14 décembre 2008
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Exotiques Poèmes de Jean de la Ville de Mirmont | |
| I Par un soir de brouillard, en un faubourg du nord, Où j'allais, promenant mon cœur noyé de pluie, J'ai vu, dans une auberge basse du vieux port, Danser les matelots de la Belle-Julie. Le timonier portait sur son épaule droite, Exotique et siffleur, un grand perroquet vert. Du maître d'équipage au cuisinier, qui boite, Tous gardaient, dans leurs pas, le rythme de la mer. Et déjà gris de stout, de rhum et de genièvre, Les plus jeunes, longtemps sevrés de tels festins, Ecrasaient en dansant des baisers sur les lèvres De filles dont le cœur est tendre aux pilotins. Aux accents du trombone et de l'accordéon, Leurs talons, à grand bruit, soulevaient la poussière. Mais le mousse, natif de Saint-Pol-de-Léon, Ivre mort, récitait gravement ses prières. | |
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| II Le cœur lourd de cuisine à l'huile et de piments, Matéo de Corfou, né d'une mulâtresse Et d'un prince espagnol parjure à son serment, Avec grâce étirait sa natale paresse. Un roulis insensibles agitait faiblement Le hamac du forban dont la pâleur traîtresse, La bouche insidieuse et le regard qui ment Firent périr d'amour tant de nobles maîtresses. Tandis qu'assis en rond ou couchés sur le dos Les hommes profitaient d'un instant de repos Pour cuver, çà et là, leurs infernales drogues, Et qu'un tout jeune esclave au teint de cuivre clair Qui regardait sans voir par un sabord ouvert Pleurait en évoquant des lacs et des pirogues. | |
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| III Lorsque je t'ai connue aux Iles de la Sonde, Ton sourire, ma sœur, était noir de bétel... Depuis, deux ou trois fois, j'ai fait le tour du monde, Et je me suis guéri de tout amour mortel. Matelot jovial aux mouvements pleins d'aise, Et très fier, je portais, d'un torse avantageux, La vareuse gros bleu de la marine anglaise. Enfant, ta passion fut un terrible jeu. Quand je resonge encore aux nuits de Malaisie, Je pardonne à ton cœur ardent qui me brava, Car pourrais-je oublier de quelle fantaisie Tu grisas mon ennui sous le ciel de Java, Jusqu'à l'instant fatal où mon rival mulâtre Me frappa dans le dos, un soir, avec son kriss ? Mais le Seigneur plaça, dans ma vie idolâtre, Un chinois converti qui me parla du Christ. C'est lui qui m'a conduit dans les chemins austères, A mériter ma place au nombre des élus En semant le bon grain parmi toute la terre Comme simple soldat dans l'Armée du Salut. | |
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| IV L'oiseau de paradis, l'ibis, le flamant rose, Le choucas, le toucan, la pie et le pivert, Eployant tour à tour leurs plumages divers, Volettent sur mon cœur mais jamais ne s'y posent. La tubéreuse, la pivoine et le jasmin, Le lotus de Judée et le lys de l'Euphrate, Les plus étranges fleurs et les plus disparates, Sous mon regard désenchanté fanent en vain. Je m'ennuie à mourir et ma dernière amante, Viviane, la fée aux yeux couleurs d'espoir, Périrait sous les coups de mes esclaves noirs, Sans distraire un instant le mal qui me tourmente. | |
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| V Je porte au gros orteil un anneau d'or massif, Qui me vient de mon père à qui l'avait légué Un vieillard de grand sens mais par trop primitif, Son oncle maternel, marchand de papegais. Je porte, sur le ventre, un tatouage obscène Qu'y grava, par ennui, dans l'Arabie Heureuse, L'esclave préférée, insouciante et vaine, D'un calife éminent et d'humeur scrupuleuse. Je porte dans le dos, à la hauteur des reins, La marque rouge encore d'un coup de boomerang, Outrage inexcusable et grossier à dessein D'un Papou, qui d'ailleurs le paya de son sang. Mais je porte en mon cœur, à l'abri des atteintes Du temps et de l'oubli, le souvenir futile D'une créole de Saint-Pierre aux lèvres peintes Dont les baisers grisaient comme le vin des Iles. | |
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| JEAN DE LA VILLE DE MIRMONT. | |
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