nostalgie | ||
La jeunesse du jour est une pluie de fleurs. Un essaim guerroyant sur les troènes glisse. La lumière envahit le jardin. Mais Clarisse Dédaigne le soleil et la blonde chaleur. Jean de Tinan l'aurait aimée, ardente et triste, Avec le double lac de ses yeux gris et verts Et cette voix suave où semble que persiste L'arabesque mélodieuse d'un beau vers. Que lui font les pavots creux remplis de clarté, Et les grappes filantes des abeilles vives Et l'insondable azur de ce matin d'été ? Rien ne touche son cœur qui fleurit sur nos rives. Cette heure flamboyante et que le soleil mord A suscité en elle un lancinant regret. Les yeux fermés, elle sourit. Car en secret Tandis que juin agite ses cymbales d'or, Elle voit se lever sur un fleuve du Nord Un matin brumeux et glacé Pareil à ceux de son passé. | ||
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1929). |
poème de septembre | ||
Sur la masse du ciel, les étoiles scintillent. La lune a la couleur des pailles de Manille. - Ce n'est pas le printemps et ce n'est pas l'automne. Avec les feux du soir les rêves tourbillonnent. - Au bar, le disque tourne. Une douce rengaine Se noue au chant plaintif d'une femme lointaine. Ne partiras-tu pas au son de la guitare Pour l'île que fleurit un nom baroque et rare ? Embarque ton espoir et ton cœur, pauvre dupe, Puisqu'à ce point t'émeut le doux bruit d'une jupe. L'ai-je vue à l'osier des tables accoudée Ou de tiède soleil caressée et fardée ? Son pas, n'est-ce pas lui qui se cambre et qui glisse Sur l'herbe du printemps suave des « Offices » ? Et la lumière ensemble ingénue et perverse Qui flotte dans ses yeux, et ce long corps que berce Le mouvement léger des jambes, où sont-ils ? Et quel pinceau divin traça l'arc de ses cils ? Oiseau doré frôlant la vague de son aile, Une écharpe de soie flotte à sa gorge frêle. Sous la dent, la noisette est moins fraîche et moins blanche Que son étroite nuque, et la robe, à sa hanche, Pare d'un bleu profond le plus tendre contour. L'ai-je vue ? Ou n'est-elle à la fin d'un beau jour, Tandis que les plaisirs un à un m'abandonnent - Ce n'est plus le printemps et ce n'est pas l'automne — Qu'un mirage de plus et qu'un enchantement ? Car il te faut nourrir, poète, ton tourment Et donner aux mots durs et nus, farouche essaim, Le battement d'un cœur et la chaleur d'un sein. | ||
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1930). |
isabelle | ||
Voici des vers pour vous, capricante Isabelle, Dont les bras sont dorés comme une mirabelle, Et dont le moindre geste au jardin est pareil A quelque clair envol d'oiseau dans le soleil. De Lucinde, j'ai dit la grâce convenue, La pudeur de Jenny même quand elle est nue, La plaintive douceur de Berthe, et de Simone L'amour plus inconstant que les heures d'automne. Quand il pleut, qu'aux trottoirs luisants, la nuit, scintillent Les jeux roses des bars et que passent des filles, Je songe à vous, impure Carmen, et j'évoque Vos regards ambigus, votre charme équivoque. Mais dans ce nu, dans ce froid décembre, Isabelle De toutes tu parais la plus vivante et belle. Des femmes, dans mes vers, ont noué leur guirlande. Mais nulle plus que toi ne mérite une offrande. Tendre corps, douces chairs de lait, de miel pétries, Paupières que le fard n'a point encor flétries, Oreilles que recouvrent des boucles nacrées, Longues jambes brillant sous la soie ajourée, Arc des pieds, que les Dieux, à mes vers, tour à tour Donnent votre parfait et lumineux contour. | ||
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1926). |