheur pour tout le monde, un grand avènement de fraternité.
» Je ne sais si ce que l'on a raconté depuis est vrai, mais ii paraît que cette année-là, les fleurs furent plus belles qu'à l’accoutumée, et que de mémoire d'homme on ne vit récolte aussi abondante ni vendanges plus belles
» On aurait dit que la terre se parait dans l'attente de celui qui .allait venir.
» Ce qu'il y a de certain, c'est que les animaux furent les premiers avertis. N'étant pas alourdis par le péché, ils communiquaient directement avec les anges et, par eux, savaient tout ce qui se passait de l'autre côté de la voûte bleue.
» Une alouette dût l'apprendre en montant dire sa prière au firmament, et par elle la nouvelle se propagea à tire-d'aile.
» Quelque chose allait se passer. Mais où ? Là était la grande question.
» Chaque jour les sédentaires interrogeaient anxieusement les voyageurs de l'air. Mais les voyageurs ne pouvaient que hocher la tête. Ils ne savaient rien.
» Pourtant avec le temps, un bruit prit naissance, apporté par des canards sauvages, et ce ne fut bientôt plus un secret pour personne, que la grande chose se passerait en Palestine, un pays situé au delà de la grande mer bleue que l'on appelle là Méditerranée.
» Naturellement, les bêtes de tous les autres pays en furent déçues; mais puisque telle était la volonté divine, elles n'avaient qu'à s'incliner.
» Et puis, un autre bruit se répandit - apporté par une colombe celui-là : une Etoile devait annoncer le prodige. Que chacun veille donc, et sitôt qu'apparaîtrait l'astre, ils pourraient se dire : « Le Règne du Seigneur est arrivé. Gloire à Dieu au plus haut des cieux.»
» Vous pensez si cette nouvelle fut commentée.
» De ce moment-là, il n'y eut plus une seule bête qui consentit à fermer les paupières la nuit. Tous veillaient pour saluer l'apparition et la suivre en chantant.
» Quand je dis tous, je me trompe. Il y eut une bête qui se refusa à monter cette garde d'honneur : le coq.
» Que voulez-vous, il était un peu excusable. De père en fils, c'était lui qui était chargé d'annoncer le lever du soleil et de dire à toute la création « Voici un jour nouveau. »
» Allait-il s'astreindre à guetter toute la nuit?
» - Bah! se dit-il, les autres veillent pour moi. Je serai toujours averti à temps. Dormons tranquillement.
» Et c'est pourquoi, seul de tous les animaux, il ne changea rien à sa manière de vivre.
» Cocorico! lançait-il tous les matins.
» Et à son appel, les bêtes fatiguées de leur longue attente se secouaient, partaient à travers champs; les hommes s'éveillaient dans les villes et le soleil apparaissait.
» - Cocorico!
» Et le travail reprenait et l'on entendait le bruit des chaînes de puits et les cris des âniers.
» - Cocorico!
» Et après ce troisième appel il demandait à l'oiseau qui passait :
» - L'Etoile est-elle arrivée?
» Mais le passereau répondait « Pas encore » et s'enfuyait à tire-d'aile ; et petit à petit le doute s'insinuait dans le cœur du coq.
» … Et des jours se passaient. L'été avait succédé au printemps, et l'automne lui-même avait fui. Des feuilles mordorées qui jonchaient le sol, il ne restait plus rien ; les arbres étaient dénudés et à travers la plaine soufflait la froide bise.
» Et voici qu'un matin en s'éveillant, le coq grimpa sur son perchoir.
» - Cocorico! lança-t-il.
» Mais à sa grande stupéfaction, aucune voix ne lui répondit, on eût dit qu'il chantait dans le désert.
» Il battit violemment des ailes et allait pousser son second cri, quand, à l'horizon, qu'aperçoit-il?
» Toutes les bêtes qu'il réveillait d'ordinaire, qui s'en revenaient vers leur gîte en un joyeux tumulte, mêlées sans crainte les unes aux autres, se félicitant et fraternisant : les loups avec les agneaux, les colombes avec les vautours.
» - Mais que se passe-t-il donc? se demanda notre coq, n'en pouvant croire ses yeux.
» Un passereau, à qui il posa cette question, lui lança dans un trille :
» - L'Etoile! L'Etoile!
» Le coq se sentit frémir.
» - Elle est arrivée ?
» - Cette nuit. Elle est apparue à l'horizon. Et nous l'avons suivie jusqu'à l’étable où elle s'est arrêtée. Et là… Ah ! si tu savais !!!
» Et vous devinez quel récit l'oiseau fit au coq.
» Celui-ci était désespéré.
» - Mais, pourquoi ne m'avoir pas éveillé? Vous ne pouviez pas chanter, faire du bruit?
» - Nous étions en extase; et près de la crèche nous n'avons pu que nous recueillir et prier.
» - Soit! se dit le coq. J'ai manqué l'Etoile, mais il ne sera pas dit que je ne verrai pas l'Enfant et sa Mère.
» Et, s'élançant dans les airs, il fut bientôt devant l'étable où des bergers étaient agenouillés.
» Un ange l'arrêta sur le seuil.
» - Où vas-tu, coq?
» - Voir le Nouveau-Né! répondit-il, en battant des ailes.
» Et voici l'ange qui le regarde, de ce regard qui lit au fond des cœurs.
» - Pourquoi n'étais-tu pas avec ceux qui suivirent l'Etoile?
» - Hélas! avoua le coq. Je n'avais pas voulu veiller et je dormais.
» Les yeux de l'Ange se voilèrent de tristesse.
» - Alors, renonce à ton espoir. Ton Chant, aurait pu accueillir l'enfant, dans la joie. Tu ne l'as pas voulu. Non seulement ne le verras tu pas, mais encore ce sera ta voix, qui, un soir, lui annoncera la trahison de l'homme qui lui avait juré fidélité!
».Vous concevez le chagrin du coq ! Il était désespéré, n'avoir pas vu l'Etoile, ne pas voir l'Enfant et devoir donner le signal maudit. Il y avait de quoi.
» Je ne sais si ce que l'on raconte est vrai, mais il paraît qu'à ce moment-là le coq pleura, et que ses larmes trouvèrent grâce devant Jésus.
» - Ecoute, coq, reprit l'Ange, par ton péché tu as fait ton malheur, mais ton repentir touche l'Enfant. Tout ce que je t'ai prédit devra être; supporte ta punition. Mais sache une chose Celui qui dort dans cette crèche n'est pas de ce monde; il est du ciel où il retournera. Or, un jour lointain que lui seul connaît, il reviendra apporter à ses élus le bonheur définitif qu'aujourd'hui il leur annonce. Et l'Etoile aussi sera là. Quand cela sera-t-il ? Mystère. Mais veille, car ce sera ton chant qui l'annoncera au Monde.
» Et depuis ce temps-là, le coq monte la garde. Parfois, quand tout est noir et que tout dort, on entend sa voix cuivrée,
» - Cocorico lance-t-il au ciel.
» Et son chant veut dire « Etoile ! Etoile ! es-tu là? »
» Mais, elle n'y est pas encore. Alors, tristement, il se tait et songe; mais, fidèle à sa mission, il veille attendant le retour de l'Astre, qu'il ne sut pas voir, mais qui reviendra… une nuit. ».
… Et comme la vieille Martine s'était tue, à nouveau, au lointain, le chant s'éleva.
- Ecoutez, nous dit-elle en citant le proverbe :
Es lou gau qu'espero
l'Estello d'ou darriè sero
Et, nous étant précipités à la fenêtre, Magali et moi, nous cherchâmes dans la nuit si l'Astre d'or brillait.
Mais il n'y avait que les constellations.de toujours : Le Chariot, le Chemin de saint Jacques, le Baudrier d'Or, Maguelon.
L'Étoile du dernier soir n'était pas encore là.
Charles de Richter.