Trois pièces de Robert Marteau |
Quelques mots sur Robert Marteau, mort le 15 mai dernier dans un silence presque complet et qui était pourtant un des grands poètes de sa génération. Pourquoi ce silence ? Est-ce parce que Marteau ne faisait partie d'aucun cercle, d'aucun cénacle, qu'il avait choisi de ne sacrifier à aucune mode ? Est-ce parce qu'il était né dans une de ces familles paysannes de l'Ouest et que son oeuvre, depuis Royaumes, Travaux sur la Terre jusqu'à son récent Temps ordinaire, parle d'une nature belle et proche et du travail qu'y font les hommes ? Est-ce parce que lui, presque autodidacte, savait faire vivre dans ses vers les dieux d'Eschyle et de Sophocle, le paysan d'Hésiode, la terre sèche de Giono et celle plus grasse des hommes de l'Atlantique, parce qu'il aimait les taureaux et leur mystère rouge et noire, les oiseaux et les arbres, parce qu'il parlait bien du Saint Laurent et des forêts du Canada ? Soucieux d'écrire clair et juste, Robert Marteau avait choisi de revenir à la forme classique du sonnet, peut être parce qu'elle donne à la poésie cette forme d'éternité et de plénitude qu'on trouve chez Pétrarque et, en France, chez Ronsard, Saint-Amant ou Mallarmé. Marteau cherchait derrière l'artifice de notre modernité le monde tel qu'il continue à être, son temps long, ses saisons fortes, le bruit des sources, le cortège des morts et la rumeur des antiques combats. Chrétien, il avait l'âme latine et grecque et ne dédaignait pas, tout comme nos renaissants, un certain hermétisme. Pour tout cela, il faut le découvrir ou le relire. E. C |
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Travaux pour un bûcher (fragment) Pour incendier le repaire ils feront de paille Leur cheval de Troie et de leur dard ouvriront Les volets humides des chambrières. Ah - Astarté Que le jasmin gagne ta chair insolente ! Ah, ce corps maculé de digitale Qui empoorpre la verrière ! Déjà Byzance nous maquille, Eteint la torche, empierre le bûcher, Nous montre le tombeau la plus sûre galère; Tandis que les mules qui ont tiré Jusqu'ici les troncs urinent dans la poussière, Tandis qu'à cheval on se dispute l'or, Tandis que les marchands débattent du cubage, Et que les bûcherons crachent le vin rouge; Tandis que perle la résine aux blessures de l'aubier Et que nous autres de nos capes nous chassons les buses Qui font un dais sur le bûcher. Les dieux sont immortels mais ils vivent masqués Qu'ils changent de visage et nous croyons changée Leur nature pourtant qui est surnaturelle Puisqu'en Un ils sont trois et multiples de trois Peuplent l'Olympe et le Nil les îles les bois. Travaux sur la terre. (1966). C'est ce que j'aime... C'est ce que j'aime : un tertre avec des cyprès; l'eau Qui ruisselle sur la pierre d'un abreuvoir; Des chevaux disséminés parmi les genêts; Un chemin qui s'insinue entre l'herbe; un toit De tuiles; une hirondelle accrochée au bord De la génoise; un épouvantail que les pies Prennent pour perchoir et que les geais vitupèrent. C'est le premier matin de juin : le faisan Salue, étonné du silence; un coup de vent Fait parler le frêne, emportant un papillon Sur les vagues de la prairie. A l'horizon, Les montagnes s'appuient contre le bleu du ciel. Une corneille en ramant se tient sur ses ailes; Avertit de trois cris, et d'une croix contresigne. Louange. (1996). Le houx est coupé. La symphorine a fleuri. La valériane épanouit ses corymbes Dans la haie où le ciel tombe en ajours, en voiles Qui se déchirent dès que le soleil en armes Miraculeusement inaugure un nouveau Règne. C’est aussitôt que de leur bec armé Les pics en tribus vous aident à déchiffrer La mythologie au secret entre l’écorce Et le liber. Clameur en forêt. À la porte On crie : au parlement des oiseaux on n’est plus D’accord. La chevêche est cachée au fond de l’arbre. Sans elle on ne peut rien décider. La hulotte S’est retirée avant l’aube. La buse tourne Où la lune était. On a des soucis nouveaux. Rites et offrandes. (2002). |