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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 22:53
Trois pièces de Robert Marteau    
 
Quelques mots sur Robert Marteau, mort le 15 mai dernier dans un silence presque complet et qui était pourtant un des grands poètes de sa génération. Pourquoi ce silence ? Est-ce parce que Marteau ne faisait partie d'aucun cercle, d'aucun cénacle, qu'il avait choisi de ne sacrifier à aucune mode ? Est-ce parce qu'il était né dans une de ces familles paysannes de l'Ouest et que son oeuvre, depuis Royaumes, Travaux sur la Terre jusqu'à son récent Temps ordinaire, parle d'une nature belle et proche et du travail qu'y font les hommes ? Est-ce parce que lui, presque autodidacte, savait faire vivre dans ses vers les dieux d'Eschyle et de Sophocle, le paysan d'Hésiode, la terre sèche de Giono et celle plus grasse des hommes de l'Atlantique, parce qu'il aimait les taureaux et leur mystère rouge et noire, les oiseaux et les arbres, parce qu'il parlait bien du Saint Laurent et des forêts du Canada ? Soucieux d'écrire clair et juste, Robert Marteau avait choisi de revenir à la forme classique du sonnet, peut être parce qu'elle donne à la poésie cette forme d'éternité et de plénitude qu'on trouve chez Pétrarque et, en France, chez Ronsard, Saint-Amant ou Mallarmé. Marteau cherchait derrière l'artifice de notre modernité le monde tel qu'il continue à être, son temps long, ses saisons fortes, le bruit des sources, le cortège des morts et la rumeur des antiques combats. Chrétien, il avait l'âme latine et grecque et ne dédaignait pas, tout comme nos renaissants, un certain hermétisme. Pour tout cela, il faut le découvrir ou le relire. 
E. C

 

MARTEAU (Robert)


 
Travaux pour un bûcher
(fragment)
 
Pour incendier le repaire ils feront de paille
Leur cheval de Troie et de leur dard ouvriront
Les volets humides des chambrières.
Ah - Astarté
Que le jasmin gagne ta chair insolente !
Ah, ce corps maculé de digitale
Qui empoorpre la verrière !
Déjà Byzance nous maquille,
Eteint la torche, empierre le bûcher,
Nous montre le tombeau la plus sûre galère;
Tandis que les mules qui ont tiré
Jusqu'ici les troncs urinent dans la poussière,
Tandis qu'à cheval on se dispute l'or,
Tandis que les marchands débattent du cubage,
Et que les bûcherons crachent le vin rouge;
Tandis que perle la résine aux blessures de l'aubier
Et que nous autres de nos capes nous chassons les buses
Qui font un dais sur le bûcher.
 
Les dieux sont immortels mais ils vivent masqués
Qu'ils changent de visage et nous croyons changée
Leur nature pourtant qui est surnaturelle
Puisqu'en Un ils sont trois et multiples de trois
Peuplent l'Olympe et le Nil les îles les bois.

  Travaux sur la terre. (1966).
 
C'est ce que j'aime...
 
C'est ce que j'aime : un tertre avec des cyprès; l'eau
Qui ruisselle sur la pierre d'un abreuvoir;
Des chevaux disséminés parmi les genêts;
Un chemin qui s'insinue entre l'herbe; un toit
De tuiles; une hirondelle accrochée au bord
De la génoise; un épouvantail que les pies
Prennent pour perchoir et que les geais vitupèrent.
C'est le premier matin de juin : le faisan
Salue, étonné du silence; un coup de vent
Fait parler le frêne, emportant un papillon
Sur les vagues de la prairie. A l'horizon,
Les montagnes s'appuient contre le bleu du ciel.
Une corneille en ramant se tient sur ses ailes;
Avertit de trois cris, et d'une croix contresigne.
 Louange. (1996).
 
Le houx est coupé...
 
Le houx est coupé. La symphorine a fleuri.
La valériane épanouit ses corymbes
Dans la haie où le ciel tombe en ajours, en voiles
Qui se déchirent dès que le soleil en armes
Miraculeusement inaugure un nouveau Règne.
C’est aussitôt que de leur bec armé
Les pics en tribus vous aident à déchiffrer
La mythologie au secret entre l’écorce
Et le liber. Clameur en forêt. À la porte
On crie : au parlement des oiseaux on n’est plus
D’accord. La chevêche est cachée au fond de l’arbre.
Sans elle on ne peut rien décider. La hulotte
S’est retirée avant l’aube. La buse tourne
Où la lune était. On a des soucis nouveaux.
Rites et offrandes. (2002).
 
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