Présentation de l'éditeur.
Savant indubitable, Ernest Renan (1823-1892) fut aussi un homme controversé. Après la publication de sa Vie de Jésus, l'ancien séminariste est devenu pour les catholiques "le grand blasphémateur". Bien que rallié tardivement au camp républicain, il allait être une des figures tutélaires que la IIIe République honora. Trois questions guident le voyage qu'entreprend François Hartog sur les traces de Renan : l'avenir, la religion, la nation. Evolutionniste convaincu, Renan croit fortement à l'avenir, mais quel sera le devenir de l'idée même d'avenir ? Il pense que le christianisme a fait son temps, mais quelle sera la religion de l'avenir, puisqu'un avenir sans religion est inconcevable ? Forme politique de l'époque, la nation n'échappe pas non plus au travail du temps : quels seront l'avenir de la nation et celui de l'Europe ? Car dans le monde alors dominé par l'Allemagne, la question de la nation et celle de l'Europe sont liées. Ces trois interrogations sont-elles encore les nôtres ? Dans la distance qui nous sépare de Renan et en nous servant de son oeuvre comme d'un prisme, que nous donnent-elles à voir de notre contemporain ? Jusqu'à il y a peu, l'avenir de Renan pouvait être encore le nôtre ; la religion, jusqu'à il y a peu, semblait être derrière nous ; la nation paraissait, elle aussi, une forme politique épuisée et en voie d'être dépassée. Et voici que tous ces thèmes reviennent et nous portent à reconsidérer ce que nous avons cru savoir de notre situation.
Recension de Jean-Luc Pouthier. - Etudes septembre 2017.
Ernest Renan (1823-1892) est presque aussi oublié aujourd'hui qu'il a été admiré ou détesté de son vivant. Dans son dernier livre, François Hartog, auteur d'une œuvre puissante, consacrée pour partie à l'historiographie du XIXe siècle, n'entend pas « actualiser Renan » ou opérer un quelconque « retour, même oblique, à lui ». Pour cet essai dense et incisif, il en use « comme d'un prisme pour mieux voir notre moment contemporain ». Sur trois plans : la nation, la religion et l'avenir. Renan, qui se voulait philologue davantage qu'historien, a contribué, selon Hartog, à l'émergence du « régime moderne d'historicité ». Jusqu'à la Révolution, le passé éclairait l'avenir. Désormais, c'est l'avenir (qu'un Tocqueville est allé chercher en Amérique) qui éclaire le passé et le présent. C'est lui qui porte l'intelligibilité de tout ce qui précède, tandis que le progrès et les efforts de la science font avancer l'Humanité. Dès lors, l'Incarnation n'a pas eu lieu avec Jésus (désigné par l'ancien séminariste Renan, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, comme « un homme incomparable » ; ce qui lui vaut une suspension immédiate). L'Incarnation sera le moment où l'Humanité adviendra à la pleine conscience de soi. Le christianisme n'est pas, chez Renan, la religion de la sortie de la religion. Il est la religion de la sortie du christianisme… par « la transition entre l'Un divin antérieur, celui de la tradition chrétienne, et un Un divin reconfiguré, en phase avec l'âge actuel de l'Humanité ». Sur le plan politique, cette temporalisation d'un divin spiritualiste et idéaliste, séparé du miracle, s'opère au sein de la nation, définie comme un « plébiscite de tous les jours ». « Bigot dissimulé » pour Michelet, « blasphémateur européen » pour Pie IX, Renan nous tend un miroir magnifiquement encadré par Hartog.