le départ | ||
Lorsque viendra le temps où l'on vanne le blé Dans l'air plein de soleil et de poussières claires, Et que dans la douceur des longs soirs de l'été La brise de la mer soufflera sur les aires, Comme nous serons loin de la maison des champs, Où jusqu'ici nous ramenèrent, chaque année, Le bel été paré des fruits les plus charmants Et le calme infini de ses chaudes journées ! Nous ne connaîtrons plus le plaisir simple et sûr De tourner notre vue éperdument heureuse Sur un large horizon de collines d'azur Et d'oliviers légers dont l'ombre est lumineuse. Nous chassions tous les jours les grands vols des perdreaux Que nos beaux chiens faisaient lever dans les bruyères; Le goût du bain réunissait au sein de l'eau Nos jeunes corps épris de voluptés légères ! France, nous respirions dans toute sa douceur, L'air du pays natal, l'air de miel et de roses ! Racine et Fénelon enchantaient notre coeur ! Mais le charme de vivre est fait de peu de chose. Maintenant, dans le port s'agitent les vaisseaux; Le soir va recouvrir les campagnes de France : Nous laisserons au fond des bois et des ruisseaux Notre jeunesse et notre heureuse insouciance ! | ||
pierre camo (1877-1974). Le Jardin de la sagesse. (1906). |
la douceur catalane | ||
A Louis Bausil. J'ai perdu pour toujours ma douceur catalane, Et ma maison de l'Aspre aux murs jaunes et blancs, D'où mes yeux contemplaient, en la fleur de mes ans, Les Albères avec la Tour de la Massane. Alentour s’étendait un pays désolé De lièges au tronc rouge et de sievas sauvages, Où tintait le clocher d'un petit ermitage Dans l'azur sec et chaud d'un grand plateau brûlé. Le vent marin et le parfum des lauriers-roses Baignaient d'effluves la terrasse du jardin; L'odeur du miel et des bouquets de romarin Pénétrait jusqu'au fond des grandes chambres closes. Quand revenaient les longs après-midi d’été, Sous le vieux catalpa, les branches coutumières Abritaient les chapeaux à fleurs, les robes claires, Et les propos légers nés de l'intimité. Des coupes de raisin et de figues sucrées Tentaient la guêpe d'or et le frelon rôdeur, Et les alcarazas d'eau vive et de fraîcheur S'évaporaient dans la lumière colorée. Le malheur et la mort sont passés en ces lieux : Il a fallu quitter le paisible domaine, Et s'en aller tenter la fortune incertaine, Un soir de grands départs et de sombres adieux. Le vieux mas et les vieilles choses usuelles Ne feront plus jamais ma joie et mon séjour, Et j'ignore en quels bords ira sombrer un jour Tout ce qui formera ma dépouille mortelle. Le Roussillon, Bausil, dont vous goûtez les fruits. Est devenu pour moi la terre de passage Où fleurissent à peine, entre deux longs voyages. D'anciennes amitiés sur un passé détruit ! | ||
pierre camo (1877-1974). Les Beaux Jours. (1918). |
les adieux au vaisseau | ||
Vaisseau qui vas revoir le rivage de France, Et la blanche Provence, et le ciel boréal, Que les vents te soient doux, qu'un flot toujours égal, O vaisseau de mon coeur, t'emporte et te balance ! Dans tes bois parfumés, fils des forêts du Nord, J'avais mis, en partant, toute ma destinée, Et tu m'as bien conduit sur la terre éloignée, Aux limites du Sud, du large et de la mort. J'invoquerai pour toi les Déesses humides, Et les Dieux inconnus des mers de l'Equateur, Et, par eux, tu fuiras l'ouragan du malheur, Le pirate africain et les roches perfides. Je graverai ton nom, avec ces vers d'adieux, Au tronc de ce manguier sauvage et solitaire, Et puis je prendrai seul la route de la terre, Vers les plateaux d'argile et les bois d'arbres bleus. Adieu, le soir descend, la grande nuit s'avance, La Croix du Sud déjà scintille au zénith clair, Et bientôt le phosphore éclairera la mer. Adieu, mon beau vaisseau, qui vas revoir la France ! Je reste seul, avec le poids du souvenir. Le vent du sud, chargé de sel et d'amertume, Qui fait pencher ta proue et s'effranger l'écume, Rend mon coeur triste et désolé jusqu'à mourir. Mais la rose fleurie aux portes de la Reine Et les filles du Sud, belles comme le soir, Sauront bientôt en moi tenir et prévaloir Contre ce que je laisse aux flancs de ta carène, Vaisseau porteur du pavillon à trois couleurs, Qui fends l'onde déjà pour voir d'autres contrées, Et retrouver l'automne aux zones tempérées, Et mes grands bois de France aux mourantes splendeurs. | ||
pierre camo (1877-1974). Les Beaux Jours. (1918). |