petite suite automnale | ||
I. - Parce que tu donnas... Parce que tu donnas trop de rêve à l'amour, Les femmes ont trahi de belles destinées; Mais quand malheurs et deuils marqueraient les années, Pourquoi fermer les yeux à la beauté du jour ? En ce vieux « Pigeonnier » aux coins hantés de songes, Vois l'arrière-saison mourir avec douceur Et, pour guérir ce mal d'amour que tu prolonges, Sache à ta solitude accoutumer ton cœur. Mêle tes souvenirs au feuillage qui tombe : Sous ses ors plus subtils que les ors de l'été Des puissances de vie ont encor palpité, Car l’avenir fleurit toujours sur quelque tombe ! En tant d'appels viendront des sites que parfois, Au désert de toi-même où l'orage au loin tonne, Tu ne sauras plus bien distinguer en ces voix Les soupirs de ton cœur et le chant de l'automne. II. - Tandis que dans le froid... Tandis que dans le froid se rouillent, Comme des gorges de faisans, Les châtaigniers, et se dépouillent Les merisiers incandescents, Et que sous les brumes malignes Le soir paiement nuancé Semble, dans sa douceur de lignes, Enclore un site du passé, Vous qui pouviez me faire vivre Mes plus beaux rêves, revenez Sentir l'odeur qui vous enivre : Celle des feuillages fanés. III. - Si la gloire... Si la gloire fuit ton front, Si ton coeur est solitaire, D'autres douceurs te viendront Des largesses de la terre. Goûte à ces plaisirs subtils Que dédaigne le vulgaire : Les jeux d'amour, que sont-ils ? Un peu de savante guerre! Car la chair déçoit la chair, Et souvent l'âme se leurre. Mais surprends le frisson clair Du coteau qu'un ciel effleure, Et jouis des tons vineux D'une allée où novembre ose Glisser, plus fragile en eux, Sa dernière et pâle rose. | ||
charles forot (1890-1973). La Muse française (1922). |
vers | ||
Plus tard, en cette heure d'or Où tu te recueilles Quand les châtaigniers encor Verront choir leurs feuilles, Sous la coupe de cristal D'un ciel gris et rose Où cède au destin fatal La dernière rose, Où, coureur des champs, le vent Hérisse la meule Tu sentiras l'émouvant Regret d'être seule. | ||
charles forot(1890-1973). La Ronde des Ombres (1922). |
instants vivarois | ||
I. - Printanière. L'une blonde, un sourire unique, Des lèvres et des yeux, Grands yeux couleur de véronique, Fervents et lumineux. L'autre châtaine aux nobles hanches Candides, le teint haut, Qui, pour piller des fleurs aux branches, Cambre un corps sans défaut; Et tandis que va la châtaine Cueillir les fleurs du champ, Toute au printemps, l'âme lointaine, La blonde se couchant A l'ombre d'un Pin bas sommeille, Belle et le rire aux dents. Mais la cueille use, au jeu vermeille, Prend les rameaux pendants. A pleines mains et les secoue Sur celle qui dort, Et, pollens, sur la tendre joue Pose un nuage d'or. II. - Ce matin. Lointain déjà dans ma mémoire Ce matin d'un cristal gris- bleu ! La Daronne était une moire D'argent sous l’automne de feu. Rosée, était-ce bien l'automne ? Tout riait, si tendre et si frais, De cette frange qui festonne De gouttelettes un cyprès A cette divine lumière Qui chante dans le peuplier. Ami Parnin, l'aube première Sous nos yeux semblait s'éveiller ! Un printemps qui de reflets d'ambre Et de rayons d'or se coiffait ! Etait-ce un matin de septembre ? Grâce fragile, accord parfait, L'heure pure comme une larme, Eût souffert d'un éclat de voix, Mais laissa dans mon cœur ce charme Du soleil, des eaux et des bois. III. - Dans le brouillard. Dans le matin mouillé je vins tirer la grive, Et je vous vis alors vous confier aux vents, Brouillard errant par les ravins, à la dérive, Puis gonfler vers les monts vos longs voiles mouvants. Brouillard de toutes parts, odeur âcre humée Si souvent quand l'automne habite la forêt, Odeur de moisissure et d'humide fumée, Brouillard houleux, blafard en qui tout disparaît, Ah! créez devant moi de plus secrets royaumes, Que l'âme de ma terre agite vos réseaux. Vous avez fait des bois un peuple de fantômes Où je semble guetter les ombres des oiseaux… | ||
charles forot (1890-1973). La Muse française (1930). |
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