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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 15:21

Décembre 2012
Hommage à
Maurice Barrès
 

- Tel qu'en lui même, par Paul Gilbert.  [lire]

- Hommage à Maurice Barrès, par Rémi Clouard.  [lire]
Six centième anniversaire de la naissance de Jeanne, cent-cinquantième anniversaire de celle de Barrès ... L'auteur du Roman de l'Energie nationale aurait sans doute aimé cette coïncidence des dates qui veut qu'on lui rende hommage la même année que la bergère de Domrémy, cette vivante image de la France. Il aurait également souri de notre ingénuité. Quoi ? Vouloir évoquer en quelques dizaines de pages une oeuvre qui a la dimension d'un continent littéraire et qui cristallise une partie de notre histoire récente ? Voilà qui ne manque pas de présomption ! Surtout lorsque les témoins de la vie et de l'oeuvre de Barrès ont disparu depuis longtemps et que les "passeurs" de cette vie et de cette oeuvre se sont faits, avec le temps, de plus en plus rares. Raison de plus pour honorer Barrès, tout en lui rendant hommage d'une manière différente. C'est moins avec les images et les souvenirs qu'avec les mots, qu'en fouillant dans la poussière des articles, des commentaires, des mémoires et des notes, que l'on peut aujourd'hui ressusciter Barrès. Que ce nouveau Barrès puisse de temps à autre différer des jugements de ses contemporains n'est pas pour nous fâcher. Ni sans doute pour lui déplaire !

Lectures et témoignages 

- Points de vue d'hier et d'aujourd'hui, présentés par Eugène Charles.  [lire] 
Idolatré ou détesté, Barrès n'a laissé personne indifférent. Aux images du Prince de la jeunesse, puis du héros de la France au combat ont répondu d'autres images : celle du dandy hautain ou du "rossignol du carnage". Certains prétendirent que le temps effacerait ses traces et pourtant il n'en est rien.

- Dans le grand cabinet de Neuilly, par Henri Massis.
Massis, le disciple et l'ami. fait revivre les longues heures passées dans le vaste bureau de Barrès, encombré de livres, entre Napoléon et Condé, à s'interroger sur Pascal, à invoquer l'ombre de Goethe et celle de Renan, ou, plus simplement, à travailler à refaire la France.  

- Barrès à la Chambre, par Marie de Roux.
Maurice Barrès a aimé la politique autant que l'art d'écrire. S'il haïssait les moeurs parlementaires, il savait que la Chambre était le laboratoire du régime, et qu'une bonne idée, partagée par quelques têtes solides, pouvait parfois déboucher sur des décisions heureuses. Ni parti, ni système, un haut empirisme patriotique le guidait. 

- Le retour de Barrès à sa terre et à ses morts, par Henri Bordeaux.
"Maintenant, c'est le dernier acte. Ce cimetière où il va trouver le repos qu'il se refusait, il me semble le reconnaître tant il nous en a parlé. Il est semblable à celui qui nous attend, nous qui connaissons la douceur d'appartenir à un petit pays : des monuments pressés, en désordre, sans art, et à l'entour un paysage familier". 

- Sur Maurice Barrès. Entretien avec André Malraux.
Pour Malraux. le vrai conflit de Barrès n'est pas avec l'Allemagne, il est avec l'Asie.

- Visites à Barrès, par Jean Cocteau.
« On a si bassement compris mes Visites à Barrès !» se lamentait Jean Cocteau. Derrière l'espièglerie du potache, se cachait une profonde sympathie pour l'éternel jeune homme qu'était Barrès. « Je jouais. Je connais trop le tour d’esprit de Barrès pour ne pas savoir qu’il m’approuve. »

Hommages

La rencontre avec Barrès, par François Mauriac.
Barrès n'était pas un mort qui enterrait les morts mais un grand vivant.

- Notes sur Barrès, par Henri de Montherlant.
Barrès, noble, superbe et, sur la fin, désarmé.

- Avec Barrès, par Jean-Marie Domenach.
Pour Domenach, Barrès fut le type même de "l'écrivain engagé-dégagé".

- S'il faut choisir, je me dirais barrésien, par Louis Aragon.
Aragon persiste et signe : Barrès a, pendant longtemps, détourné le cours de ses pensées. 

- L'économie de Barrès, par Pierre Drieu La Rochelle.
Ce qui fascine Drieu chez Barrès, c'est sa capacité à mêler intimement littérature et politique.

Enquête

- Que reste-t-il de Barrès ?  Enquête (fictive) réalisée par Henri Dagan.
Les réponses qu'auraient pu faire Philippe Sollers, Michel Déon, Olivier Maulin, Jean d'Ormesson, Frédéric Mitterrand, Jean-Marie Rouart, Jean Clair, Marc Fumarolli, Jean Clair, Pierre Nora, Dominique Fernandez.

Etudes

- Qualis artifex pereo, par Hugues Lagrange.
Le programme du jeune Barrès - ne compter que sur soi dans un monde sans certitudes - continue de séduire les jeunes générations et les esprits libres.

- Les Amitiés françaises, par Paul Gilbert.
Chez Barrès, l'idée de patrie ne se résume pas à la préservation d'un passé commun. Elle repose sur bien d'autres valeurs, comme l'amitié, la liberté, l'honneur et l'aspiration à l'immortalité.

- Le mystère Barrès, par Jacques de Pascal.
Barrès, sous l'influence contradictoire de Renan et de Pascal.

- De la Lorraine au Rhin, par Henri de la Barre de Fréville.
Contre le prussianisme, l'équibre de l'Europe passe par le Rhin, nous dit Barrès.

- L'Orient de Barrès, par Claude Arès..

- Barrès voyageur, par Pierre Benoit..

- Paysages passionnés, par Claude Cellerier..

- Les postérités de Barrès, par Eugène Charles.

Documents

- Lettres à Stanislas de Guaita, Charles Maurras, Anna de Noailles.
Trois visages de Barrès.

- Bibliographie, par Paul Gilbert.

Conte de Noël

- Le coq qui espère, un conte de Charles de Richter.

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 22:14
Effel Noël
 

La rédaction de la Revue critique des idées et des livres souhaite à Monseigneur le Comte de Paris, à la Famille de France et à tous ses lecteurs un joyeux Noël.

 
Le Coq qui espère
------
Un conte de Noël provençal
 
 
C
 ette année-là, le 24 décembre, il arriva une chose qui n'était jamais arrivée depuis que ma cousine Magali et moi nous avions ouvert l'œil sur l'Univers.
Vers les deux heures, le soleil se cacha derrière des nuages qui ressemblaient à des balles de coton, et brusquement, sans avertissement aucun, l'atmosphère fut striée de flocons blancs. Il neigeait.
Vous songerez sans doute : La belle invention ! Comme si la neige ne faisait pas partie immuable des décors de veille de Noël !
Dans le reste de la France, peut-être ! Mais ici, en Provence, à Cannes, au bord de cette Méditerranée toujours bleue où se reflètent palmiers, orangers et cactus, la seule neige que l'on y connaisse est la neige des amandiers fleuris. Quelle surprise donc, d'accueillir l'autre, l'authentique.
Magali et moi nous jubilions. Pour un soir de Noël, c'était un vrai soir de Noël, et dans notre contentement de vieux refrains de Saboly nous montaient aux lèvres, et nous n'étions pas loin de croire - pris par la magie du paysage - que quelque part dans les environs, une femme en blanc veillait près d'un berceau où tout à l'heure en poussant à notre tour la porte, nous allions rencontrer : les rois, les bergers, saint Joseph, l'âne, le bœuf et le mouton.
Oh! douces illusions de l'enfance! Combien peu nous importait à ce moment ce que nous apporterait le lendemain dans nos souliers : nous avions la neige, nous n'en demandions pas plus.
Par exemple, là où nous commençâmes à chanter, ce fut après le dîner. Il neigeait toujours et par surcroît une bise assez violente s’était levée qui soufflait en rafale et soulevait de grands fantômes blancs dans la nuit bleutée de clair de lune.
- Quel temps admirable pour une messe de minuit, remarqua notre oncle en collant son front aux vitres. La route d'ici à l'église sera prodigieuse.
La mère, toujours soucieuse de nos santés, ne nous laissa guère le temps de partager cet enthousiasme.
- Evidemment ! L'attristant c’est qu'il faudra laisser les enfants à la maison; il est impossible de les exposer à un froid pareil.
Ce fut un beau concert. Magali se récriait et pleurait, je l'imitais sur un diapason plus haut, l'oncle joignait ses supplications aux nôtres et il n'y eut pas jusqu'à la vieille Martine qui ne quittât ses fourneaux pour plaider notre cause. Ce fut en vain. Notre santé était en jeu, la mère fut inflexible.
Nous aurions, paraît-il, assez le temps de voir de beaux soirs de Noël!
- Mais que ferons-nous en attendant votre retour? demandâmes-nous avec l'accent du désespoir quand nos aînés furent prêts à nous quitter.
Son bâton dans une main, sa lanterne de l'autre, la mère sourit parmi les cache-nez.et les fichus qui l'emmitouflaient.
- Vous aiderez d’abord Martine à dresser la table. Ensuite vous chanterez des cantiques avec elle; et si vous êtes bien sage, elle vous racontera une histoire. N'est-ce pas, Martine?
- Ségur! acquiesça notre nourrice en branlant le chef.
- Et puis, je vous autorise à manger du nougat de capucin. Mais raisonnablement, vous savez! Ou sinon… gare aux souliers vides demain.
Ce n'était évidemment pas ce que nous avions rêvé, mais à défaut de mieux!
Et sitôt la mère partie nous avions commencé à exécuter le programme; par le dernier article d'ailleurs : la confection du nougat de capucin qui est - comme chacun le sait - des noix pressées dans des figues sèches. Un régal de rois… mages.
Après quoi nous nous étions mis en devoir de dresser le couvert. Ce qui n'était pas une petite affaire, car ce n'est pas tous les jours que l'on a à sa table le notaire, le maître d'école, le juge de paix, sans oublier le Doyen de la paroisse, le Doyen qui parlait si bien latin et qui s'écriait joyeusement chaque fois que ma mère l'entretenait de mes progrès : Macte animo, Macte animo, generose puer, sans dire, d'ailleurs, de quels animaux il voulait parler.
II fallait sortir le linge des grandes occasions. Les nappes et les serviettes, qui réfléchissaient la lumière comme si elles eussent été glacées; transvaser le vin blanc et le vin rosé dans les carafons de cristal; mettre de la mousse ici, du houx et du gui par là; arranger sur des compotiers les passerilles ridées, les noix, les pistaches, les grenades, les kakis, les figues… que sais-je encore! Bref, faire une table qui flattait l'œil en disant clairement : c'est Noël. Sans oublier les accessoires symboliques : le chandelier dont la flamme présagera la joie ou la tristesse aux hôtes réunis, et les assiettes où l'on avait mis du blé à germer, et qui, maintenant, s'ornaient d'un vert gazon, indice certain de la prospérité des cultures du mas.
 
*
*   *
 
Ceci fait et cela avait demandé du temps nous nous étions assis avec Martine au coin de la cheminée et là, dans notre cher provençal, nous avions chanté des « Nouvés » de Saboly, ces vieux noëls que notre peuple chante depuis plus de trois cents ans et qu'il chantera encore, Dieu merci, en dépit de ceux qui voudraient lui faire renoncer à sa langue et à sa foi.
La fatigue avait commencé à se faire sentir pourtant, et tandis que seul, cette fois, je reprenais un refrain, la voix de Magali monta.
- Martine, une histoire, veux-tu?
Martine fit semblant de ne pas entendre. Je l'interrompis à mon tour.
- Oui, Martine, une histoire, une belle histoire!
- Et laquelle, bonne mère ?
- Mais je ne sais pas, Martine! Une histoire de Noël.
- Té vai! Depuis que je vous en conte, vous les connaissez toutes. Anen, revenons aux cantiques : I a proun de gens, qui van en roumevage…
Il n'y eut qu'une seule et même protestation.
- Non, non, Martine, une histoire!
A ce moment, un coq chanta dans la nuit.
- Ah! murmura Martine, si le ciel lui même s'en mêle! Tenez la voilà, ça s'appelle : Le Coq qui espère, et je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup à même de vous la conter. Moi-même, je l'avais oubliée. C'est le chant de cet animal (Macte animo, songeai-je en moi-même) qui me l'a remise en mémoire. Ecoutez.
Et nous approchâmes nos chaises, et voici l'histoire telle qu'elle nous fut narrée par Martine.
« En ce temps-là, mes enfants, il y a bien longtemps, un grand bruit s'était répandu sur la terre : quelque chose allait se passer. Quelque chose que l'on ne pouvait préciser au juste, mais que l'on sentait, comme l'hirondelle prévoit l'hiver, et le pétrel la tempête.
» On sentait que les destinées du vieux monde allaient être changées, et l'on avait conscience qu'il y aurait du bonheur pour tout le monde, un grand avènement de fraternité.
» Je ne sais si ce que l'on a raconté depuis est vrai, mais ii paraît que cette année-là, les fleurs furent plus belles qu'à l’accoutumée, et que de mémoire d'homme on ne vit récolte aussi abondante ni vendanges plus belles
» On aurait dit que la terre se parait dans l'attente de celui qui .allait venir.
» Ce qu'il y a de certain, c'est que les animaux furent les premiers avertis. N'étant pas alourdis par le péché, ils communiquaient directement avec les anges et, par eux, savaient tout ce qui se passait de l'autre côté de la voûte bleue.
» Une alouette dût l'apprendre en montant dire sa prière au firmament, et par elle la nouvelle se propagea à tire-d'aile.
» Quelque chose allait se passer. Mais où ? Là était la grande question.
» Chaque jour les sédentaires interrogeaient anxieusement les voyageurs de l'air. Mais les voyageurs ne pouvaient que hocher la tête. Ils ne savaient rien.
» Pourtant avec le temps, un bruit prit naissance, apporté par des canards sauvages, et ce ne fut bientôt plus un secret pour personne, que la grande chose se passerait en Palestine, un pays situé au delà de la grande mer bleue que l'on appelle là Méditerranée.
» Naturellement, les bêtes de tous les autres pays en furent déçues; mais puisque telle était la volonté divine, elles n'avaient qu'à s'incliner.
» Et puis, un autre bruit se répandit - apporté par une colombe celui-là : une Etoile devait annoncer le prodige. Que chacun veille donc, et sitôt qu'apparaîtrait l'astre, ils pourraient se dire : « Le Règne du Seigneur est arrivé. Gloire à Dieu au plus haut des cieux.»
» Vous pensez si cette nouvelle fut commentée.
» De ce moment-là, il n'y eut plus une seule bête qui consentit à fermer les paupières la nuit. Tous veillaient pour saluer l'apparition et la suivre en chantant.
» Quand je dis tous, je me trompe. Il y eut une bête qui se refusa à monter cette garde d'honneur : le coq.
» Que voulez-vous, il était un peu excusable. De père en fils, c'était lui qui était chargé d'annoncer le lever du soleil et de dire à toute la création « Voici un jour nouveau. »
» Allait-il s'astreindre à guetter toute la nuit?
» - Bah! se dit-il, les autres veillent pour moi. Je serai toujours averti à temps. Dormons tranquillement.
» Et c'est pourquoi, seul de tous les animaux, il ne changea rien à sa manière de vivre.
» Cocorico! lançait-il tous les matins.
» Et à son appel, les bêtes fatiguées de leur longue attente se secouaient, partaient à travers champs; les hommes s'éveillaient dans les villes et le soleil apparaissait.
» - Cocorico!
» Et le travail reprenait et l'on entendait le bruit des chaînes de puits et les cris des âniers.
» - Cocorico!
» Et après ce troisième appel il demandait à l'oiseau qui passait :
» - L'Etoile est-elle arrivée?
» Mais le passereau répondait « Pas encore » et s'enfuyait à tire-d'aile ; et petit à petit le doute s'insinuait dans le cœur du coq.
» … Et des jours se passaient. L'été avait succédé au printemps, et l'automne lui-même avait fui. Des feuilles mordorées qui jonchaient le sol, il ne restait plus rien ; les arbres étaient dénudés et à travers la plaine soufflait la froide bise.
» Et voici qu'un matin en s'éveillant, le coq grimpa sur son perchoir.
» - Cocorico! lança-t-il.
» Mais à sa grande stupéfaction, aucune voix ne lui répondit, on eût dit qu'il chantait dans le désert.
» Il battit violemment des ailes et allait pousser son second cri, quand, à l'horizon, qu'aperçoit-il?
» Toutes les bêtes qu'il réveillait d'ordinaire, qui s'en revenaient vers leur gîte en un joyeux tumulte, mêlées sans crainte les unes aux autres, se félicitant et fraternisant : les loups avec les agneaux, les colombes avec les vautours.
» - Mais que se passe-t-il donc? se demanda notre coq, n'en pouvant croire ses yeux.
» Un passereau, à qui il posa cette question, lui lança dans un trille :
» - L'Etoile! L'Etoile!
» Le coq se sentit frémir.
» - Elle est arrivée ?
» - Cette nuit. Elle est apparue à l'horizon. Et nous l'avons suivie jusqu'à l’étable où elle s'est arrêtée. Et là… Ah ! si tu savais !!!
» Et vous devinez quel récit l'oiseau fit au coq.
» Celui-ci était désespéré.
» - Mais, pourquoi ne m'avoir pas éveillé? Vous ne pouviez pas chanter, faire du bruit?
» - Nous étions en extase; et près de la crèche nous n'avons pu que nous recueillir et prier.
» - Soit! se dit le coq. J'ai manqué l'Etoile, mais il ne sera pas dit que je ne verrai pas l'Enfant et sa Mère.
» Et, s'élançant dans les airs, il fut bientôt devant l'étable où des bergers étaient agenouillés.
» Un ange l'arrêta sur le seuil.
» - Où vas-tu, coq?
» - Voir le Nouveau-Né! répondit-il, en battant des ailes.
» Et voici l'ange qui le regarde, de ce regard qui lit au fond des cœurs.
» - Pourquoi n'étais-tu pas avec ceux qui suivirent l'Etoile?
» - Hélas! avoua le coq. Je n'avais pas voulu veiller et je dormais.
» Les yeux de l'Ange se voilèrent de tristesse.
» - Alors, renonce à ton espoir. Ton Chant, aurait pu accueillir l'enfant, dans la joie. Tu ne l'as pas voulu. Non seulement ne le verras tu pas, mais encore ce sera ta voix, qui, un soir, lui annoncera la trahison de l'homme qui lui avait juré fidélité!
».Vous concevez le chagrin du coq ! Il était désespéré, n'avoir pas vu l'Etoile, ne pas voir l'Enfant et devoir donner le signal maudit. Il y avait de quoi.
» Je ne sais si ce que l'on raconte est vrai, mais il paraît qu'à ce moment-là le coq pleura, et que ses larmes trouvèrent grâce devant Jésus.
» - Ecoute, coq, reprit l'Ange, par ton péché tu as fait ton malheur, mais ton repentir touche l'Enfant. Tout ce que je t'ai prédit devra être; supporte ta punition. Mais sache une chose Celui qui dort dans cette crèche n'est pas de ce monde; il est du ciel où il retournera. Or, un jour lointain que lui seul connaît, il reviendra apporter à ses élus le bonheur définitif qu'aujourd'hui il leur annonce. Et l'Etoile aussi sera là. Quand cela sera-t-il ? Mystère. Mais veille, car ce sera ton chant qui l'annoncera au Monde.
» Et depuis ce temps-là, le coq monte la garde. Parfois, quand tout est noir et que tout dort, on entend sa voix cuivrée,
» - Cocorico lance-t-il au ciel.
» Et son chant veut dire « Etoile ! Etoile ! es-tu là? »
» Mais, elle n'y est pas encore. Alors, tristement, il se tait et songe; mais, fidèle à sa mission, il veille attendant le retour de l'Astre, qu'il ne sut pas voir, mais qui reviendra… une nuit. ».
… Et comme la vieille Martine s'était tue, à nouveau, au lointain, le chant s'éleva.
- Ecoutez, nous dit-elle en citant le proverbe :
Es lou gau qu'espero
l'Estello d'ou darriè sero
Et, nous étant précipités à la fenêtre, Magali et moi, nous cherchâmes dans la nuit si l'Astre d'or brillait.
Mais il n'y avait que les constellations.de toujours : Le Chariot, le Chemin de saint Jacques, le Baudrier d'Or, Maguelon.
L'Étoile du dernier soir n'était pas encore là.
Charles de Richter.
 
Effel Noël 2
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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 22:07
 
 
soledad
 
 
 
L'Espagne, au loin, la mer
Dormante sous la lune

La haute croix de fer
Au sommet de la dune,

Ce calme, cette nuit
De jasmins embaumée

Tout ce royaume où luit
L'étoile bien-aimée,

Dans quelle élection,
Mon coeur, plus belle au monde,

Ta désolation
Fut-elle plus profonde?
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
avignon, sombre fleur
 
 
 
Avignon, sombre fleur sans pareille et sans nom
Qu'on détache le soir et la nuit qu'on respire,
Belle, voluptueuse et cruelle Avignon,
J'ai trouve dans tes murs le meilleur et le pire.

Le meilleur, si l'amour d'un temps qui fut perdu
A choisi pour renaître une heure enfin bénie,
Le Pire, si d'entrer au jardin défendu,
M'a laisse Plus amer que jamais dans ma vie ;

Et comme, en regagnant les ténèbres du nord
A travers le sommeil de villes inconnues,
Je passais lentement de la vie à la mort,
Avignon, j'ai rêvé de tes étoiles nues.
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
la fraîche pluie
 
 
 
La fraîche pluie et le soleil,
Le vent d'été qui les emmêle,
Mon Enfant, ce jour est pareil
A mon âme folle et fidèle.

Mon Enfant, n'en ayez pas peur,
Car l'amour est aussi, je pense,
Tissé de fièvre, de douceur,
De soleil, d'ombre et de silence.
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
colombe-copie-1.jpg
 
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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 17:42
Alexandre
le bienveillant 
VIALATTE Alexandre
 
Il est rare qu’une année passe sans nous apporter des nouvelles d’Alexandre Vialatte. En 2011, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition, c’est le critique littéraire qui faisait sa réapparition avec la publication, chez Arléa, d’un recueil de chroniques [1] où notre auvergnat confessait sa coupable indulgence pour les écrivains de race et pour les bons livres. Cette année, c’est une autre sympathique maison d’édition, le Dilettante, qui offre une nouvelle pierre au tombeau d’Alexandre. Ce Cri du canard bleu [2], petit inédit de 1933, n’est ni un traité d’ornithologie ni un guide de voyage dans les lointaines iles Chatham. C’est une trame de roman, laissée à l’état d’ébauche, qui ressort brusquement d’une malle ou d’un tiroir. On y trouve avant la lettre, et comme en miniature, les personnages, les paysages, l’atmosphère enchantée des Fruits du Congo, du Fidèle Berger ou de la Dame du Job. L’auberge, perchée en haut de la montagne, où, le dimanche, « l’accordéon ronfle en tempête, les couples tournoient dans la salle, un chien aboie dans les guérets »; l’affiche, ici celle d’une écuyère de cirque, qui fascine Etienne, le fils de l’auberge; Amélie, sa compagne de jeu, « charmante, modeste et singulière avec ses petites nattes ridicules de poupée alsacienne et ses yeux d’orpheline chinoise »; l’institutrice, belle et fantasque, qui s’évanouit un soir dans la montagne, après avoir partagé entre les écoliers tous les trésors de la vitrine de la classe. Etienne y gagnera ce canard bleu de Colombie, dont le cri, entendu en rêve, l’emportera chaque soir vers d’autres horizons. On y trouve l’enfance, si chaude et si secrète… Et l’adolescence, si dure au rêveur jusqu’à ce qu’elle s’éclaire du visage de l’amitié… Qu’importe si les livres de Vialatte nous racontent toujours les mêmes histoires – la jeunesse, ses sortilèges et les traces qu’elle laisse dans nos pauvres vies. Il suffit que l’auberge apparaisse, avec ses poutres et ses horloges, que les grands sapins s’agitent dans le vent du soir, que la vieille école embaume l’encaustique, que l’odeur des tilleuls parfume la cour du collège et que « la neige des mois noirs tombe derrière les vitres jaunies de l’étude » pour que l’on succombe à nouveau au charme, que l’on soit conquis à nouveau, définitivement conquis. Quel sera le sort d’Etienne, que Vialatte laisse ici au seuil de l’adolescence ? Ira-t-il vivre ses rêves ailleurs, sur les mers bleu d’azur ? Finira-t-il, comme Battling le ténébreux, pauvre victime des amours de jeunesse ? Sombrera-t-il dans la folie, comme le soldat Berger, au spectacle de son pays défait et vaincu ? Ou vivra-t-il comme nous assez longtemps pour lire et relire cette complainte des enfants frivoles que nous reprenons chaque fois avec la même tristesse et avec le même plaisir ?

Eugène Charles



[1]. Alexandre Vialatte, Critique littéraire (Arléa, 2011).

[2]. Alexandre Vialatte, Le Cri du canard bleu (Le Dilettante, 2012).

 
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21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 09:04
Les impasses
de l'économie
 
 
 

 

IDEES
L'avenir de
l'économie.
Jean-Pierre Dupuy.
Seuil.
Février 2012.
292 pages.
 

 
Jean-Pierre Dupuy, né en 1941, est ingénieur, philosophe et épistémologue. Professeur émérite à L’École Polytechnique, il enseigne également à Stanford. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Pour un catastrophisme éclairé (Seuil, 2004), Petite métaphysique des tsunamis (Seuil, 2005), Retour de Tchernobyl (Seuil, 2006), La Marque du sacré (Carnets Nord, 2009).
 
Présentation de l'éditeur.
Ce livre prend acte de l'échec de la pensée économique, incapable de tenir le rôle du politique qu'elle a détrôné : les gouvernements se font les laquais des marchés financiers, et nos sociétés découvrent qu'elles n'ont plus d'avenir. C'est au sein de cette "économystification" qu'il faut être capable d'opérer un sursaut moral et politique. Parti d'Adam Smith, et de l'économie comme "mensonge collectif à soi-même", cet essai renoue avec la thèse de Max Weber sur le rôle de l'éthique protestante dans l'advenue du monde moderne. Il fait entendre ce qu'implique le "choix calviniste", irrationnel aux yeux des experts. Mais la rationalité de ces derniers ne mène qu'à la défiance généralisée et au repli sur soi, propices à tous les mouvements paniques. Dénonçant les conseils des techniciens de l'économie qui cherchent à remplacer le gouvernement des hommes par la gouvernance des choses, Jean-Pierre Dupuy réhabilite la dimension prophétique du politique. Elle seule peut nous sortir de "1'économystification" dont nous sommes les victimes. Car ce n'est pas en déclarant la guerre aux marchés qu'on inventera l'avenir.
 
Le point de vue de La Revue Critique.
Voilà un livre qu’il est difficile de résumer en quelques lignes, tant sa matière est riche et tant les pistes qu’il ouvre sont nouvelles et prometteuses. Son auteur, Jean-Pierre Dupuy, ingénieur des mines, philosophe, épistémologue, est un des meilleurs esprits de notre temps. Il y traite non seulement de la genèse de la pensée économique, mais aussi de ses dérives actuelles et des moyens de la remettre sous contrôle. Vaste programme s’il en est et qui renvoie à tout moment à des questions pleines d’actualité. On retiendra que, pour Dupuy, la place qu’a prise l’économie dans les cerveaux contemporains n’est en rien le fruit du hasard. Elle a rempli un vide, celui laissé par le retrait du sacré. Elle a imposé sa loi comme les religions avaient imposé la leur. Tout comme les anciennes croyances, elle fascine les esprits par sa capacité à appréhender le monde dans son ensemble, à imposer partout ses normes et sa vision de l’avenir. Sa rationalité ne se discute pas ; si ses dogmes font plus ou moins débat, son emprise sur la politique, la culture et y compris sur la vie intime des individus est chaque jour plus sensible. Cette toute-puissance de l’économie n’a pourtant rien d’irrésistible. Comme le souligne Jean-Pierre Dupuy, elle est le résultat d’une usurpation et d’une mystification. Usurpation, car l’économie s’est peu à peu dégagée de la philosophie, dont elle fut longtemps une des disciplines, – d’Aristote à Marx –, pour cannibaliser à son seul profit le monde des idées. Elle agit désormais en dehors de tout principe supérieur, sous ses propres bannières, avec ses propres lois. Et avec ses propres penseurs qui n’ont pas attendu longtemps pour prendre la place des philosophes. Mystification, car sa pseudo rationalité n’est qu’une vue de l’esprit. Si les pères fondateurs de l’économie moderne, comme Adam Smith, ont eu recours à des images aussi pauvres que la « main invisible », c’est pour être compris par le plus grand nombre. En réalité, Dupuy démontre, textes à l’appui, que pour Smith comme pour ses continuateurs, libéraux, marxistes ou keynésiens, c’est moins la volonté de s’enrichir que le désir de créer l’envie, la jalousie, de susciter la passion chez les autres qui suscite l’accumulation des richesses. C’est moins la logique d’accumulation marxiste que la rivalité mimétique de Girard ou l’hubris, l’instinct de démesure d’Aristote, que l’on trouve ici à l’œuvre, sous le vernis de la raison économique. Et l’on sait de quelle violence sociale cette rivalité mimétique et cet hubris peuvent être les porteurs, si l’on n’y prend pas garde. En particulier dans la période de crise aiguë que le monde connait aujourd’hui. Pour sortir de cette logique destructive, conclut Dupuy, il faut remettre les choses dans l’ordre et l’économie à sa place. A défaut de transcendance, c’est à la politique que doit revenir l’autorité supérieure. Une politique substantielle, et selon la formule de Dupuy, prophétique, au sens où elle ne doit pas se contenter de gérer les êtres et les choses mais où elle doit tracer des directions et donner une envie d’agir aux hommes et aux communautés. C’est à ce prix que le monde retrouvera son sens et que l’on pourra à nouveau disserter des valeurs qui fondent la vraie richesse des nations.
vincent maire.
 
Entretien avec Jean-Pierre Dupuy. - La Croix, 5 avril  2012
Professeur émérite à l’École polytechnique et à l’université Stanford, Jean-Pierre Dupuy analyse la crise actuelle en dénonçant la place prise par l’économie dans nos sociétés.
Dans« l’avenir de l’économie », vous dénoncez l’«économystification» de notre société. À quoi se reconnaît-elle ?
> Par exemple, au vocabulaire que les médias emploient pour parler de la crise. On parle étrangement des « marchés », comme s’il s’agissait d’un personnage fantomatique et pluriel, un sujet sans sujet… Or à quoi peut bien se référer ce pluriel, « les marchés », sinon aux multiples tentacules enchevêtrés d’une grosse bête stupide et sans nerfs, qui s’affole au moindre bruit et réalise cela même qu’elle anticipe avec terreur. J’ai cherché à faire oublier cette image. Ce que l’on voit alors, ce sont des hommes en position de pouvoir qui se couchent devant un fantasme, le transformant ainsi en chose réelle dotée d’une force extraordinaire.
Comment expliquez la place prise par l’économie dans nos sociétés ?
> L’économie occupe la place laissée vacante par le retrait du sacré. On voit d’ailleurs bien que « les marchés » officient comme un grand prêtre. Comme un grand sacrificateur, « les marchés » se préparent à offrir en holocauste aux dieux de l’Olympe le nombre de victimes qu’ils leur demandent. Qui ne voit que cette rhétorique reprend les termes du sacré le plus primitif et constitue une incroyable régression par rapport aux valeurs les plus fondamentales de la modernité démocratique ? Nous devons sortir de l’économystification dont nous sommes les victimes.
Votre charge est puissante contre les économistes. Que leur reprochez-vous ?
> Si j’accuse les économistes, c’est pour leur naïveté. Ils se trompent eux-mêmes et sont victimes d’un auto-aveuglement. Ils croient – et nous font croire – que l’économie est l’étude de l’allocation des ressources rares, étude qui serait de l’ordre de la rationalité, de la mesure, de la « bonne gestion de la maisonnée »  comme disaient les Grecs anciens. Tous se réfèrent à Adam Smith comme à leur père fondateur, mais ils ont oublié que celui-ci était d’abord un moraliste. Ils n’ont pas lu sa Théorie des sentiments moraux, où Smith montre que ce n’est pas l’utilité que nous poursuivons, mais tout autre chose. Pour Smith, un quignon de pain et une masure suffiraient largement à assurer le bien-être matériel de chacun. Si l’économie est devenue la quête de l’illimité, c’est qu’elle obéit à une logique du désir et non pas du besoin. Nous recherchons, dit-il, la « sympathy », l’admiration teintée d’envie des autres. Ce sont les passions qui font marcher l’économie. Adam Smith et Max Weber voient bien qu’il y a du spirituel (même s’ils n’utilisent pas ce mot) derrière cette quête d’infini. L’économie est devenue l’incarnation du« mauvais infini », comme dit Hegel.
Cette crise économique, dites-vous, est une crise de notre rapport à l’avenir. Comment s’explique-t-elle ?
> Sous certaines conditions, l’économie « ouvre » l’avenir. Elle a eu cette capacité de nous projeter dans l’avenir, cette manière de nous arracher à nous-mêmes, mais elle a besoin pour cela du politique. Si l’économie se paye le politique – dans tous les sens du mot –, comme c’est le cas aujourd’hui, elle scie la branche sur laquelle elle est assise. Une voie de sortie serait de rétablir le politique dans sa fonction prophétique, qui est de désigner une direction dans l’avenir. C’est ce rapport à l’avenir qui est aujourd’hui en crise. De là vient que l’économie est hantée par le spectre de sa fin. Je crois aussi que, inconsciemment au moins, tous les acteurs ont intégré la contrainte écologique. Nous savons que notre croissance aura une fin, mais nous ne savons pas quand elle interviendra. Cela peut expliquer ce qu’Alan Greenspan appelait « l’exubérance irrationnelle des marchés ».
Voyez-vous venir un sursaut politique ?
> J’y appelle, mais il me paraît en même temps peu vraisemblable. Regardez, hélas, le niveau du débat politique aujourd’hui. Cette campagne est désolante. Nos élites, de droite comme de gauche, sont complètement économystifiées. Chaque fois que le politique dit se battre contre « les marchés » et se félicite d’avoir évité le pire, la puissance se place au même niveau que l’intendance. Qu’elle gagne ou qu’elle perde, peu importe, elle a déjà perdu par le fait même de se battre. Le succès de Jean-Luc Mélenchon s’explique par le fait qu’il pose les vrais problèmes et veut redonner au politique une extériorité par rapport à l’économique.
Vous êtes cependant critique à l’égard de l’anticapitalisme de gauche…
> Oui, car le problème, le « skandalon » comme disaient les Grecs, c’est l’économie. Ce que je vise, ce n’est pas le capitalisme financier, ni le capitalisme tout court, ni le marché régulé ou non. Ce que je critique, c’est la place que joue l’économie dans nos vies individuelles comme dans le fonctionnement de nos sociétés. Cette place est exorbitante et nous trouvons cela banal. L’économie tend à envahir le monde et nos pensées. « Sortir du capitalisme »  est le mot d’ordre d’une gauche qui n’en voit que les méfaits, mais pour aller où ? N’oublions pas que l’économie contient la violence, dans les deux sens du mot. Elle fait barrage à la violence par des moyens violents. Seuls les borgnes ne voient que la violence de l’économie et peuvent se réjouir de sa dissolution sans autre forme de procès. Peut-être le regretterons-nous un jour, ce capitalisme honni… C’est moins du capitalisme qu’il faut sortir que de l’économystification du politique, en inventant par là même une nouvelle forme de raison économique.
 
Autre article recommandé : Gérard Leclerc, "Sortir de l'économystification", Royaliste n° 1011. - avril 2012. 
 
 
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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 22:46
Les perdreaux
d'Henri IV
 
Une nouvelle d'Henri Pourrat
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Les chroniques d'Ancien Régime sont pleines de récits domestiques. On y est de plain-pied avec le monarque, dans l'intimité de son cercle de famille ou au milieu de ses proches. Henri IV en particulier aimait ses aises et l'imagerie populaire le représente souvent dans les scènes les plus naturelles, mangeant, buvant, conversant avec ses amis ou partageant les jeux de ses enfants. C'est l'objet de ce petit récit d'Henri Pourrat. Pourrat aimait le Béarnais et il a consacré à Sully [1] une biographie à la fois érudite et pleine de charme. Dans une France qui vit encore à l'heure des campagnes, le Roi revient de la chasse, il  partage son gibier, commente le temps qu'il fait, plaisante joyeusement avec ses lieutenants et se félicite avec eux de la paix et de la prospérité qui règnent sur le royaume. La Reine est, elle aussi, de charmante humeur. Elle lui a préparé un ballet qui représente les félicités de l'âge d'or et s'inspire de l'Astrée. Pendant ce temps, Sully travaille aux grands desseins qu'il a conçus avec son maître et évalue les progrès de la France à l'ouvrage. Voilà une petite fable qui ne prétend à rien mais qui est pleine de sagesse politique. 
eugène charles.
 
Les perdreaux d'Henri IV et le ballet de la Reine
 
Avant le jour, dès quatre heures, Sully s’est mis à sa table de travail, à l’Arsenal. Il est là, devant ces papiers où est la France. Depuis six ans, avec le Roi, aux côtés du Roi, il a rebâti le pays. Ils ont tout refait : les finances, les routes, les canaux avec leurs écluses, les places avec leurs bastions et leurs courtines, le labourage et le pâturage, dans un pays où les villages et les métairies même étaient déserts.
Ils ont refait le goût du labeur et celui du bel ouvrage, le goût de la netteté et du grand ordre. Ils ont refait la France même et davantage : le bon courage des Français. Et maintenant, dans ces papiers qu’il tient, lui, sous sa main, il a les nouvelles de tout le grand pays, et voici que partout, des quatre roues, tout commence à rouler.
 
I. - Le vrai régal du Roi.

 
De bon matin aussi, le Roi s’est éveillé. Il fera beau, le jour est déjà clair. Il veut tout de suite aller voler des perdreaux, afin de revenir d’assez bonne heure pour les manger à midi. Il ne les trouve jamais si bons que lorsqu’ils sont pris à l’oiseau, et surtout lorsque lui-même les leur peut arracher de sa main…
… Les choses sont allées comme il l’avait souhaité. Il revient au Louvre alors que le chaud commence à piquer. Ayant en sa main les perdreaux, il monte en sa grande salle. A son haut boute il aperçoit La Varenne et Coquet qui causent ensemble, attendant son retour.
- Coquet, Coquet, crie-t-il, vous ne devez pas plaindre notre dîner à Roquelaure, Termes, Frontenac, Harambure, ni à moi.
Il apporta en effet de quoi les traiter. Vite, il envoie coucher les perdreaux à la broche, faisant la part de ses amis, en réservant huit pour sa femme et pour lui, - ce seront, pour lui, les moins présentables, qui ont été pincés de l’oiseau : « il y en a trois bien gros que je leur ai ôtés et auxquels ils n’avaient encore guère touché », dit-il.
Tandis qu’il est là, triant, faisant les partages, il voit venir La Clielle, avec son gros bâton, et Parfait, qui porte un grand bassin doré, couvert d’une serviette. «  Sire, crie de loin Parfait, si haut qu’il peut, avec la gaie liberté qu’aime le Roi, embrassez-moi la cuisse, Sire, embrassez-moi la cuisse, car j’en ai quantité, et de fort bons. »
« Voilà Parfait bien réjoui, dit le Roi, cela lui fera faire un doigt de lard sur les côtes. Je vois bien qu’il m’apporte de bons melons, dont je suis bien aise. » Le Roi doit aimer les melons. – il aime les prunes de Damas, les fruits, les laitages. Ils ne lui font jamais mal, dit-il, quand il les mange ayant bien faim avant la viande comme ses médecins le lui ordonnent. « Mais je veux aussi que vous quatre y ayez aussi votre part : c’est pourquoi n’allez pas après les perdreaux que vous n’ayez vos melons. »
Il achève ses partages, s’en va en la chambre, où en entrant il donne deux des melons à deux des garçons qui sont à la porte, leur disant de les porter à tel ou telle. Mais voici que de son long cabinet aux oiseaux sortent Fourcy, Beringhem et La Font qui porte un grand paquet enveloppé.
- La Font, dit le Roi, m’apportez-vous encore quelque ragoût pour mon diner ?
- Oui, Sire, répond Beringhem, mais ce sont viandes creuses qui ne sont bonnes qu’à repaître la vue.
- Oh ! dit le Roi, ce n’est pas ce qu’il me faut, car je meurs de faim et je veux diner avant toutes chose.
En attendant mieux, il va commencer par ses melons et un trait des de muscat.
- Mais encore, La Font, qu’est-ce que cela que vous portez ainsi bien enveloppé ?
- Sire, dit Fourcy, ce sont des patrons de diverses sortes d’étoffes, tapis et tapisseries que veulent entreprendre de faire, par excellence, vos meilleurs manufacturiers.
- Or bien, cela sera bon après diner, afin de le montrer à ma femme.
Le Roi aimerait aussi le montrer à un certain homme avec lequel il n’est pas toujours d’accord : principalement lorsqu’il est question de ce que cet homme appelle des babioles. «  Il me dit souvent qu’il ne trouve jamais rien de beau ni de bien fait quand cela coute le double de sa vraie valeur. Je n’ignore pas sur quoi ni pourquoi il dit cela : mais je ne lui en fais pas semblant. Partant, Fourcy, envoyez-le quérir en diligence et qu’on lui mène plutôt un de mes carrosses qui est en la cour, ou bien le vôtre. »
 
II. - Le bon succès des affaires.
 
Il se trouve que le cocher rencontre un laquais que Rosny envoie au Louvre voir ce que fait le Roi. Et Rosny, lui, est là à diner chez Mme de Guise. Le cocher va l’y prendre. De sorte que le Roi est surpris de voir entrer si tôt Rosny dans sa chambre.
- Vous êtes bien diligent, mais il n’est pas possible que vous veniez de l’Arsenal ?
Et lorsqu’il apprit que Rosny dînait chez Mme de Guise : « Oh ! dit-il, je sais bien que toute cette maison-là vous aime fort, ce dont je suis très aise : car je crois que tant qu’ils vous croiront, ils ne feront rien qui nuise ni à ma personne, ni à mon Etat. »
- Sire, fait Rosny, Votre Majesté m’a dit tout cela de si bonne façon, que je vois bien qu’elle est en bonne humeur et plus contente de moi qu’elle n’était il y a quinze jours.
- Quoi ? Vous souvient-il encore de cela ? Ne savez-vous pas bien que nos petits dépits ne doivent jamais passer les vingt-quatre heures, comme je sais que cela ne vous a pas empêché, dès le lendemain de ma colère, d’entreprendre une bonne affaire pour mes finances.
Mais c’est vrai que le Roi est de joyeuse humeur. Il y a trois mois qu’il ne s’était trouvé si léger, si dispos. « J’ai eu un fort beau jour de chasse. Mes oiseaux ont si bien volé, mes lévriers si bien couru, que ceux-là ont pris force perdreaux et ceux-ci trois grands levrauts. On m’a rapporté le meilleur de mes autours que je pensais avoir perdu. »
Puis de toutes parts de bons succès en ses affaires. Jamais l’année ne fut si fertile et son peuple sera grandement riche, s’il veut ouvrir les traites, c’est-à-dire donner des permis d’exportation. Les brouilleries de Marseille sont entièrement apaisées. En Angleterre, le prince de Galles parle incessamment de lui. En Italie, il croit avoir réconcilié les Vénitiens et le Pape. Toute l’Europe devient amicale et sage. Espagnols et Flamands à Ostende et à l’Ecluse, ayant eu des succès partagés et fait une furieuse consommation d’hommes, de munitions et d’argent, sont réduits à des faiblesses et à des disettes égales. Ils seront contraints d’entendre à une paix dont le Roi de France sera l’arbitre. Et ce sera pour commencer à la rendre l’amiable compositeur de tous les différends entre les princes chrétiens. Par surcroît, à table, de messieurs du Laurens, du Perron, des Yvetots, Coton et autres, que d’agréables discours !
Le Roi, du reste, ne se connait pas si peu soi même, que malgré les excessives louanges qu’ils lui ont données, il ne sache bien qu’il a ses manquements comme les autres rois. Il ne s’en trouvera jamais de tout parfaits. Quant à ses prospérités, qu’ils ont tant exaltées, s’ils avaient couru toutes ses fortunes, ils changeraient de langage. Les mauvaises ont été plus fréquentes mille fois que les bonnes. Surtout, ses ennemis ne lui ont point fait recevoir tant d’ennuis, de dépits, d’angoisses, que n’ont fait certains de ses amis et serviteurs.
En sage homme d’Eglise, M. du Perron prend texte là-dessus. Le peu d’assistance humaine que le Roi a reçue de ceux qui devaient le plus lui en donner fait mieux apparaître les merveilles de Dieu à son endroit. Tout le monde lui a été contraire humainement, et il a sauvé tout le monde, divinement. Car Dieu a mis les trésors de ses bénéficiences en des vaisseaux d’argile, afin que la gloire en revienne à sa bonté, et qu’il rende aussi glorieux celui dont il s’est servi pour faire ces miracles.
Sur ces grâces mises en des vaisseaux d’argile, le Roi pourra faire de chrétiennes réflexions s’il le désire. Curieusement les Oeconomies font tout au long le récit de cette journée à la fois familière et extraordinaire. Elles rapportent les propos que tient aussi Rosny. Qu’ajouter à ce que M. du Perron a dit, parlant d’un si haut style ? C’est vrai pourtant que l’esprit du Roi a été plus travaillé par ses familles que par ses ennemies, et que les temps pacifiques lui ont donné plus de peine et d’anxiétés que les temps les plus militaires. Rosny dira donc que, tout en choisissant et en formant excellemment le Roi pour opérer une œuvre merveilleuse, Dieu a environné l’exécution de cette œuvre de tant de contradictions et d’oppositions qu’elle paraissait impossible. C’était pour faire admirer d’autant plus ses voies. Puissent donc les nations d’Europe, et surtout la nation française, mieux tenir ce roi bien-aimé pour roi de leurs félicités, et mieux exercer entre elles, quand à leurs diverses religions, la charité voulue par les Evangiles.
Il arrête là son discours. Car le Roi, apercevant la Reine qui sort de sa chambre, s’est levé. Il va au-devant d’elle, lui criant d’aussi loin qu’il l’a vue :
- Hé bien ! m’amie, vous ai-je pas envoyé de bons melons et de bons perdreaux ? Si vous aviez aussi bob appétit que moi, vous leur aurez fait bonne chère, car je ne mangeai jamais tant ni ne fus il y a longtemps en si bonne humeur que je suis. Demandez-le à Rosny : il vous en dira les causes.
-Or, Monsieur, dit la Reine, nous nous sommes donc bien rencontrés ce jourd’hui car je ne fus jamais plus gaie, ne me portai jamais mieux. Et pour vous continuer en vos joies et allégresses, je vous ai fait préparer un ballet…

 
III. - Les félicités de l’âge d’or.
 
Ce ballet, qui est de son invention, mais où elle ne nie pas d’avoir eu l’aide de Duret et de la Clavelle, ce matin, pendant que le Roi était à la chasse, représente les félicités de l’âge d’or.
C’est un sujet à la mode, avec l’Astrée, avec le Théâtre d’Agriculture. Des rives du Lignon part un courant qui porte la France et ses poètes vers un royaume de prairies, de bosquets tout dorés d’un soleil pastoral.
- O m’amie, dit le Roi, que je suis aise de vous voir ainsi en bonne humeur ! Partant, je vous en prie, vivons toujours de même.
Il veut lui montrer maintenant les patrons de tapisseries que Fourcy a apportés, afin qu’elle dise son avis. Celui de l’homme qui goûte peu les babioles, il le sait déjà bien… « Mais pour faire danser et voir bien à l’aise votre ballet, il faut que ce soit chez lui, en cette grande salle que je lui ai fait faire exprès pour cela et qu’il ait le soin d’y faire entrer le monde par ordre. »
Le soin de l’ordre. Même pour ce ballet improvisé de la Reine, il convient que par l’homme au bâton tout soit réglé. Qu’un instant, du milieu des jours et des affaires, s’esquisse une sorte de suspens. Et comme si l’on était sur un gazon, à l’ombrage d’un large ormeau, près des bergers et des blanches brebis, qu’on bâtisse par le milieu de l’air le rêve renouvelé d’une félicité rustique.
 

Ce ne sont pas les grands mais les simples paysans
Que la terre connaît comme enfants complaisants.
La terre n’aime pas le sang ni les ordures.
Ils ne sont des tyrans et de leurs mains impures
Qu’ordures ni que sang. Les aimés laboureurs
Ouvragent son beau sein de si belles couleurs,
Font courir les ruisseaux dedans les vertes prées,
Par les sauvages fleurs en émail diaprées…
Ils sont peintres, brodeurs, et puis leur grand tapis
Noircissent de raisins et jaunissent d’épis;
Les ombreuses forêts, leurs demeures plus franches,
Eventent leurs sueurs et les couvrent de branches…

 
C’est cela, c’est cela. Les vrais brodeurs, les vrais tisseurs de tapisseries, ce sont les aimés laboureurs : ceux dont les droiturières mains, dit d’Aubigné, tracent au cordeau, par compas et par ordre, les carreaux des champs, les parterres, les allées des jardins azurés, et tirent de la terre les vendanges et les moissons. Labourage et pâturage, c’est déjà l’ordre et la règle.
Autrement, il n’y a pas de pastorale. La pastorale, ca n’existe pas. Sully le sait bien. Il a lu les histoires. Aux adversités d’hier succèdent aujourd’hui les prospérités. Mais demain peuvent revenir les adversités.

henri pourrat.
 

[1]. Henri Pourrat, Sully et sa grande passion (Flammarion, 1942).
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29 novembre 2012 4 29 /11 /novembre /2012 23:21
La France 
qui se bat...        
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Vendredi 2 novembre
- ArcelorMittal annonce de nouvelles mesures de rationalisation de ses activités en Europe. A Dunkerque, pourtant le site le plus performant du groupe, l'arrêt d'un des quatre hauts-fourneaux est confirmé. La même décision est prise en Espagne dans un des sites des Asturies.
Lundi 5 novembre
- L'entreprise Belipa (composants de meubles), située à Ecommoy (Sarthe), est mise en liquidation judiciaire. Cette filiale du holding international Eurofind employait 118 salariés, en cours de licenciements. 
- Les salariés de la laiterie Novandie de Marcillé-Raoul (Ille-et-Vilaine) se mettent en grève et retiennent le directeur du site ainsi que le DRH. Le groupe Andros, qui détient la laiterie, avait annoncé en juin la suppression de 76 postes sur 168. Le personnel exige l'ouverture de négociations.
Mardi 6 novembre
- Le comité confédéral national de la CGT désigne comme prévu M. Thierry Lepaon comme prochain secrétaire général de la centrale. M. Lepaon sera officiellement élu lors du congrès de la CGT qui se tiendra à  Toulouse, du 18 au 22 mars prochains.
- Le fabricant de chaussures de sécurité Jal group, propriété du fonds d'investissement italien Progressio, annonce la suppression de 57 postes sur 133 dans sa filiale Jallatte de Saint Hippolyte du Fort (Gard). Les élus et les syndicats se mobilisent pour l'avenir du site.
Mercredi 7 novembre
- Le tribunal de commerce d'Annecy écarte le projet de reprise de l'entreprise de composants électroniques SET par ses salarié et marque sa préférence pour l'offre du groupe américano-singapourien K&S. Le gouvernement continue à soutenir les salariés de SET.
- La CGT et FO critiquent la stratégie choisie par le gouvernement en matière de compétitivité. "Le crédit d'impôt reste dans la logique d'abaisser le coût du travail, or ce n'est pas le problème", explique la CGT.
Jeudi 8 novembre
- Le groupe d'ameublement Roset-Cinna annonce le licenciement de 93 salariés de ses sites de l'Ain, du Rhône et de l'Isère, en raison d'un carnet de commandes en forte baisse. Un précédent plan social avait conduit au licenciement de 80 personnes en 2009
Vendredi 9 novembre
- Le groupe laitier Sodiaal annonce la fermeture de ses usines du Lude (Sarthe), de Villefranche-sur-Saône (Rhône) et de Saint-Yorre (Allier). 313 emplois sont supprimés sur les 1465 qu'emploie le groupe. Sodiaal promet le reclassement des salariés et une réindustrialisation des sites.
Samedi 10 novembre
- Neuf mois après son achat par le trust anglais R&R, les 123 salariés de l'usine de crème glacée Pilpa de Carcassonne recoivent leur lettre de licenciement. Les syndicats soupçonnent R&R d'avoir repris Pilpa pour supprimer un concurrent et capter ses commandes les plus intéressantes.
Mardi 13 novembre
- La direction de Renault, qui veut conclure d'ici fin janvier un accord de compétitivité, s'engage àne fermer aucune usine en France contre des mesures sur les salaires, les effectifs et le temps de travail. Les syndicats dénoncent un chantage et appellent à une négociation responsable.
- Reprise de SET : le procureur de la république d'Annecy fait appel de la décision du tribunal de commerce en faveur du consortium américano-singapourien K&S. Satisfaction des salariés qui plaident pour une relance de l'activité sous la forme d'une coopérative ouvrière.
Mercredi 14 novembre
- Journée de mobilisation et de grève générale dans toute l'Europe contre l'austérité. En France, la CGT et la CFDT défilent ensemble, malgré leurs divergences stratégiques. Des millions de salariés descendent dans la rue en Espagne, en Italie, au Portugal et en Grèce.
Vendredi 16 novembre
-  Les salariés de Fralib présentent à Benoit Hamon, ministre délégué à l'économie sociale, leur plan de reprise de l'activité du site de Gémenos. 72 employés sur les 182 sont prêts à participer à ce projet de coopérative ouvrière.
Lundi 19  novembre
- Les salariés de l'usine Candia de Saint-Yorre (Allier) se mettent en grève pour protester contre la fermeture du site par le groupe coopératif Soodial et la suppression de 102 emplois.

Mercredi 21 novembre

- A dix jours de la date butoir fixée par ArcelorMittal, Arnaud Montebourg aurait reçu deux offres de reprise du site de Florange mais qui portent sur un périmètre plus large que celui qu'entend céder le groupe Mittal. Le gouvernement et les syndicats appellent le sidérurgiste indien à bouger.
Jeudi 22 novembre
- M. Montebourg déclare au Sénat que l'éventualité d'un contrôle public du site de Florange est sérieusement étudié par le gouvernement : "Le problème de Florange, ce n'est pas les hauts-fourneaux, c'est la défaillance de Mittal et les gouvernements européens en ont assez d'être menés par le bout du nez par ArcelorMittal."
Vendredi 23 novembre
- Le tribunal de commerce du Puy-en-Velay (Haute-Loire) donne son accord aux 46 salariés des textiles Fontanilles d’Espaly-Saint-Marcel (Haute-Loire) pour reprendre leur entreprise en SCOP. C'est le soulagement pour le personnel qui s'est fortement mobilisé pour sauver le site.
Lundi 26 novembre
- Nouvel épisode de la guerre entre le gouvernement et le groupe Mittal. Ce dernier refuse de céder l'intégralité du site de Florange et interdit de fait toute solution de reprise. Arnaud Montebourg : "Nous ne voulons plus de Mittal en France. "  
Mardi 27 novembre
- Lakshmi Mittal est reçu à l'Elysée. Les discussions vont se poursuivre jusqu'à la date butoir du 1er décembre. La nationalisation est largement soutenue, à gauche comme à droite. M. Guaino, ancien conseiller de M. Sarkozy, déclare : "On peut se poser la question de savoir si en 2009 nous avons eu raison de faire confiance à Mittal".
Mercredi 28 novembre
- Le bureau national de la CFDT désigne M. Laurent Berger comme secrétaire général de la confédération, en remplacement de M. Chérèque. Devant l'assemblée générale des syndicats, ce dernier livre son testament politique : "Nous avons fait le choix du réformisme, nous le revendiquons avec fierté, c'est pour nous le choix du progrès et de la justice."
Jeudi 29 novembre
- A saint-Nazaire, les syndicats de STX France et les élus s'inquiètent de l'absence de commandes et lancent un appel à la mobilisation. Parmi les 4000 salariés du chantier naval et de ses sous-traitants, on commence à évoquer la perspective d'une nationalisation. 
- La direction d'Alcatel-Lucent présente un plan de suppressions de 934 postes dans l'ensemble de ses sites français. Contrairement à ce qu'avait annoncé le groupe, le tiers de ces suppressions concerne les activités de R&D, avec en particulier la fermeture du site de Vélizy.
Henri Valois.
 
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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 09:06
 
 
chanson du chat gris
 
 
 
Heure très belle et très fine
Où le soleil non pareil
Qui décline
Promène sur le mur de longues tresses d'or !
Oh ! Regarde... Sur le gazon
Devant la maison...

Le chat gris à la queue rayée,
Qui, charmant tigre domestique,
Lève une patte
Délicate
Et joue avec un moustique.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 
la promenade matinale
 
 
 
Chausse, mon compagnon, tes espadrilles blanches;
II fait grand jour, et la montagne nous attend !...
Nous passerons le pont tremblant, le pont de planche
Nous irons vers ce lac que l'on voit miroitant.

Dépêche, il fait grand jour... Que la montagne est verte !
La sapinière a tant d'arôme ce matin !...
Nous aurons chaud, là-bas, dans la gorge déserte
Où sont les éboulis et les coteaux de thym...

Dépêche-toi !... Déjà toutes les femmes lavent;
Tous les bergers sont loin : entends-tu les troupeaux ?
Hardi, hardi ! Prenons nos sacs et nos chapeaux !...

Je vois un vieux pêcheur marcher au long du gave,
Et dans le pré deux petits gars, en reculant,
Font monter au ciel bleu leur rouge cerf-volant.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 
le port catalan
 
 
 
Que j'aime la douceur de la mer catalane,
Au retour des bateaux, le soir, quand les pêcheurs
Traînent sur les galets, jusqu'au pied des platanes,
Leurs barques aux beaux flancs, claires comme des fleurs.

On pèse les poissons qu'on vend sur le rivage,
Et le vieux Gaudérique en bonnet phrygien,
Fume sa pipe, assis sur un rond de cordages,
Tandis qu'un enfant nu joue avec un gros chien.

Une voile palpite encore au vent d'Espagne ;
On voit parmi les chênes-verts de la montagne
Descendre les mulets portant les raisins noirs...

Que j'aime la douceur de la mer catalane !
Nous danserons, ce soir, quelque lente sardane,
Sous la lune qui luit, pure comme un miroir.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 

soleil 2

 
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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 01:34
La nation contre
les barbares
DANIEL-Jean.jpg
 

Tous ceux qui n’ont pas encore compris que nous avons changé de siècle doivent lire d’urgence le dernier essai de Jean Daniel [1]. L’éditorialiste du Nouvel Observateur aura été, sa vie durant, un homme dérangeant. Il fut, jusqu’au début des années 70, le chantre d’une gauche moderne, réformée et décomplexée, qui nous a beaucoup irrités. Mais il a su aussi braver le jugement de ses proches et de ses amis politiques, lorsque l’exigence de liberté et de vérité était en jeu. Libre, Jean Daniel le fut dès sa jeunesse, en choisissant contre son milieu la Résistance, l’engagement dans l’armée Leclerc et la libération de la patrie. Libre, il le fut aussi vis-à-vis de l’Algérie qui l’avait vu naître, engagé pour l’indépendance algérienne mais intraitable lorsque certains de ses amis – militants et intellectuels - choisirent la voie du déshonneur. Libre, lui, le juif d’Afrique du nord, de pointer les responsabilités d’Israël dans la tragédie palestinienne. Libre aussi de soutenir et de faire connaître au grand jour Soljenitsyne et les premiers dissidents soviétiques lorsqu’il était de bon ton à gauche de les mépriser et de les railler. Non, Jean Daniel est le fruit d’une histoire trop complexe, d’une vie trop libre pour qu’on puisse le résumer à la seule figure de l’intellectuel de la « deuxième gauche», même s’il est aussi cela. Ceux qui suivent le journaliste et l’essayiste depuis longtemps savent que l’honnêteté et le courage sont pour lui des valeurs cardinales. Camus, son inspirateur, et l’ami Maurice Clavel sont passés par là.

Du courage et de l’honnêteté, on en trouve à foison dans cet ouvrage qui n’est pas encore le bilan d’une vie mais qui fait déjà l’inventaire d’un demi-siècle d’engagement politique. Il en faut, en effet, de l’honnêteté et du courage, pour confesser, souvent avec tristesse parfois aussi avec rage, ce que furent les ruptures, les illusions et les déconvenues qui ont encombré la vie d’un homme. Le communisme, la social-démocratie, le tiers-mondisme, un certain libéralisme affolé par l’argent et la peur des pauvres en prennent pour leur grade. Mais le livre de Jean Daniel n’est pas seulement, et loin s’en faut, le récit d’une grande lessive idéologique ou d’un règlement de compte avec soi-même. Il y fait aussi œuvre d’historien, d’analyste et de visionnaire. Il marque les bornes du XXe siècle, cet âge des empires, ce siècle de fer, vivier de toutes les espérances et de tous les totalitarismes. Et il désigne dans le même temps les premiers jalons du siècle qui vient de naître et dont il date la conception quelque part entre la chute du Mur de Berlin et le 11 septembre 2001. Pour qui veut voir, les changements qui ont affecté le monde au cours de ces vingt dernières années sont impressionnants : plus de certitudes idéologiques, une mondialisation partout questionnée, souvent contestée, une Amérique à la dérive, une Europe en crise, le progrès ravalé au rang d’une illusion, les religions qui relèvent la tête, la démocratie, la sainte démocratie, fragilisée, dévoyée, avilie…

Que reste-t-il de vivant, de juste, de consistant, après le passage d’une pareille tempête ? Une idée, nous dit Jean Daniel, une vieille idée mais encore très solide, très résistante: celle de la nation. « Corrigeant les idées de ma jeunesse, oserai-je dire que je ne crois plus à l’individu prométhéen, maître de lui comme de l’univers, ivre de liberté, dépourvu de toute attache, que je ne crois à une communauté politique qui n’ait pas autant de souvenirs que de projets, autant d’héritage que de volonté, autant de tradition que de modernité, et que je n’en sache point d’autre, aussi consistante et éprouvée que la nation ». Belle profession de foi et qui vient visiblement de loin. On sent que, pour Jean Daniel, ce retour à la nation n’est pas le résultat d’un coup de tête ou d’un reste de passion juvénile. C’est une idée réfléchie, qui chemine depuis longtemps et qui apparait aujourd’hui comme une certitude. Ce credo national vient clore une longue quête, une réflexion commencée en 1995, avec un premier livre, Voyage au bout de la nation, qui valut à Daniel beaucoup de critiques du côté de ses amis de gauche. Gageons que c’est de gauche que viendront encore aujourd’hui les jugements les plus sévères [2].

Et pourtant que la gauche se rassure ! Jean Daniel n’a rien renié des principes et des idées qui depuis un demi-siècle l’aident à vivre. Mais il a fini par prendre conscience que la fin des totalitarismes ne se traduirait pas mécaniquement par un recul général de la barbarie. Il a vu les effets désastreux du système marchand qui a fini par l’emporter sur l’ensemble de la planète. Avec lui s’étalent partout la cupidité, l’aliénation des hommes, l’avilissement des pauvres, l’oubli de l’autre, le mépris de la pensée.  Et si Péguy, et si Bloy, et si Bernanos, et si Orwell, et si Clavel avaient eu raison ? Et si du vide des machines, du néant des chiffres, du silence des coffres-forts, de la rumeur des salles des marchés était sorti un nouveau totalitarisme, plus insidieux, plus sournois que les précédents ? Qu’est-ce qui fait donc encore tenir les hommes face aux lois d’airain du capital mondialisé, à la violence des marchés, à l’extrême brutalité de l’exploitation moderne ? Il faut se rendre à l’évidence, nous répond Jean Daniel : c’est moins l’affirmation des droits de l’homme ou la foi abstraite en une démocratie universelle, que l’attachement à une langue, à un voisinage, à des paysages familiers, à une identité, à des frontières qui protègent, à un projet collectif qui mobilise et donne du sens à la vie. Les nations tirent leurs forces, comme l’ont si bien vu Pierre Nora, Marcel Gauchet, Pierre Manent ou Régis Debray, de leur capacité de résistance et de l’espérance que les peuples continuent à investir en elles. Que les puissants de la terre les moquent, les traitent avec condescendance d’archaïsme, de survivance du passé, peu importe ! Des millions d’hommes continuent malgré tout à y investir leurs espoirs de liberté et d’émancipation. Voilà l’idée, la vieille et belle idée que Jean Daniel a fini, lui aussi, par retrouver. On lui sait gré de le dire et de si bien le dire.

Chacun porte en soi une part de son pays et Jean Daniel n’échappe pas à la règle. Il interroge les Italiens, sonde les Espagnols, questionne les Russes. Les différences abondent, même si partout on perçoit la même fierté à parler de soi et de son peuple, la même assurance au fond que rien, vraiment rien, ne saurait venir à bout de cette curieuse alchimie nationale.  Mais la nation de Jean Daniel est française et il ne peut s’empêcher de la sublimer. Est-elle d’une autre espèce que les autres ? Certainement. D’une essence supérieure ? Qui peut le dire ! Plus ancienne ? Sans doute.  Curieuse France qui conjugue en elle deux conceptions successives de la nation, celle que l’Ancien régime nous a léguée, immuable et tranquille, et que les trésors de l’histoire nationale font, sous nos yeux, si présente, celle de la Révolution française  et de l’Empire, pleine, tout au contraire, de bruit et de fureur, et qui peuple parfois nos rêves de grandeur et de gloire. La seconde nation n’a pas tué la première. C’est là, selon Jean Daniel, que réside la clé du drame qui veut qu’à intervalle régulier nous nous jetions les uns contre les autres. Mais n’est ce pas aussi ce double héritage qui est notre force et qui fait qu’aux yeux du monde nous sortions de chaque épreuve souvent plus fort et mieux armé ?

On aimera les variations qu’offre ce livre autour du visage de la France. Jean Daniel, issu d’un monde méditerranéen et mélangé, insiste à juste titre sur la place que nous devons continuer à faire à l’autre. Son analyse est d’autant plus forte qu’elle est sans ingénuité et sans complaisance. Oui, la France est une nation, composée de nombreux peuples et elle a vocation à en accueillir d’autres encore. Oui, nos traditions et nos croyances sont nos richesses et face à l’Empire de la marchandise qui distille chaque jour davantage l’uniformité, la rapacité et l’ignorance, nous devons continuer à jouer la carte du dialogue des cultures et des religions. C’est pourquoi Daniel a raison de dire que ce qui doit nous intéresser chez l’autre, chez celui qui sollicite notre accueil, c’est l’être collectif, l’être social, attentif à la civilisation qu’il veut intégrer, conscient des richesses qu’il y apporte et des richesses qu’il en tirera, plus que l’individu qui exprime ses demandes en termes de droits. « Contre l’individu, pour le citoyen », résume Jean Daniel. Nous le suivrons là encore sur ce terrain.  

Terminons par un regret : l’indulgence coupable que Jean Daniel continue à avoir pour l’Union Européenne et son projet fédéral. On aurait voulu sur ce sujet plus d’esprit critique. Lorsque l’éditorialiste du Nouvel Observateur laisse entendre que soixante ans de construction européenne n'ont débouché sur aucune foi populaire et sur aucun patriotisme européen, on sent poindre derrière ce constat terrible plus qu’une forme de regret. L’ouvrage s’achève sur un credo européiste que François Hollande aurait pu signer, tout comme Nicolas Sarkozy ! Allons Jean Daniel, votre Europe fédérale est en ruine, ayons le courage d’en inventer une autre où les nations, que vous couvez du regard, trouveront enfin toutes leurs places !

Paul Gilbert.



[1]. Jean Daniel, Demain la nation (Seuil, 2012).

[2]. On en voudra pour preuve l’affreux papier que Patrick Jarreau, l’exécuteur des basses oeuvres du Monde, consacre à l’essai de Jean Daniel (Patrick Jarreau, «Tout au fond à gauche, la nation », Le Monde des Livres du 22 juin 2012). Après une introduction digne des regrettées Editions de Moscou (nos lecteurs y découvriront  avec intérêt que « si historiquement la nation a fait l’objet d’un culte à droite et non à gauche, c’est principalement parce que l’unité nationale a été invoquée contre la lutte des classes par les privilégiés de l’ordre établi et de l’Eglise » et apprécieront du même coup l’art de la nuance et l’immense culture historique de l’auteur !), le Jarreau de service s’enferme dans une dialectique obscure où tout ce qui est international est de gauche et où, Jean Daniel étant de gauche, son attrait pour la nation ne peut être qu’une lubie d’intellectuel ! Comprenne qui pourra. On préfèrera à cette prose mal intentionnée l’excellent article qu’Alain Gérard Slama consacre au livre de Jean Daniel dans Le Figaro (Alain-Gérard Slama, « L’heure des nations », le Figaro littéraire du 8 juin 2012).


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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 23:59
Présence
de Barrès
 
 
 

 

LETTRES
Maurice Barrès.
François Broche.
Bartillat.
Septembre 2012.
352 pages.
 

 
François Broche, né en 1939, est historien et journaliste. Spécialiste de la France Libre et de l'histoire politique et littéraire du XXe siècle, il a publié des ouvrages de référence sur le général de Gaulle, le comte de Paris, Maurice Barrès ou Anna de Noailles. Publications récentes : Dictionnaire de la France Libre. (Robert Laffont, 2010), La Commune démystifiée. (France-Empire, 2012).

 

Présentation de l'éditeur.
Cette biographie insiste sur de nombreux aspects méconnus et pourtant essentiels de la vie de Maurice Barrès (1862-1923). Elle modifie l'approche habituelle d'une oeuvre singulièrement diverse, moderne et à certains égards visionnaire. Barrès a en effet ouvert des voies nouvelles, annoncé un élargissement de l'inspiration, fait pressentir un univers radicalement différent de celui du XIXe siècle et influencé les plus grands écrivains du XXe.  Cet ouvrage ne cache rien de ses erreurs et ses égarements et rappelle que Barrès lui-même les a reconnus et reniés. En s'appuyant sur des sources récentes et sur une réflexion personnelle approfondie, François Broche permet de redécouvrir un grand écrivain, le "divin mélodiste" dont parlait Proust, qui fut un éternel foyer de contradictions, mais aussi un éveilleur d'intelligences et de sensibilités, témoin capital et passeur incomparable, maître à sentir, à analyser, à juger par soi-même.
 
L'article de Michel Bernard. - Service littéraire. - novembre 2012.
Les charmes du maître de Charmes. L'influence de Barrès sur ses contemporains fut considérable par l'étendue et par la hauteur des talents sur lesquels elle s'exerça. Proust, Claudel, Mauriac, Bernanos, Aragon, Malraux lui doivent beaucoup et l'ont reconnu, pour s'en détacher. Le général de Gaulle, qui le cita rarement, y prit une certaine idée de la France. «Toute licence sauf contre l'amour», « N'importe où hors du monde», ces titres qu'on jurerait de Breton, sont de Barrès qu'il insulta. François Broche est celui qui aujourd'hui connait le mieux l'écrivain et son temps. Sa nouvelle biographie du maître de Charmes enjambe, avec allégresse et précision, le fatras d'idées viellies qui font une fausse réputation à l'écrivain, et s'intéresse à l'homme. A quoi bon aller s'enquérir de Maurice Barrès que la postérité a déjà fusillé cent fois pour haute trahison de la pensée du jour ? Parce qu'il a écrit de puissants et beaux livres. La Colline inspirée, âpre, difficile, est l'oeuvre maîtresse d'une cetaine manière française, ce lyrisme retenu dans une narration austère, qui s'épanche par à coup, magnifiquement, comme dans un quatuor. Amori et dolori sacrum, Le Mystère en pleine lumière recèlent quelques-uns des trésors de la prose française. Celui qui accabla le malheureux capitaine Dreyfus, puis se repentit, reste avec Chateaubriand et Hugo, un de ses plus grands artistes. Ce que nous appelons maintenant l'écriture, et la ratiocination narrative et prétentieuse qui l'entoure, François Broche le montre, sont radicalement étrangers à Barrès. Il croit au style qui est le chant que produit la lumière du jour, le vent, la pluie, la vue sur les forêts et la plaine, lorsqu'en tel point du monde, à tel instant du temps d'une vie, on en est traversé. Il croit aux choses et à une certaine façon, amoureuse et détachée, d'habiter le monde. François Broche saisit admirablement Barrès dans le mouvement de la fuite. Ce fut d'abord les voyages, l'Orient, l'Italie, l'Espagne. Ce fut surtout la Lorraine. Le biographe l'a placée au centre de son livre, elle en est le point d'équilibre, comme elle le fut pour son héros. Une vieille rue de Metz porte le nom de l'auteur de Colette Baudoche, et la plaque bleue précise "Patriote lorrain". C'est étroit et c'est très vrai. Barrès a profndément aimé cette province peu gracieuse. C'est sur cette terre, entre l'Argonne et les Vosges, que son âme a reçu les coups d'archet les plus précisément appliqués. Qu'on relise le grand chant géographique des premières pages d'Au service de l'Allemagne : cet ample survol du plateau lorrain en trois pages contient un des plus beaux paysages et un des plus beaux ciels de la littérature. Sa phrase exigeante et sinueuse change de climat avant que le point ne l'ait refermé. Elle est comme la Lorraine, sévère et maussade, qui, tout à coup, par la grâce d'une lumière sur les pierres et les fruits blonds, et les verts brillants de la campagne, révèle un coin d'Italie. Barrès est devenu cela, qui dure plus que les idées, une région secrète et belle de la langue française.
 
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N°1 - 2009/01
 
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