Bergson Mystique et philosophe de Anthony Feneuil Mis en ligne : [10-11-2011] Domaine : Idées | |
Anthony Feneuil, ancien élève de l'ENS Lyon, est assistant en philosophie à l'Institut roman de systématique et d'éthique (Université de Genève - Faculté de théologie). Il travaille sur la notion d'expérience religieuse dans la philosophie et la théologie au XXe siècle. Auteur d'articles et de travaux de recherche sur Bergson et sur la philosophie des religions, Bergson, mystique et philosophe est son premier livre.
Anthony Feneuil, Bergson. Mystique et Philosophe. Paris, PUF, janvier 2011, 176 pages.
Présentation de l'éditeur.
Dans son dernier livre, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Bergson fait une proposition décisive : « introduire la mystique en philosophie, comme procédé de recherche philosophique ». Mais comment la philosophie peut-elle s’approprier le discours mystique sans le dénaturer ni se perdre en lui ? Pour le comprendre, cet ouvrage déploie la philosophie bergsonienne de la religion et surtout la manière dont l’introduction de la mystique en philosophie travaille les concepts philosophiques, et change la nature de la philosophie. C’est qu’une connaissance de Dieu via la mystique ne saurait être qu’une connaissance personnelle. Et au prix de quels remaniements du concept de personne une philosophie digne de ce nom pourrait-elle en même temps être personnelle ?
Recension de Chantal Amiot. Etudes - octobre 2011.
Comment réduire l’écart entre philosophie et théologie ? En introduisant une méthode philosophique qui s’appuie sur l’expérience et permet l’approche non seulement de l’existence de Dieu mais aussi de ce qui est l’objet par excellence de la théologie, à savoir sa nature. Cette méthode, pour le Bergson des Deux sources de la morale et de la religion, consiste à « formuler » l’expérience mystique, à en saisir l’essentiel. Expliciter cette formule revient à introduire le concept de personne défini à l’ultime par la relation, cette relation qu’est l’émotion, l’émotion d’amour. Dieu est Amour et il est objet d’amour car cette relation est de réciprocité. L’enthousiasme qui embrase l’âme des mystiques, et qui est appel communicatif à tous, leur fait reprendre le mouvement créateur qui les soutient en deçà de leur moi profond et qui les conforte dans leur effort épuisant pour reprendre – au-delà de leur simple personne humaine définie comme continuité de changement – la création de soi. Seul Dieu est personne au sens strict. De la sorte, sans anthropomorphisme (la notion de personne se situe au-delà du moi profond), sans agnosticisme (nous entrons dans le mouvement d’amour de Dieu en le lui rendant et ainsi en le connaissant), sans la théorie intellectuelle de l’analogie (l’intuition philosophique entre dans la direction indiquée où l’on n’aime pas Dieu parce qu’on le connaît mais on le connaît en l’aimant), la philosophie étend son champ d’analyse. Mais en s’appropriant l’expérience mystique, peut-elle rejoindre la foi chrétienne ? Quel est le Christ de Bergson ? Il est le vrai mystique, l’émotion inaccessible, les autres n’en étant que des imitateurs originaux et incomplets. Mais la philosophie, dans sa visée d’universalité, ne l’atteint que comme le Christ des Béatitudes. D’où l’affirmation étrange dans Les Deux Sources : « Du point de vue où nous nous plaçons, il importe peu que le Christ s’appelle ou ne s’appelle pas un homme… » La philosophie de Bergson semble donc buter sur le mystère du « Vrai Dieu et vrai homme » et pratiquer un docétisme méthodologique. Seule la foi témoigne, selon Bergson, d’un Dieu fait chair, et il appartient alors à la théologie de le conceptualiser.