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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 10:29

Plaisirs

Peut-on encore dire du bien du Magazine littéraire et la publication que dirige d'une main fine José Macé Scaron n'est-elle pas déjà au-dessus de tous les éloges ? Eh bien, il faudra trouver de nouveaux compliments. Bien, parfait, optime, voilà les mots qui viennent à l'esprit à la lecture du numéro d'octobre, tout entier consacré au plaisir. Un plaisir vrai, où l'on retrouve la calme figure d'Epicure, le philosophe le plus calomnié de l'Antiquité, les clins d'oeil d'Ovide, la joyeuse luxure de Casanova et de l'Arétin, le bon rire de Rabelais et le sensualisme raffiné de Roland Barthes. Mais, nous en voudra-t-on ?  Dans ce catalogue des écrivains de bonne humeur, deux noms retiennent plus particulièrement notre attention : celui de Perrault, celui de La Fontaine.  Parce qu'ils ont charmé notre jeunesse, parce qu'ils nous parlent de ce royaume enfoui en nous-même, celui des plaisirs perdus, celui de l'enfance. 

"Instruire et plaire" : tel est l'impératif du conteur et du fabuliste et c'est en même temps le beau mot d'ordre de la jeunesse. Comme le rappelle Marc Escola :

Toute narration à l'âge classique se trouve ainsi idéalement subordonnée à l'illustration d'une maxime, au nom de la souveraine alliance du plaisir et de l'instruction : partisans des Modernes et thuriféraires des Anciens semblent au moins d'accord sur ce point, et Perrault peut reprendre dans les "seuils" de ses différents contes le lexique même de La Fontaine dans les épîtres et dédicaces qui accompagnaient ses deux recueils des Fables. [...] Le conteur fait chorus en rappelant en tête du recueil de 1695 que "les contes faits à plaisir" ne sont pas "de pures bagatelles" mais "renferment une morale utile, et que le récit enjoué dont ils sont enveloppés n'a été choisi que pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une manière qui instruisit et divertit tout ensemble".

Mais l'enseignement, s'il inclue bien l'initiation, trouve au siècle de Louis le Grand ses limites dans l'esprit de sérieux. Il s'agit pour La Fontaine :

"Non pas d'exciter le rire, mais de rechercher un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux " (préface des Fables, 1668) : une façon de narrer "de telle manière que vous fassiez concevoir au lecteur que vous ne croyez pas vous-même la chose que vous lui contez" (Boileau, Dissertation sur le conte Joconde de La Fontaine, 1664), en rapportant l'histoire comme reprise d'une autre, à la façon d'une longue citation et sans conter "tout de bon", avec toute la distance que comporte ce que l'on appelle aujourd'hui le second degré". Ce je ne sais quoi, aux antipodes de tout esprit de sérieux (l'érudition est le péché capital qui ferait du conteur un "pédant de collège") est le ton même des gens du monde, qui se distinguent et se reconnaissent précisément par là : dans le souci constant de donner un double plaisir en donnant à entendre deux choses à la fois qui, belles séparément, deviennent plus belles étant jointes ensemble", en conjuguant donc" feinte naïveté", goût de la "surprise", "enjouement libre et agréable, plaisanterie qui charme et émeut" en même temps (Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes, 1693).

Enjouement, plaisanterie, charme... avec, pour faire bonne mesure, une once de mélancolie. Comme dans ces vers où notre fabuliste clôt si simplement son apologue du "Pouvoir des Fables" :

 

                                   Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
 

   Eugène Charles.


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