L'Italie à la paresseuse Mis en ligne : [23-08-2009] Domaine : Lettres | ![]() |
Calet en Italie, par Emmanuel Hecht - Les Echos du 9 juin 2009.
En 1949, Henri Calet (1904-1956) daigne quitter son seul amour, le 14e arrondissement de Paris, pour Padoue. Un ami l'a invité pour représenter la presse française à un congrès international du gaz combustible. Calet se rend dans une agence Cook (« J'étais serré dans une masse de dames riches et soyeuses ») et prend un billet de 1re classe pour le Simplon-Orient-Express. Il n'est pas un voyageur comme les autres. Dès les premières pages de « L'Italie à la paresseuse », réédité par Le Dilettante, il se place sous la bannière de la baronne de Staël : « Voyager est, quoi qu'on puisse en dire, un des plus tristes plaisirs de la vie. » L'écrivain n'est pas du genre à raconter son voyage. Son esprit est diverti par les nombreux militaires se promenant sur les quais des gares (« Il est curieux de noter que les chemins de fer attirent partout les soldats »). Il devine les îles Borromées sous le store baissé par un passager anglais. Il résume Milan en une phrase : « D'une fenêtre des «gabinetti», on a une vue sur une place. » Venise ? « Vue ainsi, à distance, cela ressemblait à un petit tableau de Canaletto (ou de Guardi) » au Louvre. A Rome, il apprend que Marcel Cerdan a été battu par Jacky la Motta, le « taureau du Bronx ». En souvenir, il rapporte un presse-citron en forme de sifflet. Le camelot lui offre en prime un bouchon-verseur (« Les bouchons-verseurs sont doublement recommandables : vous ne perdez pas une goutte de liquide et vous ne tachez pas les nappes. »). Son « humour laconique et glacé », selon Francis Ponge, fait du bien. Tout chez Calet est naïf, faussement naïf et raté. « Je confesse, dit-il, que je suis un touriste apathique, et même décourageant. » La tristesse de cet homme-là n'a pas de limite. Sa tendresse, non plus. « Je la cache au fond de ma poche, comme on cacherait un mouchoir sale dont on aurait un peu honte », écrit-il dans « Peau d'ours », un ouvrage posthume. Il est désolé d'être pessimiste, il s'excuse de son désespoir. « Ce qui rend les voyages à peu près inutiles, c'est que l'on se déplace toujours avec soi, avec les mêmes pensées, le même passé, les mêmes ennuis, le même tour d'esprit, les mêmes appréciations sur les choses et les gens. »