Les UMP malades de la peste
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés...
La Fontaine.
On savait que l’UMP n’aimait pas les pauvres, on découvre aujourd’hui qu’elle n’aime pas non plus les musulmans, surtout lorsqu’ils sont français. Cette aversion vient même de faire une première victime : le conseiller pour l’intégration de M. Sarkozy, remercié vendredi soir par un simple coup de fil pour avoir dit ce qu’il pensait du prochain « débat sur l’islam ». En lâchant « l’UMP de Copé, c’est la peste pour les musulmans » lors d’une réunion de responsables associatifs jeudi dernier à la mosquée de Paris, M. Abderrahmane Dahmane s’est pourtant contenté d’exprimer ce que des milliers de nos concitoyens de confession ou d’origine musulmane pensent aujourd’hui tout bas. En rajoutant que le débat sur l’islam est instrumentalisé au sein même de l’UMP par « une bande de néonazis », il n’a fait que reprendre des rumeurs qui trainent depuis des semaines dans les salles de presse. M. Dahmane est victime de sa bonne foi. Mais il est aussi la victime de sa trop grande confiance envers M. Sarkozy. Persuadé que ses fonctions à l’Elysée lui donnaient le droit de parler sans fard à ses coreligionnaires, il découvre un peu tard le vrai rôle qu’on voulait lui faire jouer : celui de l’alibi, du « bon arabe », du supplétif, de la caution d’un débat sordide mené par des gens ignobles. Honteux et confus, M. Dahmane assure qu’il fera campagne contre l’UMP aux prochaines cantonales et « pour toutes les élections qui suivront ». Gageons qu’il sera accueilli à bras ouvert sur le terrain, et pas seulement par les Français musulmans.
L’autre grande victime de cette affaire, c’est le « peuple UMP » lui-même. S’il existe, comme partout, en son sein des racistes, des antisémites et des imbéciles, on y trouve également des milliers de militants et des millions d’électeurs héritiers du gaullisme, de la démocratie chrétienne ou de la tradition libérale qui ne mangent pas et qui n’ont jamais mangé de ce pain là. Contrairement à l’oligarchie crapoteuse qui occupe les premiers rangs du parti, ces milliers de militants, ces millions d’électeurs ont parfaitement conscience que les questions sociales, que les problèmes d’insécurité ne se résoudront pas en dressant les habitants de ce pays les uns contre les autres et en cherchant des boucs émissaires. Témoins au quotidien de ce qui se passe dans nos rues, dans nos quartiers, responsables associatifs, élus de base, militants syndicaux, commerçants ou petits patrons, ils constatent qu’à quelques exceptions près, nos concitoyens musulmans n’aspirent qu’à vivre en paix chez nous, qu’ils sont souvent les premières victimes de la crise, des inégalités et de l’insécurité qui minent la société française et que leurs pratiques religieuses ne comportent ni haine, ni violence à l’endroit des autres traditions qui composent la nation française.
Ces militants, ces électeurs sont, avec raison et comme l’immense majorité des Français, pour une immigration mieux contrôlée, parce qu’il y va de notre souveraineté nationale et parce que nous n’avons rien à gagner à entretenir sur le territoire des poches de ségrégation urbaine et d’hyper-chômage, potentiellement à risque. Mais, dans le même temps, et tous les sondages confirment, ils affirment l’apport positif de cette immigration dans un pays qui a toujours fondé son essor sur la diversité et la richesse des populations qui le composent. Qui pourrait mettre en doute aujourd’hui la contribution bénéfique des jeunes générations nées de l’immigration à notre dynamisme économique, entrepreneuriale et culturelle ? Et qui pourrait contester, à l’exception de quelques laïcards bornés ou de quelques intégristes égarés de peurs et de mythes, l’apport que peut prendre l’islam, qu’il joue d’ailleurs déjà, dans le débat intellectuel et spirituel français ?
Ce constat est-il de nature à infléchir la ligne du parti présidentiel ? Rien n’est moins sûr. M. Copé a confirmé il y a quelques jours que la convention sur l’islam, prévue le 5 avril prochain, se tiendrait quoi qu’il en coûte. La peur s’est emparée de l’état-major de l’UMP et on sait qu’elle est mauvaise conseillère. Peur que les prochaines échéances électorales tournent au désastre, peur de tout perdre - privilèges, positions et postes - peur de la montée du Front National, peur plus prégnante encore qu’une partie des Français cherchent à tirer vengeance du sarkozysme et de ceux qui l’ont soutenu. Cette peur, elle est comme la peste qui étreint les animaux de La Fontaine. Le silence règne sur la ménagerie, les plus forts imposent définitivement leurs lois, le peuple militant se réfugie dans les comportements moutonniers, on cherche partout des traitres et des boucs émissaires. Le musulman, surtout lorsqu’il est proche, surtout lorsqu’il est pauvre, est la cible rêvée pour jouer ce rôle. Quand à ceux, aux quelques courageux, qui chercheront à s’opposer au mouvement, on les moquera, on les marginalisera, en attendant de les exclure. Voilà la ligne que défendront jusqu’au bout, jusqu’à leur échec de 2012 – car celui-ci, au moins, est inscrit dans les astres - les Copé, les Jacob, les Novelli, les Hortefeux, Morano et autres Gaudin. Parce qu’ils ont la peur au ventre, parce qu’ils ont la peste au corps et que rien ne compte plus aujourd’hui pour eux que la frayeur du désastre annoncé. Au risque de dévoyer définitivement les valeurs qui furent longtemps celle de la droite française – le courage, la noblesse et la générosité, l’affirmation des traditions, la défense de la spiritualité – et de jeter leurs militants et leurs électeurs dans les bras des histrions, des sectaires et des fanatiques.
Qui aura le courage de s’opposer, même en vain, à cette conjuration des imbéciles ? Qui cherchera à sauver, sinon l’honneur, du moins la dignité d’une partie du corps politique français ? C’est du côté des héritiers du gaullisme que les regards se portent aujourd’hui et l’on verra bien dans ce débat ce que valent réellement MM. de Villepin, Juppé ou Fillon, s’ils sont capables d’indépendance d’esprit ou s’ils sont définitivement à ranger dans le camp des imposteurs. C’est aussi du côté des catholiques que l’attente est vive. Il faut que des esprits indépendants se lèvent de ce côté-là, qu’ils dénoncent derrière le débat sur l’islam l’offensive menée contre les religions dans leur ensemble par les tenants du laïcisme le plus sectaire et de la société du fric, qu’ils proclament avec Péguy, avec Bernanos, avec Léon Bloy, qu’en s’attaquant au musulman, à l’arabe, c’est en réalité au pauvre, au paria, au frère qu’on s’attaque, à cette fraternité que l’on proclame chez nous aux frontons des mairies mais qu’on pratique d’abord dans le chœur sacré des églises.
Paul Gilbert.