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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 10:09

Décembre 2013
Hommage à
Frédéric Mistral
 

- A Maillane, par Claude Cellerier.  [lire]

-Hommage à Mistral, par Jean-Jacques Bernard.  [lire]

Lectures et témoignages 

- Le poète Mistral, par Alphonse Daudet.
- Chez Mistral, par Maurice Barrès.
- Un nouveau poète, par Jules Barbey d'Aurevilly.
- L'amitié de Mistral, par Léo Larguier.
- Mistral et Virgile, par Pierre Lasserre.

Hommages

- L'eau vive, par Jean Giono.
- Mistralismes, par Charles Maurras.
- Sagesse de Mistral, par Gustave Thibon.
- La République du soleil, par Albert Thibaudet.
- Mistral civilisateur, par Gabriel Boissy.

Enquête

- Mistral aujourd'hui, textes présentés par Jean-Jacques Bernard.

Etudes

- La politique de Mistral, par Pierre Gilbert.
- Mistral en Italie, par Jean-Gabriel Faure.
- Réceptions catalanes, par Jean Bellail.
- Mistral et l'Amérique latine, par Francisco Cantilo.
- Les débuts du félibrige, par Rémi Clouard.
- Mistral et l'idée latine, par Antoine Longnon.
- De la petite patrie à la grande, par Claude Cellerier.
- Les secrets de Calendal, par Eugène Charles.

Documents

- Poèmes de Frédéric Mistral.
- Discours pour la Sainte Estelle.
- Bibliographie, par Paul Gilbert.

Conte de Noël

- Les Rois, un conte de Mistral.

 

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29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 21:16
 
 
invocations d'automne
 
 
 
Automne merveilleux. Automne qui me dores
L'horizon de la vie encore cette fois,
Toi qui, si doux, épands les feux de tes aurores
Et ceux de tes couchants aux limites des bois,

Mélancolique Automne, avec qui l'on voyage
En des mondes de songe et de sérénité,
Bel Automne pour qui, sous le dernier feuillage,
Un oiseau, mais tout bas, poursuit son chant d'été.

Toujours tu m'exaltas, saison harmonieuse ;
Ta flamme brûle encore en mes hymnes anciens:
Tu m'as tout pénétré d'une ardeur sérieuse...
Dis que tu le savais et que tu t'en souviens !

Pourtant, si je t'invoque aujourd'hui, cher Automne,
Ce n'est pas pour revivre aux luttes du passé,
Pour remettre à mon front une vaine couronne.
Et rendre un peu de lustre à mon nom effacé.

Que, dans l'apaisement de cet octobre, meure
Ce qui n'est pas en moi le vierge attrait du Beau;
Que, la Gloire ayant fui, le seuil de ma demeure
Semble à jamais le seuil délaissé d'un tombeau

Loin l’orgueil, espérant des revanches tardives !
Uniquement épris d'un rêve aérien,
Je ne regarde plus vers les ingrates rives
Du monde aveugle et sourd, dont je n'attends plus rien.

Je ne veux contempler que de pures images :
Mon calme enivrement, c'est l'ampleur de tes cieux.
C'est ton azur à peine offensé de nuages,
Saison noble au divin rire silencieux.

Ta tendresse me parle et ma ferveur t'écoute :
Automne inspirateur, fais encor sous tes lois
Tomber, comme un cristal, mes heures, goutte à goutte
Mets invisiblement des cordes sous mes doigts ;

Et que, la mélodie affluant dans mes veines.
Ardente comme aux jours de ma jeune vigueur,
Sans désir de frapper les oreilles humaines,
Je chante seulement pour enchanter mon cœur.
 
 
 
louis le cardonnel (1862-1936). Poèmes. (Mercure de France, 1904).
 
 
près du cloître
 
 
 
Près du cloître où la vigne est blonde de lumière,
Oublieux du cruel passé qui fut le mien,
J'abandonne, en priant, mon Ame tout entière
Aux attraits de ce beau printemps italien.

Dans mon ravissement je crois marcher à peine :
Je sens comme bondir la terre sous mes pieds.
Ce matin, dans la claire église franciscaine,
J'ai compris le bonheur des cœurs sacrifiés.

La jeunesse du monde, en sa candeur divine,
Emplit autour de moi l'air brûlant et vermeil :
Une autre adolescence éclôt dans ma poitrine,
Et je voudrais livrer ma poitrine au soleil.

J'ai respiré l'esprit de l'insensé d'Assise,
Tenant, même aux oiseaux, des discours ingénus.
Dans l'ardeur qui m'exalte à la fois et me brise,
Je rêve de partir, sanglant, et les pieds nus.

Apôtre, que Jésus secrètement prépare,
Pour qu'il porte la paix à ses frères humains,
Au-devant de celui qui souffre ou qui s'égare,
Je répandrais mon cœur à travers les chemins.

Je serais le semeur d'immortelle espérance,
Dont l'hymne vibrant monte avec l'aube du jour :
Et, saintement joyeux, même dans la souffrance,
J'irais, mon Dieu, j'irais vers l'extatique amour.
 
 
 
louis le cardonnel (1862-1936). Carmina Sacra (1912).
 
 
méditation romaine
 
 
 
Oh ! s'égarer tout seul par la Voie Appienne,
Plein de mélancolie ou de recueillement,
Et, des mortes splendeurs de la Rome païenne,
A la chrétienne aller, comme insensiblement.

Surtout lorsque le soir va les teinter de rose,
Contempler ces champs nus, au vide interminé,
Que, par instants, domine un profil grandiose
D'aqueduc, à la fois solide et ruiné.

Seul toujours, aspirer sous la sublime flamme
Des blancs étés, qui font poudroyer les chemins,
Afin do se grandir héroïquement l'âme,
La tristesse et la paix des horizons romains.

Ou, penché vers le Tibre, aux eaux lourdes et fauves,
Évoquer ces longs jours d'histoire qu'il a vus
Fuir, après les Catons et les Scipions chauves,
Sans en garder pour nous, même un reflet confus.

Sol à jamais sacré, qui n'est fait que de tombes,
Labyrinthes massifs du profond Palatin,
Arcs triomphaux, dressés après les hécatombes
Des peuples que la Ville immole à son destin.

Obélisques sur qui le Temps brisa ses griffes
Et que la Croix surmonte, elle invincible à tout
Basiliques, fonds d'or, monuments des Pontifes,
Qui méditent assis ou bénissent debout.

De ces choses trouver la secrète harmonie,
La recueillir, malgré la rumeur des passants ;
S'agenouiller dans quelque antique Diaconie,
Où traînent des odeurs de cires et d'encens.

Par les mourants juillets, du haut du Janicule,
Alors que le soleil décroît sur les gazons,
Suivre d'un long regard cette lueur qui brûle
Aux dômes éloignés, aux vitres des maisons.

Escorté, pas à pas, par des Ombres illustres,
Fuyant partout les bruits profanes et grossiers,
Longuement s'accouder sur l'appui des balustres,
Ou marcher, seul encore, à travers les sentiers.

Et, dans son cœur roulant ce que l'auguste Rome
Y verse de noblesse et de détachement,
Méditant la grandeur avec le rien de l'homme,
Qui sont ici venus s'inscrire également,

Tandis que le couchant fait flamber sa fournaise,
Qui s'éteindra bientôt au fond du ciel pâli,
Voir se dorer là-bas, tes pins, Villa Borghèse,
Ou s'empourprer les tiens, ô Villa Pamphili.
 
 
 
louis le cardonnel (1862-1936). Carmina Sacra (1912).
 
 

 
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27 décembre 2013 5 27 /12 /décembre /2013 23:39
Mistral
 
Deux sonnets de Mistral
 
Mistral a parsemé son œuvre poétique de petites pièces - chansons, hymnes, contes en vers, satires, historiettes - qui donnent à ses recueils beaucoup de charme et de fraicheur. Parmi celles-ci figurent une vingtaine de sonnets, réunis pour l’essentiel dans les Iles d’Or et les Olivades. Il s’agit de poèmes de circonstance, destinés à saluer un ami, à remercier d’un présent, à fixer une image, un souvenir, ou à livrer des confidences. Mistral adopte la forme italienne du sonnet, plus libre, plus légère, mieux adaptée à la langue provençale que la forme française codifiée par Banville. Nous reproduisons ci-dessous deux de ces pièces. La première, adressée à une admiratrice, pastiche malicieusement la littérature courtoise du Midi que Mistral remit à l’honneur. Dans la seconde, d’inspiration plus élégiaque et plus rustique, on retrouve dans les derniers vers des accents proches du Bellay des Regrets.
 
 
 
à dono guihaumouno,
qui m'avié manda de figo
 
Davans de figo comme aquéli,
Madamo, que m'avès mando,
Aurié segur canta Vergéli
E Teoucrite aurié bada.

Dévié penja, douço coume éli,
La frucho d'or au mount Ida ;
E, quand prechavo l'evangéli,
Aurien au bon Diéu agrada.

Ansin, dins la Prouvénço antico,
Li castelano pouëtico,
Quand lou troubaire avié fini,

Em' un sourrire l’estrenavon
Divinamen, e iè dounavon
La bluio four dou souveni.
 
Maiano, pér Caléndo de 1873.
 
 
 
 
à madame guillaumon,
qui m'avait envoyé des figues
 
Devant des figues comme celles, - madame, que vous m'avez envoyées, - Virgile aurait chanté certainement, - et Théocrite eût crié merveille.
 
Doux comme elles, devaient pendre - au mont Ida les fruits d'or, - et, lorsqu'il prêchait l'Évangile, - au bon Dieu elles auraient plu.
 
Ainsi, dans l'antique Provence, - les châtelaines poétiques, - quand le troubadour avait fini,
 
Avec un sourire le guerdonnaient - divinement, et lui donnaient - la fleur bleue du souvenir.
 
Maillane, à la Noël de 1873.
 
 
 
frédéric mistral (1830-1914). Les Îles d'or. (1875).
 
 
 
lou gaudre
 
Coulo e trespiro l'aigo de plueio dedins lou gaudre :
Li cardelino vènon ie béure sus lou risènt ;
Lis erbo folo se ié refrescon toutis ensèn ;
E la feruno, singlié vo luri, n’en fai soun pautre.

Mai jour que trempon, jour que destrempon,
   après l'un l'autre.
La secaresso vuejo lou vabre : l'estièu se sènt.
La bourdigaio vai sus li ribo se passissènt
E nuso et tristo, li gravo rèston… Ansin de nautre.

Tant que sian jouine, vivo la roio, vivo l'amour !
Dis esperanço nous embelino la reflamour,
Di jouïssuro noste foulige bèco à la leco.

Ma vèngue l'age, touti li joio, las ! prenon fin ;
Sus la carcasso li braio toumbon, meme au plus fin:
E de la vido rèsto lou vabre que s'entre-seco.
 
 
 
 
le torrent
 
L'eau de la pluie suinte et coule dans le torrent : - les oisillons viennent y boire au flot rieur ; - les herbes folles s'y rafraichissent toutes ensemble ; - les bêtes fauves, sangliers et loutres, en font leur bauge.
 
Mais se succèdent les jours qui trempent et qui détrempent. - La sécheresse vide le ru : on sent l'été. - l'algue des berges sur le rivage déjà flétrit, - et, nue et triste, la grève reste. Ainsi de nous.
 
Tant qu'on est jeune, vive l'orgie, vive l'amour ! - les espérances nous illusionnent de leur mirage, - des voluptés notre folie succombe au leurre.
 
Mais vienne l'âge, toutes les joies, las ! prennent fin ; - les chausses tombent sur la carcasse du plus habile : - et de la vie, ravin aride, toi seul nous restes !
 
 
 
frédéric mistral (1830-1914). Les Olivades. (1914).
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24 décembre 2013 2 24 /12 /décembre /2013 22:32
Effel Noël
 

La rédaction de la Revue critique des idées et des livres souhaite à Monseigneur le Comte de Paris, à la Famille de France et à tous ses lecteurs un joyeux Noël.

 
Les Rois
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Un conte de Noël 
 
 
C
 'est demain la fête des Rois Si vous voulez les voir arriver, allez vite à leur rencontre, enfants, et portez-leur quelques présents.
Voilà, de notre temps, ce que disaient les mères, la veille du jour des Rois.
Et en avant toute la marmaille, les enfants du village ; nous partions enthousiastes à la rencontre des rois Mages, qui venaient à Maillane, avec leurs pages, leurs chameaux et toute leur suite, pour adorer l'Enfant Jésus.
- Où allez-vous, enfants ?
- Nous allons au-devant des Rois !
Ainsi, tous ensemble, beaux gars ébouriffés et petites blondinettes, avec nos calottes et nos petits sabots, nous filions sur le chemin d'Arles, le cœur tressaillant de joie, les yeux remplis de visions. Et nous portions à la main, comme on nous l'avait recommandé, des fouaces pour les Rois, des figues sèches pour les pages et du foin pour les chameaux.
C'était au commencement de janvier et la bise soufflait : c'est vous dire qu'il faisait froid. Le soleil descendait, tout pâle, vers le Rhône. Les ruisseaux étaient glacés, l'herbe était flétrie. Des saules dépouillés, les branches rougeoyaient. Le rouge-gorge et le roitelet sautaient, frétillants, de branche en branche, et l'on ne voyait personne aux champs, à part quelque pauvre veuve qui mettait sur sa tête son tablier rempli de souches, ou quelque vieillard en haillons qui cherchait des escargots au pied d'une haie.
– Où allez-vous si tard, petits ?
– Nous allons au-devant des Rois !
Et la tête en arrière, fiers comme Artaban, en riant, en chantant, en courant à cloche-pied, ou en faisant des glissades, nous cheminions sur la route crayeuse, balayée par le vent.
Puis le jour baissait. Le clocher de Maillane disparaissait derrière les arbres, derrière les grands cyprès noirs; et la campagne s'étendait tout là-bas, vaste et nue. Nous portions nos regards aussi loin que possible, à perte de vue, mais en vain ! Rien ne paraissait, si ce n'est quelques fagots d'épines emportés par le vent dans les chaumes. Comme cela a lieu dans les soirées d'hiver, tout était triste et muet.
Parfois, cependant, nous rencontrions un berger, pelotonné dans sa limousine, qui venait de garder ses brebis.
- Mais, où allez-vous, enfants, si tard ?
- Nous allons au-devant des Rois… Ne pourriez-vous pas nous dire s'ils sont encore bien éloignés ?
- Ah! les Rois ?... C'est vrai… Ils arrivent là-derrière. Vous allez bientôt les voir.
Et de courir, et de courir au-devant des Rois, avec nos gâteaux, nos petites fouaces et des poignées de foin pour les chameaux.
Puis le jour tombait. Le soleil, noyé dans un gros nuage, s'évanouissait peu à peu. Les babils folâtres se calmaient un brin. Le vent devenait plus froid. Et les plus courageux marchaient avec retenue.
Tout d'un coup : - Les voilà !
Un cri de joie folle partait de toutes les bouches. Et la magnificence de la pompe royale illuminait nos yeux. Un rejaillissement, un triomphe de couleurs splendides embrasait le couchant. D'énormes lambeaux de pourpre flambaient ; une demi-couronne d'or et de rubis, lançant dans le ciel un cercle de longs rayons, rendait l'horizon éblouissant.
- Les Rois les Rois !... Voyez leur couronne! voyez leurs manteaux, leurs drapeaux, leur cavalerie et leurs chameaux !
Et nous restions tout ébaubis !... Mais bientôt cette splendeur, cette gloire, dernière flambée du soleil couchant, se fondait, s'éteignait peu à peu dans les nuages ; et, stupéfaits, bouche béante, dans la campagne sombre, terrifiante, nous nous trouvions tout seulets.
- Où donc ont passé les Rois ?
- Derrière la montagne.
La chouette miaulait. La peur nous saisissait; et, dans le crépuscule, nous nous en retournions penauds, en grignotant les gâteaux, les fouaces et les figues que nous avions apportés pour les Rois.
Et quand enfin nous arrivions à nos maisons :
- Eh bien les avez-vous vus ? - nous disaient nos mères.
- Non !Ils ont passé d'un autre côté, derrière la montagne.
- Mais quel chemin avez-vous donc pris ?
- Le chemin d'Arles.
- Ah mes pauvres enfants, les Rois ne viennent pas de ce côté. C'est du Levant qu'ils viennent. Il vous fallait prendre le chemin de Saint-Rémy… Ah! comme c'était beau, si vous aviez vu !... si vous aviez vu, quand ils sont entrés dans Maillane ! Les tambours, les trompettes, les pages, les chameaux, quel brouhaha ! mon Dieu !... Maintenant ils sont à l'église, en adoration. Après dîner, vous irez les voir.
Nous dînions vite ; puis, nous courions à l'église. Et dans l'église comble, dès notre entrée, l'orgue, accompagnant le chant de tout le peuple, commençait lentement, puis continuait d'une voix formidable le superbe Noël :
 
Ce matin
J'ai rencontré le train
De trois grands rois qui partaient en voyage
Ce matin J'ai rencontré le train
De trois grands rois dessus le grand chemin.
 
Nous autres, affolés par la curiosité, nous nous faufilions entre les jupons des femmes, jusqu'à la chapelle de la Nativité ; et là, sur l'autel, nous voyions la belle Etoile! Nous voyions les trois rois Mages en manteaux rouge, jaune et bleu, qui saluaient l'enfant Jésus : le roi Gaspard avec sa cassolette d'or ; le roi Melchior avec son encensoir, et le roi Balthazar avec son vase de myrrhe ! Nous admirions les galants pages qui portaient la queue des manteaux traînants ; les chameaux bossus qui élevaient la tête sur l'Ane et le Bœuf; la sainte Vierge et saint Joseph ; puis, tout alentour, sur une petite montagne de papier barbouillé, les bergers, les bergères, qui portaient des fouaces, des paniers d'œufs et des langes ; le Meunier, qui tenait un sac de farine; la Fileuse, qui filait ; l'Ebahi qui s'émerveillait; le Rémouleur, qui remoulait ; l'Hôtelier ahuri qui, réveillé en sursaut, ouvrait sa fenêtre, et tous les santons qui figurent à la Crèche ; mais celui que nous regardions le plus, c'était le roi Maure.
Parfois, depuis lors, quand viennent les Rois, je vais me promener, à la chute du jour, sur le chemin d'Arles.
Le rouge-gorge et le roitelet y voltigent toujours le long des haies ; toujours quelque vieux cherche, comme jadis, des escargots dans l'herbe, et la chouette miaule toujours. Mais dans les nuages du couchant, je ne vois plus les illusions, je ne vois plus la gloire ni la couronne des vieux Rois.
- Où ont passé les Rois ?
- Derrière la montagne.
frédéric mistral.
Almanach provençal, 1886
 
Effel Noël 2
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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 08:36
Naissance
d'un César
 
 
 

 

HISTOIRE
Bonaparte.
1769-1802.
Patrice Gueniffey.
Gallimard.
Septembre 2013.
860 pages.
 

   
Patrice Gueniffey, né en 1955, est historien. Spécialiste de la Révolution française et de l'Empire, il dirige actuellement le Centre d'études politiques Raymond Aron au sein de l'EHESS. Il a récemment publié : Le Dix-huit brumaire. L'épilogue de la Révolution française. (Gallimard, 2008), Les derniers jours des rois. (Perrin, 2014), ainsi qu'une remarquable préface au Napoléon de Jacques Bainville (Gallimard, 2005)
 
Présentation de l'éditeur.
Thiers, Bainville, Lefebvre, Tulard. Napoléon ne manque pas de biographes. On s'en étonnerait à tort. Les hommes qui ont laissé une empreinte aussi profonde sur leur temps sont-ils si nombreux ? L'histoire de Napoléon, son souvenir, son mythe ont littéralement obsédé le XIXe siècle et une partie du XXe. Aujourd'hui, la légende a pâli, le monde a changé. L'épopée guerrière de l'Empire ne fait plus guère rêver nos contemporains, pour qui la guerre apparaît l'incarnation du Mal.  Mais Napoléon n'a pas été seulement un conquérant. Stratège hors pair, il est aussi le plus doué des élèves de Machiavel dans l'art de gouverner. Plus que le guerrier, c'est le Premier consul qui, pour avoir fini la Révolution et fondé les institutions dont elle avait eu l'idée, fascine encore. A la fois héros ancien et bourgeois moderne, il occupe une place unique dans l'histoire universelle. Ce premier volume, Bonaparte, retrace l'histoire du jeune Napoléon, de la Corse aux Tuileries, des années obscures de l'enfance jusqu'à la proclamation du Consulat à vie en 1802 où, sans encore porter le titre d'Empereur, il rétablit à son profit la monarchie héréditaire. S'il est dans la vie de chaque homme, comme dit Jorge Luis Borges, un moment où il sait "à jamais qui il est", ce livre s'attache à le déterminer pour comprendre comment Napoléon est devenu Napoléon.
 
L'article de Thierry Lentz. - L'Histoire. - octobre 2013.
Moderne Bonaparte. Couvrant la période 1769-1802, de la naissance au Consulat à vie, la brillante biographie de Patrice Gueniffey révèle un Bonaparte authentiquement révolutionnaire. Ce premier des deux volumes que Patrice Gueniffey entend consacrer à Napoléon comble un vide paradoxal : il y a longtemps que n'avait pas été publiée une biographie stricto sensu de ce personnage multiforme qui a tellement envahi son temps qu'il est difficile de suivre sa carrière et son destin sans s'écarter à tout bout de champ du chemin. Ce Bonaparte couvre la période 1769-1802, de la naissance au Consulat à vie : ce choix de la coupure de 1802 est l'occasion d'une éblouissante mise au point introductive qui replace le livre dans les grands courants historiques auxquels ce personnage écrasant n'a cessé depuis deux siècles de faire problème. Patrice Gueniffey réussit le pari de ne quasiment jamais le quitter des yeux, tout en se permettant sur l'époque quelques haltes fort éclairantes. En prenant son temps (dix ans) pour nous livrer cette première partie, l'auteur a porté sa réflexion à maturation et domine remarquablement son sujet. Avec un sens du récit qui ajoute du plaisir de lecture au profit intellectuel, il nous accompagne sur la route au fond pas si tortueuse de ce fils, acteur et héritier de la Révolution, qui voulut la « finir » tant au sens de la « terminer » que de la rendre « parfaite ». Après de brillants chapitres consacrés à la période corse dans lesquels il ne se laisse aveugler ni par les légendes insulaires ni par les mythes (comme celui de Paoli), s'appuyant sur une documentation entièrement revisitée, Patrice Gueniffey démontre que le parcours du jeune Bonaparte est authentiquement français et révolutionnaire, sur fond d'idées politiques moins mouvantes qu'on le dit parfois. Avec raison, l'auteur montre que si Bonaparte admira Robespierre, il ne fut robespierriste qu'à la marge et par une passagère nécessité. Bonaparte s'inscrit au contraire, presque sans accrocs, dans une modération dont, fort du laboratoire italien et égyptien, il ne se départira jamais, y compris après son accession au pouvoir. Ce « Bonaparte et la Révolution » s'achève par une analyse serrée des deux premières années du Consulat qui rappelle à la fois l'oeuvre accomplie, sa cohérence idéologique et sa modernité. Patrice Gueniffey raconte, analyse, donne à réfléchir et, finalement, aide à comprendre ces naissances successives mais logiquement emboîtées, en montrant comment, dans des circonstances qui en ont perdu plus d'un, ce petit bout d'homme se saisit de sa propre vie, passa finalement sans regret de la Corse à la France, de la guerre à la politique, de l'ambition au pouvoir de faire, sans négliger jamais des événements plus personnels, qui ne sont pas sans retentissement sur le reste : la vie, la famille, l'amour, l'argent.
  
Autre article recommandé : Marc Riglet, "Napoléon, revu et réinventé." - Lire. - octobre 2013. 
 
 
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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 16:46
Mistral
 
Hymne pour la Grèce
 
C'est en 1897, en pleine insurrection crétoise, que Mistral écrivit son Inne Gregau, son hymne pour la Grèce. L'oeuvre fut un succès politique immédiat. Les étudiants qui manifestaient de Paris à Marseille pour la liberté de la Grèce prirent les vers de Mistral comme étendard. Grâce au concours du poète Costis Palamas, le poème fit rapidement le tour de la presse d'Athènes et il est encore célébré aujourd'hui comme une des plus belles expressions de l'amitié franco-grecque. Nous dédions cet hymne aux foules d'Athènes, du Pirée et de Salonique qui ont redonné l'espoir aux peuples d'Europe.
 
 
inne gregau
 
A Soun Autesso Reialo
la Princesso Mario de Grèço.
 
I
 
Dins lou matin la mar se fai viouleto,
Dins lou clarun tout se rejouvenis :
Au Partenoun amount la dindouleto,
Sian au bèu tèms ! vai rebasti soun nis.
Minervo santo, abrivo ta civèco
Sus lou ratun que manjo lis escot !
Se fau mouri pèr la patrio grèco,
Rampau de Dieu ! se mor jamai qu'un cop.
 
II
 
Sèmpre que mai l'oundo se fai daurado,
Sian au bèu tèms! Mai au cresten di baus
De Prometieu estrassant la courado,
Negrejo alin un grand voutour à paus.
Pèr cousseja l'aucelas que te bèco,
Enfant dis isclo, armejo toun barcot :
Se fau mouri pèr la patrio grèco,
Rampau de Dieu ! se mor jamai qu'un cop.
 
III
 
Ausès crida l'antico Pitounisso :
- « Vitori pèr li felen di mié-diéu ! »
Dou mount Ida fin-qu'au ribas de Niço
Lis oulivié boumbisson renadiéu,
Fusiéu en man, zou! escalen la brèco,
De Salamino esbrudissènt l'eco :
Se fau mouri pèr la patria grèco,
Rampau de Dieu! se mor jamai qu'un cop.
 
IV
 
Alestissès vosti raubeto blanco
Pèr espousa li novi de retour;
Anas coupa, nouvieto, à la calanco,
Lou verd laussié pèr vosti redemtour !
Davans l'Europo agrouvassado e nèco,
Beguent, jouvènt, la glori à plen de got :
Se fau mouri pèr la patria grèco,
Rampau de Dieu ! se mor jamai qu'un cop.
 
V
 
Co que s'es vist pou mai se vèire, fraire !
E, s'au trelus d'aquéli roucas rous
Divinamen l'ome a pouscu retraire
De touti si pantai lou mai courous,
L'amo crestiano aqui restarié mèco !
E gibarian sus noste rasigot ?
Se fau mouri pèr la patria grèco,
Rampau de Dieu ! se mor jamai qu'un cop.
 
VI
 
De Maratoun seguènt lou bèu courrèire,
Se cabussan, auren fa ço que fau !
E, mescladis au sang de noste rèire
Leounidas, noste sang triounfau
Enrouitara lou courau di pastèco
E lou rasin que pènjo au paligot :
Se fau mouri pèr la patria grèco,
Rampau de Dieu ! se mor jamai qu'un cop.
 
      1897.
 
 
 
hymne pour la grèce
 
A son Altesse Royale
la Princesse Marie de Grèce.
 
I
 
Dans le matin la mer se fait violette, - dans la lumière tout se rajeunit : - c'est le beau temps ! l'hirondelle là-haut - au Parthénon va rebâtir son nid. - Minerve sainte, lance ton hibou - sur les rongeurs du pampre de nos vignes ! - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
II
 
De plus en plus l'onde se fait dorée, - c'est le beau temps ! mais aux crêtes des monts, - de Prométhée déchirant les entrailles, - un grand vautour au loin est immobile. - Pour chasser le rapace noir qui te becquète, - enfant des îles, équipe ton esquif : - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
III
 
Entendez-la crier, l'antique Pythonisse: - « Victoire aux petits-fils des demi-dieux ! » - Du mont Ida aux rivages de Nice - les oliviers revivent éternels. - Fusil en main, sus ! gravissons la brèche, - de Salamine réveillant les échos : - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
IV
 
Et préparez vos belles robes blanches - pour épouser vos fiancés au retour - allez coupez, fiancées, dans la ravine, - le laurier vert, pour eux, vos rédempteurs ! - Devant l'Europe accroupie et confuse, - buvons la gloire, jeunes gens, à plein verre : - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
V
 
Ce qui s'est vu peut se revoir, ô frères ! - et si, dans la splendeur de ces falaises rousses, - l'homme divinement a pu réaliser - le plus brillant de tous ses rêves, - l'âme chrétienne là resterait muette ! - Et nous sécherions là sur un tronçon de souche ? - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
VI
 
De Marathon suivant le beau coureur, - si nous tombons, nous aurons fait notre devoir ! - Et, mélangé au sang de notre ancêtre - Léonidas, notre sang triomphal - empourprera le corail des pastèques - et le raisin qui pend à l'échalas : - S'il faut mourir pour la patrie hellène, - palme de Dieu ! on ne meurt qu'une fois.
 
      1897.
 
frédéric mistral (1830-1914). Les Olivades. (1914).
 
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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 20:06
 
 
stances
 
 
 
Sur quelles fleurs, quels fruits, ô subtile pensée,
Te poses-tu comme une abeille aux ailes d'or ?
Du rosier butiné, de la grappe pressée
N'épuise pas d'un trait la coupe et le trésor.

N'égare pas ton vol aux buissons lourds d'épines,
Comme un vaisseau de rêve à des flots étrangers.
Ne cherche point l'orgueil des hautaines collines.
Le butin de la ruche est au cœur des vergers.

Que ton miel odorant, gloire de nos demeures,
Garde en parfums discrets la saveur de l'été,
Et, au long des hivers, le goût divin des heures
Qui furent tout plaisir et délice et clarté.
 
 
 
auguste-pierre garnier (1885-1965). La Muse française (1922).
 
 
le jardinier
 
 
 
Il est l'ami des fleurs et l'hôte du verger.
Les arbres, les massifs épars qu'un vent léger
Parcourt de longs frissons le saluent au passage.
Le jardinier demeure un humble, un simple, un sage.
Il suit au long des jours proverbes et raisons.
Scrute le ciel, connaît vents, marées et saisons,
Et sait que telle rose aux tons de pourpre et d'ambre
Qui résiste à l'avril périrait en décembre.
Il s'ébaudit devant un fruit inespéré,
Sarcle, greffe, échenille et va, vient, affairé,
Puis faisant, du jardin aux serres, la navette,
Il émonde un poirier ou taille une bavette.
 
 
 
auguste-pierre garnier (1885-1965). Les Corneilles sur la tour (1920).
 
 
le bourg
 
 
 
Bourg petite ville aimable,
Où le bourgeois le plus notable
A, francs et nets, biens au soleil,
Où le plus indigent, pareil
Au plus riche, a son toit modeste,
Son bois et sa gerbe de reste;
Bourg où tout labeur est heureux.
Bourg où les enfants sont nombreux
Comme aux vergers les fruits d'automne;
Bourg paisible où la cloche sonne,
Egale, les joies et les deuils;
Où l’on trouve encore des seuils
Portant blason, date ou devise;
Bourg charmant, vieillot, où l'église,
Telle une ancienne sous les ans,
Semble courber son toit branlant;
Où la branche de gui désigne
L'auberge, où des murs sous la vigne
Et le lierre semblent crouler;
O Bourg qui regardes couler,
Placide, au bas de la prairie,
La rivière étroite et fleurie;
O Bourg, toute joie et clarté,
Qui, par les soirs chauds de l'été,
Allonges sur les routes claires
Tes ombres bleutées et légères;
Bourg riche en foyers et en nids,
Bourg où par l'automne jaunis
Les parcs ont des splendeurs nouvelles;
O Bourg ancien qui te révèles,
Actif, de ferme et bon vouloir,
Sache revivre et, sans surseoir,
Reprends tes anciennes coutumes,
Tes rouets, coiffes et costumes.
Tes toits qui fument lentement,
Ton accueil sous le ciel clément,
Tes bonnes gens qui vont sans hâte
A leur tâche et dont rien ne gâte
La limpide douceur des yeux.
Tes fêtes, tes danses, tes jeux,
Ton salut amical, ta grâce
Discrète et ton orgueil de race,
Tes croyances, ta piété
Simple, ton manoir abrité
Par le rideau mouvant des hêtres,
Tes tuiles rouges, tes fenêtres
Ornées de pots de fleurs; reprends.
Si tu veux être noble et grand,
O Bourg, tes coutumes anciennes.
Et s'il te plaît que nous reviennent
Ces vertus du bel autrefois,
Sache écouter, ô Bourg, les voix
Qui partent du cœur de la terre;
Penche vers leur divin mystère
Ton clair visage du passé,
O Bourg, franc, loyal et sensé.
Qui, vibrant d'une ardente flamme,
Demeures le gardien de l'âme.
 
 
 
auguste-pierre garnier (1885-1965). Les Corneilles sur la tour (1920).
 
 
 
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16 novembre 2013 6 16 /11 /novembre /2013 23:44
Un bretteur
des lettres
 
 
 

 

LETTRES
L'Esprit
des Lettres II.
Jacques Laurent.
Préface de Christophe Mercier.
Editions de Fallois.
Novembre 2013.
390 pages.
 

 
Jacques Laurent (1919-2000). Une des meilleures plumes de la littérature d'après-guerre. Ses talents multiples lui permirent de publier sous son nom des romans de grande facture (Les Corps Tranquilles, Les Bétises), sous le pseudonyme de Cecil Saint-Laurent la série populaire de Caroline Chérie, tout en dirigeant des revues non-conformistes (La Parisienne, Arts). Publications récentes: L'Esprit des lettres I. (de Fallois, 1999),  Ja ou la fin de tout. (Grasset, 2000).
 
Présentation de l'éditeur.
1954 : Jacques Laurent prend la direction de l'hebdomadaire culturel Arts. Jusqu'en 1958, face à L'Express où trônent Mauriac et son "Bloc-Notes", face aux Temps modernes de son cher Jean-Paul Sartre, il y prône la liberté de plume et de pensée, le désengagement. Arts devient très rapidement le journal parisien à la mode, dans lequel les futurs cinéastes de la Nouvelle Vague fourbiront leurs armes critiques, avant de passer à la mise en scène. Chaque semaine, Jacques Laurent publie un article en première page. D'une plume mordante et amusée, il y décrypte la France de René Coty, et ferraille contre ses dérives : le politiquement correct, la bonne conscience, l'essor de la publicité et de la presse à sensation. A le lire aujourd'hui, on comprend qu'il était un visionnaire : l'époque qu'il décrit est déjà la nôtre.
 
Le point de vue de La Revue Critique.
Jacques Laurent nous manque. Avec sa disparition, les lettres françaises ont perdu un peu de leur panache et de leur mordant. L'homme avait à peu près tous les talents : romancier de haut style, écrivain populaire à succès, essayiste, polémiste, journaliste, critique, créateur et animateur de revues littéraires… Un premier recueil de ses articles, paru à la fin des années 90 sous le titre L’Esprit des lettres, retraçait l’aventure de la Table Ronde puis de La Parisienne, où Laurent officia de 1948 à 1956 pour le malheur de Sartre et de Simone et le plus grand plaisir des amateurs de vraie littérature. Avec ce second tome, on retrouve les chroniques publiées dans l’hebdomadaire Arts, que l’auteur des Corps Tranquilles dirigea de 1954 à 1959. Toutes les figures de la France littéraire, politique, académique et cinématographique de l’époque y sont passées en revue, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, lorsqu’il s’agit du jeune cinéma français, de Stendhal, de Labiche, de Nourissier, de Grace Kelly - que Laurent idolâtre - ou de Françoise Sagan, dont il fait un portrait à croquer. Pour le pire, lorsqu’il règle ses comptes avec les gloires amidonnées de l’existentialisme, les obsédés du roman à thèses, les dactylographes staliniens, Camus et ses poses de prix Nobel, Gide et ses fausses pudeurs de vieilles filles. Mais le pire du pire, c’est à Mauriac qu’il le réserve. Au vieux Mauriac, éternelle girouette de nos guerres civiles franco-françaises, passé, dans un moment de sénilité précoce, des colonnes du Figaro à celles de l’Express. Mauriac, que Laurent éreinte presque chaque semaine d’une plume incandescente et jubilatoire et dont il saluera quelques années plus tard le retour au bercail gaulliste par un pamphlet au vitriol – Mauriac sous de Gaulle. Belle période où l’intellectuellement correct n’avait pas encore tout vitrifié et où Laurent pouvait gentiment s’amuser d’une enquête sur les écrivains de droite « en mettant en garde les lecteurs de l’Express contre le vocabulaire de leur journal. Car appeler romanciers de droite les romanciers qui écrivent des romans et non des thèses, aboutirait à ne laisser à gauche que de mauvais romanciers, ce qu’à Dieu ne plaise ! ». Aujourd’hui les romanciers sont tous centristes et Laurent ne s’amuserait plus. C’est sans doute pour cela qu’il est parti un soir sans demander son reste.
Paul gilbert.
 
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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 13:15
 
 
à francis carco
 
 
 
Prends ta pipe que vêt, précieuse, la crasse
Des bons tabacs anglais et, fumant, nous irons
Nous asseoir sur le banc où peinent les cirons
Au forage du bois. Sur notre double trace,

Deux filles, dont nos vers ont reflété la grâce,
Viennent. Pour célébrer leurs seins et leurs bras ronds
Il nous faudrait patients, nos mains serrant nos fronts,
Chercher la métaphore — et ce pourchas nous lasse.

Mais le désir nous tient, chaque soir plus brutal,
De caresser à cru leurs cuisses, sur l'étal
De nos cuisses que le banc trop dur exagère...

... Elles s'esquiveront : (« Très chères, vos valets »)...
Et nous demeurerons, à la chanson légère
De ta pipe juteuse au doux tabac anglais.
 
 
 
jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
 
 
la grosse dame chante
 
 
 
Manger le pianiste ? Entrer dans le Pleyel ?
Que va faire la dame énorme ? L'on murmure...
Elle racle sa gorge et bombe son armure :
La dame va chanter. Un oeil fixant le ciel

— L'autre suit le papier, secours artificiel
— Elle chante. Mais quoi ? Le printemps ? La ramure ?
Ses rancoeurs d'incomprise et de femme trop mure ?
Qu'importe I C'est très beau, très long, substantiel.

La note de la fin monte, s'assied, s'impose.
Le buffet se prépare aux assauts de la pause.
« Après, le concerto ?... — Mais oui, deux clavecins. »

Des applaudissements à la dame bien sage...
Et l'on n'entendra pas le bruit que font les seins
Clapotant dans la vasque immense du corsage.
 
 
 
jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
 
 
la romance du retour
 
 
 
A Roger Allard.
 
Paris, milliers de promesses,
Appels de taxis inviteurs,
Aveux de nocturnes prouesses
Dans les corbeilles des facteurs,
Milliers de maisons, de femmes,
Sarabande d'hommes infâmes,
Tournois de mauvaises raisons !
Le ciné donne Forfaiture.
La marchande, sur sa voiture,
N'a pas plus de quatre saisons.

Foutons ses huit jours au poète !
Moi, j'ai copié des chansons.
La femme du plombier, coquette,
Ne sort pas avec ses chaussons.
Drap blanc, satin cardinalice,
Dans l'ombre du car dîne Alice.
Elle regrette ses péchés
Quand son âme, cendre légère
D'une cigarette étrangère,
Tombe sur les fruits épluchés.

Aux aurores de Macédoine
Où glissait l'auto de Sarrail,
Que l'adjudant cherche un idoine
A la pose d'un nouveau rail.
Reviens au square de Laborde
Émouvoir ton sein qui déborde
Selon mon rêve de Corfou.
En mutilant un chant d'Église
Le rémouleur immobilise
La moitié d'un cycliste fou.

J'ai pleuré par les nuits livides
Et de chaudes nuits m'ont pleuré.
J'ai pleuré sur des hommes vides
A jamais d'un nom préféré.
Froides horreurs que rien n'efface !
La terre écarte de sa face
Ses longs cheveux indifférents,
Notre vieux monde persévère.
Douze sous pour un petit verre !
Combien va-t-on payer les grands ?
 
 
 
jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
 
 
 
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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 08:50
Raison et pouvoir
 
 
 

 

HISTOIRE
Richelieu.
La pourpre
et le pouvoir.
J.V. Blanchard.
Belin.
Novembre 2012.
331 pages.
 

   
Jean-Vincent Blanchard, docteur ès lettres de l'université de Yale, est un spécialiste du XVIIe siècle. Il enseigne à Swarthmore Collège (Pennsylvanie). Éminence, sa biographie en langue anglaise du cardinal de Richelieu, a été l'objet de critiques élogieuses dans des journaux comme le Wall Street Journal ou Foreign Affairs. Publications récentes : L'optique du discours au XVIIe siècle : de la rhétorique des jésuites au style de la raison moderne.  (Université de Laval, 2011).
 
Présentation de l'éditeur.
L’auteur propose ici un récit captivant, mené prestement, pour restituer l’intensité de la vie du cardinal, avec ses extraordinaires péripéties politiques, diplomatiques et militaires. Il en ressort une image du cardinal très différente de celle qui a été proposée jusqu’à présent. Certes, on y trouve le Richelieu posé et intellectuel, l’homme au savoir-faire politique hors du commun. Mais on y voit aussi un homme qui vit sous haute tension, luttant constamment pour survivre à la cour, non seulement face aux complots de la haute noblesse et aux revers de fortunes sur les champs de bataille, mais aussi en raison de ses propres faiblesses et erreurs d’appréciation. C'est donc beaucoup moins en incarnation d'une certaine grandeur qu'en authentique héros baroque que l'on redécouvre Richelieu. Courage, sens de l'occasion et de la décision apparaissent comme ses plus grandes qualités. Au premier plan de l'histoire se trouve, bien entendu, la fascinante relation du ministre avec Louis XIII, roi mélancolique et aux inquiétants secrets. 
 
Le point de vue de la Revue critique. 
Une biographie de Richelieu qui complète la belle étude publiée en 2007 par Arnaud Teyssier (Richelieu, la puissance de gouverner - Michalon) par une approche nouvelle de la personnalité du cardinal, de son oeuvre politique et de son siècle. Voilà un ouvrage à faire lire d’urgence à tous nos dirigeants politiques, en commençant par ceux qui pensent que le volontarisme est passé de mode ou qu’il n’est plus qu’un motif de discours.On le doit à un jeune universitaire canadien, au style ferme et nerveux, qui a su s’entourer d’une documentation solide et qui traite son sujet sans jamais jargonner, ce qui est suffisamment rare pour ne pas être souligné. M. Blanchard, qui comptait déjà à son actif une thèse remarquée sur la rhétorique au XVIIe siècle, signe là un ouvrage qui fera longtemps référence.Son étude suit pas à pas Richelieu tout au long de sa carrière politique. On mesure mieux, au fil des pages, la personnalité exceptionnelle du grand cardinal, l’œuvre qui fut la sienne et ce que la France lui doit, jusqu’à aujourd’hui. Mais M. Blanchard ne fait pas seulement œuvre d’historien, c’est aussi un psychologue hors pair et un fin conteur. Il sait démêler les fils des destins croisés de Richelieu, de Louis XIII, de Gaston d’Orléans et de la reine-mère, l’imprévisible Marie de Médicis. Il sait également faire revivre les complots, les intrigues de cour et les mouvements d’opinion. Guerres, révoltes, coups d’état, batailles, grand jeu diplomatique… il est peu de choses qui échappent à sa sagacité.Il est vrai que le personnage d’Armand du Plessis n’a jamais laissé personne indifférent. Célébré par les classiques, détesté par les romantiques, malmené par l’historiographie républicaine, il a fallu attendre les travaux des historiens modernes pour l’entrevoir enfin tel qu’il fut. Ce qui caractérise d’abord Richelieu, c’est l’audace, nous dit M. Blanchard. Perpétuellement mobile, sa force consiste à agir là ou on ne l’attend pas. Ferme dans ses objectifs, d’un pragmatisme absolu sur les moyens, il sait manier la violence et la ruse, l’offensive comme le retrait tactique, l’alliance ou le retournement d’alliance, quant il le faut. Mais Richelieu est aussi un homme de son temps. S'il croit à la raison, si sa politique doit beaucoup aux leçons d'Aristote, il est profondément pieux, angoissé à la vue des décisions qu’il doit prendre, jamais indifférent aux conséquences qu’elles peuvent avoir. L’homme d’Eglise n’est jamais loin derrière le ministre.Il faut surtout féliciter M. Blanchard d’avoir si bien su retracer les relations entre Louis XIII et Richelieu. Loin d’être le personnage falot et indécis que l’on a souvent décrit, le monarque apparait ici comme un homme qui sait prendre son temps et tirer le meilleur parti des avancées réalisées par un ministre, qu’il protégera en toutes occasions, y compris contre sa propre famille. Il a très tôt l’intuition, le pressentiment que l’œuvre qui s’accomplit va changer la nature de l’Etat et que la France ne sera plus gouvernée de la même façon avant et après Richelieu. En conjuguant leurs destins, le roi et le cardinal préfigurent l’homme d’Etat moderne, à la fois prince légitime et homme d’action. Louis XIV saura se saisir, le premier, de ce double héritage.
Antoine Longnon.
 
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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