Illusions et aveuglement | |  | | HISTOIRE La Grande Illusion. Quand la France perdait la paix. 1914-1920. Georges-Henri Soutou. Tallandier. Avril 2015. 376 pages.
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Georges-Henri Soutou, né en 1943, est historien. Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne et membre de l'Académie des sciences morales et politiques, c'est l'un des meilleurs connaisseurs européens de l'histoire des relations internationales. Il a récemment publié : La Guerre de cinquante ans. Les relations est-ouest. 1943-1990. (Fayard, 2001), L'Europe de 1815 à nos jours. (PUF, 2007).
Présentation de l'éditeur.
La grande illusion : que la guerre de 1914-1918 serait courte et mettrait fin à la position dominante occupée par l'Allemagne depuis Bismarck ; que la France récupérerait les territoires perdus depuis la Révolution française, mais aussi établirait une sphère d'influence de premier rang et une mainmise sur les régions rhénanes, voire remettrait en cause l'unité allemande ; et, pour finir, que les traités de paix réaliseraient au moins les principaux objectifs poursuivis et en tout cas garantiraient la sécurité à long terme. Ces illusions, largement partagées, étaient portées par l'obsession de la sécurité face à l'Allemagne et par l'affirmation du modèle républicain face au «militarisme prussien». Ceux qui tentèrent d'achever le conflit par la négociation furent écartés. Paris a joué son rôle dans la marche à la guerre et a défini des buts qui ont largement contribué à déterminer le déroulement du conflit et ensuite la paix. Finalement, les dirigeants n'ont pas obtenu ce qu'ils souhaitaient, tout en compromettant, par leurs exigences et par leur vision biaisée des réalités, la restauration du système internationa. C'est ainsi que la France a perdu la paix.
L'article de Jean-Dominique Merchet. - L'Opinion. - 14 avril 2015.
Un livre majeur sur la Grande Guerre. C'est un livre important que le professeur Georges-Henri Soutou, l'un des meilleurs historiens français des relations internationales, vient de publier sur la première guerre mondiale, chez Tallandier. Il serait dommage que, dans l'avalanche des ouvrages récemment parus sur 14-18, celui-ci ne rencontre pas le succès mérité. Certes, Georges-Henri Soutou n'a pas écrit un livre à la mode du jour, celle de l'histoire d'en bas, avec ses approches anthropologiques et socio-culturelles, s'intéressant au vécu des poilus ou des civils de l'arrière. Il le revendique : c'est de l'histoire d'en haut, celles des cercles du pouvoir, essentiellement politiques et diplomatiques. Ces cercles dont les décisions pesèrent tant sur le destin dramatique de ceux d'en bas... La Grande Illusion est un livre centré sur la France et notamment ses "buts de guerres". Il court de l'avant-guerre à l'après-guerre, apportant son lot d'éléments nouveaux et de perspectives passionnantes. Reprenant à nouveaux frais la vieille question de la responsabilité du déclenchement de la guerre, il montre que la France en a sa part. En particulier dans le choix de l'alliance franco-russe qui contribua à la mécanique infernarle de l'été 14. Un petit groupe d'hommes (Raymond Poincaré, Théophile Delcassé, Maurice Paléologue et Joseph Joffre, en particulier) jouèrent un rôle important dans ce sens, alors que d'autres options étaient possibles. Sur le déroulement de la guerre, on lira avec beaucoup d'intérêt le chapitre consacré à l'année 1917. Se plongeant dans les archives, l'historien raconte le processus de décision qui abouti à l'offensive Nivelle - où l'on voit l'importance des désaccords au sein du groupe dirigeant, qu'il soit politique ou militaire. Encore plus passionnant, le récit des "négociations secrètes" en vue d'une paix de compromis, avec des personnalités comme Paul Painlevé ou Artistide Briand. L'échec de ces tentatives prolonge la guerre, mais surtout fait basculer l'Europe dans un nouveau siècle. Faute d'une solution entre puissances européennes, l'alternative, incarnée par Clemenceau, sera celle d'une alliance atlantique, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Sur de nombreux points, l'auteur corrige d'ailleurs l'image un peu caricaturale que l'on se fait du Tigre. Sur ses buts de guerres, la France se raconta longtemps des histoires, espérant prendre le contrôle de la rive gauche du Rhin, sous une forme ou une autre, voire de revenir sur l'unité allemande. Visions chimériques qui seront balayées dans l'après-guerre. Comme tous les grands livres d'histoire, celui du professeur Soutou n'est pas sans résonnance avec l'actualité : le poids de l'idéologie, le processus de décision souvent aléatoire, les opportunités que l'on ne saisit pas. Lisez La Grande Illusion - vous perdrez au passage quelques unes des vôtres, d'illusions. Sauf sur un point : celle qu'il n'y a plus rien à apprendre sur cette période essentielle