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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 22:09
Tristan Corbière
(1845-1875)
 
Edouard-Joachim, dit Tristan, Corbière est né à Coat-Congar, à proximité de Morlaix, le 18 juillet 1845. Son père, Edouard-Jean-Antoine, natif de Brest, capitaine au long- cours, est l'auteur de quelques romans maritimes, entre autres Le Négrier (1882), œuvre fort singulière, dont la préface décèle, selon Rémy de Gourmont, « un esprit très hautain et dédaigneux du public ». Après une enfance passée sans histoire dans le manoir du Launay, Tristan Corbière fait ses études au Lycée de Saint-Brieuc jusqu'à l'âge de seize ans, époque à laquelle se manifestèrent les premiers symptômes du mal qui devait l'emporter. Les soins incessants de sa mère et un séjour de deux années à Roscoff, au milieu des pêcheurs, raffermissent sa santé. Il se fixe alors à Paris, et ne fait plus guère d'apparition dans sa province, si ce n'est pour vagabonder avec ceux qu'il a si parfaitement dépeints. « Blasé très jeune, atteint d'une sorte de spleen, écrit un de ses biographes, M. Vincent Huet, son père, afin de le distraire, lui fit construire un sloop de plaisance. A partir de ce moment, il fut toujours en mer, ne couchant plus que dans un hamac et toujours vêtu en matelot avec le suroît, la grosse capote et les larges bottes de bord... ». A Paris, il se lie avec de nombreux artistes, et, collabore, sous le pseudonyme de Tristan, en 1873 à la revue La Vie Parisienne. C'est là que paraissent ses premiers vers, entre autres La Pastorale de Conlie, Veder Napoli, Cris d’aveugle, Le Fils de Lamartine et de Graziella, Vésuve et Cie… Il réunit la même année tous ses poèmes, sous le titre des Amours Jaunes, et les fait paraître en une édition de luxe, qu'il orne d'un étrange frontispice à l'eau-forte. Il a alors pour logis une chambre uniquement meublée d'un coffre à bois sur lequel, dit-on, il couchait tout habillé. Sur la cheminée traînaient des louis; en prenait qui voulait. Terrassé par une affection de poitrine toujours menaçante, il est transporté à Morlaix, où il meurt le premier mars 1875.
Son œuvre ne fut connu du public que bien des années après sa mort. Son unique recueil, Les Amours jaunes, ne devait pas faire la fortune de ses éditeurs; il traîna longtemps sur les quais à bas prix, jusqu'au jour où il fut révélé à Paul Verlaine qui, enthousiasmé, plaça son auteur dans sa série des Poètes maudits. Une génération s'inquiéta alors de ce livre bizarre; les exemplaires eu furent vivement recherchés, et un libraire, Léon Vanier, fort soucieux de la vente des poètes, en publia une nouvelle édition qui se répandit bientôt entre les mains des lettrés.
Jules Laforgue a défini l'art de Tristan Corbière : « Bohème de l’Océan - picaresque et falot - cassant, concis, cinglant le vers à la cravache - strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las - sans esthétisme - pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature - sensuel, il ne montre jamais la chair - voyou et byronien - toujours le mot net - il n’est un autre artiste en vers plus dégagé que lui du langage poétique - il a un métier sans intérêt plastique - l’intérêt, l’effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique - il veut être indéfinissable, incataloguable, ne pas être aimé, ne pas être haï ; bref, déclassé de toutes les latitudes, de toutes les mœurs, en deçà et au-delà des Pyrénées.» L'ironie est la note dominante de cette œuvre étrange et inclassable, mais cette ironie, acre et féroce au dehors, est tendre au dedans. Jamais on n'en a rendu l'acuité aussi complètement que dans ces vers, simple épitaphe de l'auteur par lui-même :

Mélange adultère de tout :
De la fortune et pas le sou,
De l'énergie et pas de force,
La Liberté mais une entorse,
Du cœur, du cœur ! de l'âme, non —
Des amis, pas un compagnon,
De l'idée et pas une idée,
De l'amour et pas une aimée,
La paresse et pas le repos.
Vertus chez lui furent défaut,
Ame blasée inassouvie,
Mort, mais pas guéri de la vie,
Gâcheur de vie hors de propos,
Le corps à sec et la tête ivre,
Espérant, niant l'avenir.
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut s'attendant mourir.
 
Les Amours Jaunes (Vanier, 1891). 
Bibliographie : Henri Clouard, Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours (Albin Michel, 1947). – Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, la poésie du XXe siècle (Albin Michel, 1982). - René Martineau, Tristan Corbière (Mercure de France, 1904). 
 
 
Au vieux Roscoff
 
Berceuse en Nord-Ouest mineur
 
 
Trou de flibustiers, vieux nid
À corsaires ! — dans la tourmente,
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante…

Ronfle à la mer, ronfle à la brise ;
Ta corne dans la brume grise,
Ton pied marin dans les brisans…
— Dors : tu peux fermer ton œil borgne
Ouvert sur le large, et qui lorgne
Les Anglais, depuis trois cents ans.

— Dors, vieille coque bien ancrée ;
Les margats et les cormorans
Tes grands poètes d’ouragans
Viendront chanter à la marée…

— Dors, vieille fille-à-matelots ;
Plus ne te soûleront ces flots
Qui te faisaient une ceinture
Dorée, aux nuits rouges de vin,
De sang, de feu ! — Dors… Sur ton sein
L’or ne fondra plus en friture.

— Où sont les noms de tes amants…
— La mer et la gloire étaient folles ! —
Noms de lascars ! noms de géants !
Crachés des gueules d’espingoles…

Où battaient-ils, ces pavillons,
Écharpant ton ciel en haillons !…
— Dors au ciel de plomb sur tes dunes…
Dors : plus ne viendront ricocher
Les boulets morts, sur ton clocher
Criblé — comme un prunier — de prunes…

— Dors : sous les noires cheminées,
Écoute rêver tes enfants,
Mousses de quatre-vingt-dix ans,
Épaves des belles années…
(...)
Il dort ton bon canon de fer,
À plat-ventre aussi dans sa souille,
Grêlé par les lunes d’hyver…
Il dort son lourd sommeil de rouille.
— Va : ronfle au vent, vieux ronfleur,
Tiens toujours ta gueule enragée
Braquée à l’Anglais !… et chargée
De maigre jonc-marin en fleur
 
     
 
Tristan Corbière (1845-1875). Les Amours Jaunes (1891).
 
 
Heures
 
Aumône au malandrin en chasse
Mauvais œil à l’œil assassin !
Fer contre fer au spadassin !
— Mon âme n’est pas en état de grâce ! —

Je suis le fou de Pampelune,
J’ai peur du rire de la Lune,
Cafarde, avec son crêpe noir…
Horreur ! tout est donc sous un éteignoir.

J’entends comme un bruit de crécelle…
C’est la male heure qui m’appelle.
Dans le creux des nuits tombe : un glas… deux glas

J’ai compté plus de quatorze heures…
L’heure est une larme — Tu pleures,
Mon cœur !… Chante encor, va — Ne compte pas.
 
     
 
Tristan Corbière (1845-1875). Les Amours Jaunes (1891).
   
 

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