Le Putsch d’Athènes
On ne se méfie jamais assez de ses amis, surtout lorsque ce ne sont pas des amis. M. Papandréou, le futur ex Premier ministre grec vient de l’apprendre à ses dépens. En annonçant lundi soir son intention de soumettre à référendum le soi-disant « plan de sauvetage » de la Grèce – plan qui ne sauve, comme tout le monde le sait, que les banques et en dernier lieu les banques grecques – il prenait un triple risque : celui de se mettre à dos la finance internationale, celui, par ricochets, d’être lapidé par les chiens de garde de l’euro, politiques et médias confondus, celui, enfin, de voir son parti et ses amis le lâcher et faire appel à une personnalité plus servile. Il n’aura évité aucun de ces trois écueils.
Si l’on regarde précisément la chronologie des évènements, ce sont bien les institutions financières qui ont orchestré les premières la mise à mort de M. Papandréou. Sa déclaration sur le référendum grec précédait de quelques heures l’annonce, lundi à New York, de la banqueroute de MF Global, une des plus grosses faillites de l’histoire des Etats Unis depuis le naufrage de Lehman Brothers. MF Global disparaissait victime de ses spéculations sur les dettes européennes et d'autres risquaient de suivre, très vite, en cas de nouvelle tempête en Europe. M. Papandréou apparut alors comme le diable en personne. Son référendum et la défaillance du courtier américain provoquaient dans l’après midi de lundi un véritable vent de panique sur l’ensemble des marchés de la planète. On imagine le contenu des échanges téléphoniques entre les places et les gouvernements lundi soir. C’est là que les oreilles de M. Papandréou ont du sérieusement commencer à siffler.
Paris et Berlin étaient sur le pied de guerre dès mardi. L'échange entre M. Sarkozy et Mme Merkel date, semble-t-il, des premières heures de la matinée. On imagine la consternation et la fureur du chef de l’Etat, tombant de son piédestal de sauveur de l'euro. L'attitude de la chancellière allemande fut sans doute empreinte de plus de réalisme. On sait, outre Rhin, que la Grèce est dans une situation intenable et qu’elle finira, tôt ou tard, par sortir de l’euro, entrainant derrière elle tous les pays fragiles du sud de l’Europe. Il sera alors temps de mettre sur la table la vraie solution à la crise, celle d’une zone euro-mark, réduite à l’Europe du Nord et dominée par l’Allemagne. Si l’on veut que la France rentre, le moment venu, dans ce schéma, il faut lui donner, pour l’heure, quelques satisfactions et sacrifier à ses dernières illusions. Français et Allemands devaient donc convenir de chatier ensemble l'impertinent dirigeant grec.
Après la colère des dieux, la foudre médiatique frappa aussi le malheureux Papandréou. Les journaux européistes s’en donnèrent à cœur joie mardi et mercredi. La palme de la tartufferie revint naturellement à la presse française. De Libération au Figaro, des Echos au Point ou à l’Express, les perroquets stipendiés ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Ils se sont mis en tête de faire la leçon aux Grecs et à leurs dirigeants sur la démocratie. On sait qu’à Bruxelles, le mot démocratie n’a pas le même contenu qu’à d’Athènes. Elle n’est légitime que lorsqu’elle s’exprime dans le sens voulu par les oligarchies. Les malheureux Irlandais, qui avaient eu le mauvais gout de refuser le traité de Lisbonne et que l’on a forcés à revoter une seconde fois, l’ont appris à leur dépens. C’est aujourd’hui au tour des Grecs de courber l'échine. Dans ce jésuitisme démocratique, l’éditorialiste du Monde devait se montrer le plus habile : comment imaginer une issue favorable au référendum, alors qu’on cherche à imposer une purge aussi violente au peuple grec ? En effet, la conclusion s’impose : pas de référendum, laissons les peuples souffrir en silence !
On connait la fin de l'histoire. M. Papandréou, convoqué sans ménagement par le couple Sarkozy-Merkel, humilié, menacé de faillite, de ruine et de famine, trainé dans la boue par les médias, devait finir par mettre un genou à terre : il abjura son idée de référendum et promit que le peuple grec avalerait la purge de l'austérité jusqu'à la dernière goutte. La correction n'était pas suffisante. On exigeait aussi qu'il mette sa tête sur le billot. De bons amis, parmi lesquels son vice-premier ministre, le mirobolant M. Vénizelos, se chargèrent de lui faire passer le message. Même le chef de l’opposition, M. Samaras, changeait d'attitude : après des mois de conflits ouverts avec les socialistes, il acceptait brusquement l'idée d'un gouvernement d'union nationale pour peu que M. Papandréou disparaisse. Il ne restait plus qu'à orchestrer ce départ. Ce fut rondement mené hier soir : M. Papandréou obtenait la confiance du Parlement en échange d'une promesse de retrait. Dès le scrutin acquis, M. Vénizelos s’empressait de téléphoner les résultats à M. Juncker et aux autres dirigeants européens. Il en profitait pour leur annoncer sa candidature à la présidence du futur gouvernement de transition. Nul doute qu’on lui renverra l’ascenseur.
Ce samedi matin, les dirigeants européens se félicitent de l’issue favorable de ce qu’on appelle maintenant avec commisération « l’épisode grecque ». La presse aux ordres pavoise. Les bourses reprennent des couleurs. Les partis sociaux-démocrates versent quelques larmes de crocodile sur M. Papandréou. L’ordre règne à nouveau à Athènes. Mais pour combien de temps ?
François Renié.