Le retour au pouvoir des nationalistes au Québec est une très bonne nouvelle. Elle comble de joie tout ce que la France et le monde comptent d’amis de la Belle province. Nous ne rentrerons pas dans le jeu des commentateurs grincheux qui ont parlé de victoire étroite ou de demi-victoire. Que cette victoire dérange, qu’elle agace les milieux d’affaires anglo-saxons, qu’elle perturbe les médias occidentaux [1] qui considérent la question québécoise comme une affaire classée, c’est certain. Mais, peu importe. La victoire est là, elle est belle et bien là, et, pour Mme Marois et ses amis indépendantistes, c’est le début d’une nouvelle et d’une grande aventure politique.
Le succès des souverainistes marque un échec cuisant pour le camp libéral, et l’on s’en réjouira. M. Charest était persuadé qu’il resterait au pouvoir. Il reçoit la claque que toute la jeunesse québécoise rêvait de lui donner depuis des mois. Les foules étudiantes du « Printemps érable », matraquées, humiliées, tiennent enfin leur revanche. L’ancien Premier ministre, battu dans sa propre circonscription, a démissionné de la présidence de sa formation, dès les résultats proclamés. Il laisse un parti exsangue, sans direction, sans cap, et dont l’image dans l’opinion publique est durablement ternie. Même ses amis fédéraux d’Ottawa ont vu sans déplaisir partir ce mauvais cheval. Ils mettront du temps à en trouver un autre, aussi servile.
Quant aux centristes de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ils n’obtiennent pas – loin s’en faut – les résultats qu’on leur prédisait. Avec moins de 20 sièges sur 125, ils pèseront d’un poids très relatif dans la nouvelle Assemblée nationale. On sait que leur chef, l’ancien ministre François Legault, et qu’une partie de leurs dirigeants sont des transfuges du Parti québécois, qu’ils ont abandonné au nom d’un certain « réalisme ». Leur stratégie opportuniste et l’attitude très agressive qu’ils ont adoptées vis-à-vis de leurs anciens amis n’ont pas été payées en retour et il est vraisemblable qu’une partie de leur électorat sera tenté, tôt ou tard, de retourner dans le giron souverainiste.
L’affaiblissement des libéraux et les bisbilles internes qui commencent à se faire jour au sein de la CAQ donnent à Mme Marois les moyens d’agir vite. C’est ce qu’elle vient de faire, en s’appuyant scrupuleusement sur ses promesses de campagne. Suppression de la hausse des droits de scolarité, abolition d’une taxe impopulaire sur la santé, abrogation des restrictions au droit de manifester, annulation des aides versées à certaines multinationales…, c’est tout l’héritage de l’équipe Charest qui vient de disparaitre en fumée. « Pauline Marois démarre en lion », titrait le 21 septembre le Devoir de Montréal. Pas question pour autant de laisser filer l’économie. Les budgets seront tenus, les politiques d’encouragement à la recherche-développement relancées. Et Mme Marois de rappeler, à l’attention notamment des milieux d’affaire, que « les meilleurs résultats au niveau économique dans les 25 dernières années l’ont été sous un gouvernement du Parti québécois ». Rien de plus exact.
Reste la question de l’indépendance. Fidèle à ses convictions, Mme Marois a déclaré dès son élection : « En tant que nation, nous voulons prendre nous-mêmes les décisions qui nous concernent. Nous voulons un pays et nous l’aurons ». Pour autant, la nouvelle équipe souverainiste entend bien tirer les leçons des deux référendums perdus en 1980 et en 1995. Pas question de brûler les étapes. Dans l’immédiat, Mme Marois veut commencer par obtenir d’Ottawa la plus large autonomie possible dans des domaines stratégiques comme l’économie, l’éducation ou la politique d’immigration. Elle a répété, à la plus grande satisfaction de ses électeurs, qu’elle ne s’engagerait dans la voie d’un référendum sur l’indépendance que si elle avait la certitude de le remporter.
Sages paroles, qui démontrent une parfaite lucidité sur l'état de l'opinion publique et le rapport de forces politique. Il est clair en effet que le succès du PQ résulte avant tout d’une volonté des Québécois de tourner la page de neuf années de gouvernement Charest. C’est le désaveu d’une politique libérale, et c’est, dans une certaine mesure aussi, le souhait de voir les intérêts du Québec mieux défendus face aux prétentions du gouvernement canadien. Mais ce n’est pas un blanc-seing pour l’indépendance. L’opinion publique est tout aussi partagée qu’il y a vingt ans sur la question nationale. Pour réussir son pari, Mme Marois devra convaincre, argumenter, montrer le cap et dessiner un chemin. Elle devra aussi faire bouger son camp car les conditions du succès ne seront réunies que si le Parti québécois change profondément de stratégie, de positionnement et de pratique politique.
La première de ces conditions, c’est l’union des patriotes. Rien ne sera possible sans un rassemblement des forces indépendantistes sur la base politique la plus large possible. Or, ce choix est loin d’être fait. Lors du dernier scrutin, les voix souverainistes se sont à nouveau éparpillées entre plusieurs formations politiques [2], ce qui a failli coûter cher au PQ. Alors qu’une stratégie de front unique aurait permis aux indépendantistes de disposer d’une majorité absolue de 70 à 75 sièges et d’avoir les mains plus libres pour réaliser leur programme. Rien ne sera possible tant que le PQ n’acceptera pas de tendre la main au centre, à la droite patriotique ainsi qu’aux électeurs du CAQ, même si les relations sont mauvaises avec ses dirigeants. Mme Marois s’y est jusqu’à présent refusé. Elle a préféré jouer l’alternance gauche/droite plutôt que le front patriotique. Cette stratégie lui a permis de surfer sur l’impopularité de M. Charest et peut lui assurer le pouvoir pour quelques années. Mais elle ne sera pas suffisante pour créer dans l’opinion publique le choc émotionnel favorable à l’indépendance.
La deuxième condition, c’est la reconquête de l’opinion. Si l’idée nationale est encore vivace chez bon nombre de Québécois, elle est moins enracinée que par le passé dans une opposition de tous les instants à la culture américaine, dans une volonté de conserver, contre vents et marées, l’Etat social, dans le refus d’une mise en coupe réglée du pays par les multinationales. S’appuyer sur les jeunes, les intellectuels, les syndicats, l’aile marchante de l’économie, jouer d’une façon déterminée la carte de l’écologie, de la différenciation culturelle, des droits sociaux, de la protection du travail et de l’économie, voilà les choix qui permettront aux souverainistes de gagner à leur cause le pays tout entier. On a vu, lors des deux référendums perdus de 1980 et de 1995, la puissance du lobby fédéraliste et la capacité des médias libéraux à intimider l’électeur. C’est en appuyant l’idée d’indépendance sur un vaste mouvement populaire que les souverainistes pourront faire évoluer le rapport des forces en leur faveur, et non pas en jouant la carte d’une social-démocratie à la française.
Troisième et dernière condition, la reconstitution d’un puissant réseau d’alliés à l’international. Le Québec continue à jouir d’une excellente image de marque dans le monde. C’est, entre autres, le résultat de la diplomatie intelligente menée par les gouvernements souverainistes lorsqu’ils ont été au pouvoir. Alors que le Canada, traditionnellement libéral ou conservateur, est à la traine de la diplomatie américaine, les Québécois ont pris parti pour la liberté des peuples, au Proche Orient, en Afrique, en Amérique du sud, au risque d’indisposer Washington. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir de M. Charest pour que la Belle province donne le sentiment de rentrer dans le rang. Mme Marois est consciente de la nécessité de reprendre l’initiative. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi de faire son premier grand discours au sommet de la francophonie qui s’ouvrira samedi prochain à Kinshasa. Elle sait que c’est en Europe, et dans cette Europe latine en pleine ébullition qu’elle peut trouver ses alliés les plus sûrs. Le lien avec la France reste un élément essentiel et elle sera prochainement à Paris pour rencontrer François Hollande. Les deux dirigeants se connaissent bien et s’apprécient. La Québécoise sait ce qu’elle peut tirer, y compris dans ses relations avec Ottawa, de relations renforcées avec Paris. Le Français sait le puissant levier qu’est le Québec dans le jeu des forces en Amérique du Nord.
Le chemin vers l’indépendance sera long et semé d’embûches. Celle que les médias canadiens appellent « la dame de béton » ne l’ignore pas. Il est clair que la perspective d’un Etat français d’Amérique du Nord a de quoi inquiéter, voire effrayer, les tenants du vieil ordre anglo-saxon. Si cette perspective devait prendre de la consistance, ce serait, à coup sûr, une menace pour la fédération canadienne et un nouveau signal d'affaiblissement et de déclin des Etats Unis sur leur propre continent. Une telle perspective marquerait également, en ce début du XXIe siècle, un retour en force de l’influence française dans le monde. Mme Marois et ses amis peuvent être les initiateurs, les déclencheurs de ce mouvement historique. Ils le souhaitent visiblement. S'en donneront-ils les moyens ? Il faudra pour cela qu’ils adoptent un autre profil, celui des authentiques révolutionnaires.
René la Prairie.
[1]. En France, Le Monde et Libération se sont livrés à une surenchère de dénigrement et de mauvaise foi contre Mme Marois et le Parti québécois. Il est vrai que M. Charest, libéral bon teint, familier de MM. Bush et Sarkozy et ami de tout ce qui pense et parle anglais au Canada, était le candidat idéal des milieux d’affaires mondialisés qui influencent désormais ces deux journaux. Leur exécration pour tout ce qui touche de près ou de loin le nationalisme, surtout lorsqu’il s’exprime en langue française, est tel qu’ils vont finir par nous forcer à nous remettre à la lecture du Figaro !
[2]. PQ (souverainiste, centre gauche), Québec solidaire (ex gauche marxiste) et Option nationale (indépendantistes radicaux).