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l'escale | ||
Ils ont aujourd'hui débarqué. Le navire dort à la cale. Eux ils traînent le long du quai. La nuit est lentement venue. Ils restent graves, à songer. Dans la grande ville inconnue Que tout leur paraît étranger ! Un mot, un regard de tendresse Leur manquent depuis si longtemps Que le besoin d'aimer oppresse Leurs coeurs de marins de vingt ans. Alors ils s'en vont vers les filles Qui rôdent dans le soir brumeux, Comme eux seules et sans familles, Dolentes et mornes comme eux. Et demain dans des lits trop vastes, Pèlerins d'un monde trop grand, Les pauvres Bretons aux coeurs chastes Se réveilleront en pleurant. | ||
andré dumas (1874-1943). Roseaux (1927). |
regret d'avril | ||
D'autres songent à leurs amours. Mais quelle est au fond de mon être Cette voix qui pleure toujours ? D'où vient qu'en tous lieux, à toute heure, Malgré le printemps et l'été, Cette voix dolente qui pleure Et qui s'obstine ait persisté ? Quel est ce regret monotone, Si vague, si triste, si doux ? Pourquoi cette plainte ? L'automne, L'automne serait-il en nous ? | ||
andré dumas (1874-1943). La Revue de Paris (novembre 1900). |
le vieux parc | ||
Dans le parc délaissé dont j'ai poussé la porte, L'automne se prolonge indécis et charmant. Un peu de vie encor frissonne sur l'eau morte, Les arbres , dans le soir s'effeuillent lentement. C'est ici qu'elle et moi, couple heureux, nous rêvâmes, Et depuis, bien des jours, bien des mois ont passé. Mais ce que deux enfants ont laissé de leurs âmes, La suite des saisons ne l'a point dispersé. Au fond de chaque allée un peu d'elle subsiste, Comme un charme subtil qui ne s'efface pas. Et le soir qui descend, le doux soir mauve et triste, Reflète encore un peu sa robe de lilas. C'est en vain que l'absence et l'oubli me l'ont prise. Partout je la retrouve et partout je la vois. Un peu de son parfum s'attarde dans la brise, Et l'eau morte tressaille encore de sa voix. | ||
andré dumas (1874-1943). La Revue hebdomadaire (mai 1901). |