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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 01:18
Le troisième centenaire de Boileau
 
Nicolas Boileau mourut en 1711, un 13 mars, plein d'humeur contre lui-même et contre ses contemporains. Notre homme venait de perdre son dernier combat. Il y était question de casuistique, d'accommodements avec le ciel, des Jésuites, de leur influence grandissante, de leur attitude équivoque à l'endroit de la foi et de la morale. Boileau y mit ses dernières forces, son talent de polémiste presque intact, une foi et un courage que ses ennemis ne surent entamer. Dans sa XIIe et dernière satire, il charge sabre au clair contre le mensonge et contre l'équivoque, avec des accents qui ne sont pas sans rappeler Molière, l'ami de sa jeunesse, l'autre amant de la sincérité et de la vérité. Et parce qu'on interdit la publication de cette satire, il meurt presque de rage, furieux de ses faiblesses et des faussetés de ses adversaires. On a fait de Boileau une sorte d'apôtre de l'indifférence, de la mesure et de la froide raison. Rien de plus faux. Il prend feu pour la vérité, il s'agite lorsque la littérature éternelle est en cause, il enrage lorsqu'on raisonne faux ou mal. Mme de Sévigné le montre dans la discussion "criant comme un fou, courant comme un forcené". Tout le contraire d'un réservé, d'un calculateur. Ce qui lui plait chez les Anciens, ce n'est pas la froideur du marbre mais bien leur authenticité, leur humanité, vertus chaudes. Sa prétendue haine de l'amour et de la poésie amoureuse est une autre fable qu'on tient sur son compte. Dans une petite chronique publiée par la Revue Critique en 1912 et que nous donnons ci-dessous, Jean Herluison fait justice de cette méchante légende. Nous rendrons prochainement au maître du classicisme l'hommage que cette revue lui doit. 
La Revue Critique.
 
 
Sur des vers de Boileau
 
 
Anatole France, dans un récent interview du Temps, citait ces vers de Boileau :
 
Voici les lieux charmants où mon âme ravie
Passait à contempler Sylvie
Ces tranquilles moments si doucement perdus.
Que je l'aimais alors ! que je la trouvais belle !
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle ;
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus ?

C'est ici que souvent, errant dans les prairies,
Ma main des fleurs les plus chéries
Lui faisait des épreuves si tendrement reçus;
Que je l'aimais alors ! que je la trouvais belle !
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle ;
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus ?
 
En ces vers pleins de charme, Boileau traite, avec une émotion à la fois profonde et retenue, le thème des grands romantiques, celui du Lac, de la Tristesse d'Olympio et de Souvenir; et la manière dont il le traite n'a de comparable que celle dont Racine l'esquissait en un vers de Bérénice :
 
Lieux charmants où mon coeur vous avait adoré.
 
Ainsi apparaît la vérité du mot de Moréas, qu'il n'y a pas de romantiques et de classiques, et la justesse du commentaire de Barrès et de Maurras que seule la façon de traiter tel thème pour être dit classique ou romantique.
Ces vers où Boileau dit la mélancolie du souvenir qui se lève du théâtre de notre bonheur passé, sont d'une fraîcheur qui ont frappé ses contemporains comme nous-mêmes; et de bonne heure on voulut savoir à quelle réalité ils répondaient. Louis racine n'hésitait pas à déclarer que Boileau n'avait jamais connu l'amour, et que ces vers ne furent qu'un jeu pour lui. Mais de meilleurs témoins de sa vie ont affirmé le contraire. Feuillet de Conches écrit à ce sujet dans les Causeries d'un curieux :
"Boileau composa ces vers un jour que dans une promenade solitaire au jardin du roi [1], il était livré tout entier aux passés à la ville et à la campagne dans la société d'une aimable et vertueuse jeune fille qu'il avait aimée. Louis Racine a beau nier le fait, le fait est attesté par les notes manuscrites du frère du satirique, l'abbé Boileau, docteur de Sorbonne et chanoine de la Sainte-Chapelle, et par les conversations du même avec l'adorateur fétichiste de Despréaux, Brossette, qui a consacré sa vie à élever à son idole le monument d'un commentaire."
La jeune fille qu'aima Boileau s'appelait Marie de Bretonville; elle était la nièce d'un chanoine de la Sainte-Chapelle. " C'est elle, ajoute Feuillet de Conches, qu'il pressait un jour de lui dire qu'elle l'aimait, et qui, lui répondant, finissait ainsi sa lettre : Enfin, je ne saurois vous pardonner de m'avoir voulu obligé à vous dire : Je vous aime, et qui s'obstina à laisser tout au plus surprendre son secret."
Marie de Bretonville n'ayant pas de fortune, Boileau en possédant peu et ne se sentant pas propre au mariage [2], ils durent renoncer à se voir. Marie, après huit ans, entra au couvent et Boileau tint à lui donner la dot qu'elle y apporta. Ainsi s'acheva cette histoire d'amour dont de beaux vers restent les témoins. 
Jean Herluison.
La Revue Critique des idées et des livres, 25 janvier 1912. 
 

[1]Au Jardin des Plantes.
[2]. L'histoire du dindon est inventée après coup; en réalité boileau fut victime dans sa jeunesse d'une opération mal faite de la taille de la pierre. 

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