ailleurs et jadis
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A Maurice Allem.
Je connais deux voix familières Qui m'arrivent, à la manière De ces voix des chanteurs des cours. Elles s'élèvent en moi-même Et j'écoute, en fermant les yeux, Les appela trop ingénieux De ces deux cadences que j'aime. L'une évoque ce qui n'est plus (Qu'elle est douce ! Qu'elle est troublante !) La seconde aussitôt me vante Ce que je n'ai pas encor vu. C'est Jadis et ses nostalgies! C'est Ailleurs avec ses trésors! Et tout à coup prennent l'essor Mille songes, mille magies … Je suis tout agité d'élans Qui s'entreheurtent, qui se brisent Et mon âme tremble, indécise, Et se consume dans le vent. Le « Jamais plus » m'emplit d'ivresse, D'une ivresse triste à mourir, Mais « La-bas » offre à mes désirs Ses aurores enchanteresses. Non, non ! je ne renonce à rien ! Je veux, tout en pleurant encore Les formes que le temps dévore, Courir vers l'inconnu qui vient. J'entends toujours les deux sirènes; Je les écoute avidement Sans voir que mon ravissement Est stérile autant que ma peine. Chanteuses folles, taisez-vous ! Je vous ai trop longtemps suivies Et ce qui me reste de vie Je veux le vivre tout debout, Non point penché sur les images Des moments perdus à jamais, Non point tendu vers des palais Qui ne sont rien que des mirages. C'est avec toi, Réalité, Que je veux conclure alliance … Mais j'ai peur, vois-tu, quand j'y pense, Que tu ne saches pas chanter ! |
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noël nouet (1885-1969). Poéme inédit. (La Muse française, février 1926).
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à pierre camo
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Heureux qui, comme vous, dans les îles lointaines, A su garder présente au plus profond du cœur L'image du vallon, du bourg, de la fontaine Dont ses premiers regards ont connu la douceur ! Heureux qui, retrouvant la voix de la sirène, A chanté ces amours avec tant de ferveur, Leur prêtant, dans l'exil, des grâces souveraines, Que leurs noms ennoblis charment les connaisseurs ! Heureux, heureux surtout, qui riche d'aventures, Lassé des ciels, des mers, des peuples, des natures, Regagne un jour sa terre et n'en est point déçu, Qui, maître dans un art qui pare et transfigure, Ecrit, sans y penser, pour les races futures Et rend à son pays plus qu'il n'en a reçu ! |
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noël nouet (1885-1969). Poéme inédit. (La Muse française, janvier 1931).
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hymne pascal
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Alleluia ! Chantons, chrétiens, cloches, oiseaux ! Un nouveau jour paraît comme un lis sur les eaux Et c'est un matin plein d'allégresse angélique ! La terre va lancer d'elle-même un cantique : Ecoutons, admirons, saluons, bénissons ! Chœurs du monde et des cieux montant à l'unissons Au lever du soleil sur les plaines en joie ! Tout le printemps terrestre est en fête et verdoie, Et le printemps des chœurs s'évanouit en lui Comme un iris humide et frais parmi les buis. Bonheur d'âme parmi le grand bonheur des choses! O double renouveau ! Aube en apothéose ! L'espoir miraculeux de la vie à jamais Eclôt divinement dans l'herbe des sommets Et s'unit aux frissons perpétuels des sèves. Les rejetons noueux sont plus forts que les glaives Et l'Amour t'a vaincue, ô Mort, au bord des cieux ! Alleluia ! Chantons ! le nuage est joyeux, La vapeur virginale est comme une bannière, Le cri de l'alouette est rempli de lumière Et les saints carillons volent parmi les bois, Au milieu des bourgeons entr'ouverts, sur les toits, Et sur la haie en fleurs, l'eau de la mare pleine, La brune giroflée et la fraîche fontaine, Comme des drapeaux clairs emportés par le vent. A l'odeur des jasmins va se mêler l'encens, Et nous disperserons en des strophes pieuses Nos émerveillements dans les nefs glorieuses, Tandis que les coteaux que va dorer l'été Frémiront en l'honneur du pur Ressuscité ! |
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noël nouet (1885-1969), Les Etoiles entre les feuilles (1911)
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