L'oréade | |
De la fière Artémis je suivais la fortune Dans la forêt épaisse et solitaire où bruit En un souffle éternel la vigilante nuit; Je fleurissais mon front du croissant de la lune; Mon pied léger peuplait les bois; j'aimais bondir Avec l'écho, sur les rochers, au creux des sources, Et parfois je rêvais de chasser les deux Ourses Dont je voyais, le soir, l'oeil fauve resplendir. Quelquefois immobile à la plus haute cime, Le monde des vivants et le monde des morts Me semblaient ne former ensemble qu'un seul corps, Merveille dont j'étais le principe sublime. Un nouveau ciel naissait de mon sein lumineux, Mon lait ambroisien, tel qu'une fine cendre, A travers l'Univers s'en allait se répandre, Plus riche de soleils que vos stériles cieux. Au feu qui dévorait maintenant ma poitrine, Aux brasiers en mes yeux allumés, je sentais Ce que je cessais d'être et ce qu'enfin j'étais, Moins déesse que femme et deux fois plus divine. Ce n'est pas en voleur que tu vins me saisir, Amour ! Je n'ai pas fui ta flèche redoutée : Toute livrée aux vents et par eux emportée, Moi-même je n'étais qu'un frémissant désir. Et telle, ô Cythérée, ai-je vu tes colombes Poindre ainsi qu'une aurore au-dessus de la mer, Aphrodite, Vénus, dont chaque nom m'est cher, Cypris, qui fais s'ouvrir des roses sur les tombes... Comme, en rêve, on entend murmurer une voix, La plus mélodieuse aux oreilles humaines, Du silence des lacs troublé par les fontaines, Un appel musical s'élevait dans les bois; Et j'écoutais gémir ces paroles confuses Que le sombre aquilon pleure dans les roseaux, Plainte dont l'horreur siffle à la face des eaux Et devient harmonie à la coupe des Muses... |
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Raymond de la Tailhède, (1867-1938). Les Poésies.(1926)