Qui sème le vent...
Comme à la fin de la tragédie, le piège grec se referme et l'Eurozone va sans doute connaître dans les semaines, voire dans les jours qui viennent, des troubles de grande ampleur. L'économie grecque est emportée dans une spirale désastreuse - lundi soir, Standard & Poor's dégradait la dette grecque au niveau "spéculatif", à deux crans seulement du défaut de paiement et les taux des obligations grecques s'envolaient sur les marchés. Et contrairement à ce qu'on nous avait dit la semaine dernière, et alors qu'il y a le feu, le compromis européen sur l'aide à la Grèce n'est toujours pas trouvé.
L'Allemagne, échaudée par l'échec des précédents plans, commence à soupconner le trust bancaire européen de tirer profit de la crise. Elle n'acceptera pas la première solution venue. Elle veut obtenir un rééchelonnement de la dette grecque et elle exige une participation - contrainte, s'il le faut - des banques à l'effort financier. M. Trichet et ses amis banquiers ne l'entendent pas du tout de cette oreille. Pas question pour eux de participer, sauf de façon marginale et volontaire, au règlement des pôts cassés. Deux lignes s'affrontent et les protagonistes sont d'autant moins prêts au compromis que celui ci vaudra précédent pour la suite. Et l'on sait qu'il y aura une suite, et même des suites... en Espagne, au Portugal, en Irlande ou ailleurs. Hier soir, la Commission n'annoncait plus de calendrier de décisions pour le nouveau plan d'aide à la Grèce
Or, faute de mesures d'urgence, la situation risque de devenir très vite "insaisisable". Les agences de notation commençaient, ce matin, à attaquer les positions des banques françaises et allemandes. Les marchés et l'euro perdaient à nouveau pied. Un vent de panique soufflait sur les chancelleries européennes. La crise politique qui s'est ouverte, hier soir, à Athènes, n'arrange pas la situation même si elle la clarifie. M. Papandréou, effrayé par une situation qu'il a pour partie crée, s'est dit près à s'effacer devant un gouvernement d'union nationale. Mais qui veut d'une telle union, y compris dans son camp ? Et qui va accepter de porter la responsabilité politique d'une vente par appartement de la Grèce ? La droite ne jouera pas le jeu. Quant à la gauche, on verra d'ici la fin de la semaine si elle maintient sa confiance à l'équipe Papandréou. En cas d'échec, la voie des élections générales est ouverte, ce qui signifie que la Grèce n'aura plus de gouvernement pendant des mois. D'ici là, la crise de l'euro aura franchi d'autres étapes et, sauf à imaginer le triomphe de la bétise et de l'aveuglement - ce qui est toujours possible en démocratie ! - le retour aux monnaies nationales apparaitra comme l'unique solution pour sortir de ce cauchemar.
Que restera-t-il de cette crise ? La fin d'une certaine Europe, du moins peut-on l'espérer. Il restera aussi de la haine, beaucoup de haine. La haine des peuples lorsqu'on les méprise, lorsqu'on cherche à les pousser au désespoir. Cette haine était présente hier chez les manifestants de la place Syntagma. Contre la classe politique grecque qui les a vendus, contre les dirigeants européens qui les bafouent, contre cette Europe sénile, froide et dure où les Grecs ne se retrouvent plus. Tous comme les Espagnols, tous comme les Portugais, les Irlandais, tout comme nous.
Ce cri de haine et de désespoir, nous en trouvons l'écho dans ce billet terrible publié il y a quelques jours par le quotidien To Ethnos d'Athènes, que nous reproduisons ci-dessous. Nous dédions ce texte à tous les indignés d'Europe.
François Renié.
Nous, peuple blessé sous occupation
En Grèce, on a le cœur brisé aujourd’hui. Tout Grec qui se respecte est blessé ne serait-ce que par la lecture des titres de la presse internationale sur l’annonce par le gouvernement Papandréou de la privatisation des biens publics. “Liquidation de l’Acropole. Tout doit disparaître”, écrit la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour d’autres journaux, c’était “Braderie à Athènes”. Les Allemands s’interrogent : “combien nous coûtent les Grecs ?” La presse espagnole s’y met aussi. Les étrangers s’inquiètent mais sont aussi intéressés pour racheter, éventuellement, les biens du pays. Depuis plusieurs semaines, des représentants de grands groupes tournent autour du ministère des Finances. C’est triste, mais nous sommes sous occupation étrangère à présent et les jeunes, assis sur les places des grandes villes du pays, l’ont bien compris. L’avenir est sombre. L’an dernier, le gouvernement Papandréou s’était engagé sur la voie de l’austérité, qui devait se traduire par l’amélioration de la situation financière. Les faits ont lamentablement démenti ce programme. Le gouvernement a décidé d’amputer les salaires et les retraites, de mettre en vente les biens publics et d’imposer des taxes avec une brutalité sans précédent. Aujourd’hui, la situation du pays est nettement pire que l’an dernier. Le gouvernement a utilisé comme excuse le montant de la dette publique – qui a atteint les 115 % du PIB – pour justifier le recours au plan de rigueur. Mais, en l’espace de dix-huit mois, la dette s’élève déjà à… 155 % du PIB. Et le ministère des Finances estime que d’ici la fin de l’année, elle parviendra au taux inimaginable de 163,5 % ! D’ici à mars 2012, soit dans moins d’un an, les obligations et les bons du Trésor, d’un montant de 42 milliards d’euros, arrivent à expiration. Où trouvera-t-on de l’argent frais dans ce contexte de crise cauchemardesque ? Un nouveau prêt est la seule réponse. Mais pas un seul euro ne sera donné pour renforcer l’économie, les salaires ou les retraites. Il n’y a plus aucun espoir.
Giorgos Delastik.