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13 août 2017 7 13 /08 /août /2017 15:36
L'Amérique et
notre avenir
  
IDEES
Civilisation.
Comment nous sommes
devenus américains.
Régis Debray.
Gallimard.
Mai 2017.
240 pages.
 

 
Régis Debray, né en 1940, est essayiste et philosophe. Cet éternel révolutionnaire, "gaulliste d'extrême gauche" ou "réactionnaire de progrès" comme il aime à se définir, est à la pointe de tous les combats pour la liberté de l'esprit et contre le conformisme intellectuel.  Il a récemment publié : Madame H. (Gallimard, 2015), Allons aux faits. Croyances historiques, réalités religieuses. (Gallimard, 2016), Le nouveau pouvoir. (E. du Cerf, 2017).
 
Présentation de l'éditeur.
C'est quoi, une civilisation ? Comment ça naît, comment ça meurt ? L'effacement de la nôtre nous aide à répondre à ces questions vieilles comme le monde. De la CIA au rap, de House of Cards à Baron noir, des primaries à nos primaires, c'est cette imprégnation de notre culture nationale par la civilisation américaine que Régis Debray dévoile avec une gaieté frondeuse, en reliant les menus faits de notre quotidien à l'histoire longue de l'humanité. Illustrée par l'exemple de la Grèce antique face à l'Empire romain, l'invariable grammaire des transferts d'hégémonie éclaire notre présent d'une façon insolite et pénétrante. Une prise de recul qui, tout en abordant de plein fouet l'actualité, surprendra également pro- et antiaméricains.
 
L'article de Gérard Leclerc. - Royaliste n°1124 - 6 juin 2017.
La civilisation américaine. La question des civilisations, de leurs valeurs, de leur éventuelle supériorité est, en général, très mal considérée, tant il est vrai qu’il y a risque d’établir une hiérarchie valorisante ou dévalorisante entre elles. Régis Debray s’est épargné cette difficulté, en se gardant bien de rentrer dans une querelle byzantine piège. Pour lui, la civilisation américaine n’est pas la meilleure des civilisations, c’est celle qui a réussi à dominer les autres par son dynamisme inégalable. Français, européen, il mesure les dégâts de cette domination qui associe la puissance matérielle à l’imprégnation des mentalités et des mœurs. Mais il lui faut s’incliner devant une réalité massive qu’il ne diabolise ni ne divinise. Résistant à la vague qui submerge tout, il reconnaît l’incroyable performance de l’american way of life, ce code de vie qui s’est diffusé à l’échelle mondiale. Comment s’opposer frontalement à cet idéal contenu dans la déclaration d’indépendance des États-Unis, où la liberté et la recherche du bonheur commandent toute l’existence ? Ce qui ne serait que pur vœu de l’imagination prend consistance lorsque la prospérité et la supériorité vous assurent l’empire universel.
Le prodigieux talent d’écriture de Régis Debray permet de comprendre ad intra et ad dextra la nature de cette domination et de cette emprise, avec toujours la charge d’humour qui confère à son phrasé sa souplesse et son élan. Le styliste surdétermine le sociologue, l’historien, l’économiste, le politique, en pénétrant la substance des choses et en faisant percevoir la musique du monde, musique qui ici s’égale à la Symphonie du Nouveau monde : « L’armée rouge a gagné la Seconde Guerre mondiale contre le nazisme, les États-Unis ont gagné la paix qui a suivi. L’Union soviétique, après 1945, a constellé l’Europe orientale et l’Asie centrale de garnisons et de missiles, mais il n’en est pas sorti une civilisation communiste susceptible de transcender et fédérer les quant à soi locaux. Manquait le bas-nylon, le chewing-gum et le hot-dog. Plus Grace Kelly et Jackson Pollock. Les États-Unis, peu après, ont fait encore plus et mieux en matière d’arsenaux, mais si, à leur deux mille implantations militaires sur les cinq continents, ne s’étaient pas adjoints trente-cinq mille Macdo dans cent-dix-neuf pays (dont mille cinq cents en France) accompagnés d’une langue idéale pour la traduction automatique, du rasoir Gillette, des microsillons du saxophoniste Lester Young, dit The Prez (pour Président), et du décolleté de Marilyn, il n’y aurait pas aujourd’hui de civilisation américaine. » On admettra qu’un pareil tableau vaut toutes les monographies et les rapports sur la puissance américaine, dont l’écrivain concentre le secret d’une formule : « En résumé, une suprématie est installée quand l’empreinte survit à l’emprise, et l’emprise à l’empreinte. »
Cette empreinte, Hibernatus peut la découvrir, plutôt ahuri, lorsqu’il déambule dans le quartier le plus parisien de notre capitale, celui qu’on appelle encore latin. Hibernatus avait quitté ce quartier quand il avait vingt ans en 1960, pour être proprement cryogénisé peu après. Fort heureusement décongelé en 2010, c’est avec stupeur qu’il redécouvre son cher Boul’mich. À la hauteur du Panthéon, rue Soufflot, un Mc Donald avait remplacé le café Mahieu et un Quick s’était substitué au Capoulade. La suite était à l’avenant : « Deux boutiques sur trois étaient de fringues, leurs enseignes en anglais ou en dialecte approchant. À la file, Derby, “Very Good Soldes” en lettres rouges, H.P. Caterpillar, New Shop, Luxury Outlet. Un opticien s’affichait OnOptic, un autre Optical Discount, un pharmacien Sagacosmetics, un autre The Body Shop. Le bureau de tabac, Altersmoke.» Je suis obligé de couper la citation qui se prolonge, non sans signaler le coup au plexus que constitue la métamorphose de la célèbre librairie Les Presses Universitaires de France, dont comme beaucoup (avec Hibernatus), je ne manquais jamais la station, quand mes pas s’aventuraient entre le Luxembourg et la Sorbonne. Le sacrilège est vraiment consommé, lorsque notre témoin constate qu’un magasin Nike, fastueux, occupe désormais l’espace.
Mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Régis Debray accomplit le parcours complet, il rend compte de l’ensemble, en ses multiples aspects, d’un génie unique : « D’autres pays ont eu besoin, pour se grandir et croire en leur destin, de s’épingler au revers une doctrine ou un système ou une théologie – Luther ou Rousseau, Auguste Comte, Marx ou Nietzsche... La République américaine a fait choix, dans ce domaine, de l’économie. Idéologie minimale. Plutôt qu’au papier elle a confié son merveilleux à des supports photosensibles, qui ont le don d’imprimer dans toutes les rétines, y compris celles des illettrés. » On a saisi que l’Amérique triomphait par la photo et surtout par Hollywood...
Donc l’Amérique a établi sa domination, et l’Europe, qui fut pourtant sa mère, vit désormais sous sa garde. Impossible d’échapper à l’emprise. Analogie de situation. La Palestine s’est trouvée autrefois sous le joug de l’Empire romain. Deux attitudes s’offraient à elle : celle d’Hérode et celle de Macchabée. L’hérodien est une sorte de collabo intelligent qui sait prendre parti de la situation. Le zélote, héritier des frères Macchabée, se lance dans une résistance désespérée qui s’achève dans la tragédie du suicide de Massada. Faut-il choisir ? Régis Debray préconiserait un moyen terme qui associe l’intelligence du compromis et la sourde résistance. En consolation, il nous laisse méditer sur la Vienne flamboyante de la culture, alors que l’Empire des Habsbourg s’effondre. On aimerait toutefois, lui poser quelques questions. Que pense-t-il de la mutation qui s’impose tout de même aux États-Unis, blancs, anglo-saxons, protestants, avec l’arrivée massive des latinos ? Et puis, quid de la puissance chinoise, menaçant tout de même le nouvel empire ?
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