l'île lointaine | ||
Je suis né dans une île amoureuse du vent Où l'air a des senteurs de sucre et de vanille Et que berce au soleil du tropique mouvant Le flot tiède et bleu de la mer des Antilles. Sous les brises, au chant des arbres familiers, J'ai vu les horizons où planent les frégates Et respiré l'encens sauvage des halliers Dans ses forêts pleines de fleurs et d'aromates. Cent fois je suis monté sur ses mornes en feu Pour voir à l'infini la mer splendide et nue Ainsi qu'un grand désert mouvant de sable bleu Border la perspective immense de la nue. Contre ces souvenirs en vain je me défends. Je me souviens des airs que les femmes créoles Disent au crépuscule à leurs petits enfants, Car ma mère autrefois m'en apprit les paroles. Et c'est pourquoi toujours mes rêves reviendront Vers ses plages en feu ceintes de coquillages, Vers les arbres heureux qui parfument ses monts Dans le balancement des fleurs et des feuillages. Et c'est pourquoi du temps des hivers lamentables Où des orgues jouaient au fond des vieilles cours, Dans les jardins de France où meurent les érables J'ai chanté ses forêts qui verdissent toujours. O charme d'évoquer sous le ciel de Paris Le souvenir pieux d'une enfance sereine Et dans un Luxembourg aux parterres flétris De respirer l'odeur d'une Antille lointaine ! O charme d'aborder en rêve au sol natal Où pleure la chanson des longs filaos tristes Et de revoir au fond du soir occidental Flotter la lune rose au faîte des palmistes ! | ||
daniel thaly (1879-1950). Le Jardin des tropiques (1911). |
l'asile du rêve | ||
Cette maison bâtie au bord de la presqu'île, Où de blancs paille-en-queue ont suspendu leur nid, S'élève en la clarté de l'éther immobile. Sur le spectacle éblouissant de l'infini. La falaise est aride au seuil de la terrasse Et, seuls, quelques cactus hérissent ce désert, Mais par une croisée ouverte sur l'espace On voit tout l'horizon, les îles et la mer. On y vit dans l'odeur salubre du rivage. Quelquefois un navire et l'ombre d'un nuage Troublent au loin le miroir pur des grandes eaux. Le silence de l'air repose la pensée ; La rêverie, au chant de la vague bercée, Suit en l'azur le vol décroissant des oiseaux. | ||
daniel thaly (1879-1950). Le Jardin des tropiques (1911). |
au jardin du luxembourg | ||
Ile pleine d'oiseaux, de branches, de corolles, Dans l'océan noir de Paris, Luxembourg où le soir, au sortir des écoles, Nous menions nos rêves fleuris. Quand sous tes marronniers s'étendent les ombrages Et les profondeurs d'un sous-bois, Que les reines de France au bord de tes feuillages Semblent sourire à l'Autrefois, Des garçonnets jolis comme des oiseaux frêles Sur ton bassin lancent le soir Des bateaux ingénus où frissonnent les ailes Merveilleuses d'un jeune espoir. Quand l'automne sanglant traîne ses fauves moires Sur les roses de tes bosquets, De beaux ramiers rêveurs dans tes ramures noires Imitent de sombres bouquets. Puis, au mois où du songe éternel des statues La neige épouse la blancheur, Ton allée où les voix des feuilles se sont tues Se fait plus douce au promeneur Dont le cœur tourmenté par l'angoisse des villes Éprouve en ton grave décor Le solennel regret des campagnes tranquilles Où flotte l'odeur du bois mort... Luxembourg ! tu fus cher à mes beaux jours d'Europe ; J'ai médité de tendres vers Au bord de ta fontaine où l'œil du noir Cyclope Voit les platanes à l'envers. Sous la chanson d'un arbre aux branches vigoureuses Qu'aux printemps derniers tu berçais, J'ai retrouvé l'odeur des provinces heureuses Qui parfument le ciel français. Et parfois, le cœur plein d'une indicible peine Dans l'or de tes soleils de Mai, J'ai cru, parmi tes fleurs, respirer une haleine De mon île au souffle embaumé ! | ||
daniel thaly (1879-1950). Nostalgies françaises (1913). |