châteaux de loire | ||
Le long du coteau courbe et des nobles vallées Les châteaux sont semés comme des reposoirs, Et dans la majesté des matins et des soirs La Loire et ses vassaux s'en vont par ces allées. Cent vingt châteaux lui font une suite courtoise, Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais. Ils ont nom Valençay, Saint-Aignan et Langeais, Chenonceau et Chambord, Azay, le Lude, Amboise. Et moi j'en connais un dans les châteaux de Loire Qui s'élève plus haut que le château de Blois, Plus haut que la terrasse où les derniers Valois Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire. La moulure est plus fine et l'arceau plus léger. La dentelle de pierre est plus dure et plus grave. La décence et l'honneur et la mort qui s'y grave Ont inscrit leur histoire au coeur de ce verger. Et c'est le souvenir qu'a laissé sur ces bords Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve. Son âme était récente et sa cotte était neuve. Innocente elle allait vers le plus grand des sorts. Car celle qui venait du pays tourangeau, C'était la même enfant qui quelques jours plus tard, Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard, Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau. | ||
charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |
les sept contre paris | ||
Sept villes se vantaient d'avoir cerné la Ville : Auteuil voulait en faire un jardin potager ; Grenelle en voulait faire un énorme verger ; Bercy des entrepôts, Montmartre, un vaudeville. Passy faillit en faire un immeuble servile, Un caravansérail pour le noble étranger ; Vaugirard, la Villette à ce peuple léger Faisaient des abattoirs pour sa guerre civile. Mais la dame a mangé les sept petites sœurs, Elle a mis pour toujours la liberté de l'âme, Et tous ces fourniments et tous ces fournisseurs, Le négoce, l'amour, et la cendre, et la flamme, Et tous ces boniments, et tous ces bonisseurs, Et les gouvernements gendres et successeurs, Sous le commandement des tours de Notre-Dame. | ||
charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |
geneviève et jeanne | ||
[...] Il fallut qu'elle vît par le faux témoignage Démentir le propos pour qui nous témoignons, Il fallut qu'elle vît l'urne où nous nous baignons S'effondrer par souillure et par dévergondage; Il fallut qu'elle vît par tout ce maraudage Cueillir les fruits moisis et que nous dédaignons, Il fallut qu'elle vît la ville où nous régnons Démantelée aux mains de tout ce chapardage; Il fallut qu'elle vît par tant d'enfantillage Avilir cette foi dont nous nous imprégnons, Il fallut qu'elle vît le sang dont nous saignons Saigner du même coeur et du même courage; Il fallut qu'elle vît par un sot bavardage Flétrir le dogme auguste et que nous enseignons, Et qu'elle vît tarir la grâce où nous baignons, Lustrale et baptismale, en un lourd badinage; Il fallut qu'elle vît par tout ce brigandage Commettre les forfaits dont nous nous indignons, Et les écus sonnants et que nous alignons Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage; Il fallut qu'elle vît par tout ce forlignage Dégénérer la race où nous nous alignons, Et les mots éternels et que nous soulignons Tomber dans le silence et dans le persiflage; [...] Il fallut qu'elle vît dans ce commun naufrage Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons, Et qu'elle vît la grande armée où nous grognons, (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage; Il fallut qu'elle vît par un tel sabotage Dénaturaliser l'oeuvre où nous besognons, Et qu'elle vît l'injure à qui nous répugnons Régner et gouverner sous figure d'outrage; Il fallut qu'elle vît le long du bastingage Précipiter à l'eau l'or que nous épargnons, Et qu'elle vît la vergue où nous nous éborgnons Chanceler et tomber par l'effet du tangage; Il fallut qu'elle vît dans ce même hivernage S'évanouir de froid l'ardeur que nous feignons, Et qu'elle vît la peine où nous nous renfrognons S'évanouir de mort dans un beau sarcophage; Il fallut qu'elle vît dans cet appareillage S'avancer la galère où captifs nous geignons, Et qu'elle vît la nef lourde où nous nous plaignons Gémir dans ses haubans et ses bois d'assemblage; Il fallut qu'elle vît par un commun partage Arriver justement le sort que nous craignons, Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons Exposée à périr dans ce même naufrage; Il fallut qu'elle vît dans le même mouillage Sombrer le désespoir que seul nous étreignons, Et qu'elle vît cet ordre où nous nous astreignons Perdre ses bancs de rame et son amarinage; [...] Pour qu'elle vît venir du fond de la campagne, Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages, Vers l'arène romaine et la roide montagne, Traînant les trois vertus au train des équipages, Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne Et la plus belle enfant de ses longs patronages. | ||
charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |