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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 22:34

Une étape

Le scrutin du 22 avril n’est ni un accident, ni une rupture. Ceux qui n’ont voulu y voir qu’une manifestation passagère de « malaise » ou de « défoulement » et qui n’ont d’yeux que pour le second tour se trompent et ils trompent les électeurs qu’ils essaient de rassurer. Mais ceux qui parlent de coup de force, de situation prérévolutionnaire, de comportement insurrectionnel des Français (dans un quotidien de gauche du matin !) trompent tout autant l’opinion, quand il ne cherche pas à la manipuler. Ce scrutin a une signification. Il marque à l’évidence une nouvelle étape dans le rejet du système politique actuel. On peut penser – et nous le pensons - que ce système est à bout de souffle et qu’il se terminera par une crise. Mais il n’est pas sérieux de dire ou d’écrire, sous le coup de l’émotion, que cette crise de régime est pour demain.

Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : lors de l’élection présidentielle de 1995, les candidats antisystème avaient rassemblé 10 millions de suffrages ; ils en rassemblent près de 12 millions en 2012.  Plus du tiers des électeurs refusent désormais de jouer le jeu des candidats et des partis traditionnels. Chiffres énormes, considérables et, qui plus est, tendanciellement croissants ! Sont-ils pour autant de nature à ébranler le régime ? A l’évidence non. Les partis du système gardent la main sur une majorité de l’électorat et l’on a encore vu dimanche dernier qu’ils savent mobiliser quant il le faut les abstentionnistes. Sous la IVe République, il a fallu attendre plus de 10 ans pour que la conjonction des mécontentements tourne à l’émeute et mette le pouvoir à genoux. Il en faudra plus pour venir à bout du système que nous subissons aujourd’hui.

Car pour qu’il y ait crise, il ne suffit pas que la méfiance hante les urnes. Il faut un programme révolutionnaire et une personnalité qui l’incarne. Ce programme et cette personnalité n’existent pas. Les électeurs de Mme Le Pen et ceux de M. Mélenchon n’ont pas de projet commun, même s’ils font souvent le même diagnostic sur l’état du pays et s’ils subissent les mêmes injustices. On a pu penser au début de cette campagne que la gauche révolutionnaire et que la droite de combat allaient croiser leurs tirs sur les mêmes objectifs : l’euro, la dictature des marchés, les traités allemands, l’austérité, la mondialisation, l’Europe ouverte à tous les vents qui détruit nos emplois et ruine notre économie… Eh bien non ! Chacun a préféré son petit fond de commerce : l’insécurité, l’immigration pour Mme Le Pen, l’antifascisme et le laïcisme pour M. Mélenchon.  Si ces deux-là ont gagné leurs galons de chefs de partis, aucun d’eux n’a l’envergure d’un révolutionnaire ou d’un homme d’Etat. Au point que certains de leurs électeurs se demandaient le 22 avril au soir si leur vote n’avait pas servi à rien.

Qu’ils se rassurent, leur vote a servi à quelque chose. Et d’abord à apeurer le système, à défaut de le déstabiliser. La classe politique et les médias aux ordres ne s’attendaient pas à une telle ampleur du vote protestataire. Ils s’étaient fait à l’idée que l’élection se jouerait au centre autour des électeurs de M. Bayrou, que le Front national ne retrouverait pas son niveau de 2002 et que la vigoureuse campagne du Front de gauche ne se traduirait pas dans les urnes. C’est le scénario inverse qui est apparu dimanche soir et les commentateurs avaient la mine des grands soirs de défaite. Qu’on prenne les chiffres comme on voudra – par région, par classe sociale ou par classe d’âge -, on est toujours ramené aux mêmes résultats : un profond désenchantement des milieux populaires et d’une partie des classes moyennes pour la démocratie bourgeoise, un vote massif de la jeunesse en faveur du Front national, de la gauche et de l’extrême gauche révolutionnaire. Le visage de cette France-là n’était jamais aussi clairement ressorti des urnes !  

L’autre surprise de ce scrutin, c’est l’évolution des rapports de force au sein de la gauche et de la droite. Le vote protestataire ne s’était manifesté jusqu’ici que d’un côté de l’échiquier politique et il était facile à la classe politique, comme on l’avait vu en 2002, de jouer sur les réflexes « antifascistes » ou « antiautoritaires » des Français. Avec l’émergence du Front de gauche et la montée du Front national à un niveau inégalé, la situation est complètement nouvelle. Le système est pris en tenaille entre deux forces qui, à gauche comme à droite, ont les moyens de peser sur l’orientation des majorités et des gouvernements futurs. On voit d’ailleurs que les deux candidats du second tour ont été obligé d’infléchir leurs discours pour tenir compte de ce nouveau rapport de force : sur l’Europe, sur l’Allemagne, sur le contrôle des banques, sur la mise au pas des marchés, sur l’affirmation de notre souveraineté nationale, les déclarations de M. Hollande et de M. Sarkozy se font, chaque jour, plus fermes et plus affirmatives. Les électeurs antisystème savent à quoi s’en tenir : ils ne se font aucune illusion sur ces discours, ni  sur ce que sera la pratique réelle du vainqueur du second tour, une fois qu’il sera élu. Mais ils savent aussi que les batailles politiques finissent par se gagner sur les idées : c’est autour des questions sociales et nationales que s’organise ce second tour et ce sont ces questions qui vont durablement structurer le débat politique en France.

D’autant qu’ils ne sont plus seuls à exprimer ces préoccupations. Toutes les enquêtes d’opinion confirment qu’elles sont partagées par une partie croissante de l’électorat modéré. On l’avait vu lors des primaires du PS avec l’excellent score fait par M. Montebourg et ses amis. On le voit aujourd’hui au sein de l’UMP où de véritables factions s’organisent contre le discours dominant. Les législatives qui vont suivre le second tour déboucheront-elles sur une profonde recomposition du paysage politique ? On peut le penser, en particulier à droite. Et l’échec de M. Bayrou permettra plus difficilement à l’oligarchie de se recomposer autour d’un pôle centriste, atlantiste et européiste qui n’existe plus qu’à l’état de trace. Voilà une autre bonne surprise du scrutin du 22 avril.

Le second tour s’annonce sous de mauvais auspices pour le pouvoir. L’actuel chef de l’Etat est promis à une défaite cuisante et sa majorité pourrait voler en éclat à l’issue des législatives, voire même avant. Dans cette configuration, c’est l’ensemble du système politique qui sera ébranlée par la secousse sismique du 22 avril.

Dans ce contexte, quel peut être le choix des patriotes pour ce second tour ?

Certains lecteurs et amis de la Revue Critique s’orientent vers l’abstention. S’ils souhaitent la défaite de M. Sarkozy, ils n’entendent pas cautionner la politique de son adversaire et ils veulent continuer à faire entendre le 6 mai la puissante clameur antisystème qui s’est exprimée le 22 avril. Nous comprenons leur attitude.

D’autres lecteurs, d’autres amis nous ont confirmé leur intention de voter pour M. Hollande. Ils n’ont aucune illusion, ni sur l’homme, ni sur sa politique. Mais ils savent que la réélection de M. Sarkozy signifierait à nouveau cinq ans de malheurs pour notre pays. Alors que sa défaite peut rouvrir le jeu politique en France et envoyer dans toute l’Europe un puissant message de lutte et d’espoir. Ce choix d’espoir sera aussi le nôtre.

Le groupe de la Revue Critique.

 

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