le jardin sur le canal | ||
Le jardin finit en terrasse Au bord du Canal glorieux D'où les gondoliers curieux Regardent par la grille basse. C'est un jardin rempli de fruits, De fleurs, d'arbres et de statues. On y voit des déesses nues Sous les cyprès et sur les buis. Un citron que lâche sa branche Tombe parfois sur le sentier; Il parfume l’air tout entier De l’odeur que sa plaie épanche. Le cortège secret du Temps Sur ce jardin passe en silence, Trahi par la double cadence Des églises et des couvents. Et, le soir, quand le ciel arrose De rubis et de perles d’eau, Un nuage de Tiepolo Vient décorer le couchant rose. | ||
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Poésies. (1913). |
mars en provence | ||
Vois, l’amandier en fleurs au cyprès et au chêne Annonce le printemps prochain, et, dans les cieux, Phœbus répand un or jeune et délicieux Qui fait de chaque source une riche Hippocrène. Suivons la route blanche et brillante, elle mène Au bois où Marsyas enfle son roseau creux; Une Muse sourit sous l'arceau langoureux De la colline rose où verdit le troène. Ici, les Dieux, hier encor, vivaient cachés. Tu ne découvrais pas, au milieu des maires, Dans ces joueurs malins, les fils de Palamède; Mais la Fable est venue avecque la Saison, Et, si cet aigle plane au-dessus du sillon. C'est que l’Olympe cherche un nouveau Ganymède. | ||
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921). |
ombres stendhaliennes | ||
I. — ROME Je vous ai rencontrée à Rome, Ombre en habit de drap marron : Vous aviez le corps d'un gros homme, Mais le regard malin et prompt ; Non dramatique et grave comme Chateaubriand et lord Byron, Ayant moins l'air d'un gentilhomme Que d'un voyageur lazzaron; Aux peintres vous donniez des notes Dans les salles du Vatican : Guerchin, dix-huit ; neuf, Parmesan ; Et, sauf dans les maisons dévotes, La nuit, du fumoir au divan, Vous recueilliez des anecdotes. II. — MILAN A Milan aussi je vous vis, Dans la Scala poudreuse et vide. Vous dépendiez d'un œil perfide Qui régnait sur vos favoris. Est-ce Angela ou bien Métilde, Dans la loge, en face, qui rit ? Vous songez : « Ayons de l'esprit ! » Mais votre aplomb n'est pas solide. Plus amoureux qu'heureux amant, Cher Stendhal, curieux des femmes, Vous trembliez comme un enfant Près d'elles, combinant vos trames ; Mais vos détours de sentiment Dérangeaient les meilleurs programmes. III. — PADOUE Pedrotti, café de Padoue, Je n'y puis entrer, Henri Beyle, Sans y voir votre ombre fidèle, La barbe teinte sur la joue. Votre grosse breloque joue ; Le sang d'un camée étincelle Au doigt d'une main toujours belle Qu'un geste, par instant, secoue. Car vous causez, l'œil plein de feu, Avec cet aimable « neveu » Qui vous raconta la Chartreuse. O soirée à jamais fameuse !... Vous demandâtes au garçon De vous servir un zambayon. IV. — PARME A Parme, j'ai vu vos enfants : Gina, qui se cache qu'elle aime ; Mosca, que le doute rend blême, Mais qui rit pour les médisants. Fabrice cherche un stratagème Pour voir Clélia un instant ; Marietta passe en chantant ; Ranuce-Ernest, trompé, blasphème. Moi, dans le grand jardin désert Où ne vont plus les Parmesanes, J'ai repris, pour flatter vos mânes, Votre livre, au hasard ouvert. Je longeais les bosquets humides : « Les prisons de Parme étaient vides... » | ||
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921). |