Inépuisable de Gaulle. Il s'est arrangé pour que l'Histoire l'attrape par un pan de sa veste. Et l'on n'en finit pas de raconter comment l'affaire s'est passée. (...). Certains s'interrogent. Après Jean Lacouture, Alain Peyrefitte, Eric Roussel et tant d'autres, y a-t-il encore quelque chose à découvrir? Oui, répond avec raison Jean-Luc Barré, qui est le premier à avoir eu accès aux archives privées du Général et aux manuscrits des Mémoires de guerre. Barré rappelle aussi son talent à s'envelopper de mystère et de ruse. On peut prédire avec lui que de Gaulle n'a pas fini de s'abandonner à ce que Nimier appelait la «publicité des siècles» (mais il parlait de César). Si le héros de la France libre est devenu si vite un personnage inépuisable (et insaisissable), c'est sans doute parce qu'il eut l'audace d'écrire sa vie sur l'étoffe des songes, de la poésie et de la guerre, qui sont autant d'abîmes tournés vers l'inconnu. Les songes étaient ceux qu'avait évoqués autrefois Chateaubriand. C'est en rêvant que de Gaulle entrait en relation avec les Français pour les mener vers les plus hautes marches d'eux-mêmes. Sa poésie n'était pas seulement celle d'un «saint langage». C'était aussi une attitude: silence, chagrins cachés, gloire des royaumes intérieurs, tourments d'orgueil et de solitude. Sa guerre fut une guerre de libération, et son armée des va-nu-pieds. Son uniforme était cousu d'humiliations et de souffrances. Il finit en vainqueur, mais se garda bien d'oublier qu'il n'y a jamais de victoire. D'ailleurs, Londres, Kenmare (Irlande) ou Colombey, il y avait toujours un exil qui l'attendait. Ces vies parallèles, mises en perspective par lui-même, ont créé du légendaire et aiguisé l'appétit des historiens. Jean-Luc Barré cite Malraux: «Tout grand créateur devient un mythe suscité par ses propres œuvres.» Barré n'entend pas faire un portrait de l'homme en pied, mais il s'attache à comprendre sa métamorphose décisive. De l'entrée en rébellion d'un général quasi inconnu des Français au sacre d'Alger, quand il n'y a plus de Charles, seulement un homme qui s'identifie à la France. Fidèlement, Barré reconstitue ce parcours de quatre ans. La faillite de l'élite, l'adoubement de Mandel, le départ pour Londres, «sans romantisme ni difficulté», puis cette lutte au couteau, au bluff et au quotidien, pour rendre à la liberté française son feu et ses épines. Oui, dit-il, il y a bien eu négociations avec les Britanniques avant l'appel du 18 juin. Oui, de Gaulle était opposé à une deuxième tentative de débarquement à Dakar, après le désastre du 24 septembre. Non, l'Angleterre, avide de pétrole et voulant tenir la route des Indes, n'entendait à aucun prix laisser les mains libres aux Français en Syrie et au Liban. Oui, la question d'Orient pèse tellement sur ses relations avec les Anglais qu'il se décide à faire des avances aux Américains, etc. Tous les fidèles de l'histoire gaullienne liront Barré avec profit.