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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 07:36
Panorama
d'un conflit
 

 

HISTOIRE
La Grande Guerre.
Fin d'un monde,
début d'un siècle.
François Cochet.
Perrin.
Janvier 2014.
517 pages.
 

 
François Cochet, né en 1954, est historien. Spécialiste des deux guerres mondiales, il enseigne à l'Université de Metz et fait partie du Conseil scientifique de la Mission du centenaire. Il a récemment publié : Pierre Messmer (Rineneuve Editions, 2012), Les soldats inconnus de la Grande Guerre (Soteca, 2012), Armes en guerre (CNRS-éditions, 2012).
 
Présentation de l'éditeur.
La guerre de 1914-1918 ouvre tragiquement le XXe siècle, souvent nommé le « siècle de la guerre ». Mais ce conflit n'a pas soudainement éclaté à l'été 1914 pour s'interrompre tout aussi brutalement en 1918 : il s'inscrit mentalement dans des comportements issus d'un long XIXe siècle, tout autant qu'il innove et ouvre la voie aux affrontements du XXe siècle. Sondant les mentalités, l'action des chefs comme des humbles, des civils comme des militaires, interrogeant les attitudes de ceux qui décident, autant que de ceux qui vivent la guerre dans le froid des usines ou dans la boue des tranchées, l'auteur envisage, sans parti pris, toutes les dimensions - militaires, économiques, sociales et politiques - de ce conflit total. Il aborde aussi bien le monde des combattants que celui des arrières, les fronts européens qu'asiatiques ou africains. Synthèse d'ampleur, l'ouvrage répond à toutes les questions que l'honnête homme se pose sur cet affrontement parfois dantesque. Refusant de céder à une lecture partisane et exclusivement hexagonale, il se place résolument dans une approche comparative de la première des deux guerres mondiales, un conflit qui a profondément marqué les sociétés contemporaines et demeure, pour les Français, LA Grande Guerre par l'ampleur des pertes, des destructions et des deuils.
 
L'article de Bertrand Renouvin. - Royaliste. - juillet-août 2014.
La Grande Guerre. Dans son ouvrage François Cochet examine tous les aspects de ces quatre années de guerre. Avec lui, nous sommes dans les États-majors et dans les tranchées, à la Chambre des députés et au Reichstag, sur les fronts de France, de Russie et d’Orient, sur mer et dans les déserts d’Arabie, avec les paysans et les ouvriers de l’arrière, dans les territoires français occupés, avec Foch, Joffre, Pétain, Hindenburg, Churchill, Clemenceau et Woodrow Wilson… loin des discours doloristes ou héroïsants qui masquent les logiques complexes de la guerre. Sans oublier les souffrances endurées par les combattants et la fatigue croissante des peuples, il faut commencer cette commémoration par une mise en perspective politique et stratégique.
Les causes de la guerre, naguère étudiées par Pierre Renouvin puis par Fritz Fischer, font toujours l’objet de vives discussions sur lesquelles François Cochet porte des appréciations pertinentes. On incrimine classiquement la rigidité des systèmes d’alliance or «les conflits balkaniques de 1912-1913 ont montré que les alliances étaient faites pour évoluer en se formant ou se défaire au gré des événements.» Quelle rigidité en 1914 ? Ce n’est pas pour défendre la France que l’Angleterre entre en guerre, mais pour secourir la Belgique envahie – alors que l’Italie, qui appartient à la Triplice, ne se range pas du côté des Empires centraux. L’explication par la course aux armements ? Elle concerne les marines anglaise et allemande mais s’il y avait eu de véritables surenchères industrielles, les différentes armées n’auraient pas manqué d’obus pendant l’été 1914. Les rivalités des impérialismes coloniaux ? Elles opposent surtout la France et l’Angleterre… qui s’allient après la crise de Fachoda (1898) alors que des capitalistes français et allemands tissent des liens financiers avant 1914. Les sentiments nationalistes ? Ils sont vigoureux en France et en Allemagne mais les thèmes internationalistes et pacifistes ont un large écho.
Ce ne sont pas les nations qui ont déclenché la guerre selon une mécanique belliqueuse qu’elles recèleraient mais très précisément les Empires centraux. C’est la volonté de puissance de Guillaume II qui provoque des tensions croissantes à partir de 1905: l’Allemagne, qui dénonce la présence de la France au Maroc (discours de Tanger), constate avec plaisir que le Tsar est affaibli par la première révolution russe et le Kaiser estime que son pays peut être agressif à l’Ouest parce qu’il n’aura pas à combattre sur deux fronts. En 1911, la crise d’Agadir confirme l’agressivité allemande qui se manifeste aussi sur mer, face aux Britanniques. L’attentat de Sarajevo donne à l’Autriche-Hongrie un prétexte pour faire la guerre à la Serbie afin d’empêcher la réunion des Slaves du Sud ; puis Vienne, qui se heurte à la fermeté de Saint-Pétersbourg, envisage avec confiance un conflit avec la Russie. L’Allemagne, qui se prétend encerclée, veut également la guerre : « La mobilisation allemande du 31 juillet est décidée avant même que la nouvelle de la mobilisation russe n’arrive à Berlin. On sait aujourd’hui que si la France avait répondu favorablement à l’ultimatum allemand du 31 juillet lui demandant de rester neutre en cas de conflit entre l’Allemagne et la Russie, l’ambassadeur von Schoen avait ordre de rendre les choses inacceptables pour Paris, notamment en revendiquant les villes de Verdun et Belfort comme gages. »
Cette guerre est mondiale. Les images de Verdun hantent nos mémoires mais nous ne saurions oublier les batailles sur les autres fronts. La plupart des Français oublient le front russe pour ne retenir que le traité de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918. Les troupes russes se sont battues pendant près de quatre ans. En août et septembre 1914, elles obtiennent plusieurs succès contre les Autrichiens et les Allemands, malgré leur victoire à Tannenberg, livrent de durs combats et doivent maintenir à l’Est des troupes qui leur feront défaut à l’Ouest : la victoire française sur la Marne doit beaucoup à la pression russe. Il faut aussi se souvenir de la résistance des Serbes, de la guerre en Italie, des opérations en Afrique. La lutte des Britanniques contre les Turcs est bien connue grâce au prestige de Lawrence d’Arabie mais nous ne saurions oublier la mission du colonel Brémond, qui était dépourvue des moyens nécessaires à l’affirmation de l’influence française au Proche-Orient mais qui s’est faite apprécier par son absence de racisme : les Hachémites constatent qu’un musulman peut devenir officier dans l’armée française, chose impossible dans l’armée italienne comme dans l’armée égyptienne commandée par les officiers anglais. Il faut surtout s’intéresser à l’armée d’Orient : commandée en 1918 par le général Franchet d’Esperey, elle compte 26 divisions grecques, françaises, serbes, britanniques et italienne qui remontent la vallée du Vardar et disloquent l’empire austro-hongrois : « c’est bien par la Turquie, via ses possessions en Palestine, et par la Bulgarie que la Grande Guerre s’achève d’autant plus que ces deux États constituent les deux maillons faibles des alliances conclues par les Empires centraux. »
Les mutations stratégiques sont considérables pendant la Grande Guerre. L’année 1914 est terriblement meurtrière. Les stratèges français et allemands ont oublié que la guerre de 1970 était déjà remarquable par la puissance du feu et ceux qui voient qu’elle a plus que doublé en quarante ans pensent la contourner par des offensives fougueuses en vue de la « bataille décisive » qui conclut une guerre courte. Or les combattants découvrent le « mur de feu », la cadence des mitrailleuses, les déluges d’obus. Ce ne sont pas les pantalons garance qui marquent l’infériorité française mais le manque d’artillerie lourde. Quelle que soit la couleur de l’uniforme, les pertes sont effroyables de tous les côtés et, après l’été, les combattants s’abritent dans un système complexe de tranchées. Général en chef, Joffre tire très vite les leçons des revers de l’été, écarte 144 généraux sur 344 et promeut Nivelle, Pétain et Foch. Certes, il est « toujours prompt à faire retomber sur d’autres ses propres erreurs » mais il a une vision d’ensemble de la guerre et « pense en permanence le front occidental à la lumière du front oriental. »
À la fin de l’année 1914, il est clair que la partie se jouera sur le front des industries d’armement mais les militaires et les politiques restent fascinés par la stratégie de l’offensive qui permettrait d’exercer un ascendant moral sur l’adversaire et d’entretenir l’ardeur des troupes. C’est pourquoi, « en 1915, Joffre entend mener une guerre avec les moyens de 1914, alors qu’il a déjà compris que l’industrialisation de la guerre est désormais inéluctable et constitue le seul moyen de la gagner.» On attaque en Woëvre, en Artois et en Champagne mais les résultats de l’année 1915 sont décevants et le moral des Français s’en ressent d’autant plus que l’opération des Dardanelles est un échec. Les pertes sont considérables mais les chefs militaires ne sont pas les bouchers fustigés par la propagande pacifiste et communiste de l’entre-deux-guerres : très vite, ils s’ingénient à épargner les soldats de première ligne mais la nouvelle stratégie n’est pas toujours comprises par les commandants de compagnie. Sur tous les fronts cependant, on bascule dans la guerre de matériel : artillerie, avions, mines, lance-flammes, gaz de combat…
La « bataille décisive », courte et brutale, se transforme en hyperbataille qui présente trois caractéristiques : haute intensité de feu, concentration massives de troupes pour l’offensive ou la contre-offensive, accumulation de moyens matériels, parmi lesquels un nombre considérable de pièces d’artillerie. C’est Verdun, « bataille paradoxale » notamment par le fait que « des millions d’hommes, dans les deux camps, ont fréquenté le site mais la plupart des combats, à l’exception des grands coups du 21 février ou de la reconquête de Douaumont, n’ont concerné que des unités élémentaires. La compagnie constitue ici l’unité de référence, comme souvent. » C’est la bataille de la Somme, celle de l’Isonzo sur le front des Alpes, les offensives de Broussilov en 1916 et 1917, la bataille de Marasesti qui oppose l’armée roumaine assisté d’une mission française aux troupes allemandes ou encore la bataille navale du Jutland du 31 mai 1916.
L’année 1918 marque le retour à la guerre de mouvement, qui provoque des pertes plus importantes que les hyperbatailles : 941 000 soldats français sont tués, blessés ou prisonniers entre janvier et le 11 novembre. À l’ouest, les Allemands lancent à partir de mars plusieurs offensives qui sont d’abord couronnées de succès : début juin, ils sont à soixante kilomètres de Paris… comme en septembre 1914. Mais l’armée allemande manque d’hommes et les difficultés d’approvisionnement en matières premières amoindrissent la qualité des armes et des munitions. «Jusqu’à la fin juin 1918, l’armée allemande est matériellement très puissante. Au-delà, les matériels ne sont plus remplacés et le nombre de pièces d’artillerie décroît.» La bataille industrielle est perdue, la démoralisation gagne les soldats, l’arrière veut la paix, les Autrichiens plient devant les Italiens… C’est la fin.
Il faudra revenir sur d’autres aspects de la guerre que François Cochet analyse de manière passionnante : les gouvernements de guerre, les évolutions de l’opinion publique, le mouvement pacifiste, les grèves, l’engagement américain, les rafles et les déportations effectuées (déjà) par les Allemands, la résistance française dans les départements occupés qui esquisse celle qui se développe à partir de juin 1940… Notre travail de mémoire ne fait que commencer.

 

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27 juillet 2014 7 27 /07 /juillet /2014 11:04
Bernard
 
 
paroles pour ne rien dire
 
 
 
A la manière d'Henri de Régnier.
 
L'eau diverse des fontaines,
Avec un bruit différent
Tombe dans les vasques pleines;
Et son double bruit m'apprend.

Que, pareille à son murmure,
Se prolonge la rumeur,
Tantôt douce, tantôt dure,
De ma peine ou ton bonheur.

Mais, vois-tu, puisque la vasque
N'en débordera pas moins,
Ne fais sourire ton masque,
Ni ne crispe tes deux poings;

Et, sans chercher à comprendre,
Ecoute, en le soir tombant,
L'eau des fontaines s'épandre
Avec un bruit différent ...
 
 
 
jean-marc bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi. (1923).
 
 
programme
 
 
 
Jetons les livres allemands,
Par les fenêtres, à brassées.
Foin des cuistres et des pédants,
Et vivent les claires pensées!

Mieux vaut, couché sur le gazon,
Relire, loin des philologues,
Catulle, Horace, Anacréon
Et le Virgile des Eglogues.

Car l'antiquité nous instruit.
Chacun de ses auteurs répète :
Le temps irréparable fuit...
Cueille le jour, dit le poète.

Ah! Contentons-nous désormais
De ces vérités éternelles
Que nous méditerons en paix
Sous les raisins de nos tonnelles.

Puisque se lamenter est vain,
Ne pleurons point la mort des choses :
Versons ces roses en ce vin,
En ce bon vin versons ces roses.

Goûtons la joie et le chagrin
Que, tour à tour, chaque heure apporte;
Car la Mort, pourrait bien, demain,
Frapper du poing à notre porte.
 
 
 
jean-marc bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi. (1923).
 
 
lentus in umbra
 
 
 
A Charles Maurras.
 
Presque à plat ventre dans l'herbe
Qu'ombrage un fin peuplier,
Je regarde scintiller
Les eaux du Rhône superbe.

Arbres et collines font,
De l'autre côté du fleuve,
Une image toujours neuve
Sur l'immobile horizon.

Ce paysage tranquille
Sait emplir de sa douceur
L'intelligence et le coeur
Comme un beau vers de Virgile.

Pourrai-je dire comment
Il ravit mon indolence ?
Mieux vaut goûter son silence
Et me taire également...
 
 
 
jean-marc bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi. (1923).
 
 

fontaine

 
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20 juillet 2014 7 20 /07 /juillet /2014 19:46
La force du
renoncement
  
LETTRES
Le Frémissement
de la grâce.
Le Roman du Grand Meaulnes.
Jean-Christian Petitfils.
Le Livre de Poche.
Novembre 2013.
264 pages.
 

 
Jean-Christian Petitfils, né en 1944, est historien et écrivain.  Grand connaisseur du XVIIe siècle français, auteur d'une trentaines d'ouvrages historiques, il a été couronné par l'Institut pour l'ensemble de son oeuvre. Il a récemment publié Louis XVI. (Perrin, 2005), Louis XIII. (Perrin, 2008), Testaments et manifestes de Louis XIV. (éd. des Equateurs, 2009), Jésus. (Fayard, 2011).  
 
Présentation de l'éditeur.
Alain-Fournier n'a que dix-huit ans lorsqu'il fait la rencontre, éblouissante et fugace, de la femme qui va transformer sa vie et devenir sa source d'inspiration la plus profonde. Des années durant il espère revoir celle qui hante ses rêves, et quand le hasard les réunit de nouveau, elle est mariée et mère de deux enfants. Malgré tout, elle continue d'incarner à ses yeux ce sentiment presque mystique qu'on appelle la grâce, sur lequel le temps qui passe semble sans prise. De cet amour impossible et sublimé naîtront les pages d'un roman au lyrisme subtil et mystérieux : Le Grand Meaulnes. Biographie librement inspirée, essai littéraire, mais aussi tentative d'exploration d'un « paysage amoureux » unique, ce récit nous conte, sur fond de passion amoureuse, la genèse d'une des oeuvres les plus célèbres de la littérature française.
 
L'article de Bruno Frappat. - La Croix. - 14 novembre 2012.
Trop pur amour. Un amour séraphique de fin d’adolescence ; une silhouette féminine élancée qui s’efface très vite ; des souvenirs évanescents pour hanter le cœur d’un jeune homme. De brèves retrouvailles, sept ans plus tard. Et, au bout, un grand livre, un roman devenu mythique depuis exactement un siècle : Le Grand Meaulnes. Pour finir, un jeune officier de vingt-huit ans fauché, en septembre 1914, dans une forêt de la Meuse. Ses restes ne seront retrouvés que trois quarts de siècle plus tard. Courte vie, longues disparitions et longue mémoire. Lorsque parut Le Grand Meaulnes, en 1913, Henri Massis eut cette formule qui résuma son admiration pour le roman : « Un drame de Shakespeare joué par des personnages de Madame de Ségur ». Il ne se moquait pas. Cette dualité apparemment insoluble entre un immense amour de campagne idéalisée et la fuite de l’aimée dans une réalité honnie, c’est tout le «drame». Quant aux «personnages», ils contiennent les caractéristiques de toute enfance rêveuse, l’absolutisme de la naïveté. Voudrait-on que cette nostalgie de l’enfance soit le péché des faibles ? C’est bien d’une femme qu’est né ce livre, le seul roman jamais écrit par Henri Fournier – alias Alain-Fournier – récit nostalgique mêlant une enfance qui colle à l’âme et l’ombre d’une blonde «chaste et désespérante». Récit d’une double fuite que reprend, dans un livre d’une très agréable lecture, l’historien Jean-Christian Petitfils, spécialiste du dix-septième siècle et auteur, l’an dernier, d’un gros livre sur le Jésus de l’histoire. Il n’y a pas de «scoop» dans ce livre. L’auteur ne prétend pas faire œuvre de «biographe», il existe de bonnes biographies. Il a eu seulement l’idée et l’envie de centrer son essai sur la relation entre deux personnes qui se sont, somme toute, fort peu connues et par l’effet du pur hasard. Une rencontre qui fit trace dans l’âme du jeune Fournier, au point de lui donner l’axe d’une œuvre universellement admirée et qui n’a pas vieilli.La rencontre qui marqua la vie de Fournier eut lieu 1er juin 1905, jour de l’Ascension, à Paris. Le jeune homme, âgé de dix-neuf ans, élève de khâgne au lycée Lakanal de Sceaux, est venu visiter, au Grand Palais, une exposition, la «Nationale». Descendant les escaliers qui donnent côté Seine, il entend derrière lui un pas et se retourne. Une jeune fille blonde, grande, magnifique, est au bras d’une dame plus âgée. Irrésistiblement, le jeune homme la poursuit de sa curiosité. Il prend avec les deux femmes, sans leur adresser la parole, la navette fluviale qui les ramène du côté du boulevard Saint-Germain. Il les suit jusqu’à ce qui semble être leur domicile. Il reviendra se planter devant les fenêtres où, finalement, la jeune fille, écartant les rideaux, esquisse un sourire. Le jour de la Pentecôte, il se risque à lui parler. Ils se promèneront brièvement. Une conversation «belle, étrange et mystérieuse» a lieu. Puis il faut se quitter. La jeune fille, Yvonne de Quiévrecourt, lui dit qu’elle n’est que de passage à Paris et qu’il faut en finir avec cette «folie». Elle le quitte au Pont des Invalides. C’est tout. Cette figure occupe désormais toute son âme de post-romantique, poète, dévoreur de livres et qui a des aspirations à l’écriture. Il pense constamment à cette apparition fugitive dans sa vie. Il tente de la retrouver et, pour cela, demande l’aide d’une agence de renseignements ! La disparue est signalée à Toulon où elle a suivi… l’homme avec qui elle s’est finalement mariée, officier de marine. Il lui envoie des textes écrits par lui, notamment un court essai sur… Le Corps de la femme. Las ! Elle a quitté Toulon pour Brest, sans laisser d’adresse précise. Cependant il finira par la retrouver, sept ans après leurs premières rencontres, à Rochefort. Ils s’y feront de simples serments d’«amitié», qui fendent le cœur du jeune homme. Entre-temps il a connu des femmes, des cousettes, des ouvrières, une prostituée, une femme mariée… Il a fini par nouer un amour orageux avec une grande actrice, Pauline Benda, alias «Madame Simone». Ils se promettent le mariage. La guerre en décidera autrement. Beaucoup de femmes, dans cette brève vie : une grand-mère adulée, une sœur (Isabelle) placée au-dessus de toutes. Mais, plus haut encore, la trop belle Yvonne, éthérée, la grâce même, l’absolu de l’impossible amour. L’on se dit, au terme du récit de Jean-Christian Petitfils, que le destin a bien fait les choses, dans sa cruauté, car, sans cet amour impossible, imaginé, nous n’aurions pas eu Le Grand Meaulnes. Il fallait qu’il fût pur pour être rêvé et flotter aussi dans nos cœurs d’enfants.
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1 juillet 2014 2 01 /07 /juillet /2014 14:42

Eté 2014
Le souvenir
d'Alain-Fournier
 

- Alain-Fournier, passion et renoncement, par Rémi Clouard. [lire]

Les idées et les livres

- Crise de régime, par Hubert de Marans. [lire]
Crise de l’exécutif, affrontements durs au sein de la majorité, guerre des chefs à l’UMP, montée du Front national et de la gauche contestataire… la classe politique est prise de panique et ne sait plus à quel saint se vouer. On aurait tort de croire que c’est en réformant les institutions ou en remplaçant la gauche libérale par la droite républicaine que l’on évitera la crise qui s’annonce. Ce que veulent les Français, c’est qu’on change les élites en place parce qu’elles ne savent plus gouverner et que leurs idées ont fait faillite.

- Le réveil écossais, par Gildas Kéragnel. [lire]
La tension monte en Ecosse à l'approche du référendum du mois de septembre. Même si les sondages donnent encore une légère avance aux partisans du non, l’espoir est passé du côté des indépendantistes  et un vent de panique commence à souffler dans les milieux d’affaires, à Londres, à Francfort et à Bruxelles. Pour beaucoup d’Ecossais, c’est moins le Royaume Uni qui est en cause qu’une certaine idée de la souveraineté et de l’Europe.

- Le souvenir d'Alain-Fournier, textes présentés par Rémi Clouard. [lire]
" Mon credo en art et en littérature : l'enfance. Arriver à la rendre sans aucune puérilité, avec sa profondeur qui touche les mystères". Tel fut, jusqu'à sa mort tragique dans les premières semaines de la Grande guerre, le programme d'Alain-Fournier, cette quête du moment précis où l'enfance bascule, où elle passe du bonheur simple au désenchantement. Si l'univers et le style de l'auteur du Grand Meaulnes restent inimitables et inimités, ses sources sont simples et claires : Péguy, Nerval, Dostoïevski, le premier Barrès. Et la trace qu'il a laissé dans notre littérature est encore bien visible: Radiguet, Giraudoux, Green, Nimier, Gracq, ... nombreux sont ceux qui ont subi et qui subissent encore la force de son envoutement.

- Bouvines et l'unité française, par Jacques Darence. [lire]
Le 27 juillet 1214, à Bouvines, la France triomphe du reste de l’Europe. Philippe Auguste y remporte une grande victoire militaire, à la tête d'une armée unie derrière son roi. Mais Bouvines est aussi un succès politique où la France s’affranchit de la tutelle anglaise et où elle s’affirme comme nation et comme puissance moderne face au vieil empire romain et germanique, rongé par ses divisions.

- Un solitaire, Nicolas de Staël, par Sainte Colombe. [lire]
Deux belles expositions - l’une au Havre, l’autre à Antibes – rendent hommage à l’une des figures les plus originales de la peinture contemporaine. Esprit libre, homme de son temps et contre son temps, Nicolas de Staël pris le parti de ne pas choisir entre figuration et abstraction. Et de laisser son œuvre osciller entre les deux lumières qui la subliment. Celle du midi, nette et violente, et celle, plus calme et plus ondoyante, de ses paysages de Normandie, du Nord et de l’Ile de France.

- Les dernières vacances, un conte d'André Fraigneau. [lire]
L'été 39. Des cousins fêtent la fin des vacances dans le domaine de leur enfance. On s’amuse, on valse, on devise, sur fond de nostalgie. Le temps de l’insouciance est fini et la guerre n’est pas loin.

- Le jardin français, poèmes de J. M. Bernard, A. Arnoux, A. Berry. [lire]

Chroniques

- Notes politiques, par Hubert de Marans.
L'alibi Montebourg. - Changer pour survivre. - De Tapie à Lagarde. - En attendant Sarkozy.

- Chronique internationale, par Jacques Darence.
Eurosceptiques allemands. - Offensive russe. - Un nouveau sultan. - Victoire argentine.

- Chronique sociale, par Henri Valois et Hugues Lagrange.
Libertés universitaires. - Bruxelles et ses réformes. - Jeu trouble au Medef. - Révoltes ouvrières.

- La vie littéraire, par Eugène Charles.
Bellanger.  - Blas de Roblès. - Lafourcade.- Kundera. - Maulin. - Rouart.

- Idées et histoire, par Jacques Darence et Vincent Maire.
Grimaldi. - Cochet. - Morand.

- Notes d'Art, par Sainte Colombe et Jean Lalo.
Le Perugin. - Duchamp. - Molière.

- Revue des revues, par Paul Gilbert.
Le nouveau désordre mondial. - Déclin de l'Occident ? - Rameau-Gluck.

- Les livres, par Paul Gilbert, Eugène Charles, François Renié.
La France périphérique. (Christophe Guilly). - Une Vie avec l'Histoire. (Emmanuel Leroy-Ladurie). - Oeuvres complètes (Madame de la Fayette). - Je ne renie rien. (Françoise Sagan). - Les derniers jours. (Jean Clair). - André Malraux et la cascade de Nachi. (Tadao Takemoto). - Le Congrès de Vérone. (Chateaubriand). - Voyager avec Nietzsche. (Jean Lacoste). - Petite sélection stendhalienne.  - Livres reçus.

 

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29 juin 2014 7 29 /06 /juin /2014 21:06
Supervielle
 
 
1940
 
 
 
Comme du haut du ciel je regarde la France,
Ses villes et ses champs dans le fond de l’offense,
Prisonniers de nos jours aux élans condamnés
Je vous regarde tous à survivre obstinés.

Ô France, je voudrais te parler sans témoins,
Toi que voilà dans l’ombre à d’obscures distances,
Ton malheur est si dur qu’il meurtrit les lointains
Et qu’un frisson mortel sonde en tous sens l’espace.

Elle était donc ainsi la France en sa ruine,
Longue à se reconnaître et connaître l’abîme,
Sur ses faibles genoux elle veut se tenir,
Si pâle de cacher son horreur de mourir.

 
Nous sommes très loin en nous-mêmes
Avec la France dans les bras,
Chacun se croit seul avec elle
Et pense qu’on ne le voit pas.

Chacun est plein de gaucherie
Devant un bien si précieux,
Est-ce donc elle, la patrie,
Ce corps à la face des cieux ?

Chacun la tient à sa façon
Dans une étreinte sans mesure
Et se mire dans sa figure
Comme au miroir le plus profond.

 
Visages anciens qui sortez des ténèbres,
Lunes de nos désirs et de nos libertés,
Approchez-vous vivants au sortir de nos rêves
Et dissipez ce bas brouillard ensanglanté,

Jeanne, ne sais-tu pas que la France est battue,
Que l’ennemi en tient une immense moitié,
Que c’est pire qu’au temps où tu chassas l’Anglais,
Que même notre ciel est clos et sans issue ?

Victorieuse toi, et te mêlant à nous,
Insensible au bûcher qui jusqu’ici rayonne,
Apprends-nous à ne pas nous brûler chaque jour
Et à ne pas mourir du chagrin d’être au monde.
 
 
 
jules supervielle (1884-1960). Poèmes de la France malheureuse (1939-1941).
 
 
la france au loin
 
 
 
Je cherche au loin la France
Avec des mains avides,
Je cherche dans le vide
A de grandes distances.

Caressant nos montagnes,
Me mouillant aux rivières,
Mes mains allaient et venaient,
Fleurant la France entière,

Faites que je retrouve,
Et qu'on me les redonne,
Les Français tous en groupe,
Le ciel qui les couronne.

Qu'elle devenue,
Qu'elle ne répond plus,
A mes gestes perdus,
Dans le fond de la nue ?

Son grand miroir poli,
En forme d'hexagone,
Où passaient les profils,
De si grandes personnes,

Ah ! comment se fait-il,
Qu'il ait cédé la place,
A l'immobile face,
D'un soldat ennemi ?
 
 
 
jules supervielle (1884-1960). Poèmes de la France malheureuse (1939-1941).
 
 
les couleurs de ce jour
 
 
 
Aux amis de la France.
 
Les couleurs de ce jour sont tristes sans la France,
Le bleu et le lilas, le vert, le violet
Ne trouvent en ces lieux rien à leur convenance
Demeurent suspendus, ne savent se poser

Je ne peux plus voir clair dans ce lointain exil,
Redonnez-moi Paris que je m'y reconnaisse.
Ici tout m'est brouillard et malgré sa rudesse
Ce soleil ne sait pas descendre dans ma nuit,

Et reste sur le haut des marches, interdit.
 
 
 
jules supervielle (1884-1960). Poèmes de la France malheureuse (1939-1941).
 
 
 
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22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 09:13
Un présent
sans passé, ni futur
 
 
 

 

IDEES
Modérément
moderne.
Rémi Brague.
Flammarion.
Mars 2014.
383 pages.
 

   
Rémi Brague, né en 1947, est un des grands spécialistes de la philosophie grecque et de la pensée médiévale, arabe et juive. Professeur à la Sorbonne et à l'université de Munich, il est membre de l'Institut depuis 2009. Il a récemment publié: Les Ancres dans le Ciel. (Seuil, 2011), Qui est le Dieu des Chrétiens ? (Ed. Salvator, 2011), Le Propre de l'Homme. Sur une légitimité menacée. (Flammarion, 2013). 
 
Présentation de l'éditeur.
Il faut être « modérément moderne » , et non « résolument » ; comme le préconisait Rimbaud dans un slogan aussi galvaudé que creux. Et prendre ses distances d'avec cette maladie, la « modernité » . De ces fameux « Temps Modernes » , que peut dire un philosophe qui a décidé de ne pas avancer masqué ? Complaisante modernité, qui se clame en « rupture » avec tout ! Et d'abord avec le passé pour lequel elle a inventé le nom de « Moyen Age » . Alors que la modernité en vit comme un parasite, dans une dialectique autodestructrice. Car au fond, qu'a-t-elle inventé ? Ni la révolution technique, ni l'urbanisation, ni la société civile, ni même la personne comme sujet de libertés... Les idées modernes ne sont que des idées prémodernes, maquillées comme une marchandise volée. Avec le recul et la capacité d'analyse que lui permet sa formidable culture, Rémi Brague nous offre une série de réflexions incisives sur les notions de Modernité, de Culture, d'Histoire, de Sécularisation, de Progrès... Chemin faisant, il met en avant des penseurs qui sortent des sentiers battus, des idées qu'on avait oubliées, des rapprochements qui font avancer. Peut-on guérir de la « modernité » ? C'est l'ambition de cet essai revigorant, qui n'interdit pas d'être résolument optimiste.
 
L'article de Roger-Pol Droit. - Le Monde des livres - 11 avril 2014.
La modernité serait-elle une arnaque ? Il n’y a pas trente-six manières d’envisager notre rapport aux temps anciens. C’est rupture ou continuité. Dans le premier cas, on veut à tout prix faire du passé table rase, on aspire à innover radicalement, on rêve d’inventer de l’inouï, qui auparavant n’aurait jamais été. On fait donc sienne l’injonction de Rimbaud, dans Une Saison en enfer : « Il faut être résolument moderne ». Dans le second cas, on se trouve convaincu que nous héritons toujours de plus d’idées, de règles, de valeurs que nous ne le croyons. On va donc discerner partout, dans le présent, de l’antique en filigrane. Foin des nouveautés, prétendues et non réelles ! Seuls comptent les liens entre hier et demain, les survivances et récurrences du passé dans l’actuel.Rémi Brague appartient sans conteste - et sans vergogne ! - à cette dernière espèce. Il intitule son essai Modérément moderne, par goût de la litote. Mieux vaudrait dire « résolument archaïque », en retrouvant dans ce mot français le grec archè, « principe fondateur » aussi bien que « commencement ». Etre archaïque serait avant tout rester fidèle aux vérités essentielles. Rémi Brague revendique cette fidélité première. Pour ce philosophe - qui tutoie Aristote en grec, Thomas d’Aquin en latin, Avicenne en arabe, Maïmonide en hébreu -, pratiquement toutes les idées qu’on croit modernes viennent... d’avant ! Or la modernité se prétend auto-suffisante. Elle se targue d’engendrer toute seule les notions éclatantes et nouvelles qu’elle brandit face aux ténèbres des vieux siècles obscurs. Pareilles prétentions font rire cet érudit qui compte par millénaire plutôt que par trimestre. Du coup, il n’oublie pas d’être sarcastique, à sa manière - un peu vacharde, pas franchement méchante. Son leitmotiv ? La modernité vit du passé, mais en parasite. Elle agirait même, si l’on ose dire, en loucedé : elle pompe continûment les Anciens, tout en les proclamant ringards, inutiles et incertains. Plus qu’une ère nouvelle, les Temps modernes seraient donc une vaste arnaque : on y trouverait quantité de marchandises intellectuelles et morales de haute époque, simplement maquillées en créations récentes, repeintes à neuf. Et pourtant ceux qui les fourguent ne cessent de prétendre qu’il faut répudier erreurs anciennes et aberrations d’autrefois. Contre cette supercherie, Rémi Brague ne donne pas dans le remède nuancé. Il prône carrément un retour au Moyen-Âge, qui fut, on l’aura compris, le temps des vraies Lumières. Une école selon ses vœux enseignerait les langues mortes, car elles ont le mérite d’être inutiles et précises. Elle ne négligerait pas la transmission des arts, car ils ont le mérite, eux aussi, d’être exigeants comme sans usage. Qu’on fasse du grec ou du piano, on n’apprend rien de pratique, sauf l’essentielle rigueur du moindre détail.  Surtout, cette école idéale ne se cacherait pas sous les pupitres pour parler de Dieu. « Au fond, la théologie serait, dans mon école, la science fondamentale » écrit Rémi Brague. Sa conviction est en effet que sans ancrage dans la transcendance la légitimité de l’humain devient impossible à justifier, le Bien impossible à discerner. L’arnaque centrale de la modernité, en fin de compte, ce serait la mort de Dieu. S’il pouvait advenir du nouveau sous le soleil, ce serait des athées heureux. J’ai entendu dire qu’ils existent.
 
Autre article recommandé : Alexandre Solans, « Le testament oublié. » - Etudes, juin 2014. 
 
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25 mai 2014 7 25 /05 /mai /2014 20:16
Fombeure
 
 
le rêve de l'aventurier
 
 
 
Que ce soit l’hiver ou l’été
Qu’il soleille, qu’il pleuve ou qu’il neige,
Dans le village ou la cité
Je n’ai jamais pu rattraper
Le cheval de bois qui trottait
Devant le mien, sur le manège,
Et je l’ai toujours regretté…

Qu’elle soit brune, qu’elle soit blonde,
Non je n’ai jamais rencontré
Dans mon voyage autour du monde
La fille qui m’aurait ancré
Dans une baie vaste et profonde
Sous un toit de brassé carré
Auprès d’un jardin de curé.

Qu’importe au lieu de mon tombeau
Le cyprès l’if ou la colombe
L’outremer ou le bleu barbeau
D’un ciel éclaté comme bombe,
Ou gésir entre algue et turbot
Au fond de la mer errabonde,

A moins qu’une sirène verte
M’accueille en ses bras entr’ouverts
Et me prodigue pour ma perte
L’ombre d’étranges univers
D’étoiles de mer fleurs offertes
Dans ses palais aux volets verts.
 
 
 
maurice fombeure (1906-1981). Poèmes inédits (Seghers, 1957).
 
 
trois chevaliers
 
 
 
Trois chevaliers chaussés à la poulaine
Vois. Ils s'en vont vers l'épaisseur des bois
Jean Bedelaine Bec de Molène
Robe de Job de Gobelin Bernois

Tels sont leurs noms. La fine fleur de France
Des chevaliers qui s'en vont à cheval
Le sein des vents se gonflait en silence
La lune fuit à pas d'or vers l'aval

Où s'en vont-ils ? Chasser la darigole
Tout empennée d'oiseau comme un poisson
Bête rusée qui n'est point malivole,
Vient se poser parfois sur votre arçon

Soleil français reluira sur la plaine
Mais velouté crépuscule du soir
Les accompagne et feutre de futaine
Leurs pas trèfles semés au coeur des soirs

La grand' forêt gigogne des légendes
Souvre pour eux comme un coeur de lilas
Parfume ses bruyères et ses branches
Fait chuchoter ses chouettes et ses glas

Tels ils s'en vont vers la lune unicorne
Vers un sommeil qui n'aura pas de fin
Chasser la darigole ou la licorne
A pas feutrés sur ce monde défunt....
 
 
 
maurice fombeure (1906-1981). Aux créneaux de la pluie (Gallimard, 1946).
 
 
les écoliers
 
 
 
Que ce soit l’hiver ou l’été
Sur la route couleur de sable,
Le 'moyen', le 'bon', le 'passable'
Vont à galoches que veux-tu
Vers leur école intarissable.

Ils ont dans leurs plumiers des gommes
Et des hannetons du matin,
Dans leurs poches du pain, des pommes,
Des billes, ô précieux butin
Gagné sur d'autres petits hommes.

Ils ont la ruse et la paresse
Mais l'innocence et la fraîcheur
Près d'eux les filles ont des tresses
Et des yeux bleus couleur de fleur,
Et des vraies fleurs pour leur maîtresse.

Puis les voilà tous à s'asseoir.
Dans l'école crépie de lune
On les enferme jusqu'au soir,
Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume
Pour s'envoler. Après, bonsoir !
 
 
 
maurice fombeure (1906-1981). A dos d'oiseau (Gallimard, 1942).
 
 
oiseau
 
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18 mai 2014 7 18 /05 /mai /2014 09:13
Silence
de la mer
 
 
 

 

LETTRES
La grande
nageuse.
Olivier Frébourg.
Mercure de France.
Mai 2014.
153 pages.
 

   
Olivier Frébourg, né en 1965, est journaliste et écrivain. Grand reporter, critique au Figaro, passionné par la mer, il fut longtemps le directeur littéraire de La Table Ronde, avant de fonder en 2003 les Editions des Equateurs. Il a récemment publié : Un homme à la mer. (Mercure de France, 2004), Gaston et Gustave. (Mercure de France, 2011). 
 
Présentation de l'éditeur.
Cet été là, nous nous retrouvâmes plusieurs fois sur la plage du Fort Neuf. Une femme se révèle le matin au réveil et à la sortie du bain. C'est là où on voit la vérité des os. Son corps long et droit se dépliait en dos crawlé quand elle partait nager seule au-delà des voiliers mouillés à l'ancre. Après une heure de natation, je la voyais sortir le corps ruisselant, fortifié par l'Atlantique, les jambes légèrement tremblantes, le visage enfin souriant. Elle s'étendait sur une serviette toujours de couloir noire ou ardoise. Elle lut cet été-là Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux ; je revois très bien la couverture rouge du livre qui l'absorbait : c'était une lecture bien sérieuse pour la plage. Je profitais de ces moments pour crayonner dans mon carnet des croquis de ses jambes et de ses pieds. Originaires de Bretagne, Marion et le narrateur se connaissent depuis l'enfance. Marion a aussi des ascendances vietnamiennes et un corps à la beauté indolente. Tous les deux ont la même passion pour l'océan. Lui est marin, elle une nageuse silencieuse qui goûte un plaisir sensuel à avaler les kilomètres. Ils fondent une famille. Mais le narrateur aspire à d'autres horizons : il nourrit une passion de plus en plus vive pour la peinture. De son côté, Marion passe de plus en plus de temps au fond l'eau. La mer réunit ou sépare-t-elle ceux qui s'aiment ? .
 
L'article de François Cérésa. - Service littéraire. - juillet-août 2014.
Prendre l'eau. Une règle : quelques-uns nagent, beaucoup coulent, un seul surnage. C’est l’amour. La mer est abusive. Dans La grande nageuse (Mercure de France), Olivier Frébourg fait chavirer les rives. On fait la connaissance de la belle Gaëlle, puis de sa fille Marion, deux Bretonnes d’origine vietnamienne. Le narrateur se marie avec Marion. Il y a de la gîte. Marin ou peintre, l’auteur va à vau-l’eau. Cette eau chère à Bachelard n’a rien d’un rêve. Les passions se révèlent, se brouillent. Cela s’appelle prendre l’eau de toutes parts. Monsieur Frébourg, écrivain au long cours, est un homme de la mer. Sa nageuse lui échappe. Qu’il empanne ou qu’il vire de bord, il nous met la baume au cœur. Son histoire d’eau est une tempête. À bâbord comme à tribord, c’est la tempête. Pourquoi Marion lui échappe-t-elle ? L’encre est levée (celle d’une plume à la dérive), le naufrage n’est pas loin. Le livre de Frébourg est une aquarelle océanique : rapide et cruelle. C’est aussi une métaphore de la France actuelle. Quelques-uns nagent, beaucoup coulent, un seul surnage. Oceano nox ? Presque. Ce bonheur d’être triste. Avec l’ironie de l’amour déçu. Bravo, Frébourg.
 
Autre article recommandé : Bertrand de Saint-Vincent, « Peinture à l'eau. » - Le Spectacle du Monde, juin  2014. 
 
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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 19:11
Mary
 
 
rondeau des fontaines
 
 
 
Verdine, Ondine et Bordine aux yeux verts.
ronsard.  
 
Jonquine, Ondine, Antrine, Verdeline,
Au matinet, quand sifflent rubeline,
Tarin, linotte, un souffle zéphirin
Apporte aux prés harmonie angéline,
Jusque à tant qu’à l’orière décline
L’ombre du bois ou menace le grain.

Alors se tait l’échôle et le clarain :
Dorment les bœufs ; c’est midi souverain,
Le bain sacré de Diane Ourceline ;
Près de la source où git sa javeline,
On n’entend plus rubeline et tarin.
Jonquine, Ondine, Antrine, Verdeline.

Sous les rainceaux guigne l’œil satyrin
A basse vêpre un corps alabâtrin.
Le ciel s’éclaire au loin d’une chaline.
Enfin la nuit a refermé l’écrin,
Mais plus souef que flûte et tambourin,
Je r’ois chanter le long de la colline
Jonquine, Ondine, Antrine, Verdeline.
 
 
 
andré mary (1879-1962). Poèmes inédits (Le Divan, 1941).
 
 
rondeau des petits enfants
prisonniers de l'hiver
 
 
 
En ces mois noirs, errant par sentes et chalées,
Nous ressentons aux mains chauboulures, onglées,
Et tout autour de nos oreilles les pinçons
De la brise aigre, encependant que nous paissons
De faînes et calots et prunelles gelées.

Ou bien, le soir, devant les flammes enroulées,
Sur sellettes de bois sommes petits garçons,
Frileux, encoquillés si comme limaçons,
En ces mois noirs.

Quand orrons-nous subler fauvettes et quinsons ?
Las ! ne reverrons-nous le temps des béniçons
Ou bien tant seulement le lundi des roulées,
Le vert bois, la prairie aux rives glaïolées ?
Enfantelets petits, c'est à quoi nous pensons
En ces mois noirs.
 
 
 
andré mary (1879-1962). Les Rondeaux (1924).
 
 
rondeau des bedons
 
 
 
Toujours assis, les pieds sous le bâton
De chaise, au cou la touaille de coton,
Ne leur chaut prou Montfaucon ni Vatable :
Leur ventrelot s'arrondit sous la table
Dont le rebord caresse leur menton.
Or de pinter, or d'engouler, glouton,
Râble de lièvre, éclanche de mouton,
Puis vont ronflant comme porcs en l'étable,
Toujours assis.

A l'heure dite ils iront chez Pluton
De l'eau du Styx attremper leur picton,
Ensevelis en nappe délitable,
Car ils ont fait testament véritable,
Pour être mis au tombeau, ce dit-on,
Toujours assis.
 
 
 
andré mary (1879-1962). Poèmes inédits (La Muse française, 1938).
 
 
fontaine 2
 
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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 09:13
Rome, grandeur
et démesure
 
 
 

 

LETTRES
Oeuvres
complètes.
Tacite.
Préface et traduction de Catherine Salles.
Robert Laffont.
Février 2014.
864 pages.
 

   
Cornelius Publius Tacitus (58 -120 ap. J.-C.), historien et sénateur romain. «Le plus grand peintre de l'Antiquité », selon Racine. Orateur brillant, écrivain au style vif et concis, admirateur de Cicéron, il fut l'ami de Pline, d'Hadrien et de Trajan. Autres traductions : Oeuvres complètes, traduction de Pierre Grimal. (Gallimard, La Pléiade, 1990). 
 
Présentation de l'éditeur.
Né en Gaule Narbonnaise, le plus grand des historiens romains a vécu entre la seconde moitié du Ier et le début du IIe siècle. Une période sombre durant laquelle se succèdent à la tête de l'Empire des souverains fous et sanguinaires, comme Tibère, Caligula et Néron, et des empereurs plus respectueux de la morale et du peuple, tels Vespasien, Titus et Domitien. Historien, Tacite l'est à part entière. Il s'appuie sur des informations vérifiées, évitant les deux écueils principaux qui menacent la relation exacte des faits : la flatterie et la haine du pouvoir. C'est aussi un portraitiste admirable de précision et de vitalité, un moraliste au patriotisme intransigeant qui dénonce les turpitudes des empereurs comme celles de la plèbe, un conteur dont les évocations de la Rome antique restent inégalées.Tacite s'est mis tardivement à la composition littéraire, vouant d'abord son talent à l'art oratoire. L'oraison funèbre qu'il consacre à son beau-père, La Vie de Julius Agricola, est un véritable manifeste politique contre le régime. Dans le Dialogue des orateurs, il traite des problèmes de fond et de forme liés à l'exercice de l'éloquence. Ces premières oeuvres et la suivante, De la Germanie, ont pour trait commun une analyse riche et documentée de l'histoire de son temps ; les trois livres sont présentés ici dans de nouvelles traductions de Catherine Salles. Suivront Les Histoires et Les Annales, sommes fondamentales dans lesquelles transparaissent les deux préoccupations majeures de l'auteur : la dégénérescence du pouvoir impérial et la menace étrangère aux frontières.Cette édition des oeuvres complètes de Tacite témoigne de la vigueur et de la puissance stylistiques d'un écrivain que Racine et de Gaulle, notamment, considéraient comme un de leurs maîtres.
 
Recension  de Ivan P. Kamenarovic. - Etudes. - mai 2014.
Catherine Salles a heureusement complété les travaux, parus il y a près de cent ans, d’Henri Goelzer. Elle nous permet d’avoir accès à tout ce qui nous reste de Tacite, conteur rare, historien scrupuleux, auquel des études de rhétorique ont servi à aiguiser des qualités toutes personnelles de réflexion et de probité. « Peu à peu, ils se laissèrent séduire par nos vices, les portiques, les thermes, les festins raffinés. Ces naïfs appelaient cela civilisation, ce n’est qu’un aspect de leur servitude », écrit-il ainsi, à propos des habitants de la Grande-Bretagne. Tacite a un sens évident de la mise en scène, que la traduction nous rend souvent avec bonheur. Le Dialogue des orateurs nous fait assister à une joute qui a pour thème la querelle des Anciens et des Modernes (déjà !). Dans ses autres écrits, il nous fait visiter les confins de l’Empire (de l’Écosse au Kurdistan, de la Germanie à l’Afrique du Nord) et il nous en fait vivre une période haletante, de la fin du règne de Tibère aux désordres qui ont marqué la fin de Néron et qui ont vu trois empereurs se succéder en deux ans. Cela lui donne l’occasion, avec, par exemple, la fin de Messaline et celle d’Agrippine la Jeune, d’écrire des pages dont on comprend qu’elles aient fasciné Racine. Comment la puissance romaine a-t-elle survécu à ces convulsions, à cet amas de corruption en tout genre ? Sans doute grâce à des gens comme Tacite, qui était un Romain de Gaule, venus enrichir et renouveler la vieille souche latine, Tacite, dont nous est donnée ici une traduction alerte et judicieuse.
 
Autre article recommandé : Pierre Pachet, « En relisant Tacite. » - La Quinzaine littéraire, 16 avril  2014. 
 
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