L'Allemagne abat ses cartes. L'une après l'autre. Avec la sérénité et la tranquillité du joueur qui domine le jeu. Que la crise européenne s'accélère, comme c'est à nouveau le cas depuis quelques semaines, que les gouvernements du sud de l'Europe vacillent sous les effets de la récession, que la France elle-même commence à perdre pied, et les cartes allemandes s'abattent plus vite encore.
Après avoir forcé ses "partenaires" à voter au canon un traité qui va instaurer partout l'austérité germanique, voilà que M. Schäuble passe à l'étape suivante : celle de la mise sous tutelle des budgets nationaux et des économies de chacun des Etats-membres de l'Union. Depuis un an, le pouvoir de la Commission a pourtant été considérablement élargi, sous la pression de l'Allemagne et avec la complicité de ses hommes-liges, MM. Van Rompuy à Bruxelles, Juncker à Luxembourg et Draghi à Francfort. Le "pacte de stabilité" a été renforcé et on avance rapidement vers une union bancaire.
Mais L'Allemagne veut plus et plus vite. Elle exige maintenant de ses partenaires la nomination d'un super-commissaire européen aux finances disposant d'un vrai droit de veto sur tous les budgets nationaux. Elle s'appuie sur tout ce que la Commission ou la BCE compte d'amis ou d'obligés de Berlin, et Dieu sait s'ils sont nombreux.
Londres a fait savoir que ce sera sans la Grande Bretagne. M. Cameron manoeuvre habilement pour tenir son pays à l'écart de la crise de l'euro et l'opinion publique britannique s'exprime de plus en plus ouvertement pour une sortie de l'Union européenne. Mme Merkel ne fera rien pour irriter les Anglais. Ses objectifs concernent la seule zone mark, ce qu'on appelle, pour quelques temps encore, l'Eurozone.
Le gouvernement français s'est lui aussi fait tirer l'oreille. Moins par souverainisme budgétaire que parce qu'il craint une bronca des parlementaires contre une mesure qu'ils vivront comme une mise sous tutelle. Qu'importe, on forcera une fois encore la main de M. Hollande et de ses ministres. En laissant entendre s'il le faut que la France est "l'homme malade" de l'Europe et qu'un quarteron d'experts allemands travaillent sans relâche sur son cas. C'est ce qui vient de se passer cette semaine et la manoeuvre a parfaitement réussie. L'opinion française s'est légitimement émue des rumeurs d'ingérence de l'Allemagne. La presse bourgeoise a obligeamment relayé l'information en incriminant "l'immobilisme" et "l'amateurisme" qui règnent au sein du pouvoir. M. Hollande a dépêché d'urgence M. Ayrault à Berlin, que Mme Merkel s'est empressé de rassurer. L'incident étant clos, les Français sont murs pour tourner casaque et accepter tous les diktats de M. Schäuble. Les prochaines semaines devraient, hélas, nous donner raison sur ce point !
Ce qui semble surtout inquiéter l'Allemagne, c'est la dégradation du climat social en Europe. Elle ne veut à aucun prix d'un mouvement de grande ampleur qui forcerait les gouvernements de la zone euro à changer de cap économique, sous la pression de la rue. On a vu le 14 novembre que si la contestation prenait de l'ampleur, c'était surtout dans les pays d'Europe du sud, que l'Allemagne veut chasser de la zone euro. Quelques manifestations à Paris et à Bruxelles, rien à Londres et à peu près rien en Allemagne, en Scandinavie et dans les pays de l'est. Mais rien ne dit que le mouvement ne va pas faire progressivement tache d'huile du sud vers le nord, sous l'effet de la récession qui gagne. Raison de plus pour hâter les choses et les rendre irréversibles, pense sans aucun doute M. Schäuble. L'heure des diktats est arrivé. Celle des superviseurs, des contrôleurs et des sanctions ne devrait plus tarder.
François Renié.
Mardi 16 octobre
- Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, propose de renforcer les pouvoirs du commissaire européen à l'économie en lui donnant un droit de veto sur les budgets nationaux. Cette proposition, qui séme le trouble à la veille du Conseil européen, est immédiatement soutenue par le directoire de la Banque centrale européenne et par certains secteurs de la Commission.
Mercredi 17 octobre
- Le gouvernement britannique décide de faire jouer sa clause d'exemption lui permettant de sortir de la politique européenne de coopération policière et judiciaire. Le Royaume uni précise qu'il pourrait rejoindre cette coopération, dans un deuxième temps, mais sur les seuls domaines qui relèvent de "l'intérêt national" britannique.
Jeudi 18 octobre
- A la veille du Sommet de Bruxelles, François Hollande déclare : "Sur la sortie de la zone euro, nous en sommes près, tout près. Parce que nous avons pris les bonnes décisions au sommet des 28 et 29 juin et que nous avons le devoir de les appliquer rapidement. D'abord en réglant définitivement la situation de la Grèce, qui a fait tant d'efforts et qui doit être assurée de rester dans la zone euro".
Vendredi 19 octobre
- Le Conseil européen de Bruxelles s'achève sur un échec. La supervision bancaire souhaitée par la France, ne sera effective au mieux qu'en 2014. L'Allemagne remet officiellement sur la table la désignation d'un super-commissaire européen chargé des questions économiques et budgétaires. M. Hollande met officiellement les divergences franco-allemandes sur le compte du "calendrier électoral en Allemagne".
Jeudi 25 octobre
- Le ministre des finances grec, M. Yannis Stournaras, annonce que son pays a impérativement besoin de 16 à 20 milliards d'argent frais et de deux ans de délai de remboursement supplémentaire s'il veut éviter la faillite. La troïka impose, au préalable, au gouvernement grec de faire voter un nouveau paquet de 89 réformes structurelles.
- Les syndicats grecs, espagnols, portugais et italiens annoncent une journée de grève générale le 14 novembre. La Conférence européenne des syndicats, qui rassemble 85 organisations dans 36 pays européens, propose de faire du 14 novembre une journée d'action européenne contre l'austérité.
Vendredi 2 novembre
- De premières rumeurs concernant l'inquiétude de Berlin sur la situation économique de la France commencent à courir dans la presse populaire allemande. Le quotidien "Bild-Zeitung" titre : "La France est-elle la nouvelle Grèce ?"
Lundi 5 novembre
- Le Premier ministre grec, M. Antonis Samaras et son allié socialiste, M. Evangélos Venizelos, brandissent à nouveau la menace d'une sortie de l'euro, si le parlement n'approuve pas en urgence le nouveau plan de rigueur réclamé par la troïka. Selon de récentes projections d'Athènes, la dette du pays pourrait atteindre 207,7 % de son PIB, alors que l'accord avec les créanciers prévoyait de ramener ce ratio à 120 % en 2023.
Mardi 6 novembre
- La plupart des journaux français pronostiquent une faillite à court terme de la Grèce. Selon Les Echos : "Cette fois, si la Grèce fait faillite, ce ne sont pas les banques qui seront en première ligne, mais les créanciers publics qui détiennent désormais près de 200 milliards de dette grecque." .
Vendredi 9 novembre
- Selon un sondage Yougov réalisé au Royaume uni, en Allemagne et en France, en cas de référendum, 49% de Britanniques voteraient pour une sortie de l'Union, contre 28% seulement pour un maintien. Les Allemands seraient 25% à demander une sortie (contre 57% pour le maintien) et les Français 32% (contre 43%).
- Alors que plus de 100.000 manifestants défilent dans les rues d'Athènes, le parlement grec adopte le plan de rigueur exigé par la troïka d'une très courte tête (153 voix alors que la majorité est de 151 voix). Six députés du Pasok et un député de droite ont été exclus de leurs partis pour avoir voté contre le plan.
Lundi 12 novembre
- Selon le quotidien "Die Zeit" et l'agence Reuters, le ministre des finances allemand aurait commandé aux cinq experts économiques chargés de conseiller le gouvernement un plan de réformes pour la France. L'opinion publique française réagit très négativement. Le président de la République annonce, sans réagir à cette information,que le Premier ministre se rendra à Berlin jeudi 15 novembre.
Mercredi 14 novembre
- Alors que de nombreux économistes dénoncent l'échec tragique des plans de sauvetage de la Grèce, l'Eurogroupe confirme que les 31 milliards d'euros dont Athènes a un besoin urgent ne pourront pas être versée avant fin novembre. La récession annéantit tous les efforts de la Grèce pour retrouver l'équilibre de ses finances publiques et la dette atteindra 190% du PIB en 2014.
- des millions de salariés sont descendus dans la rue à Athènes, Madrid, Libonne et en Italie pour dénoncer la politique d'austérité imposée par l'Allemagne et la Commission de Bruxelles. Les manifestations ont été émaillées de nombreux incidents avec les forces de l'ordre. A Rome, à Naples, à Milan, à Pise et à Turin, de violentes échauffourées ont eu lieu entre la police et des groupes de manifestants très organisés et décidés à en découdre.
Jeudi 15 novembre
- Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en visite à Berlin estime qu'entre la France et l'Allemagne, "la compréhension n'est pas suffisante en ce moment et que les deux pays doivent encore plus parler ensemble". Bien que les articles se soient multipliés ces derniers jours dans la presse allemande pour décrire la France comme l'"homme malade de l'Europe", M. Ayrault n'a que peu réagi à ces critiques. La chancelière allemande a profité de cette visite pour encourager son hôte français dans ses efforts en matière de compétitivité. Elle a à nouveau évoqué la question d'un contrôle renforcé des budgets nationaux par Bruxelles.