Contre l'oligarchie bourgeoise
Que reste-il aujourd'hui du socialisme ? En quoi la pensée de Marx et de ses continuateurs nous est encore utile ? Et celle des socialistes français, d'un Proudhon, d'un Péguy, d'un Sorel ? La question sociale, l'organisation et la valeur du travail, le partage des richesses, l'émancipation des classes défavorisées, toutes ces questions doivent-elles rester au coeur du débat politique ou céder la place à d'autres enjeux, écologiques, économiques, culturels ou "sociétaux" ? Que doit-on attendre du syndicalisme, d'une renaissance des corps intermédiaires, d'une organisation plus décentralisée, plus fédérale de la société ? La démocratie libérale est-elle encore le cadre adapté pour traiter l'ensemble de ces questions, pour favoriser la production et l'intelligence française, assurer la cohésion sociale de la nation, ou faut-il imaginer d'évoluer vers d'autres formes politiques ? Autant de questions que nous avons envie de poser à nos lecteurs dans le cadre du débat sur le socialisme que nous avons ouvert la semaine dernière dans ces colonnes.
Car pour nous, l'oeuvre de renaissance française est inséparable de toutes ces questions. Comme elle est inséparable d'un certain nombre de grands choix économiques qui conditionneront la place qu'aura la France dans le monde du XXIe siécle. Comment envisager l'avenir de la nation sans disposer d'un minimum de doctrine, de schémas sur la façon de concevoir l'organisation de la production, sur les choix que nous devons faire dans la division internationale du travail pour promouvoir nos filières d'excellence, celles qui sont les plus conformes à notre génie, celles qui ouvrent aussi, pour l'humanité, les voies d'un développement raisonnable, comment mieux répartir les richesses entre les Français afin d'assurer la cohésion et le progrès social, sans décourager pour autant l'effort, le dynamisme et l'innovation ? Le socialisme prétendait pouvoir réconcilier l'économie et le social dans un projet centré sur l'homme, sur la satisfaction des besoins de l'humanité. Que reste-il là encore de cette idée ? Impasse ou aventure intellectuelle à reprendre sous d'autres formes ?
Ce débat occupera, à intervalle régulier, les colonnes de notre Revue Critique jusqu'en mars 2012. Nous publierons toutes les contributions qui nous seront adressées, pour peu qu'elles posent de bonnes questions ou qu'elles apportent des points de vue neufs. Nous y ajouterons des textes, anciens ou plus récents, qui nourriront le débat de pensées, de critiques ou d'expériences originales. Nous veillerons, chaque fois que possible, à provoquer le débat, à ce que le texte de l'un viennent complèter, enrichir ou contredire le texte d'un autre et si besoin relancer le questionnement. Puis viendra l'heure des synthèses et des bilans : notre objectif est de publier au printemps prochain, à un moment favorable au débat politique, une sorte de manifeste qui trace les grandes lignes d'une "révolution économique et sociale" à la française.
D'ici là, syndicalistes, militants politiques, philosophes, chercheurs, entrepreneurs, simples travailleurs ou simples citoyens, à vos plumes ! Nous vous convions à penser loin, à voir large, avec comme unique focus, celui de l'intérêt national.
Après la contribution de notre ami Jean-Claude Adrian, qui ouvrait, le 21 novembre dernier ce débat, voilà celle de nos amis du Lyon Royal. Laissons-les se présenter et intervenir, puis nous commenterons brièvement leurs propos.
Henri Valois.
Le Lyon Royal : un blog royaliste d'ultra-gauche ? J'aime a en résumer les orientations écologistes et démocrates, autogestionnaires, par ce slogan "Le Roi, les soviets, l'électricité !". Et si je veux bien croire que la nécessité des Soviets et plus encore de l'électricité vous semble une revendication plausible, la nécessité d'un roi qui redonne à l'Etat sa fonction symbolique et bienveillante, arbitrale, ne l'est pas moins. Y.D.
Pour un socialisme populaire.
Faire le point de l'émergence d'un socialisme populaire ce n'est pas là s'astreindre à un long débat "scientifique", c'est comme fondement faire le constat du décrochage de l'oligarchie.
Le terme de décrochage convient pour exprimer le mépris dans lequel l'oligarchie tient la population de ce pays, mépris pour le pays lui-même, mépris pour sa langue ou sa culture souvent exprimée par "les autorités", mépris fait de suffisance que le désastre où l'oligarchie nous entraîne rend plus terrible encore.
Mépris et ignorance des populations fondés sur l'aveuglement idéologique des uns ou des autres, c'est à cela que nous pourrions résumer les politiques de l'Ump, du Parti socialiste ou du Modem. Prisonniers des règles d'un jeu économique qu'ils nous ont imposés, captifs des intérêts spéculatifs qu'ils défendent contre le plus grand nombre, les 99%, les Indignés.
Ainsi ce n'est pas tant le capitalisme qui se voit remis en cause. La constitution des grands groupes d'industrie a depuis longtemps permis de jeter les bases d'une "socialisation capitaliste des moyens de production", qui rend possible sans autre inconvénient l'expropriation des agioteurs et autres parasites de notre économie. Parasites qui sont aussi le terreau de l'oligarchie avec leurs "cadres dirigeants" empêtrés de parachutes et de retraites dorées et dont il conviendra de les soulager.
Non, le capitalisme entrepreneurial, celui des salariés de Fralib, de Véninov ou de SeaFrance, celui des coopérateurs, comme celui de milliers de PME PMI ne fait pas problème. Aucun problème, en tous cas, qui ne puisse se résoudre autour d'un mutuel respect des règles de droit et de savoir vivre, car la volonté de chacun est de vivre dans un bien être sûr.
Aussi l'effondrement du "socialisme réel", du "capitalisme d'Etat" nous voit-il, sans autre subterfuge, nous opposer à la domination financière, idéologique et policière, d'une bourgeoisie compradore qu'il faudra bien au même titre que cette économie, domestiquer. Le Lyon Royal - 27 Novembre 2011.
Bravo au Lyon Royal qui va, selon son habitude, à l'essentiel en montrant où sont les urgences!
Le socialisme est le rejeton de la lutte des classes et, sur ce terrain-là, les choses ont beaucoup évolué. La bourgeoisie capitaliste du XIXe siècle tendait à être un bloc au sein de la nation, fédérant de proche en proche les intérêts des autres classes supérieures - commerçante, financière et foncière -, bénéficiant de la complicité des classes moyennes, tenant ainsi entre ses mains les destinées du pays. Tout cela a beaucoup changé. D'une part, le socialisme a su imposer à l'Etat, à partir de l'expérience de la grande industrie, ce que nos amis appellent si justement "la socialisation capitaliste des moyens de production". Il est incontestable que le monde du capitalisme entrepreneurial, celui des PMI ou du secteur coopératif, peut être régulé au bénéfice des travailleurs, au prix du respect des lois sociales existantes.
Il est également vrai que les intérêts des dirigeants de ces entreprises n'ont désormais plus rien à voir avec l'oligarchie financiarisée, mondialisée - celles des multinationales, des ex groupes d'Etat privatisés ou en passe de l'être, des banques et des grandes institutions financières, de la haute administration et des grands médias - qui dirige le pays en fonction d'intérêts qui ne sont plus ceux du pays. Cette scission au sein de la bourgeoisie, entre une classe dominante hors sol, expression du capitalisme international et ce qu'on pourrait appeler la "bourgeoisie nationale", qui participe de la vie et de l'intérêt du pays, est une donnée assez récente, en France et en Europe. Elle est clairement le fruit de la mondialisation. Concentrer le tir sur la bourgeoisie compradore, la domestiquer au sens propre, comme le propose le Lyon Royal, est certainement la priorité des priorités. Sur ce terrain, combat social et combat politique se rejoignent. Nationalistes et syndicalistes ont les mêmes objectifs et les mêmes intérêts.
Faut-il en conclure qu'une fois cette tâche historique accomplie, tout rentrera dans l'ordre ? Certainement pas. Le "respect mutuel" des règles de droit n'a jamais suffit à assurer la prospérité d'une nation ni le bonheur de ses habitants. D'autres révolutions seront à faire, qu'il faut préparer dès aujourd'hui. D'autres pistes sont à ouvrir. Gageons qu'elles vont apparaitre dans ce débat.
H.V.